Maths par l’anglais

Comment enseigner les mathématiques dans une langue étrangère ? Odile Jenvrin partage son expérience avec des lycéens et notamment sa pratique de l’oral en cours de mathématiques.

Odile Jenvrin

© APMEP Décembre 2020

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Le contexte

Au lycée général et technologique industriel de Caen, chaque élève de la Seconde à la Terminale peut bénéficier d’une heure de DNL (Discipline Non Linguistique) que j’assure depuis une dizaine d’années. Il n’est pas nécessaire d’être « bon » en mathématiques et/ou en anglais : il suffit d’avoir envie de parler de mathématiques en anglais.

Du fait qu’il n’y a pas de programme à finir en DNL, j’ai une grande autonomie tant sur le choix des contenus que sur les méthodes pour les traiter. Je peux :

  • sélectionner des sujets qui plaisent aux élèves. Ceux qui ont le plus de succès à la fin de la Terminale sont, par exemple, les systèmes de numération positionnels comme notre système décimal, l’émergence du zéro, les suites numériques dans les fractales, la modélisation de tours de magie, les paradoxes de probabilités comme l’espérance mathématique de variable aléatoire du dilemme du prisonnier ou les probabilités conditionnelles du problème Monty Hall

  • faire le choix de jouer en classe, de faire des expériences pour « toucher les maths », de réaliser des exposés en vidéos, de travailler en groupe ou même d’interagir avec des pairs étrangers dans un projet européen virtuel…

Ainsi, ce cours est devenu un laboratoire pédagogique, souvent apprécié des élèves !

Les profils des élèves, la DNL pour tous

Il n’y a pas de sélection de niveau, ni en mathématiques ni en langue, mais une fois inscrit, l’élève participe à tous les cours. Nous ne faisons pas de promesse de voyage à l’étranger même si, selon les années, un projet Erasmus attaché à ce cours a pu en donner l’impression.

Au bout d’une semaine de présentation de l’option dans toutes les classes de Seconde se forme un groupe principalement composé de garçons (à l’exception d’une ou deux filles, étant donné les filières technologiques industrielles de notre lycée). Le groupe est souvent des plus hétérogènes allant d’élèves ayant pour projet une Première générale avec option Sciences de l’Ingénieur aux élèves qui se réorienteront en voie professionnelle en passant par ceux qui ont un projet de Première technologique. Conscients de la nécessité de la langue anglaise pour devenir technicien ou ingénieur, beaucoup voient par ce biais la possibilité de se donner le temps de se familiariser avec cette langue.

Maths par l’anglais, ma posture d’enseignante

Dans mon lycée le cours est appelé « Maths en anglais » qui sous-entend que le public maîtrise l’anglais. Je préfèrerais « Maths par l’anglais », indiquant que le public ne maîtrise pas encore l’anglais et que les contenus mathématiques qui y sont dispensés permettent justement de progresser grâce à une approche différente de cette langue.

Où est la limite dans l’imaginaire des élèves et des familles entre le cours de DNL et le cours de langue ? L’une de mes plus grandes craintes est que les familles pensent que le cours de langue est inutile ou remplaçable. Souvent, je n’efface pas les contenus mathématiques écrits en anglais pour que le collègue de langue qui viendra ensuite puisse les lire. Quand celui-ci prend la suite de ma classe et qu’il s’exclame spontanément qu’il ne pourrait pas enseigner le cours de ce tableau pourtant en anglais, je suis rassurée sur cette distanciation positive entre DNL et cours de langue. Et pourtant, quoi que je fasse, de nombreux élèves me prennent pour une professeure d’anglais …, ce qui questionne aussi leur représentation des mathématiques.

Il s’agit autant de « parler de mathématiques » en anglais que de « faire des mathématiques » au sens strict. Et ce cours devient alors une opportunité d’ouverture scientifique !

La pratique de l’oral

Les effectifs en classe ne permettent pas à chaque élève de parler suffisamment anglais pendant la séance. Je préfère donc m’assurer de la bonne compréhension des étapes de raisonnement mathématique en faisant répéter à voix haute des phrases choisies pour leur contenu déductif autant que pour leur structure grammaticale et leur vocabulaire spécifique. Ces phrases sont extraites d’une vidéo authentique britannique ou américaine exploitée en classe. Les élèves n’hésitent pas à répéter à voix haute dans ce groupe qui les protège d’éventuelles moqueries et j’ai appris à repérer les écueils les plus fréquents de phonologie anglaise pour les faire retravailler.

Par la suite, chaque élève devra produire seul ou en binôme, une vidéo (d’une durée de trois à sept minutes) dans laquelle l’expression en anglais sur des mathématiques doit se faire de manière fluide. La seule consigne est de produire, en une seule vidéo, un exposé oral sur un thème donné en s’appuyant sur des documents visuels. Il n’y a pas de chemin balisé par des questions comme on peut en avoir en devoir écrit de mathématiques. Il y a seulement la liste incluant la modélisation de la situation concrète, les éléments incontournables du raisonnement central, et la transcription du résultat calculé dans le contexte. En principe, l’élève sérieux a juste à transformer en oral les notes écrites en cours, la forme étant libre. Les réalisations des élèves vont de la plus créative au cours magistral ennuyeux lu à voix haute. Il est fréquent que des élèves dits « mauvais » en mathématiques réalisent des vidéos de grande qualité. Il faut parfois développer plus de bienveillance que prévu sur des productions qui pourraient paraître insuffisantes à qui ne connaît pas le chemin parcouru par l’élève.

L’oral soutenu par l’écrit

Pendant longtemps, j’ai entraîné les élèves à l’oral sans demander de production écrite, ce qui permettait de convaincre quelques élèves hésitants de prendre l’option. Les expériences rencontrées ces dernières années m’ont fait changer d’avis sur l’articulation entre écrit et oral pour renforcer les compétences orales, y compris pour les élèves les plus en difficulté.

Depuis l’an dernier, j’ai la chance d’avoir accès à la version complète d’une application de e-magazine. Les élèves trouvent dans l’utilisation d’une telle application une motivation pour faire le travail demandé et surtout, l’utilisation de cette application m’a permis de modifier mon enseignement afin d’atteindre les objectifs souhaités.

Devant le nombre de textes préparés par écrit en amont et lus de façon monocorde en vidéo, j’ai demandé un écrit sous la forme d’un article d’un futur magazine collectif de classe afin d’inciter les élèves à structurer leur oral par un plan et des mots clés.

Rendre son devoir à l’enseignant par le biais d’une application numérique ainsi que le déplacement physique de la séance vers le CDI se sont avérés motivants. Chaque élève a pu choisir sous quelle forme travailler : soit un article écrit sur support numérique enrichi de ses photos commentées, soit une vidéo orale incluant des supports visuels, parfois simplement son cahier de cours.

J’ai été étonnée de voir plusieurs élèves choisir l’article écrit puis de découvrir une réelle progression à l’oral. De plus, cet écrit a permis concrètement une évaluation formative bien acceptée. Après avoir imprimé son travail, chaque élève a pu reprendre son article à partir des annotations sur les éléments manquants de la liste de consignes ou en se servant de propositions linguistiques que je lui ai apportées avec la promesse d’une note augmentée. La production orale sur le même sujet s’est alors révélée nettement meilleure.

Je m’étonne toujours de voir la forte majorité d’élèves, notamment en Seconde, qui préfèrent fournir un écrit plutôt qu’un oral quand ils ont le choix. Je dispose de trois ans jusqu’au bac pour les convaincre et obtenir un oral après chaque article lu. De plus, à la fin de l’année, ces articles forment un e-magazine collectif de classe de belle allure qui résume les trois ans de lycée et qui se trouve réinvesti au moment des ultimes révisions avant l’oral officiel de bac.

Cette application de magazine numérique est donc devenue pour ma classe un outil pertinent pour mettre l’élève en situation. Elle lui apporte une opportunité crédible de s’approprier des corrections linguistiques et des choix de vocabulaire scientifique pour la suite de sa production.

Extrait d’un e-magazine (juin 2020) .

La DNL au bac

L’épreuve de DNL au bac est exclusivement orale, en deux parties : l’une sur un document inconnu et l’autre sur une liste de thèmes connus préparés en amont pendant la scolarité. À la lecture du dernier bulletin officiel sur le grand oral , j’interprète combien l’épreuve orale du bac en DNL, consistant à parler de mathématiques en anglais, croise les mêmes compétences que celles attendues au grand oral en français.

Dans l’académie de Caen (Normandie depuis le 1er janvier 2020), le candidat soumet au jury une liste de thèmes étudiés en classe afin d’être placé en terrain connu. Il bénéficie ainsi d’une opportunité authentique de valoriser oralement ses connaissances de façon préparée pour le cas où il aurait manqué de réactivité sur la seconde partie de l’épreuve, dont le sujet est inconnu.

Le projet européen eTwinning

Plutôt qu’un voyage, je préfère animer un projet d’échanges à distance grâce à la plateforme européenne eTwinning dédiée aux enseignants et à leurs élèves dans toute l’Europe.

Cette démarche est gratuite et peut s’étendre sur toute l’année scolaire en un espace protégé en ligne et confidentiel appelé « twinspace », jusqu’à ce que le choix soit fait de publier, ou non. Le projet eTwinning est toujours une source d’enrichissement autant pour mes élèves que pour moi grâce aux échanges avec mes collègues étrangers. Il présente de multiples atouts. Les élèves sont attirés par la perspective de communiquer numériquement avec des pairs étrangers et s’engagent dans les activités de classe dans ce but. Leur satisfaction est visible quand ils découvrent les contributions envoyées par leurs partenaires.

Par exemple, un jeu de quizz sur du vocabulaire mathématique anglais envoyé par des élèves allemands a mis « l’ambiance » dans la classe de Seconde. Les élèves français ont finalement trouvé que les questions étaient trop simples. Je les ai donc encouragés à créer leur propre quizz. Chacun a préparé une question à choix multiple en réfléchissant certes à la bonne réponse mais aussi aux réponses susceptibles d’être données par les autres élèves. En devant approfondir les questions et surtout le choix des réponses possibles, la posture de l’élève a changé, révélant un côté sévère lorsqu’ils prenaient le rôle d’évaluateur pour d’autres. Le premier réflexe de poser « How do you say “carré” ? » n’ayant plus aucun sens pour des pairs allemands et espagnols, il a fallu formuler une définition correcte et compréhensible de carré.

Grâce au projet eTwinning, nous exportons les travaux de la classe hors les murs de la salle et hors des frontières géographiques. Cependant, il ne constitue jamais un but à lui seul car il dépend d’une somme de facteurs indépendants de mon contexte et pourtant impactants (par exemple la réactivité des partenaires, le calendrier scolaire de leur pays, etc). Ce projet reste un atout supplémentaire quand les collaborations fonctionnent bien mais il faut aussi reconnaître que le projet fonctionne mal certaines années, sans qu’on en connaisse exactement les raisons. Pour éviter cet écueil, j’organise mes cours de façon indépendante du projet.

Finalement, le projet eTwinning stimule le besoin d’écrire pour préparer des productions orales qui se veulent de qualité puisqu’elles sont destinées à d’autres personnes que le seul professeur évaluateur. Il sert d’espace de dépôt accessible hors du temps scolaire à l’élève qui voudrait le montrer à sa famille ou ses amis et il restera une trace de sa scolarité de lycéen. Et pour nous enseignants, il est aussi lieu de formation par l’échange de pratiques entre collègues étrangers. Une de mes collègues, espagnole, a fortement impacté les activités de ma classe par ses propositions autour du nombre \(\pi\) . De plus, la plateforme eTwinning héberge un espace de mutualisation pour professeurs de mathématiques français, du primaire à la Terminale, appelé « eTwinning pour enseigner autrement les Mathématiques » à l’initiative de Carole Terpereau de l’académie de Nice, qui anime aussi le groupe « MathEurope » de l’APMEP et le groupe ETWMaths de eTwinning sur lequel on peut retrouver des ressources pouvant être réinvesties dans nos classes .

Conclusion

Ces expériences sont riches et contribuent à obtenir de tous les élèves un oral de mathématiques ressemblant à un exposé d’expert. De plus, elles influencent fortement ma pratique dans les cours de mathématiques en français : des vidéos trouvent maintenant leur place dans mes préparations de cours, l’exerciciel libre Wims devient un outil de travail à la maison, tout comme le e-magazine qui motive l’implication individuelle au service d’un produit collectif.

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Odile Jenvrin est professeure de mathématiques au Lycée des Métiers – Institut Lemonnier à Caen et est aussi animatrice du groupe DNL de l’IREM de Caen.

Pour citer cet article : Jenvrin O., « Maths par l’anglais », in APMEP Au fil des maths. N° 538. 1 janvier 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/maths-par-langlais/.

Une réflexion sur « Maths par l’anglais »

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