Comment j’ai choisi l’écriture inclusive

Dans son article « Quadrature » du numéro 528 d’Au fil des maths, François Sauvageot a souhaité utiliser une écriture inclusive, qui n’est pourtant pas celle que nous avons choisie pour notre bulletin. Même s’ils ne remettent pas en cause nos principes éditoriaux, ses arguments nous ont paru intéressants et les voici dans le texte ci-dessous.

François Sauvageot

© APMEP Septembre 2018

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Ce texte est rédigé en utilisant une neutralisation formelle des genres. Le français ne connaît plus, contrairement au latin, le genre neutre (à l’exception de “pis”) et se sert du masculin comme valeur générique ou pour le pluriel. Cela n’a pas toujours été le cas, l’accord de proximité était par exemple pratique courante jusqu’au XVIIe siècle. Puis certains grammairiens ont fait valoir que le genre masculin est le plus noble et prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins. Les mêmes qui, parfois, ont pu écrire que la règle tue la langue en imposant trop de contraintes à qui veut l’employer ! Je renvoie par exemple à ce qu’écrit Dominique Bona de l’Académie Française.

La langue et la pensée sont intimement liées. En chinois, pour dénombrer, on utilise un mot médian, appelé spécificatif, qui permet de dire à quelle classe appartient ce qui est dénombré : « un parmi les récipients » verre. En vietnamien il n’y a pas de conjugaison, pas de déclinaison, pas d’accord. Je connais des couples franco-japonais qui choisissent de parler anglais, alors que le couple vit au Japon et que les deux parlent couramment japonais, afin d’éviter que le mari ne s’adresse à sa femme comme à son chien ! Comment penser l’individu si on fait toujours référence à un tout, comment penser l’égalité des sexes quand la langue la nie ? Certaines langues se prêtent mieux à certains types de pensée, de poésie ou de rapports sociaux.

Ce qui se cache, donc, derrière la volonté d’utiliser une neutralisation formelle des genres, c’est la question du rapport entre les genres, et bien entendu aussi des sexes dans la langue et dans la société françaises. Je suis par exemple opposé à l’idée que l’un des deux sexes est plus noble que l’autre et doive prévaloir. Même si je pense que la langue va évoluer, comme toute langue vivante, mon intérêt se porte tout particulièrement sur la question de la place des femmes et des hommes au sein des mathématiques.

Pour illustrer mon propos plus clairement, voici un exemple. Le titre du documentaire « Comment j’ai détesté les maths » a été l’objet de polémiques. On a pu vouloir lui rajouter un point d’interrogation ou changer le « Comment » en « Pourquoi », ou tout simplement lui reprocher de ne pas refléter le film. C’était mon sentiment au début et puis j’ai fini par accepter et faire mien ce titre. Après tout, je peux moi aussi dire comment j’ai détesté les maths, ou plutôt l’image que renvoie (en partie) le film : celle d’une science où les femmes sont très peu présentes. On a reproché au film l’absence de femmes. Personnellement je l’ai vécue dans mon histoire de mathématicien ! Je trouve donc que l’image est correcte, loin des quadrichromies bien pensantes, certes, mais fidèle à une réalité. Une réalité que l’on espère changeante. Ce film peut, entre autres vertus, faire prendre conscience de cette anomalie que beaucoup trop prennent pour la nature des choses. Si je prête à ce film le pouvoir de mettre la question sur la table, j’ai envie de faire pareil avec mes écrits mathématiques : poser la question. La revendication n’est grammaticale qu’en apparence. Elle est sociétale, et vise en particulier le microcosme mathématique. La question est d’ailleurs incontournable quand on propose de mélanger mathématiques et danse.

Bref si cette façon d’écrire est insupportable, pique les yeux, rend le discours inaudible, cela ne sera pas très différent des blousons de cuirs noirs ou des crêtes colorées sur la tête des jeunes des années 70. Les lignes ont-elles bougé depuis ? Je le crois. Aussi vais-je continuer à écrire ainsi, pour poser la question… jusqu’au jour où cette question n’aura pas plus de sens que la question de savoir si on peut mettre une chanson des Stones sur la B.O. d’un dessin animé pour enfants. En attendant, elle me plait bien d’écrire au féminin !

François Sauvageot est professeur de chaire supérieure en classe préparatoire (MP*) et acteur de science populaire. Un extrait vidéo du spectacle Quadrature à cinq danseurs est disponible sur la version numérique d’Au fil des maths. .

Pour citer cet article : Sauvageot F., « Comment j’ai choisi l’écriture inclusive », in APMEP Au fil des maths. N° 529. 4 septembre 2018, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/comment-jai-choisi-lecriture-inclusive-sauvageot/.