La trace écrite — Les traces écrites en mathématiques

Le rapport Torossian-Villani met l’accent sur la nécessité de structurer les traces écrites de cours dans l’enseignement des mathématiques, de l’école élémentaire au lycée. Mais n’oublions pas l’importance des autres types de traces écrites qui vivent dans une séance de math. Alain Vesin nous fait part de sa réflexion à ce sujet.

Alain Vesin

© APMEP Juin 2020

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Pourquoi s’interroger aujourd’hui sur la place des traces écrites dans l’enseignement des mathématiques ?

Au cours des deux dernières décennies, les pratiques en classe de mathématiques ont beaucoup évolué : activités introductrices, TP informatiques, tâches dites complexes ou à prise d’initiative, problèmes ouverts, narrations de recherche…

Dans toutes ces situations, c’est bien sûr l’élève qui est acteur et qui doit gérer ses traces écrites. Les professeurs sont ainsi confrontés au développement de l’autonomie de leurs élèves dans la construction de leurs écrits, à la définition de leurs exigences dans ce domaine et à l’accompagnement des élèves dans les usages de ces écrits.

Lorsque le professeur de mathématiques s’interroge sur la place de la trace écrite (pour ses élèves) dans son enseignement, il a peu de ressources disponibles et finalement les pratiques individuelles, qui sont peu partagées, prévalent.

La trace écrite en classe de Sixième n’est bien sûr pas de même nature qu’en classe de Terminale, car le rythme de l’enseignement, l’autonomie et la maturité des élèves, la complexité des concepts abordés ne sont pas les mêmes. Néanmoins, je m’attacherai à dégager des invariants sur lesquels chacun pourra se retrouver.

Dans cet article, je ne cherche pas à faire des prescriptions sur les pratiques qui seraient plus efficaces ou a contrario néfastes, mais plutôt à initier une réflexion des enseignants de mathématiques sur ce thème, un retour sur leur pratique professionnelle, afin d’explorer éventuellement d’autres pistes.

La trace écrite ou des traces écrites ?

Dans le rapport Villani-Torossian, le thème de la trace écrite est abordé au travers de la gestion du cours, dans le sens de la synthèse des notions et des résultats, obtenus après différentes phases de recherche et de manipulation. Ce point est essentiel et je le développerai de manière plus approfondie en tentant de faire le tour des pratiques généralement observées. Néanmoins, les traces écrites des élèves en mathématiques ne se limitent pas à ce cours structuré. L’ensemble des activités en cours de mathématiques donnent en principe lieu à des écrits qui peuvent prendre des aspects très différents : un schéma, une figure, un calcul, une conclusion, une synthèse…

On peut distinguer deux types d’écrits :

  • les écrits privés de l’élève : traces de recherches, calculs annexes, vérifications, figures à main levée… qui n’ont pas nécessairement vocation à servir dans la communication auprès de ses pairs ou du professeur ;

  • les écrits publics qui sont essentiellement un outil de communication, et à ce titre, doivent respecter un certain nombre de règles.

Le glissement de l’un à l’autre est subtil et dépend de l’environnement. Nul ne reprochera à un spécialiste de noter \(\mathsf{AB}\) la droite passant par deux points distincts si ce statut est clair dans le contexte, alors que pour une copie d’un élève de collège cette erreur de notation sera relevée. La rigueur dans la rédaction destinée à être publique nécessite d’être, autant que possible, justifiée aux élèves pour qu’ils s’en emparent. À défaut, ces exigences risquent de ne leur paraître que formelles, donc artificielles.

Pourquoi des traces écrites ? Quel usage pour l’élève ?

Les traces écrites sont tout d’abord le témoignage du travail de l’élève en classe et en dehors de la classe. La consultation de cahiers d’élèves montre qu’elles sont nombreuses et de toute nature, signe que l’enseignement des mathématiques passe essentiellement par l’écrit. Le passage à l’écrit est primordial car c’est ce qui permet de structurer la démarche, la pensée et aussi de communiquer. Il est important que le professeur s’interroge sur l’usage qui est fait de ces écrits par les élèves et qu’il les guide afin que cet usage soit pertinent et efficace.

Les traces écrites ont également vocation à être utilisées par les élèves, sans quoi leur existence est remise en question. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, notamment si cette utilisation n’est pas encadrée par le professeur. Que faut-il retenir dans les savoirs, les méthodes ou les savoir-faire afin d’être prêt pour la prochaine évaluation ? Le travail de tri et de synthèse est nécessaire. La conclusion personnelle d’un élève à la fin d’une activité est-elle importante dans ce cadre, ou bien la conclusion élaborée avec la classe sous la direction du professeur ou encore l’institutionnalisation finale, en général consignée au tableau puis dans la partie cours du cahier ? Voici autant de questions auxquelles un enseignant est confronté au quotidien, et sur lesquelles il doit trancher.

Une grande variété

Pendant les heures de mathématiques et en dehors de ces temps, les élèves produisent des écrits qui ont plusieurs objectifs. On peut distinguer un certain nombre de situations ; certaines sont très classiques, comme la rédaction de la solution d’un exercice, d’autres correspondent à des pratiques plus récentes, comme le compte rendu d’un TP utilisant un outil numérique, les traces de recherches (activités de découverte, résolution de problèmes ouverts ou à prise d’initiative, prise d’initiative dans la recherche d’une solution, embryon de schéma déductif, …), les rédactions de solutions des exercices d’application ou de problèmes de synthèse souvent rendues au professeur.

Dans le cadre de ces traces écrites, l’autonomie des élèves est plus ou moins importante, suivant la nature du travail et la manière dont il est élaboré par le professeur.

Travail de recherche sur un sujet plutôt ouvert

On peut s’attendre à une forte autonomie. Les observations en classe montrent que ce n’est pas toujours le cas, certains professeurs préférant, de manière consciente ou pas, «cadrer» la recherche avec des consignes plutôt directives. On peut comprendre que cela soit plus rassurant puisque les voies empruntées sont déjà balisées et qu’ainsi la synthèse finale sera plus aisée. Néanmoins, ce type de pratique éloigne de l’esprit de recherche, et appauvrit en général les écrits produits par les élèves. Ce cadrage fort se retrouve assez fréquemment dans les comptes rendus de TP utilisant l’outil numérique qui se réduisent parfois à un texte «à trous» à compléter après avoir réalisé une série de consignes techniques. La qualité des TP dans ce type d’activité est très dépendante du choix de la situation, de la forme des documents proposés aux élèves et de la richesse du questionnement. On peut s’interroger sur la plus-value d’une activité de ce type pour laquelle la trace écrite après 55 minutes passées en classe se limitera à quelques mots placés dans les «trous» prévus ou à des conclusions du type «les droites restent parallèles». Il est donc nécessaire que ces activités, qui occupent un temps relativement important, portent sur des sujets de recherche riches et que le questionnement soit construit avec soin afin d’inciter les élèves à effectuer un réel compte rendu : description de la démarche, rédaction en autonomie d’une conjecture, travail mathématique qui permet d’apporter la preuve de ce qui est conjecturé. Le choix du sujet et la forme de l’écrit attendu sont donc primordiaux.

Solutions d’exercices d’application

Produits en classe ou à la maison, la qualité des écrits dans ce cadre est souvent très hétérogène. Le non usage du brouillon ne permet pas de distinguer ce qui constitue les traces de recherche et la rédaction de la solution sous une forme qui permet une communication efficace. Ce mélange dans les cahiers d’exercices est certainement préjudiciable à la qualité de l’usage qui peut en être fait par les élèves. Comment distinguer ce qu’attend vraiment le professeur ?

Il est certainement souhaitable que l’élève puisse trouver dans son cahier d’exercices une ou des solutions qu’il puisse repérer comme les attentes du professeur. Certains cahiers d’exercices sont parfois si confus dans leur forme qu’ils ne constituent plus un outil efficace pour l’élève. Les professeurs sont conscients de cette difficulté et une manière d’y remédier consiste parfois à imposer des règles très strictes dans la rédaction de solutions. Il faut être conscient que ce choix a parfois de gros inconvénients, et ne constitue pas toujours une « bonne solution ».

Par exemple, le «Je sais que ; or ; donc» pour aider les élèves à construire simultanément raisonnement et démonstration… mais qui, malheureusement, n’est pas opérationnel dès que plusieurs étapes sont nécessaires. La rédaction devient lourde et fastidieuse, et la démarche incompréhensible !

Fiches méthodes

Les professeurs sont à la recherche de moyens de remédier aux difficultés de leurs élèves et s’investissent dans des dispositifs pour aider les élèves à produire des écrits. Parmi ces démarches, on trouve parfois des «fiches méthodes», répondant à un certain type de tâche. Ces fiches ne constituent pas une réponse unique et la panacée, mais elles peuvent participer à construire certains savoir-faire. Comme toujours, l’excès est parfois contre-productif. Leur nombre doit être limité, les sujets choisis avec soin, les références aux savoirs mis en place très explicites et leur construction le fruit d’un travail conjoint avec les élèves afin que l’appropriation soit plus facile. L’objectif final étant que les élèves acquièrent une autonomie suffisante au cours de la scolarité pour être capable de produire eux-mêmes ces documents.

À noter que ce travail sur les fiches méthodes évolue depuis quelques années. Des professeurs font construire par leurs élèves des mini tutoriels vidéo qui sont ensuite disponibles sur le réseau par exemple. Ce travail est exigeant pour les élèves qui s’y consacrent mais il a l’avantage de se présenter sous une forme très accessible. Il correspond de plus à la culture numérique de nos élèves qui ont l’habitude de trouver sur l’internet de nombreux tutoriels. La validation par le professeur permet de s’assurer que cette production est conforme à ses attentes, ce qui n’est pas toujours le cas dans les ressources très disparates que l’on trouve en ligne.

Correction collective

J’ai abordé la difficulté concernant la rédaction des solutions des exercices, mais la phase de correction collective (souvent en début d’heure) est également source de frustration pour de nombreux professeurs. Trop de temps passé ennuie les élèves qui ont réussi et obère la suite de la séance, une correction superficielle laisse de côté les élèves en difficulté. Le problème n’existe pas pour une série de calculs (l’expérience permet au professeur de prévoir les erreurs et de s’en saisir pour faire avancer les compétences des élèves), mais dès que le sujet devient riche ou un peu complexe, la solution est rarement unique dans sa forme ou dans la démarche. La correction collective devient délicate car derrière deux rédactions semblables des erreurs fondamentales de logique peuvent apparaître.

Des pratiques innovantes permettent de rendre ces phases plus efficaces. De plus en plus de professeurs choisissent de travailler à partir de photos prises sur des cahiers d’élèves (ou à l’aide d’un visualiseur), qui sont ensuite présentées à tous afin de débattre de la validité des différentes solutions proposées et de mettre en lumière des rédactions équivalentes. Ce travail est très profitable pour que les élèves comprennent les attentes en matière de rédaction et par ailleurs il permet très souvent un gain de temps et des débats riches dans la classe.

Ainsi, on voit bien que s’interroger sur les traces écrites dans les cahiers des élèves, c’est avant tout se questionner sur la construction et le déroulement des cours de mathématiques. Les choix pédagogiques et didactiques de chaque professeur relèvent de leur liberté et réfléchir aux écrits des élèves et à leur usage peut être un fil conducteur pour définir ces choix.

La synthèse, l’institutionnalisation des savoirs

Pour terminer, je vais aborder la trace écrite au sens du rapport Villani-Torossian, c’est-à-dire ce qui tourne autour de la synthèse, du « cours », de l’institutionnalisation des savoirs. Dans la suite de mon propos le mot « cours » désignera la synthèse écrite classique consignée sur un cahier dédié. Un point qui me semble important de souligner, et le rapport Villani-Torossian le met en lumière, porte sur la rigueur de la construction de cette trace écrite qui est bien sûr de la responsabilité du professeur. Une trace écrite claire doit mettre en valeur le statut des énoncés : définitions, propriétés admises ou pas, démonstrations, exemples génériques. Pour construire cette trace écrite du cours, les pratiques des professeurs sont très diverses, chacun tentant en fonction du niveau d’enseignement et des spécificités des élèves, de gérer au mieux ce moment de l’enseignement. Les observations en classe montrent des choix très différents :

  • cours entièrement noté par les élèves à partir des écrits du professeur au tableau (ou plus rarement quelques parties dictées) ;

  • mélange de parties notées à la main et de photocopies ;

  • cours « à trous », polycopiés distribués à l’avance aux élèves (en lycée) comme dans l’enseignement supérieur ;

  • cours sous format PDF vidéo-projeté et noté sur les cahiers, etc.

Ces choix sont dépendants de l’organisation pédagogique privilégiée.

Soit le cours est construit au fur et à mesure dans un dialogue avec la classe, souvent en référence aux travaux préparatoires, avec une certaine souplesse dans le rythme et les choix des exemples traités.

Dans ce cas cette phase de la séance est généralement assez dynamique, à condition que le temps passé à la prise de notes ne soit pas excessif. Néanmoins, ce passage à l’écrit est une phase indispensable pour la plupart des élèves afin de commencer la mémorisation de cette synthèse. Une définition notée à la main sera plus marquante que si elle est seulement lue (dans un manuel ou ailleurs). L’avantage de ce type d’organisation de la trace écrite réside dans la relative souplesse dont dispose le professeur à partir de la trame qu’il s’est fixée. En fonction des réactions de la classe, il insistera davantage sur tel ou tel point ou ajoutera un exemple complémentaire. C’est certainement cet équilibre entre rigueur de la construction et relative improvisation qui rend l’exercice délicat.

Soit le professeur se tourne vers des organisations laissant moins de place à l’improvisation, en particulier au travers de l’usage de photocopies, plus ou moins nombreuses.

La volonté de ces professeurs de cadrer au mieux leur communication est parfaitement légitime et le travail souvent volumineux que cela demande est tout à leur honneur. Les documents proposés, souvent soignés, sont en général le fruit d’une production personnelle. L’utilisation de ces photocopies est ensuite très diverse ; parfois il s’agit seulement de surligner de différentes couleurs les énoncés, parfois de compléter quelques mots ou des énoncés complets. Dans tous les cas cette organisation exclusive présente au moins deux inconvénients. D’une part, il est difficile de s’écarter de la trame décidée à l’avance. D’autre part, la construction est déjà affichée dès le départ (paragraphes, numérotation, arborescence) et les élèves peuvent ne pas comprendre le cheminement effectué par le professeur. Cette phase risque de devenir assez vide de sens pour les élèves qui ont du mal à comprendre le lien de ce moment de cours avec les activités préparatoires. Un avantage certain réside dans l’assurance pour le professeur que ces documents ne comportent pas d’erreurs de prise de notes. L’équilibre est donc à trouver.

L’utilisation et l’appropriation de la synthèse par les élèves

La consigne généralement donnée par le professeur est « d’apprendre le cours » et si aucune aide n’est apportée, en particulier au collège, les élèves peuvent rencontrer des difficultés à cerner la commande. Faut-il apprendre par cœur tout ce qui a été écrit dans le cours ? Comment faut-il travailler le cours ? Faut-il reprendre les exemples ? Apprendre les démonstrations ? À l’écrit ou à l’oral ? Un vrai travail est certainement à développer autour de cet apprentissage qui n’est pas naturellement maîtrisé. Des professeurs ont entamé des démarches de construction de cartes mentales autour de certains thèmes ou de certains types de tâches. Ces outils sont très certainement efficaces pour que les élèves s’approprient réellement les enjeux des mathématiques au-delà de la simple mémorisation des formules, définitions ou propriétés. Ils ont par ailleurs l’intérêt d’être transférables à d’autres disciplines.

Quelle que soit la pratique, il est nécessaire de mesurer le temps passé à cette phase de la séance et de s’interroger sur la réelle activité des élèves durant ce moment. Recopier les notes écrites au tableau ne relève pas de l’activité mathématique, mais se révèle tout de même indispensable pour s’approprier les éléments du cours. Finalement tout est question de mesure.

Pour conclure

La gestion de la ou des traces écrites est donc très solidement liée à la pratique professionnelle du professeur. Ce sont les choix didactiques et pédagogiques qui vont influer la forme, la richesse et l’usage des traces écrites, et c’est également en réfléchissant à ce que l’on attend des traces écrites des élèves que l’on organise son enseignement.

Cette réflexion sur la place de la ou des traces écrites en mathématiques est donc laissée à l’autonomie des professeurs. Mais commencer par s’interroger sur sa pratique dans ce domaine, c’est certainement avancer dans sa maîtrise des compétences professionnelles.

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Après une carrière de professeur en collège et lycée, Alain Vesin a été IA-IPR de mathématiques dans l’académie d’Orléans-Tours de 2008 à 2018.

Pour citer cet article : Vesin A., « La trace écrite — Les traces écrites en mathématiques », in APMEP Au fil des maths. N° 536. 27 juin 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/la-trace-ecrite-les-traces-ecrites-en-mathematiques/.

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