Pour le meilleur et pour le pire

Commençons ce numéro par un témoignage, où vous retrouverez certainement des scènes déjà vécues et des propos de salles des profs sur le travail en équipe. Et vous ? Qu’en pensez-vous ?

Daniel Djament

© APMEP Décembre 2019

⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅

Il est bien évident que discuter avec ses collègues, tenir compte de leur avis, de leur expérience, leur emprunter parfois des contenus ou des méthodes, rédiger parfois des contrôles communs, fait partie de notre travail d’enseignant ; de là à travailler en équipe, il y a un pas qu’il est parfois scabreux de franchir et certainement dangereux d’institutionnaliser.

Ce qu’on appelle communément travailler en équipe, c’est, quasiment systématiquement, avoir les mêmes contenus, les mêmes approches, les mêmes progressions, les mêmes contrôles et donc, obligatoirement se réunir très souvent, ne serait-ce que virtuellement.

Je vais relater trois expériences de ma longue carrière sur le sujet du travail en équipe, dont vous apprécierez la diversité, et je finirai par mes inquiétudes.

Au début de ma carrière, je suis nommé dans un collège qui mène une expérience de groupes de niveaux : les élèves peuvent changer de groupe en cours d’année et donc les professeurs de mathématiques avancent tous au même rythme, font les mêmes exercices et enseignent à partir de fiches, élaborées par des collègues avant mon arrivée. Évidemment, le dispositif est chronophage et pose de nombreux problèmes, en particulier celui des effectifs des groupes d’élèves, mais ce n’est pas le pire. Le plus grave est que beaucoup de fiches, vendues aux parents avant la rentrée, sont bourrées d’erreurs. Pour ne citer qu’un exemple, dans une fiche sur la logique, il est question d’une hypothèse \(H\) qui implique une égalité numérique de la forme \(a = b\) et on explique aux élèves que \(a\) est l’hypothèse et \(b\) la conclusion. Tout le fichier est à l’avenant. Dès la première semaine, j’écris aux parents et je préviens les collègues que je n’enseignerai pas avec ces fiches, chaude ambiance…

Deux années plus tard, l’expérience cesse, chacun retrouve sa liberté, on se parle à nouveau et on finit par s’apprécier…

J’obtiens ensuite ma mutation pour un lycée, le travail en équipe n’est pas à l’ordre du jour, mais un événement inattendu va nous y mener. Un collègue arrive un matin quelque peu ennuyé, il a donné un exercice de probabilités, un élève trouve un résultat différent du sien avec un raisonnement qui paraît implacable. Après les plaisanteries d’usage dans ce genre de situation, nous partons retrouver nos élèves en promettant d’y réfléchir. Le lendemain, il y a cinq ou six solutions différentes, deux ou trois sont vite écartées, mais il en reste encore pas mal… Et le travail en équipe commence, on discute, on se réunit parfois, on partage des expériences, on parle des réactions des élèves, sans pesanteurs administratives, sans contraintes, sans crainte de dire une énorme bêtise, et l’équipe se soude car sa constitution répond à un besoin.

Finalement, aucune solution n’a emporté le consensus, mais quel plaisir et quelle émulation !

Enfin, les trente dernières années de ma carrière sont consacrées à la formation des maîtres de l’école primaire. Au début des années 80, je suis nommé dans une école normale d’instituteurs qui deviendra IUFM. La question du travail en équipe avec mes collègues de mathématiques ne se pose pas vraiment ; farouche partisan de l’enseignement du calcul mental à une époque où ce n’est pas la mode, je suis assez vite considéré comme marginal. Je trouve sans problème ma place dans une équipe dont le credo est de fonctionner avec un minimum de réunions et tout se passe bien.

Mais vous voyez que je ne suis pas hostile au travail en équipe, j’aimerais que soient organisés des débats, des tables rondes, des séminaires, peu importe le nom, où des formateurs, professeurs, conseillers pédagogiques, inspecteurs, exposent, devant nos étudiants, leur conception de l’enseignement d’une notion mathématique. Et là, pas question. « Tu imagines si nos stagiaires constataient que nous ne sommes pas toujours d’accord entre nous ! », s’insurgent de nombreux collègues.

Et peu à peu l’inquiétude me gagne, je sens que nous allons glisser vers le pédagogiquement correct. L’évaluation de nos étudiants en vue de leur titularisation tourne au formatage, on donne des référentiels de compétences, le travail en équipe y tient une bonne place et certains prétendent qu’on ne peut plus ne pas travailler en équipe !

En trente années de formation des maîtres, j’ai effectué environ mille visites d’écoles et j’ai côtoyé des collègues en formation initiale et continue ; certains obtenaient de magnifiques résultats avec leurs élèves, d’autres de beaucoup plus contestables, certains travaillaient en équipe, d’autres non. Certaines équipes étaient portées par l’enthousiasme, d’autres par la mode, certains collègues « solitaires » débordaient d’initiatives, d’autres sombraient dans la routine, mais bien malin celui qui honnêtement aurait pu dire si une façon de travailler était plus efficace que l’autre.

Pour moi, le travail en équipe n’est ni nécessaire, ni suffisant,c’est un outil parmi d’autres. Si vous avez la chance de pouvoir le pratiquer avec des collègues qui sont en phase avec vous, ne vous en privez pas, vous en tirerez beaucoup de satisfactions et votre enseignement n’en sera que plus efficace. Mais n’hésitez pas à vous y soustraire si vous sentez que vous y serez malheureux et surtout luttez pour que jamais votre liberté pédagogique ne soit entravée par quelque directive que ce soit.

Il existe de multiples manières d’enseigner «efficacement», chacun doit trouver la sienne : elle est parfois collective, parfois très personnelle. Lucienne Félix rappelait les paroles d’Henri Lebesgue aux sévriennes : « Puisqu’il n’y a pas une meilleure manière de comprendre, il ne saurait y avoir une meilleure manière d’enseigner ».

Travaillez en équipe avec vos collègues chaque fois que c’est possible, mais sachez aussi apprécier les marginaux, les inclassables, les anticonformistes …Et les hurluberlus de mon espèce !

⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅

Daniel Djament est professeur retraité.

 

Pour citer cet article : Djament D., « Pour le meilleur et pour le pire », in APMEP Au fil des maths. N° 534. 28 mars 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/pour-le-meilleur-et-pour-le-pire/.