Réflexions sur l’enseignement des mathématiques

Ce texte a pour vocation d’enrichir les positions de l’APMEP dans le cadre de la réflexion nationale sur l’enseignement des mathématiques. Il sera examiné en Comité National puis soumis au vote. Cette réflexion attire l’attention sur des composantes qui nous semblent essentielles pour construire des programmes d’enseignement des mathématiques et qui n’enferment pas les pratiques de classe dans des « méthodes » déconnectées du contexte socio-culturel concerné.

Commissions premier degré et collège de l’APMEP

© APMEP Mars 2018

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« Le mathématicien est avant tout un créatif, un créateur. Un mathématicien excellent, par rapport au bon mathématicien, c’est un mathématicien qui crée, comprend, réécrit et voit les choses sous un angle nouveau. »
Cédric Villani, Les mathématiques sont la poésie des sciences, L’arbre de Diane, 2015.

Faire des mathématiques

Faire des mathématiques, c’est chercher, modéliser, représenter, raisonner, calculer, communiquer.

Chercher est l’activité fondamentale du mathématicien (même en herbe). Elle impose de modéliser, ce qui nécessite de représenter. L’activité de raisonnement repose sur les différents modes de représentation possibles. Des activités de traitement de l’information internes à ces différents registres imposent notamment de calculer. La communication, pour soi-même, à une date ultérieure (mémoire), mais surtout pour les autres (la communauté extérieure), vient parachever l’activité du mathématicien.

C’est pourquoi nos deux commissions sont en parfait accord avec le choix de ces six verbes qui définissent clairement, et pour la première fois dans des instructions officielles, l’activité mathématique du cycle 2 au cycle 4 et au-delà (puisque les mêmes verbes sont utilisés au lycée).

Ces six verbes constituent ainsi le cadre que nous avons choisi pour analyser la question du « faire des mathématiques » et donc de l’enseignement des mathématiques.

Mathématiques et société

L’analyse du « faire des mathématiques » doit prendre en compte la nature même de la société en lien avec ses choix politiques. Les mathématiques ne vivent pas en autarcie. Elles se développent, s’enseignent, se pratiquent et s’utilisent dans une société, la société française. En tant que telles, elles développent des valeurs qui visent des finalités du « vivre ensemble », des évolutions techniques et technologiques, etc. Elles peuvent aplanir ou au contraire renforcer les inégalités.

La société française est sensible aux évaluations internationales (PISA, PIRLS, TIMSS) et nationales (CEDRE) qui lui font un retour négatif de l’enseignement des mathématiques. Ces évaluations montrent notamment la faiblesse de la prise en charge des élèves en difficulté.

Un constat de rupture entre la société et les mathématiques, entre la société et l’enseignement des mathématiques, a rendu nécessaire une information citoyenne sur le rôle des mathématiques dans la société et une formation spécifique des enseignants.

La « Stratégie mathématiques » (Éduscol, 4 décembre 2014) a défini dix mesures clés articulées autour de trois axes de travail à partir de ces constats. La rédaction des programmes (mars et novembre 2015) qui en découle réalise un accord entre mathématiques et société, mathématiques et citoyen, mathématiques et autres disciplines, dont l’articulation essentielle se fait autour de la langue française et des langages.

[…] Il y a un autre paradoxe français qui est que, malgré notre difficulté dans l’enseignement, nous avons l’une des toutes meilleures écoles de recherche pédagogique en mathématiques du monde. La France truste quelque chose comme un quart ou un cinquième des récompenses les plus prestigieuses décernées dans le monde en recherche pédagogique […] donc, dans un projet tel qu’il est présenté par madame la Ministre et par son équipe, il y a eu la volonté, telle qu’on l’a ressentie, d’associer fortement, et pour la première fois à notre connaissance à ce niveau, la recherche pédagogique française à la conception et à l’accompagnement des méthodes de l’enseignement de l’Éducation nationale, et ça c’est un évènement qui en soi nous semble très important, la volonté d’accompagner cela ensuite dans la durée avec la communauté., affirme Cédric Villani faisant l’éloge du changement de paradigme de l’enseignement des mathématiques1.

Dans ses interventions, le mathématicien fait souvent référence à la nécessaire créativité pour faire des mathématiques. Cette créativité, qui est le fruit de contraintes imposées par la situation de recherche peut, dans l’enseignement, faire référence aux « situations-problèmes ». Ces situations permettent de donner du sens aux mathématiques, de construire des concepts à partir desquels un entraînement intense complémentaire est absolument nécessaire.

L’indispensable développement de la créativité par la fréquentation de problèmes dits de recherche va de pair avec l’acquisition de connaissances, de savoir-faire et d’une automatisation de techniques de base.

Imagination et créativité, compétences et connaissances se construisent de manière dialectique.

Enseigner les mathématiques

Si les mathématiques sont universelles, leur enseignement est intimement lié à la culture du pays. Cette culture émane notamment de l’histoire, de l’histoire de l’enseignement et de la langue dans laquelle cet enseignement est donné2.

Par exemple, on dispose en mandarin d’un signe particulier, indépendant des signes précédents pour représenter le nombre désigné par dix, alors qu’en français et dans le système usuel de numération, le signe en écriture chiffrée qui désigne le même nombre dix est composé des deux signes élémentaires, le 0 et le 1. Cette différence est illustrée par le tableau ci-après. Dans un enseignement en langue française, il est nécessaire de construire l’écriture chiffrée du dix contrairement à un enseignement en mandarin où un symbole (aussi arbitraire que les précédents) désigne le nombre dix. Cet exemple cité ci-dessus impose, en France, la construction du nombre zéro et la construction explicite de l’écriture composée 10, alors que cette dernière n’est pas nécessaire en mandarin. De manière analogue, un travail explicite doit être fait en français sur la désignation orale des noms de nombres alors que celle-ci est élémentaire en mandarin en raison de l’absence d’irrégularités (onze, vingt, soixante-et-onze, quatre-vingt-seize, etc.)

Des cultures différentes peuvent afficher des finalités éducatives identiques pour l’enseignement des mathématiques. Cependant, leur mise en œuvre doit tenir compte des cultures et faits linguistiques.

Les pratiques enseignantes actuelles sont le fruit de l’histoire de l’enseignement en France, histoire marquée notamment par des expériences variées. Certaines pratiques peuvent s’inspirer par exemple de Célestin Freinet tandis que d’autres s’appuient sur des ouvrages qui, par mimétisme à une forme scolaire « canonique », sont relativement uniformes. Cette relative uniformité des ouvrages scolaires est vraisemblablement fondée sur une attente sociale forte, tant du point de vue des enseignants que de celui des parents d’élèves. Pour autant il n’existe pas « une méthode française ». Ces constats imposent d’interroger les pratiques d’enseignement des mathématiques et les outils mis à disposition des élèves, des enseignants et des parents.

Il convient de veiller à ce que les pratiques engagent un enseignement propre à développer les six compétences mathématiques. La formation des enseignants doit tenir compte de ce changement de paradigme : questionner la reproduction de la forme scolaire se révèle essentiel pour questionner la place donnée, en classe, à des activités de recherche. Il ne suffit pas que soit mentionnée la conformité au programme 2016 sur les manuels, mention qui relève des éditeurs eux-mêmes, pour que cette conformité soit réelle. Les programmes stipulent que la résolution de problèmes est au cœur de l’activité mathématique et donc à l’origine d’un enseignement qui donne sens aux notions, ce que relativement peu d’ouvrages pratiquent.

Il faut d’autre part, et de manière complémentaire, former les enseignants (formation initiale ou formation continue) à la fois aux contenus mathématiques enseignés à l’école, aux retombées des recherches en didactique des mathématiques et à l’analyse des ressources pédagogiques (ouvrages imprimés, articles sur internet, etc.), afin de leur permettre d’effectuer en toute connaissance de cause leurs indispensables choix pédagogiques. Ces choix doivent être guidés par les contextes de classe qui varient extrêmement de zones « favorisées » à des zones classées REP+ (sans insinuer ici que l’ensemble des élèves en difficulté appartient à un REP+).

La réflexion engagée par la « Stratégie mathématiques » portant sur la nature de l’activité mathématique et sa transposition en classe mérite de prendre du temps, du recul, et de mettre en place les recherches nécessaires avant de prendre dans l’urgence des décisions qui pourraient, à terme, se révéler contre-productives.

Paris, le 20 janvier 2018

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  1. 4 décembre 2014, présentation de la Stratégie mathématiques, Najat Vallaud-Belkacem et Cédric Villani, EducationFrance  (vidéo consultée le 20 janvier 2018).

  2. Le projet international Lexicon interroge les pratiques enseignantes au regard de la langue vernaculaire d’enseignement.

Pour citer cet article : Commission Premier Degré et Commission Collège, « Réflexions sur l’enseignement des mathématiques », in APMEP Au fil des maths. N° 527. 19 avril 2018, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/reflexions-sur-lenseignement-des-mathematiques/.