Un problème de Papy Michel

Papy Michel, c’est Michel Soufflet. Convaincu de l’importance de donner du sens aux mathématiques tout en nous amusant, il se propose au fil des numéros de nous faire réfléchir sur des situations concrètes « vraies ». À chercher… et à utiliser sans modération dans notre enseignement ! Aujourd’hui : la crue du siècle !

Michel Soufflet

© APMEP Juin 2018

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La crue du siècle

On l’appelle aussi crue centennale, c’est la catastrophe naturelle majeure rare, celle dont les historiens estiment la fréquence à une fois par siècle. À Paris le sujet est d’actualité car la dernière s’est produite en 1910, elle donne l’occasion à la presse de faire un certain nombre d’annonces du genre :

  • « comme la dernière s’est produite il y a plus de 100 ans, les scientifiques pensent que la prochaine est imminente. »

  • « on est à peu près certain qu’une telle catastrophe se produira dans les 100 ans à venir. »

J’ai depuis longtemps renoncé à signaler ces bêtises en envoyant des courriels aux responsables, car l’écrire c’est bien mais encore faudrait-il être cru !

Nous ne pouvons pas, bien sûr, jouer les prédicateurs, juste répondre à quelques questions qui permettent de familiariser le public avec les phénomènes aléatoires. Lorsque le sujet fait la « une », le prof de math n’est pas à l’abri d’une question piège et il vaut mieux s’y préparer.

L’observation statistique nous permet de penser que la probabilité qu’une telle catastrophe se produise au cours de l’année qui vient est de \(\dfrac{1}{100}\cdotp\) En supposant que cette probabilité reste stable, nous pouvons répondre à quelques questions qui donnent un peu de visibilité :

  • quelle est la probabilité que cette inondation se produise au moins une fois dans les 10 ans à venir ?

  • dans les 100 ans ?

  • à partir de combien d’années, la probabilité que cet événement se produise au moins une fois sur la période considérée dépasse-t-elle \(\dfrac {1}{2}\) ?

Nous sommes dans le cas d’une application directe de la loi binomiale et ces questions peuvent être traitées dans toutes les classes où cette notion est au programme.

La formule qui nous donne la probabilité que le phénomène se produise \(k\) fois au cours de \(n\) années est :

\[\frac{n !}{(n-k) !k !} p^k q^{n-k}\text{ avec }p =0,01\text{ et }q = 0,99.\]

Avec une bonne calculatrice ou un tableur, il est désormais possible de faire assez rapidement le tour de la question. Sur ma TI 89 (c’est un modèle Chirac 1er un peu moribond mais qui fonctionne encore bien !), j’ai enregistré :

\[\frac{n !}{(n-k) ! k !} p^k q^{n-k}\text{ sto }f(n,k).\]

La fonction \(f\) à deux variables \(n\) et \(k\) nous donne la probabilité cherchée. Par exemple, \(f(n, 1)\) nous renvoie la probabilité que la catastrophe se produise une fois sur \(n\) années : \(\left(\dfrac{n}{99}\right)\left(\dfrac{99}{100}\right)^n\cdotp\) On peut ainsi compléter le tableau suivant :

Nombre d’années \(\mathsf{P(X=0)}\) \(\mathsf{P(X=1)}\) \(\mathsf{P(X>1)}\)
10 0,904 0,091 0,004
20 0,817 0,165 0,016
50 0,605 0,305 0,009
75 0,470 0,356 0,172
100 0,366 0,369 0,264

En particulier, on trouve : \(f(69,0)=0,499\) et \(f(68,0)=0,504\). La période minimale à partir de laquelle la probabilité d’observer le phénomène dépasse \(\dfrac{1}{2}\) est \(69\) ans. On peut le retrouver par le calcul en résolvant : \(1-\Big(\dfrac{99}{100}\Big)^n >\dfrac{1}{2}\cdotp\)

Au cours des 100 ans à venir, la probabilité que la catastrophe ne se produise pas est : \(0,366\), celle qu’elle se produise exactement une fois est \(0,370\), celle qu’elle se produise au moins deux fois est donc : \(1-0,366-0,370 = 0,264\) soit plus d’une chance sur 4.

L’illustration de Pol Le Gall nous montre le Zouave du Pont de l’Alma en plein calcul ! Tourné vers l’amont, il voit venir les crues et son stoïcisme face aux événements le rend sympathique. Traditionnellement, ce Zouave sert de repère aux Parisiens pour évaluer la hauteur d’eau, en janvier 2018 l’eau est montée jusqu’à mi-cuisse, en 1910 la barbe était dans l’eau.

Sous le pont d’Austerlitz on trouve une échelle plus précise. La cote d’alerte est estimée à 5,50 m ; en juin 2016 et janvier 2018, la hauteur d’eau a frôlé les 6 m. En 1910, l’eau avait atteint 8,60 m. On estime que cette hauteur approchait les 9 m en 1658 et les 8 m en 1740.

Ce type d’étude permet d’appréhender la complexité de certaines situations aléatoires, la catastrophe ne dépend pas que de la pluviométrie, le hasard intervient aussi ; entre les mois de janvier 2018 et 1910, les relevés observés sont assez comparables. Ce qui caractérise la crise de 1910 c’est que les pics de crues des différents bassins, Marne (et ses affluents dont le Grand Morin), Haute Seine, Yonne, Loing se sont synchronisés pour arriver en même temps à Paris ! Cette concordance des pics est une rareté supplémentaire qui complique considérablement les prévisions.

Il faut toujours garder en mémoire que, si nous pouvons quelquefois estimer la fréquence des risques, les phénomènes aléatoires restent, par définition imprévisibles. La Loire n’a pas connu de crue centennale depuis le milieu des années 1800 mais il y en avait eu 3 en 20 ans ! (1846, 1856, 1866, celle de 1856 étant restée la crue de référence).

Michel Soufflet est un ancien président de l’APMEP, animateur IREM et membre du GREM (Groupe de Réflexion sur l’Enseignement des Mathématiques).


Pour citer cet article : Soufflet M., « Un problème de Papy Michel », in APMEP Au fil des maths. N° 528. 5 juillet 2018, https://afdm.apmep.fr/rubriques/recreations/un-probleme-de-papy-michel-soufflet/.

Une réflexion sur « Un problème de Papy Michel »

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