Un problème de Papy Michel

Après « La crue du siècle » parue dans le numéro 528 de la revue Au fil des maths , Papy Michel nous propose une nouvelle situation où la réalité défie l’intuition.

Michel Soufflet

© APMEP Septembre 2018

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Les anniversaires

L’article sur les crues n’ayant pas empêché l’eau de couler sous le pont de l’Alma, nous enchaînons avec une situation glanée au début des années 80, époque où j’ai eu la chance de travailler avec Rudolph Bkouche [1] dans le cadre du groupe Inter-Irem de géométrie. Il me disait toujours, abstraire c’est prendre l’essentiel, en ce sens, abstraire c’est simplifier, l’abstrait est simple, c’est le concret qui est difficile. Lorsqu’en physique on travaille sur les centres de gravité il y a toujours une infinité de points. En maths on peut commencer par 2 ou 3 ! Pour Rudolph, l’abstraction était une simplification, c’est ce qu’il appelait « faire des maths ». J’ai commencé alors à regrouper, pour mes élèves, les situations concrètes qui « méritaient » une simplification.
Le problème des anniversaires, devenu classique désormais, en fût un bon exemple.

Je commençais toujours le cours sur les probabilités par le pari suivant avec la classe : deux d’entre vous, au moins fêtent leur anniversaire le même jour.

La vérification, à mains levées, demande quelques minutes on commence par les élèves nés en janvier, puis en février… Le pari se révélait gagnant à chaque fois, il faut dire que déjà à cette époque les classes de moins de 35 élèves étaient rares ! Si un doute s’installait sur le fait que j’aurais eu la possibilité de vérifier avant, on recommençait avec les anniversaires des mamans et le phénomène se confirmait !

Cela nous amenait à poser le problème suivant :

Dans une assemblée de \(n\) personnes quelle est la probabilité \(p\) de l’événement : « deux d’entre elles, au moins, fêtent leurs anniversaires le même jour ». À partir de quelle valeur de \(n\) cette probabilité \(p\) dépasse t-elle \(\dfrac{1}{2}\) ?

(on ne tient pas compte du 29 février, ramené au 28 ou au 1er mars)

Ce problème peut se traiter dans toutes les classes de lycée où les probabilités sont au programme, il ne nécessite que l’acceptation du principe multiplicatif et d’une calculatrice même ordinaire.

La situation peut être simulée par un tirage avec remise de \(k\) boules parmi \(365\) boules numérotées.

On cherche la probabilité contraire : chaque personne tire une boule, note le numéro et la remet dans la boîte.

Le deuxième a \(\dfrac{364}{365}\) chance de tirer une boule différente du premier, le troisième \(\dfrac{364}{365}\times\dfrac{363}{365}\) de tirer une boule différente des deux autres.

Pour le \(k\)-ième tireur le nombre de chances est : \(\dfrac{364}{365}\times\dfrac{363}{365}\times \cdots \times\dfrac{365-k+1}{365}\cdotp\)

À partir de \(k=23\), ce nombre est inférieur à 0,5 et donc \(p\) dépasse \(\dfrac{1}{2}\cdotp\)

23 personnes suffisent pour que \(p\) dépasse \(\dfrac{1}{2}\cdotp\)

Pour \(k = 30\), \(p = 0,7\) ;
Pour \(k = 35\), \(p = 0,81\) ;
Pour \(k = 40\), \(p = 0,9\).

On peut établir la formule \[p(k) = 1-\dfrac{365\, !}{(365-k)\, !365^n}\cdotp\]

Cette formule a l’avantage d’être synthétique mais elle risque de ne pas permettre le calcul sur des machines peu puissantes, le calcul par multiplication de fractions successives \(\dfrac{364}{365}\times\dfrac{363}{365}\times \cdots\) évite cet écueil.
Ce résultat qui va à l’encontre de l’intuition suscite toujours de l’intérêt. Dans une des dernières classes où j’ai tenté mon pari, il a même engendré une franche hilarité, j’avais oublié qu’il y avait deux jumeaux dans la classe !

Lors de l’atelier que j’ai animé aux journées de Nantes en octobre 2017, j’ai eu l’occasion d’évoquer ce problème avec les participants. J’ai ajouté la remarque suivante : la réalité semble dépasser la prévision car l’équiprobabilité supposée implicitement n’est pas tout à fait effective et cela augmente les chances de réussir le pari. En France, jusqu’à ces dernières années, il semblait que les naissances étaient un peu plus fréquentes autour du mois de mai, j’ignore si le fait était universel et, le cas échéant, s’il était dû à une cause sociologique (mai arrive 9 mois après août, mois des congés payés !) ou à une adaptation biologique plus ancienne : au XIXe siècle, peu d’enfants survivaient à leur premier hiver et les naissances dans la période mai-juin donnaient un meilleur pronostic de survie. Désormais, avec le contrôle des naissances il semble que le maximum de naissances soit plutôt entre septembre et octobre.

Cette remarque sur le fait que la réussite du pari augmente si l’équiprobabilité supposée n’est pas réelle a suscité la curiosité d’un participant, Robert Ferréol, il nous a rédigé une démonstration qu’il a mise sur Wikipédia .

Cette démonstration, qui sort des limites des programmes du secondaire, est intéressante à plusieurs aspects. Elle met en évidence le fait que, pour aller plus loin, il est nécessaire de sortir du contexte puisque cela revient à « démontrer que l’espérance du produit de k nombres distincts pris parmi \(n\) nombres positifs de somme donnée est maximal quand ces n nombres sont égaux ». Bref aller plus loin consiste à faire des mathématiques !
Il est facile de démontrer que le produit de deux nombres dont la somme \(p\) est donnée est maximal lorsque ces deux nombres sont égaux. La fonction \(x(x-p)\) a pour dérivée \(2x-p\) qui s’annule pour \(x = \dfrac{p}2\), cela revient à montrer qu’un rectangle de périmètre donné a une aire maximale lorsque c’est un carré.
Lorsque \(k\) est strictement supérieur à \(2\), le problème se corse. Robert Ferréol procède en raisonnant par récurrence, ce qui est plus aisé dans un contexte abstrait. Cette démonstration m’a fait revenir 35 ans en arrière, j’ai repensé à la phrase de Rudolph, « abstraire c’est simplifier ». En restant dans le problème initial, on ne pense pas nécessairement à faire une récurrence sur le nombre de jours dans l’année qui est fixe a priori !

Le calcul des probabilités est un excellent domaine pour apprendre à extraire un modèle transposable. Une grande partie des problèmes posés dans l’enseignement secondaire peut se ramener à un tirage de Bernoulli : l’analyse de la situation concrète conduit à se ramener à un tirage de boules dans une urne, on s’aperçoit alors qu’il y a deux cas qui reviennent souvent, soit on remet la boule tirée entre deux prises, soit on ne la remet pas. Le choix du tirage étant déjà une modélisation simple qui permet de faire des mathématiques même dans des classes non scientifiques sans avoir besoin de pousser la formalisation jusqu’à distinguer des applications injectives ou non. La difficulté réside dans l’analyse qui précède le choix et dans le fait qu’il faut se méfier des généralisations hâtives : une distribution de cartes conduira en général à un tirage sans remise, un lancer de dés à un tirage avec remise. C’est le travail du professeur de proposer des exemples qui inviteront à se méfier des généralisations simplistes. Les exceptions et subtilités cachées dans les situations conduiront bien sûr à des erreurs, mais c’est en corrigeant ses erreurs que l’on va au fond des choses et que l’on progresse.
La démonstration de Robert Ferréol met en évidence le fait que pour résoudre des problèmes plus difficiles, il faut formaliser davantage.

Référence

  1. R. Bkouche et M. Souffle. Axiomatique Formalisme et Théorie,  Bulletin géométrie Inter-Irem (sorte d’ancêtre de la revue Repère),  1983.

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Michel Soufflet, IREM de Normandie.

Pour citer cet article : Soufflet M., « Un problème de Papy Michel », in APMEP Au fil des maths. N° 529. 23 octobre 2018, https://afdm.apmep.fr/rubriques/recreations/un-probleme-de-papy-michel/.