Matériaux pour une documentation N° 538

Histoire des codes secrets
Simon Singh, Le livre de poche, édition 2016

Enseigner les mathématiques à l’école
Thierry Dias, Éditions Magnard, 2018

Intelligence artificielle
Tangente, Éditions POLE, 2019

© APMEP Décembre 2020

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Histoire des codes secrets
De l’Égypte des pharaons à l’ordinateur quantique.

Simon Singh

Le livre de poche

978-2-253-15097-8, 440 pages hors annexe, 8,70 €.

Qui n’a jamais essayé d’envoyer un message à un destinataire en souhaitant que son contenu reste secret, ou du moins inconnu d’un lecteur extérieur ? Peut-être avez-vous tenté l’écriture invisible ? Ou bien avez-vous décidé de créer un nouvel alphabet pour crypter votre message ?

Histoire des codes secrets regroupe un ensemble de techniques de cryptographie utilisées depuis la nuit des temps. Ce livre raconte la course folle entre cryptographes et cryptanalystes qui se livrent une bataille sans merci : « Pendant deux millénaires, les créateurs de codes se sont évertués à protéger des secrets, et les briseurs de codes ont fait de leur mieux pour les découvrir. Cela a toujours été une lutte au corps à corps, avec des attaquants désarmés lorsque les concepteurs de code étaient les plus forts, et des inventeurs contraints de créer de nouvelles formes de chiffrement lorsque leurs systèmes précédents étaient compromis. »

Arithmétique et permutations rendent certains passages du livre ardus pour des élèves de collège ou du début du lycée. En revanche, cet ouvrage permettra à un enseignant d’enrichir son répertoire d’anecdotes historiques. On peut aussi prendre plaisir à le lire sans comprendre tous les détails mathématiques, et juste l’apprécier pour ces aspects historiques. En effet, on n’imagine pas l’influence de ces pratiques sur notre monde actuel, encore moins l’impact de ces découvertes sur l’Histoire. Voici un extrait de la quatrième de couverture illustrant ce propos : « De l’arrestation de Marie Stuart, à l’entrée en guerre des États-Unis en 1942, [en passant par] des messages cachés dans la chevelure des émissaires grecs aux salles de calcul de la National Security, ce livre, aussi excitant qu’un roman policier, déploie une véritable fresque historique ».

Ce livre en huit parties suit globalement l’ordre chronologique des découvertes des différents codes abordés. Il contient également un bon nombre d’illustrations et de schémas, permettant au lecteur de bien comprendre le fonctionnement des codes, même les plus complexes. À la fin de l’ouvrage se trouvent dix textes à décrypter. À l’origine, un prix de 10 000 £ était offert à la première personne qui en viendrait à bout…La récompense fut attribuée au bout d’un an 1. Mais rien ne vous empêche cependant de vous y atteler pour votre plaisir personnel.

Simon Singh est un vulgarisateur qui prouve qu’il sait bien manier la plume, laissant souvent un suspens insoutenable qui nous entraîne dans une lecture sans fin. Il arrive à faire passer, avec ses mots, les émotions ressenties par les cryptanalystes lorsque le code commence à se briser et que la découverte de la clé ne tient qu’à un fil. Vous vibrerez sûrement d’angoisse lors de la lecture du chapitre 4, « À l’attaque d’Enigma », lorsque la France décide dans un premier temps d’ignorer les informations obtenues sur cette machine par le biais de traîtres au régime nazi2, et de les donner à la Pologne qui, pour retarder une invasion de son pays, créera son propre bureau du chiffre. L’auteur écrit alors : « Si la nécessité est la mère de l’invention, peut-être que l’angoisse est-elle mère de la cryptanalyse ».

On découvre un monde rempli de mystères. Des textes codés restent encore indéchiffrés, comme le chiffre de Beale dont la légende raconte qu’il mènerait à un véritable trésor. Le chiffrement RSA3 n’aurait-il pas été en réalité découvert en trente minutes par un mathématicien britannique d’un établissement top secret ? Existe-t-il un code absolument inviolable appelé cryptographie quantique dont le fonctionnement reposerait sur des photons ? L’histoire des codes secrets est en réalité bien plus secrète que les codes secrets eux-mêmes…

Ressource : le site de Simon Singh : .

Clémence Fillon

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Enseigner les mathématiques à l’école

Thierry Dias,

Éditions Magnard
Août 2018

978-2-210-50399-1, 256 pages, 22 €.

L’auteur, Thierry Dias, ex formateur en éducation spécialisée à l’IUFM de Lyon est docteur en didactique des mathématiques et sciences de l’éducation, professeur à la Haute École Pédagogique du canton de Vaud en Suisse . Il a enseigné pendant plus de 20 ans dans le premier degré en France, notamment auprès d’élèves en difficulté. Thierry Dias est par ailleurs membre du comité de culture mathématique de l’Institut Henri-Poincaré (IHP) ainsi que de la Mission Mathématiques Villani-Torossian (2018).

Thierry Dias est l’auteur d’ouvrages destinés aux professeurs des écoles leur permettant de construire et de consolider les connaissances nécessaires pour enseigner sereinement et efficacement les mathématiques. Citons notamment Manipuler et expérimenter en mathématiques (2012) et Nous sommes tous des mathématiciens (2015), édités chez Magnard.

Son dernier ouvrage, Enseigner les mathématiques à l’école, destiné aux enseignants, apporte des connaissances disciplinaires et didactiques, avec pour objectif d’aider chacun à analyser les difficultés de ses élèves.

Neuf chapitres proposent des pistes d’enseignement qui prennent en compte les tâches professionnelles et les connaissances mathématiques requises pour enseigner mais aussi l’analyse didactique des erreurs des élèves dans les domaines des nombres et calculs, de la géométrie et des grandeurs et mesures.

Thierry Dias dresse un état des principaux éléments de la recherche en didactique des mathématiques et en sciences de l’éducation. On reconnaît à cet ouvrage sa volonté d’associer la recherche aux pratiques professionnelles pour exemplifier les propos, de sorte que l’enseignant, s’il est à l’aise avec les théories, trouvera des situations qui les illustrent alors que s’il ne l’est pas, il pourrait s’appuyer sur la situation décrite pour s’engager dans une posture d’analyse didactique. Une attention particulière au langage, — dire et écrire dans le domaine des mathématiques —, est présente dans tous les chapitres, à l’instar de la question des troubles et difficultés en mathématiques. Ces sujets sont traités dans l’analyse des différentes phases d’apprentissage.

La question des savoirs mathématiques nécessaires pour enseigner à l’école primaire est centrale dans ce livre. Prenant appui sur le travail de ses collègues Michel Deruaz et Stéphane Clivaz4, l’auteur décline dans les chapitres Construire le nombre, Au-delà des entiers naturels, Les calculs à l’école : apprentissages et difficultés, Construire des connaissances spatiales et géométriques, Des grandeurs à leurs mesures, … une structuration efficace des concepts fondamentaux à aborder dans la scolarité primaire.

Thierry Dias ancre sa démarche dans la tradition socio-constructiviste française et européenne. Son point de vue est assumé, explicité et étayé. Il propose des précisions ou des ajustements au constructivisme (rôle de l’entraînement ou de l’enseignement par modelage par exemple). Or les enseignants eux-mêmes apprennent par des phénomènes d’essai-erreur et on peut regretter que cet aspect ne figure pas explicitement comme une caractéristique des gestes professionnels dans cet ouvrage. Cette absence produit par moment une sorte de rupture de sens. Nous relevons : Notre propre rapport aux connaissances mathématiques est donc essentiel pour pouvoir comprendre les difficultés des élèves, même s’il ne suffit pas à réussir dans leur enseignement. Par exemple, lorsque j’ai commencé à enseigner à Vénissieux, la discipline qui m’a mis le plus en échec était pourtant celle avec laquelle j’étais le plus à l’aise : les mathématiques. Je ne comprenais pas ce que mes élèves ne comprenaient pas. Thierry Dias semble penser qu’une connaissance didactique complémentaire (aux connaissances des notions mathématiques) est primordiale. Cependant, il n’interroge pas le cheminement et l’analyse produits par l’enseignant qu’il était dans la compréhension des erreurs des élèves. Qu’est-ce qui est premier ? Le besoin de remédier à un obstacle ou la connaissance d’analyse didactique de cet obstacle ? De quelle interaction cela relève-t-il ? Quelle dialectique entre le disciplinaire et le didactique ? La fonction du temps n’est pas le propos de l’auteur : ce temps nécessaire pour devenir capable de « poser ses valises » et entrer dans une vision épistémique des concepts enseignés et de leur didactique. Il ne faudrait donc pas que cet ouvrage soit perçu comme une somme de connaissances à maîtriser pour « bien enseigner les mathématiques » car il pourrait être victime d’une lecture trop linéaire, avec le risque de reléguer le métier à une fonction affine.

Ce livre est pourtant bien autre chose qu’un compendium. Il propose une analyse intime, structurée et documentée des questions liées aux enjeux de la formation en didactique et de la formation disciplinaire. Il offre des exemples simples ciblés pour leur mise en pratique. Il rend compte de la trajectoire éprouvée (ressentie, testée, expérimentée) par Thierry Dias. Il est une transposition fonctionnelle de ce qui constitue, pour l’auteur, la démarche d’aide qui l’anime au regard de sa connaissance de terrain. Et en ce sens, il a toute sa place dans la bibliothèque d’un enseignant qui interroge sa pratique.

Alice Ernoult, Agnès Gateau

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Intelligence artificielle
L’alliance des mathématiques et de la technologie

Tangente hors-série 68

Collection « Bibliothèque Tangente »

978-2-84884-227-1, 156 pages, 22 €.

Un hors-série de Tangente sur l’intelligence artificielle, voilà la promesse de quelques heures de lecture passionnante : 150 pages denses écrites par des spécialistes reconnus qui font le tour de quelques questions qui vont des enjeux intellectuels aux enjeux industriels sans oublier les problèmes éthiques. Cinq dossiers, précédés d’une introduction de dix pages font la matière de ce numéro qui se termine par la rubrique « Jeux &  Problèmes » où dix énoncés font la part belle aux robots.

Comme d’habitude les articles sont agrémentés de photos, de petits inserts éclairant les articles ou permettant d’aller plus loin, ce qui rend la lecture « linéaire » difficile mais enrichit énormément les propos. D’ailleurs ce numéro spécial est conçu pour être lu par « morceaux » selon l’intérêt, le moment : chaque article de quatre ou cinq pages peut se lire indépendamment des autres. C’est d’ailleurs à mon avis tout l’intérêt de ces numéros hors-série de Tangente. De plus, la plupart des articles sont d’une lecture abordable par un lycéen. Le professeur de mathématiques y trouvera matière à alimenter sa réflexion mais aussi de quoi enrichir certains cours, en particulier ceux d’algorithmique.

L’introduction évoque Leibnitz et son « calculus ratiocinator » dans lequel il évoque la possibilité de concevoir une machine permettant de résoudre tous les problèmes théoriques, et Claude Shannon, mathématicien américain à l’origine de la théorie de l’information. On y lira également l’article de J.G. Ganascia sur la naissance de l’IA où il évoque A. Turing, M. Minsky (cybernéticien à l’origine des réseaux de neurones) mais aussi Leibniz et Hobbes. L’auteur parcourt rapidement (peut-être trop) plus de 70 ans d’histoire et termine son propos en disant que tous les secteurs de l’activité sont désormais concernés par l’IA entraînant la disparition ou la transformation de nombreux métiers mais aussi l’apparition de nouveaux.

Un article issu de la Revue de l’Électricité et de l’Électronique (la REE) montre que depuis les années 1950, l’essor de l’IA n’a pas été linéaire5. Cette introduction se termine par l’interview de G. Berry, professeur au collège de France, auteur du livre L’hyperpuissance de l’informatique. En réponse à une douzaine de questions, il nous rassure sur le fait que le cerveau humain est très supérieur à l’ordinateur et que l’IA n’est qu’un outil pouvant nous faciliter la vie à condition d’être vigilants dans son utilisation.

Ensuite ce sont cinq dossiers :

  • Les réseaux de neurones ;

  • Bonne intelligence au quotidien ;

  • Joueurs artificiels ;

  • L’IA pour comprendre ;

  • Éthique et prospective.

En lisant les titres, on mesure bien l’ambition des responsables de l’édition de faire le tour de la question. Chaque dossier donne, en un peu plus de vingt pages, la parole à cinq ou six intervenants spécialistes d’un domaine.

Le dossier « Les réseaux de neurones » évoque l’apprentissage automatique (V. Barra de l’Université de Clermont), la création musicale, le tri des photos, la finance avec chaque fois des exemples et les mathématiques sous-jacentes. Un article s’attarde plus particulièrement sur les mathématiques : on y découvre des produits de matrice, des problèmes d’optimisation, des problèmes d’échantillonnage…

Dans le dossier « Bonne intelligence au quotidien », on lira avec plaisir l’article « Des enjeux pour l’industrie » où les auteurs (S. Debaille et J.P Hauet de chez Alstom) montrent comment la donnée est devenue essentielle. Avec le même plaisir on lira l’article « Voitures autonomes et dix-septième problème de Hilbert » où l’auteur (J.L. Legrand) évoque le principe « local-global » et les problèmes d’éthique (qui sauver lors d’un accident inévitable ?) pour conclure par « l’algèbre centenaire et la jeune algorithmique doivent s’organiser de façon judicieuse »… voilà un beau programme. D’autres articles font le point sur la traduction automatique, PageRank, l’algorithme de Google, les systèmes multi-agents et les problèmes d’affectation (Parcoursup, sites de rencontres…). J’ai trouvé l’article « Dynamique des populations : pallier le manque de données » original : comment prévoir l’évolution de groupes d’espèces lorsque les données sont peu nombreuses et que les théories statistiques classiques ne suffisent pas ? La réponse proposée par les trois auteurs (E. Auclair, N. Peyrard et R. Sabbadin de l’INRA de Toulouse) est « la topologie et les probabilités peuvent aider » !

Dans le dossier « Joueurs artificiels », outre des articles sur les jeux classiques (morpion, échecs, bridge, go, jeux de Nim), on trouvera un article intitulé « Comment simuler un comportement humain ? » dans lequel les auteurs (R. Catinaud de l’Université de Montpellier et R. Lamarche-Perrin du CNRS) abordent deux conceptions du jeu : la conception compétitiviste (optimisation) ou la conception interactiviste (simulation) qui débouchent sur la nécessité d’une recherche interdisciplinaire entre algorithmique et interactions sociales, entre informatique et sciences humaines.

Le dossier « L’IA pour comprendre » aborde dans trois des quatre articles les problèmes posés par l’apparition de l’IA dans l’apprentissage (sont évoqués en particulier APLUSIX, Cabri Express) et le diagnostic des compétences et l’analyse des erreurs. L’idée essentielle qui se dégage est la nécessité de recherches interdisciplinaires et la persistance de la présence humaine. Le dernier article aborde le problème des preuves faites par ordinateur et des assistants de preuve (Coq, Lean) qui permettent de « démontrer » des théorèmes comme celui des quatre couleurs. L’auteur (H. Lehning) conclut, à l’aide d’une démonstration mathématique, qu’un logiciel qui mécaniserait la preuve ne peut exister ! Ouf les mathématiques ont encore de l’intérêt.

Le dernier dossier, « Éthique et prospective » aborde en quatre articles les problèmes du futur. Dans le premier, intitulé « Un enjeu stratégique », l’auteur (B. Rittaud) évoque le rapport de la mission parlementaire conduite par C. Villani qui montre la nécessité pour la France et l’Europe de rester dans la course et de rester vigilants sur les données. Le deuxième article, « Les défis de l’IA de confiance », paru dans la REE, souligne la nécessité de disposer d’algorithmes de qualité (précisions, efficacité, robustesse, explicabilité) et de comprendre les « boîtes noires ».

La question de l’éthique est au cœur du troisième article « Les robots tueurs existent bel et bien… ou presque » qui aborde la question de l’IA dans les guerres. Les auteurs (F. Glibert et D. Justens) évoquent Asimov et parlent d’irresponsabilité en cas d’automatisation totale !

Enfin, dans le dernier article « L’IA est-elle intelligente ? », l’auteur (H. Krivine) essaie de montrer comment le cerveau humain reste supérieur à la machine et il met en garde contre la croyance que les données sont le salut.

Vous avez compris que ce numéro hors-série de Tangente a sa place dans toute bibliothèque. Il peut être sorti à tout moment et les sujets sont tellement variés que tout le monde y trouvera matière à alimenter sa réflexion.

Daniel Vagost

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  1. Pour en savoir plus sur les gagnants du défi : .

  2. L’officier allemand Hans-Thilo Schmidt décida de trahir son pays en communiquant des informations aux Alliés, dont la France. Il échangera notamment avec un homme des services secrets français dont le nom de code est Rex.

  3. Le chiffrement RSA est l’acronyme des initiales de ses trois inventeurs : Ronald Rivest, Adi Shamir et Leonard Adleman. Datant de 1977, cet algorithme de cryptographie asymétrique est très utilisé dans le commerce électronique, et plus généralement pour échanger des données confidentielles sur l’internet.

  4. Des mathématiques pour enseigner à l’école primaire PPUR (2018).

  5. Il est possible de télécharger cet article (REE octobre 2018) sur le site de la REE.

Pour citer cet article : Ernoult A., Fillon C., Gateau A. et Vagost D., « Matériaux pour une documentation n° 538 », in APMEP Au fil des maths. N° 538. 8 février 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/temps/materiaux-pour-une-documentation-n538/.

Une réflexion sur « Matériaux pour une documentation n° 538 »

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