Prof ou magicien ?
Dans cet article, Dominique Souder nous propose de jouer avec les propriétés de la multiplication dans quatre tours de magie, de l’école élémentaire au lycée et complète ainsi l’article « Des grilles mathématiques » paru dans le numéro 52 de PLOT en 2015.
Dominique Souder
© APMEP Mars 2018
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Tout d’abord, à l’école élémentaire
Construisons un objet magique basé sur la multiplication
Prenons les six nombres suivants: \(1\), \(10\), \(1\,000\) qu’on notera sur une ligne horizontale, et \(1\), \(100\), \(10\,000\) qu’on notera sur une colonne verticale. Utilisons ces nombres pour construire une table de Pythagore basée sur la multiplication: on remplit les neuf cases de cette table de multiplication avec les neuf produits obtenus.
Remarquons que si on multiplie les six nombres des bords on obtient :
$$1 \times 10 \times 1\,000\times 1 \times 100 \times 10\,000=10\,000\,000\,000.$$
Coupons les bords du haut et de la gauche, on obtient un objet magique (à recopier par exemple sur un bout de carton).
Déroulement du tour
Le professeur-magicien écrit sur un papier une prédiction : \(10\,000\,000\,000\). Il plie le papier.
Il propose au spectateur-élève de placer trois pièces sur trois cases du carré de neuf cases, de façon à ce qu’il n’y ait qu’une seule pièce par ligne, et qu’une seule pièce par colonne, comme sur le tableau précédent. Le spectateur-élève doit ensuite multiplier les trois nombres choisis. Le magicien déplie son papier : il avait prédit le bon résultat : \(10\,000\,000\,000\).
Explication
Le spectateur-élève avait choisi par exemple :
$$100\times100\,000\times 1\,000=10\,000\,000\,000.$$
Le produit des trois nombres choisi est égal à dix milliards, le produit des six nombres différents des bords. En effet, chacun des trois nombres choisis est le produit de deux nombres des bords de la table d’origine. De plus, aucun des six nombres des bords ne peut être utilisé deux fois, car on n’a placé qu’une seule pièce par ligne et par colonne. Par conséquent, chacun des six nombres est utilisé exactement une seule fois dans le produit et on obtient \(10\,000\,000\,000\).
Vous voulez joindre l’utile à l’agréable en apprenant à vos élèves les nombres dix, cent, mille, un million, un milliard (ce que vous appellerez les puissances de 10 plus tard) et leur donner un peu de pratique pour qu’ils ne se trompent pas dans le nombre de zéros ?
Au lieu d’écrire sur un carton les neuf cases en chiffres, écrivez-les en lettres… Voilà une façon pour les plus jeunes des écoliers de se familiariser avec ces nombres et leurs écritures ! Écrivez le futur résultat sur votre petit papier sous la forme: dix-milliards.
Bien sûr vous ferez faire la multiplication des trois nombres choisis avec l’écriture chiffrée (en comptant bien les zéros !) mais vous demanderez comment le résultat se prononce.
Au niveau du collège, au moment de l’apprentissage du signe du produit des nombres relatifs
Pendant un cours, pour aider à comprendre ce qui se passe, ou donner l’intuition qu’il y a quelque chose à comprendre, on peut faire des tours de cartes.
Voici un exemple : « Multipliez les signes pour gagner le pari ! »
Déroulement du tour
Le professeur-magicien fait prélever par un spectateur-élève, dans un jeu de 32 cartes présentées faces cachées sur le dessus, autant de cartes que celui-ci le désire. Le spectateur est invité à retourner parmi ses cartes les faces d’autant de cartes qu’il le souhaite, devant le magicien, et ensuite il bat son paquet de cartes : c’est donc un mélange de cartes dont les faces cachées sont parfois sur le dessus parfois en-dessous. Le magicien écrit une prédiction sur un papier.
Le magicien donne du travail au spectateur : il lui faut extraire de son paquet, à partir du haut, les deux premières cartes…
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si elles sont tournées toutes les deux face en bas, ou si elles sont tournées toutes les deux face en haut, elles seront remplacées par une carte face en bas qui sera placée sous le paquet. Plus précisément, si les deux cartes étaient face en bas on peut prendre l’une ou l’autre pour la mettre en dessous du paquet et on élimine sur la table celle qui reste ; si les deux cartes étaient toutes les deux face en haut, on en élimine une sur la table, on retourne l’autre qui va prendre sa place face en bas sous le paquet.
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si elles sont tournées toutes les deux de façons différentes, c’est-à-dire l’une face en haut, l’autre face en bas, on place celle qui est face en haut sous le paquet et on élimine sur la table celle qui était face en bas.
Après ce premier travail, le paquet tenu par le spectateur contient une carte de moins. Il faut continuer selon le même principe, à partir des deux cartes supérieures du paquet, à diminuer la grosseur du paquet d’une carte à chaque processus, ceci jusqu’à ce qu’il ne reste plus que deux cartes, puis enfin une seule.
Le magicien déplie le papier contenant sa prédiction: il avait deviné si la carte qui resterait la dernière serait tournée face en haut ou face en bas. Pari réussi !
Explication
Deux cartes face en haut donnent une carte face en bas, deux cartes face en bas donnent une carte face en bas, cela rappelle les règles de multiplication des signes des nombres relatifs, soit − × − = + et + × + = + .
Deux cartes l’une face en haut l’autre face en bas cela donne une carte face en haut, et ceci rappelle les règles de signes − × + = − et + × − = − .
Le terme face en haut correspond au signe − et le terme face en bas au signe + .
Le processus de remplacement de deux cartes par une seule correspond au remplacement du produit des signes de deux relatifs par le signe de leur produit, ceci à l’intérieur d’une ligne de calcul d’un produit d’un grand nombre de facteurs.
Le magicien compte mentalement les cartes que met face en haut le spectateur (les battre ensuite ne change pas ce nombre). On sait que quand on multiplie un nombre impair de signes moins, le résultat du calcul est négatif, et que quand on multiplie un nombre pair de signes moins, le résultat est positif. Si le nombre de cartes mises face en haut est impair, la dernière carte sera face en haut. Si le nombre de cartes mises face en haut est pair, la dernière carte sera face en bas. La prédiction est aisée à faire.
Une variante possible, pour 2 spectateurs…
Le paquet de 32 cartes est séparé en deux tas qui peuvent être inégaux, l’un reste face en bas, l’autre est retourné face en haut. On superpose les deux paquets, on mélange le tout. En prétextant de répartir équitablement le travail qui suivra entre deux spectateurs, le magicien distribue alternativement les cartes en deux tas, carte par carte. Chaque spectateur reçoit un tas de 16 cartes dont certaines sont face en bas et d’autres face en haut.
Le magicien écrit une prédiction sur un papier.
Le magicien invite chaque spectateur à suivre le processus d’élimination décrit ci-dessus pour son propre paquet (remplacement à partir du haut de 2 cartes par une, etc.). Quand il ne reste plus qu’une carte à chaque spectateur, on les rassemble en un tas de 2 cartes auquel on applique la même règle. Il ne reste qu’une carte.
La prédiction est dévoilée et correspond au résultat final: soit une carte face en bas, soit une carte face en haut.
Explication
Le magicien, pendant qu’il redistribue en deux tas les cartes, compte combien il y aura de cartes, parmi les 32, qui seront face en haut dans les tas qu’il tendra aux spectateurs. Si c’est un nombre impair le résultat final sera une carte face en haut ; si c’est un nombre pair le résultat final sera une carte face en bas.
Le magicien peut aussi prédire pour chaque personne quelle sera sa dernière carte, s’il a pris soin de compter dans chaque tas le nombre de cartes face en haut.
Au niveau du collège, au moment de l’apprentissage des propriétés de multiplication des puissances
Il va falloir commencer par préparer le matériel suivant :
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un dé d’une première couleur dont le patron est le suivant :
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un dé d’une deuxième couleur dont le patron est le suivant :
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un dé d’une troisième couleur dont le patron est le suivant :
Déroulement
Le professeur-magicien prête les 3 dés à un spectateur-élève et écrit une prédiction sur un bout de papier (il écrit en cachette le nombre 1).
Les 3 dés doivent être positionnés en une seule colonne verticale par le spectateur, dans l’ordre qu’il veut, et tournés comme il veut ; le magicien peut se tenir très loin de façon à ne pas influencer le spectateur. Quand le spectateur a effectué ce travail, le magicien lui demande de multiplier tous les nombres écrits sur les faces horizontales des 3 dés : il y a ainsi six nombres à multiplier entre eux. Le magicien demande combien vaut ce produit. Le spectateur répond 1, et le magicien demande au spectateur de vérifier que sa prédiction sur le bout de papier était juste.
Explication
Les valeurs écrites sur les dés sont :
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des puissances de deux: \(1\), \(2\), \(4\), \(8\), \(16\), \(32\) pour le premier dé. Les faces opposées ont toujours pour produit \(32\), car il s’agit de \(1\) et \(32\) sur deux faces opposées, de \(2\) et \(16\) sur deux autres faces opposées, et de \(4\) et \(8\) sur les deux dernières faces opposées.
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des puissances de cinq: \(1\), \(5\), \(25\), \(125\), \(625\), \(3\,125\) pour le deuxième dé. Les faces opposées ont toujours pour produit \(3\,125\), car il s’agit de \(1\), et \(3\,125\) sur deux faces opposées, de \(5\) et \(625\) sur deux autres faces opposées, et de \(25\) et \(125\) sur les deux dernières faces opposées.
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des puissances à exposants négatifs de dix : 1, un dixième, un centième, un millième, un dix-millième, un cent-millième pour le troisième dé. Les faces opposées ont pour produit \(0.000\,01\) car il s’agit de \(1 \times 0.000\,01\) sur deux faces opposées, de \(0.1 \times 0.000\,1\) sur deux autres faces opposées et de \(0.01\times0.001\) sur les deux dernières faces opposées.
Quelle que soit la disposition verticale des dés choisie par le spectateur, le produit des six nombres est toujours égal à :
$$32 \times 3\,125 \times 0.000\,01 =
100\,000 \times \frac{1}{100\,000} = 1.$$
Le magicien a bien sûr écrit comme prédiction sur son bout de papier ce nombre \(1\).
Le professeur peut faire chercher à l’élève une justification du résultat \(1\) qui s’appuierait sur les propriétés de la multiplication des puissances. À savoir : pour un premier dé on commence à trouver que le produit de deux faces opposées donne toujours 25, pour un deuxième dé 55 et pour le troisième dé 10 − 5.
Ensuite on calcule :
$$\begin{aligned}
2^{5} \times 5^{5} \times 10^{-5} & = (2\times5)^{5}\times 10^{-5} \\
& = 10^{5} \times 10^{-5} \\
&= 10^{0} \\
&=1.\end{aligned}$$
Au niveau du lycée, au moment de l’apprentissage de la multiplication des nombres complexes
On peut revenir à l’idée de notre premier tour, cette fois le professeur doit construire une table de multiplication, mettons de 16 cases cette fois, et ceci à partir de 8 nombres sur les bords. Il peut utiliser des nombres complexes, présentés sous des formes éventuellement variées pour que les lycéens s’entraînent à toutes les écritures possibles et sachent être efficaces dans leurs calculs. L’élève doit placer 4 pions, un seul par ligne, un seul par colonne, puis multiplier les valeurs des 4 pions. Le professeur peut remplacer des exercices répétitifs d’entraînement au produit de nombres complexes par un seul exercice du style suivant: Trouvez le plus de positionnements possibles (un par ligne, un par colonne) de 4 pions à partir du tableau ci-dessous, puis écrivez et calculez les produits des 4 nombres choisis (en détaillant les étapes). Que remarquez-vous ? Pourquoi ? Proposez une façon dont on a pu construire ce tableau. [Pour plus d’efficacité on pourra mettre toutes les cases sous la forme \( \alpha \mathrm{e}^{\mathrm{i} k \pi}\) avec α réel et k rationnel].
Le côté fastidieux des calculs détaillés sera un peu compensé pour l’élève par la surprise de trouver toujours le même résultat. Ensuite il devra se lancer dans une démarche d’enquête scientifique pour dévoiler la magie du tableau, et ne pas rester idiot devant la manipulation subie de la part de son professeur. De plus, il devra être créatif dans le choix des nombres des bords. Le professeur pourra faire comparer les nombres des bords choisis par divers élèves et y trouver matière à réflexion, y compris sur les façons les plus rapides de mener à bien un calcul.
Voici une solution de l’exercice précédent : on trouve toujours comme produit des 4 cases la valeur 2. On peut construire la table de multiplication à partir des nombres des 8 cases de couleur ci-dessous, dont le produit est 2.
Dominique Souder est enseignant de mathématiques, aujourd’hui à la retraite. Auteur de nombreux ouvrages, il se consacre désormais à animer des conférences et des formations autour de la magie mathématique.
Pour aller plus loin
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Pour ceux d’entre vous qui aimeraient en savoir plus sur la Mathémagie, Dominique Souder propose un dossier complet sur la magie et les mathématiques sur le site Culture-Math
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Dominique Souder. « Des grilles de mathémagiques ». ici In : PLOT 52 (2015), p. 2-7.