Arpenter la cour du collège
Chaque établissement scolaire a une cour de récréation et chaque cour est différente. Émile Séguret nous présente une activité «grandeur nature» en cycle 3 pour estimer le périmètre et l’aire de cette cour. Implication des élèves garantie !
Émile Séguret
⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅
© APMEP Juin 2023
Quand je cherche une activité à faire en classe, un de mes critères est qu’elle plaise aux élèves. Cela garantit souvent leur implication et donc un réel apprentissage. J’ai toujours en tête les mots attribués au penseur chinois Xun Kuang (IIIe siècle avant notre ère).
Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends.
Pour les chapitres «Périmètre» et «Aire», rien de mieux que d’étudier un espace commun à tous les élèves, un lieu qui fait leur quotidien : la cour du collège.
L’objectif de l’activité est d’apporter du sens aux grandeurs, mais aussi à la géométrie mathématique. Dans cet article, je présente en détail l’activité avec des Sixièmes du collège d’Avoine (Indre-et-Loire). La cour a une géométrie complexe et nous demandera l’utilisation d’un outil ancien. L’idée de travailler dans la cour me vient du livre Passerelles, enseigner les mathématiques par leur histoire au cycle 3, chapitre Et si nous mesurions la cour de l’école : expérience d’arpentage écrit par Marc Moyon et Dominique Tournès en 2018
.
Oublions un instant la feuille de papier et allons dehors !
Calcul du périmètre
Le premier objectif est le calcul du périmètre de la cour (prévoir deux ou trois séances). En amont, les élèves réalisent lors des récréations un plan de la cour (sans utiliser l’internet !). Aucune consigne de représentation n’est donnée. La plupart des élèves ont représenté une cour polygonale (rectangulaire pour certain) avec des objets (arbres, tables de ping-pong, bancs…).
Voici trois plans d’élèves.




L’échelle du troisième plan est intéressante car l’élève a utilisé ses pas pour mesurer les longueurs des côtés de la cour. C’est alors l’occasion d’évoquer avec toute la classe l’intérêt d’une unité commune pour mesurer une grandeur et la communiquer.
En classe, les plans sont comparés entre eux et surtout à une image satellite réalisée sur Géoportail. On remarque que le second plan est très proche de la réalité.

On modélise la cour par un décagone. Dans toute la suite, on travaille avec le plan de la figure 1.
En classe, les élèves doivent obtenir la formule théorique du périmètre :
\[\begin{aligned}
\mathcal{P}(\text{cour})&=\mathsf{AB}+\mathsf{BC}+\mathsf{CD}+\mathsf{DE}+\mathsf{EF}+\mathsf{FG}+\mathsf{GH}+\mathsf{HI}+\mathsf{IJ}+\mathsf{JA}.\end{aligned}\]
Ils comprennent alors qu’il suffit de mesurer chaque côté de la cour pour ensuite additionner les mesures obtenues.
Avant de prendre les mesures, il me parait pertinent de demander aux élèves d’estimer le périmètre de la cour. Un quart d’entre eux a fait une bonne estimation (à \(10\) % de la valeur exacte) et les longueurs estimées s’étalent entre \(50\ \mathrm{m}\) et \(1\ \mathrm{km}\).
En classe, les élèves ont débattu sur le choix de l’instrument de mesure. Certains ont pensé au mètre de bricolage, mais trop petit. Beaucoup connaissent le décamètre (ou mètre-ruban). Pour les mesures en mètres, il faut au préalable donner une consigne d’arrondi (au dm près par exemple) puisque dans la cour, une mesure précise au centimètre n’est pas pertinente à cause de l’approximation des mesures. C’est alors l’occasion de travailler les arrondis.
Le moment très attendu par les élèves vient ensuite. On commence par faire le tour de la cour pour bien identifier les différents sommets du décagone. Puis, avec des décamètres, les élèves mesurent la longueur de chaque côté. Ils travaillent en équipes de trois : deux élèves pour mesurer et un secrétaire pour noter et contrôler la mesure. Les décamètres doivent être utilisés au sol et bien tendus. Je contrôle les longueurs obtenues (l’écart avec mes mesures devant être inférieur à un mètre) avant le retour en classe et leur demande de les reprendre en cas d’erreur.
On en déduit le périmètre de la cour avec les longueurs mesurées de chaque équipe et en posant l’addition en classe. Les élèves ont pu ensuite comparer avec leurs estimations initiales.
| Classe | Périmètre calculé |
|---|---|
| 6e A | \(261{,}4\ \mathrm{m}\) |
| 6e C | \(264{,}6\ \mathrm{m}\) |
| 6e E | \(262{,}9\ \mathrm{m}\) |
Enfin, nous sommes retournés sur Géoportail pour mesurer le périmètre du polygone représentant la cour (outil «mesurer une distance»). Résultat : 260 \(m\). L’important ici est l’ordre de grandeur des résultats. En effet, le résultat final de la classe dépend de la précision des mesures.
Estimation de l’aire et encadrement
La seconde partie est le calcul de l’aire de la cour (compter une semaine).
Avant de se lancer dans des procédures de calcul direct de l’aire par découpage en figures simples, j’ai demandé aux élèves d’estimer l’aire de la cour en utilisant les longueurs déjà mesurées. Je demande aux élèves de repérer un «grand» rectangle proche de la cour (en termes de recouvrement) dont on connaît les dimensions et d’en calculer l’aire. Après avoir laissé chercher les élèves, je leur suggère le rectangle qui serait de longueur \(\mathsf{AB}\simeq 60\ \mathrm{m}\) et de largeur \(\mathsf{DE}+\mathsf{EF}\simeq 15\ \mathrm{m}+ 30\ \mathrm{m}= 45\ \mathrm{m}\). Le rectangle a pour aire environ \((60\ \mathrm{m})\times(45\ \mathrm{m})=2\,700\ \mathrm{m}^{2}\). Nous verrons par la suite que c’est une bonne estimation.
Je leur suggère également une autre façon de procéder, plus intéressante en termes de manipulation pour les élèves : encadrer l’aire de la cour en utilisant un quadrillage avec des carrés de côté \(10\ \mathrm{m}\) et un plan de la cour sur papier calque.
Ils doivent positionner le calque sur le quadrillage pour compter le nombre de carrés à l’intérieur de la cour (en vert sur la figure 2) et le nombre de carrés touchant la cour (en vert et rose). La position du calque n’a pas d’importance. On peut comparer les différents encadrements obtenus par les élèves avec des positions différentes du calque. Pour ma part, je compte les carrés lorsque le côté \(\mathsf{[AB]}\) de la cour est aligné sur une ligne horizontale du quadrillage (figure 2).
On reconnaît une situation de superposition et, après une séance de travail, on en déduit l’inégalité suivante : \[1\,700\ \mathrm{m}^{2}\leqslant\mathcal{A}(\text{cour})\leqslant 3\,900\ \mathrm{m}^{2}.\]
Au regard de cet encadrement, les élèves devaient vérifier si leur estimation du début de séance était dans l’intervalle en question.
Question aux élèves : avec cette méthode de quadrillage, comment trouver l’aire de la cour ? On peut utiliser le même procédé mais en réduisant la taille des carrés de côté \(5\ \mathrm{m}\).
On obtient : \[2\,275\ \mathrm{m}^{2}\leqslant\mathcal{A}(\text{cour})\leqslant 3\,400\ \mathrm{m}^{2}.\]
On a ainsi resserré l’intervalle des valeurs possibles pour la cour. En continuant à réduire la longueur du côté des carrés de moitié, on obtiendrait un encadrement de plus en plus fin. Pour visualiser cette augmentation de la précision, on peut préparer une animation GeoGebra où l’on voit les carrés rétrécir avec en même temps l’encadrement que cela induit sur l’aire de la cour.
Calcul de l’aire
On fait appel à un principe souvent utilisé en mathématiques pour résoudre un problème : se ramener à ce que l’on sait faire. Il n’y a pas de formule pour l’aire d’un décagone. Pour la calculer, on réalise un découpage de la cour en figures simples : rectangles et triangles rectangles (la formule de l’aire d’un triangle quelconque n’ayant pas encore été vue). Ici on se ramène au calcul d’aires de rectangles ou de demi-rectangles : on sait faire. Les élèves doivent découper eux-mêmes la cour (sur le plan commun) en traçant le moins de segments possible.
Certains ont utilisé une bonne stratégie : faire d’abord le plus grand rectangle possible dans la cour, puis combler les trous restants avec des rectangles et des triangles rectangles.



D’autres ont prolongé le côté \(\mathsf{[IJ]}\) jusqu’au côté \(\mathsf{[AB]}\) pour ainsi former un grand triangle quelconque que l’on décompose en deux triangles rectangles.


On compare les différents découpages et je présente le mien sur Géoportail en donnant ses avantages par rapport aux leurs. Bien sûr, il n’est pas exclu qu’un élève trouve un meilleur découpage que le mien !
L’intérêt de ce découpage est de transformer le problème du calcul de l’aire de la cour en six calculs plus simples. Pour calculer l’aire de chaque figure, les élèves doivent déterminer certaines longueurs : soit elles se déduisent des dix longueurs des côtés de la cour, soit elles sont inconnues. Par exemple pour calculer l’aire du triangle \(\mathsf{JKL}\), il nous manque les longueurs \(\mathsf{JK}\) et \(\mathsf{KL}\). On aboutit au fait que le calcul de l’aire de la cour se réduit à la mesure de six longueurs :
Pour les connaître, il faut déterminer la position des points \(\mathsf{K}\), \(\mathsf{L}\) et \(\mathsf{M}\). Remarquons qu’il est inutile de placer dans la cour les points \(\mathsf{N}\), \(\mathsf{O}\) et \(\mathsf{P}\) car leurs positions théoriques nous suffisent, étant donné que l’on connaît déjà les dimensions des rectangles \(\mathsf{BCDO}\) et \(\mathsf{FGHP}\). Le calcul de l’aire se réduit donc à la construction et à la mesure de trois segments :
Pour construire les trois segments \(\mathsf{[JK]}\), \(\mathsf{[IL]}\) et \(\mathsf{[ME]}\) dans la cour, on doit tracer des perpendiculaires à un segment et passant par un point de ce segment. Mais comment faire ? Voici un échange avec les élèves proposant des solutions.
-
« On trace un trait au pinceau,
-
Non, avec une craie,
-
Et dans l’herbe ?
-
Mais ça ne va pas être droit ?
-
Oui, il faut que ça soit droit, car c’est un segment !
-
On prend une grande règle,
-
Une grande règle ?
-
On utilise les décamètres pour faire des traits droits,
-
C’est une bonne idée mais nos décamètres font \(20\ \mathrm{m}\). Est-ce assez long ?
-
On reporte ?
-
D’accord, mais comment garantir que les reports vont former un grand segment droit ?
-
On prend une très grande corde,
-
Oui, c’est une bonne idée, mais comment faire l’angle droit ?
-
On prend une équerre que l’on met au sol,
-
Oui, mais est-ce assez précis ?
-
On fabrique une grande équerre ?
-
Je vous propose un autre type d’équerre ».
C’est à cet instant que je présente un outil datant du XIXe siècle : l’équerre d’arpenteur.
L’équerre d’arpenteur
Aujourd’hui, pour arpenter différents types de terrains, les géomètres-experts utilisent (entre autres) des lasers, des récepteurs GPS, des ordinateurs… Mais avant ces progrès techniques, les arpenteurs utilisaient des outils plus rudimentaires.
J’invite le lecteur, pour plus d’informations sur les anciennes techniques d’arpentage, à consulter l’article de l’IREM de Grenoble Et si nous mesurions la cour de l’école : expérience d’arpentage
.
Pour le matériel, j’ai acheté des décamètres, des équerres d’arpenteur et des trépieds d’appareils photo pour y poser les équerres. Les professeurs d’EPS m’ont prêté des décamètres supplémentaires et des plots avec des tiges pour faire les jalons.
Jalonnage dans la cour
C’est donc avec trois équerres d’arpenteur et des jalons que les élèves vont réaliser le découpage de la cour en rectangles et triangles rectangles en construisant les trois segments \(\mathsf{[JK]}\), \(\mathsf{[IL]}\) et \(\mathsf{[ME]}\).
Sur cette séance, la classe est partagée en trois équipes, une par segment. Dans chaque équipe : deux responsables d’équerre, deux élèves pour placer les jalons, deux élèves pour mesurer les longueurs et un secrétaire pour noter les longueurs sur la feuille. Prévoir un adulte supplémentaire dans la cour pour assurer la compréhension des élèves et le bon tracé des segments.
Pour construire les segments \(\mathsf{[IL]}\) et \(\mathsf{[EM]}\), la position des équerres est connue : en \(\mathsf{I}\) et \(\mathsf{E}\) respectivement. Cependant, pour construire le segment \(\mathsf{[JK]}\), il faut positionner l’équerre au point \(\mathsf{K}\), dont la position n’est pas encore déterminée ! Pour éviter que les élèves cherchent le point \(\mathsf{K}\) en déplaçant l’équerre un peu au hasard, j’ai indiqué à mes élèves que \(\mathsf{[AK]}\) mesurait \(28\ \mathrm{m}\). J’ai obtenu cette longueur en traçant sur le plan la perpendiculaire à \(\mathsf{[AB]}\) passant par \(\mathsf{J}\) et en utilisant l’échelle du plan. J’aurais pu le faire faire aux élèves. En effet, une fois la proportionnalité vue en classe, les élèves auraient calculé l’échelle du plan de la cour, puis construit à l’aide de l’équerre la perpendiculaire à \(\mathsf{[AB]}\) passant par \(\mathsf{J}\), placé \(\mathsf{K}\), mesuré \(\mathsf{[AK]}\) sur le plan et enfin déduit la longueur réelle à l’aide de l’échelle du plan. Mais avec cette méthode, inutile d’aller dans la cour puisque l’on peut tracer les trois segments sur le plan et mesurer leurs longueurs en utilisant l’échelle.
Connaissant le point \(\mathsf{K}\), les élèves de ce groupe ont été confrontés à un autre problème : le segment \(\mathsf{[AB]}\) est un grillage, donc l’équerre ne peut pas être mise au point \(\mathsf{K}\) (qui est sur le grillage). L’équerre doit donc être positionnée juste devant, sur le segment \(\mathsf{[JK]}\) (qui n’existe pas encore) et la visée se fait à l’aide de deux autres jalons (à gauche et à droite), comme expliqué sur le schéma suivant. Les points saumon indiquent la position des jalons et le point rouge la nouvelle position de l’équerre.
Après avoir jalonné les trois segments, les élèves mesurent leurs longueurs et aussi les longueurs \(\mathsf{KL}\) et \(\mathsf{MB}\) à l’aide des décamètres.
Lors de cette séance dans la cour, il me faut passer dans chaque groupe pour vérifier la position des équerres, contrôler l’alignement des jalons et m’assurer que les longueurs mesurées par les élèves ne sont pas trop éloignées des longueurs que j’ai mesurées sur Géoportail en amont.
Pour conclure l’activité, il ne reste plus qu’à calculer effectivement l’aire de la cour. Les élèves ont à disposition leur calculatrice. Mais lors de la correction de l’aire de \(\mathsf{JKL}\), j’ai fait remarquer aux élèves qu’ils n’avaient nul besoin de leur calculatrice puisqu’ils pouvaient faire le calcul mentalement : \[\begin{aligned}
\mathcal{A}(\mathsf{JKL})&=\left(\mathsf{JK}\times\mathsf{KL}\right) \div 2\\
&=(52{,}8\ \mathrm{m})\times(20\ \mathrm{m})\div 2\\
&=(52{,}8\ \mathrm{m})\times(10\ \mathrm{m})\\
&=528\ \mathrm{m}^{2}.\end{aligned}\]
De façon générale, j’ai insisté sur le fait que pour ces calculs, le calculatrice ne nous sert qu’à gagner du temps. En effet, les élèves savent poser une addition, poser une multiplication et calculer mentalement la moitié d’un nombre décimal. Finalement les élèves ont obtenu les résultats suivants, que l’on a ensuite comparé avec le résultat de Géoportail (outil « mesurer une surface ».) : 2 800m²
| Classe | Aire calculée |
|---|---|
| 6e E | \(2\,828\ \mathrm{m}^{2}\) |
| 6e C | \(2\,843\ \mathrm{m}^{2}\) |
Conclusion
Cette activité de plein air est très intéressante et enrichissante pour les élèves comme pour moi. Les élèves de Sixième sont majoritairement très enthousiastes à l’idée de manipuler dans la cour. Beaucoup de compétences mathématiques et transversales du socle commun sont développées. L’activité a mis en évidence l’importance des angles droits dans le calcul d’une aire. Cette importance découle directement de la définition du mètre carré comme l’aire d’un carré (quatre angles droits !) de côté \(1\ \mathrm{m}\). De plus, l’activité montre bien la différence entre périmètre et aire. En effet, les méthodes utilisées pour leur calcul respectif sont de nature très différente et cela repose en partie, selon moi, sur l’importance du découpage pour calculer une aire. Au-delà du sens qu’apporte l’activité sur les grandeurs, l’arpentage dans la cour rend concret le cours de géométrie : le jalon concrétise le point, l’alignement des jalons concrétise le segment et l’équerre d’arpenteur concrétise la notion de perpendicularité.
À vous et à vos élèves de vous approprier mathématiquement la cour de votre établissement !
⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅
Émile Séguret est professeur de mathématiques au collège Patrick Baudry de Nouâtre dans l’académie d’Orléans-Tours.
Une réflexion sur « Arpenter la cour du collège »
Les commentaires sont fermés.