La chaîne Scienticfiz,
pour ceux qui sont curieux de tout

Une chaîne Youtube proposant des vidéos sur les mathématiques uniquement créées et jouées par des élèves, c’est le défi relevé par Gilles Gourio avec des collégiens volontaires. La chaîne Scienticfiz « pour ceux qui sont curieux de tout » n’a rien à envier aux professionnels. De l’histoire, de l’humour, des clins d’œil au cinéma et, au final, des mathématiques bien vivantes. Saurez-vous deviner qui se trouve derrière Le bon, le fourbe, le bègue, le traître ?

Gilles Gourio

© APMEP Juin 2021

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Origines du projet

Lors de l’année scolaire 2015-2016, tous les élèves de l’atelier mathématiques que j’animais étaient dans la même classe, soit 24 des 27 élèves. J’ai alors proposé à mes collègues et mon chef d’établissement de mener un projet interdisciplinaire autour de la cryptographie avec cette classe. Plusieurs collègues se sont lancés dans l’aventure

Ainsi, en mathématiques, nous avons étudié plusieurs techniques (César, Vigenère, RSA, cryptage affine,…), en français les élèves ont écrit des nouvelles faisant intervenir un élément de cryptographie (après avoir étudié des œuvres d’Allan Poe et Jules Verne) et en technologie, les élèves ont conçu et fabriqué des dispositifs de cryptographie (en utilisant notamment Charlyrobot). Une restitution du projet était prévue en fin d’année, notamment à destination des parents. Après discussion avec les élèves, je leur ai proposé, pour changer des éternels panneaux sur feuille Canson, de tourner une vidéo qui relaterait le projet. Ils se sont montrés très enthousiastes et m’ont demandé s’il était possible de la mettre en ligne, ce qui a pu se faire.

Cette même année, nous avons aussi mené un projet autour de la police scientifique au sein de l’atelier et les élèves ont eu envie, là encore, de tourner un film racontant l’enquête. Ces deux vidéos ont été mises en ligne début juillet 2016.

Lors de la fête de la science au mois d’octobre 2016, alors que nous animions un atelier au village des sciences de Tours (une quinzaine d’élèves sur le week-end et moi-même), nous avons discuté de ces vidéos et il se trouve que les élèves avaient envie d’en tourner d’autres : la chaîne Scienticfiz était née avec les objectifs suivants :

  1. vulgariser les mathématiques, sous forme théâtrale quand c’est possible ;
  2. faire découvrir l’histoire des mathématiques, ses acteurs et actrices ;
  3. permettre des rencontres avec des personnes extérieures ;
  4. travailler l’oral ;
  5. travailler autrement avec les élèves.

Les premières vidéos de cette nouvelle année ont été consacrées à l’astronomie, à partir d’un projet que nous menions. Très vite, avec l’arrivée de deux nouvelles élèves très motivées, la chaîne s’est orientée presque exclusivement vers les mathématiques, avec des rares exceptions.

À ce jour, la chaîne propose 127 vidéos, et de nombreux projets sont en cours de réalisation.

Le choix des sujets

Tout d’abord, il y a mes centres d’intérêt personnels, les sujets que je peux avoir envie d’aborder (pour les sujets historiques notamment). D’autres sujets sont choisis suite à des discussions avec les élèves qui jouent dans les vidéos. Cela a été le cas par exemple pour les vidéos « Comment gagner au Loto » et « Sophie Germain, une femme parmi les hommes ».

Enfin, certains sujets sont proposés par les élèves, comme les vidéos « Le nombre d’or » ou « Le livre impossible à lire ».

La plupart du temps, je me charge de l’écriture. Une fois que les textes sont écrits, je les propose aux élèves qui apportent leurs idées tant sur la mise en scène que sur le texte. Ils peuvent ainsi se l’approprier pleinement.

Quelques vidéos ont été intégralement écrites par les élèves, comme « Le vide » ou « Le nombre d’or ». Ils ont effectué les recherches nécessaires et rédigé le scénario. Je me suis contenté de corriger le texte et parfois reformuler certaines phrases. Il est à noter que ces élèves ont cherché et trouvé les ressources seuls, sans mon aide.

Un des objectifs visés est que les élèves écrivent davantage de scénarios. Un prolongement intéressant serait de réaliser un travail interdisciplinaire avec le français.

Tournages

Les tournages ont essentiellement lieu pendant les pauses méridiennes. Nous avons la chance de pouvoir laisser notre « studio » en place (des draps noirs accrochés au mur et des grilles pour les affichages). Cela me permet de préparer à l’avance le décor et de profiter ainsi d’un temps de tournage un peu plus long. Ceci étant, c’est une plage horaire bien courte et tout n’est possible que grâce à l’investissement et au sérieux des élèves qui étudient la plupart du temps bien leur texte à l’avance. Nous évitons de tourner une même vidéo sur deux midis différents pour éviter les faux raccords (coiffure, vêtements, luminosité ).

Certains tournages plus ambitieux, avec un texte plus long ou des changements de décors ou de costumes, se déroulent le mercredi après midi. Cela a été le cas pour les biographies de Sophie Germain ou Emmy Noether, ou les vidéos « Les maîtres du monde », « L’abominable Monsieur Phi ».

Les vidéos sont tournées avec un caméscope numérique sur lequel est branché un micro externe. Elles ont gagné en qualité depuis que nous utilisons ce matériel. Nous disposons aussi de deux « lampadaires » qui assurent une lumière constante. Je m’occupe du montage avec le logiciel VideoPad. Le son est amélioré avec Audacity et les miniatures réalisées avec Gimp.

La réalité par rapport aux objectifs et les apports pour les élèves

Reprenons les objectifs en détails pour voir concrètement s’il a été possible de les atteindre.

Vulgariser les mathématiques

De nombreux sujets ont été abordés, qu’ils soient plutôt théoriques (les nombres premiers, les numérations, les grandes conjectures, …) ou historiques. Cela a permis de faire découvrir différents thèmes. Nous nous sommes efforcés de les présenter sous forme « théâtrale » dès que possible, avec des saynètes vivantes et dynamiques. C’est la forme préférée des élèves mais cela n’a pas toujours été possible.

Certaines vidéos sont très « démonstratives », comme la démonstration de l’existence et l’unicité de la décomposition d’un nombre entier en facteurs premiers (« La saga des nombres premiers – 11 ») et nécessitent de la part des élèves une bonne compréhension des notions abordées. Toutefois, le fait que la présentation soit faite par des collégiennes me semble aller dans le sens de la vulgarisation puisqu’elles n’exposent que des notions qu’elles ont comprises.Du côté des élèves, le bilan est positif ; ils disent être contents de découvrir toutes ces notions qui ne sont pas forcément au programme, et cela sous un angle nouveau.

Faire découvrir l’histoire des mathématiques

Si tout le monde a entendu parler de Galilée, d’Einstein, de Pasteur ou d’autres scientifiques de renom, physiciens ou biologistes, peu de gens connaissent Sophie Germain, Emmy Noether ou Pierre de Fermat, dont l’apport aux sciences a pourtant été très important.

Dans ce but, nous avons donc présenté un certain nombre de mathématiciens et mathématiciennes encore moins connus comme Mariam Myrzakhani, mathématicienne contemporaine, au même titre que Grigori Perelman. Présenter des femmes et des hommes contemporains permet aussi de montrer que les mathématiques ne sont pas une science poussiéreuse, qui se serait arrêtée dans l’Antiquité avec Thalès et Pythagore (impression que peuvent avoir les élèves étant donné que ce sont les seuls noms propres, avec Euclide, figurant dans les programmes de collège).

Évoquer Sophie Germain, c’est parler de la condition des femmes à son époque ; dresser le portrait d’Emmy Noether nous amène à nous intéresser à la situation des juifs durant les années 1930 et à la seconde guerre mondiale. Nombre de vidéos contiennent des éléments historiques.

Il est ici aussi à noter que c’est un aspect qui plaît beaucoup aux élèves, notamment l’idée de découvrir toutes ces personnes au destin si fort.

De belles rencontres

Le tournage de ces vidéos a été l’occasion de faire de très belles et enrichissantes rencontres.

Visite de Roger Mansuy.

Certaines ont pu avoir lieu « en vrai ». Nous avons profité de la venue au collège de Roger Mansuy, Mickaël Launay ou Charles Torossian pour réaliser des interviews qui ont été des moments forts. Pour les élèves, passer une journée à faire des mathématiques avec Mickaël Launay ou Roger Mansuy (à deux reprises) et les interviewer a été une expérience unique et très enrichissante. Cela nous a aussi permis de réaliser une vidéo sur l’affaire Dreyfus avec Roger Mansuy, révélant un point de l’histoire en lien avec les mathématiques peu connu du grand public.

Visite de Mickaël Launay.

D’autres se sont faites à distance, avec Étienne Ghys (quelle belle rencontre !), Antoine Houlou-Garcia (qui est apparu dans plusieurs vidéos) ou Tania Louis. À chaque fois, les élèves ont dû préparer des questions, s’interroger et découvrir des aspects des mathématiques dont ils ignoraient tout. Pour ces collaborations, les vidéos ont été tournées par les intervenants de leur côté à partir du texte établi et ils me les ont envoyées. Je me suis chargé du montage.

Ces rencontres ont également abouti à une invitation d’Houria Lafrance au festival Les Maths en Scène en mars 2019 et 2020 (qui a eu lieu, par chance, une semaine avant le confinement général) au cours duquel les quatre élèves présents ont assuré la couverture médiatique en réalisant de très nombreuses interviews mises en ligne sur le compte Twitter de l’association. Une très belle expérience.

Le travail sur l’oral

Le tournage de vidéos est un formidable entraînement à l’oral. Parler face à une caméra est difficile mais la vidéo permet de revisionner les prises et de reprendre les prestations.

Nombre d’élèves qui se sont pliés au jeu ont accompli de grands progrès non seulement dans leur expression orale mais aussi leur prestance devant la caméra. Ces deux compétences leur seront fort utiles pour l’oral du brevet et le Grand Oral en Terminale.

Travailler autrement avec les élèves

Ces moments passés à tourner les vidéos sont des moments privilégiés, au cours desquels il est possible de voir les élèves s’épanouir d’une autre manière. Il est vrai que nous nous amusons beaucoup et que les moments de fou rire sont nombreux, mais il est très appréciable de voir à quel point les élèves prennent cette activité facultative au sérieux. Ils participent volontairement mais pas uniquement pour passer les pauses méridiennes au chaud. Ils sont là pour produire quelque chose et se reprennent entre eux en cas de dissipation. Un beau travail sur le long terme.

Apports personnels

À titre personnel, cette activité est très enrichissante. J’ai déjà évoqué les moments privilégiés qu’elle engendre, je n’y reviens pas.

Par ailleurs, avant de me lancer dans cette aventure, je n’avais jamais tourné de vidéo, encore moins fait du montage. Il a fallu tout apprendre et découvrir un nouveau domaine. Je dois même avouer que j’ai développé une certaine passion pour ce mode d’expression.

L’écriture des textes est aussi une activité très stimulante qui nécessite de nombreuses recherches. Cela m’a d’ailleurs permis de mettre des noms sur des notions apprises à l’université (comme associer Emmy Noether à la théorie des idéaux par exemple). J’apprends moi aussi énormément de choses, sur l’histoire des mathématiques notamment, et cela me pousse à réfléchir à mon enseignement.

Utilisation en classe

Ces vidéos peuvent-elles servir en classe ? Je pense que oui.
À titre personnel, je les utilise de deux manières. Tout d’abord, certaines me servent à introduire une notion, comme les vidéos « Le livre impossible à lire » ou « La légende de Sessa » lorsque je débute le chapitre sur les puissances. Elles sont aussi utilisées comme support pour des activités comme la construction d’un ruban de Möbius ou d’un flexagone. Par ailleurs, lorsque j’ai l’occasion d’évoquer le nom d’un mathématicien en classe, ce que je fais régulièrement, et que nous avons une vidéo à ce sujet, je donne le lien aux élèves. En général, ils aiment bien connaître quelques éléments biographiques, même si tous ne regardent pas ce que je leur conseille.

Conclusion

Le tournage des vidéos pour cette chaîne Scienticfiz est une activité passionnante à tout point de vue. Ne nous voilons pas la face, c’est chronophage, mais tellement enrichissant que le jeu en vaut la chandelle. Je terminerai en remerciant vivement tous les élèves qui ont participé à ce projet depuis le début. Sans eux, sans leur engagement et leur enthousiasme, rien n’aurait été possible.

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Gilles Gourio enseigne les mathématiques au collège Henri Becquerel d’Avoine (37).

Pour citer cet article : Gourio G., « La chaîne Scienticfiz, pour ceux qui sont curieux de tout », in APMEP Au fil des maths. N° 540. 25 septembre 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/la-chaine-scienticfiz-pour-ceux-qui-sont-curieux-de-tout/.