Texte pour la mission mathématique
La mission mathématique Villani-Torossian a largement consulté lors de ses travaux et de nombreux acteurs du monde éducatif se sont fait entendre à cette occasion. En écho à l’article de Rémi Brissiaud dans ce même numéro, vous trouverez dans ce texte les constats et préconisations de l’Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques (ARDM) pour une meilleure formation en mathématiques.
Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques
© APMEP Juin 2018
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L’ARDM est une association dont le but est de développer la recherche en didactique des mathématiques en France et dans le monde (un tiers des adhérents sont étrangers). L’objet de la didactique des mathématiques est d’étudier les questions relatives à la transmission des savoirs mathématiques et leur appropriation par les élèves, tous les élèves. La recherche en didactique des mathématiques s’est constituée en France dans les années 70, à la suite de la réforme des mathématiques modernes, en lien avec un mouvement international démarré dans les années 60 (premier congrès ICMI à Lyon en 1969, création des conférences annuelles PME en 1976). Elle s’est donné pour but de créer une approche scientifique des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques, avec l’hypothèse que la prise en compte du contenu et de son épistémologie est un point essentiel pour conduire ces études, contre l’idée qu’il suffirait, pour bien enseigner, d’avoir de bonnes connaissances dans la discipline et des connaissances pédagogiques générales. Cette hypothèse (la nécessité de connaissances épistémologiques et didactiques) n’a cessé d’être confortée par les recherches menées à travers le monde depuis plus de quarante ans.
Les didacticiens des mathématiques ont choisi d’inscrire leurs recherches à l’intérieur des mathématiques (choisissant dès le départ un rattachement à la 26ème section du CNU), et plus récemment également en Sciences de l’Education. La plupart d’entre eux sont fortement impliqués dans la formation des professeurs dans les ESPE ou les universités.
Les travaux de recherche en didactique des mathématiques concernent tous les niveaux d’enseignement de la maternelle à l’université. Nous choisissons, dans ce texte, de développer nos réponses principalement à propos de l’école primaire parce que ce niveau de scolarité, concernant tous les élèves, joue un rôle fondamental : en mathématiques comme dans l’apprentissage de la langue, les retards pris en primaire sont très difficiles à rattraper et pèsent lourd pour la suite de la scolarité.
Existe-t-il vraiment des pédagogies efficaces ?
Il nous faut d’abord préciser la distinction entre pédagogie et didactique : la didactique prend en compte les spécificités des savoirs en jeu pour concevoir et étudier les situations d’apprentissage. Des savoirs pédagogiques généraux sont indispensables à l’enseignant pour gérer la classe, mettre en place et maintenir un climat de classe favorable au travail des élèves, à leur implication et à l’apprentissage. Cependant, il n’y a pas de méthode pédagogique qui permette l’apprentissage de contenus spécifiques sans prendre en compte de manière essentielle les savoirs en jeu.
Pour être efficace, l’enseignement doit reposer sur la dimension didactique de ce qu’on appelle habituellement la pédagogie, c’est-à-dire sur une analyse claire du contenu en lien avec les types de problèmes qu’il permet de résoudre et les difficultés d’apprentissage que peuvent rencontrer les élèves. Un enseignement efficace doit donc articuler trois axes : le savoir mathématique, les problèmes qui lui donnent du sens et ce que savent, croient, pensent les élèves. Et bien sûr, pour le mettre en œuvre, il faut aussi savoir conduire la classe. Il faut toutefois noter que la conduite de la classe dépend aussi de ce que l’on propose aux élèves.
La didactique des mathématiques (mathematics education à l’international) a donc cherché à savoir si tel ou tel choix d’enseignement est plus ou moins adapté pour atteindre tel ou tel objectif. Par exemple, la présentation des décimaux à partir de résultats de mesures dans le système métrique permet un premier accès facile mais engendre des erreurs sur l’ordre des décimaux (les élèves ont par exemple du mal à concevoir qu’on puisse toujours intercaler un décimal entre deux autres). Cependant, le lien avec le système métrique est important aussi parce qu’il renforce l’importance de la base dix dans l’étude des décimaux. Dès le début de la didactique, beaucoup de travaux se sont intéressés à cette question et ont étudié des situations d’approximation pour introduire les fractions et les décimaux.
Il n’y a pas de méthode qui fonctionnerait pour tous les élèves, mais il faut inclure dans l’apprentissage le plus possible d’élèves. Pour cela, la recherche vise à dégager des critères pour choisir des problèmes et des organisations de la classe dont elle peut vérifier qu’ils favorisent l’apprentissage. Elle vise aussi à identifier des phénomènes qui peuvent être des obstacles.
Par ailleurs, un professeur ne peut pratiquer efficacement qu’une pédagogie à laquelle il adhère, ce qui suppose qu’il la comprenne. Des travaux de recherche ont montré qu’on ne peut pas changer rapidement les pratiques des professeurs (voir question 8). Rappelons aussi que les professeurs sont soumis à différentes contraintes, parfois contradictoires, qui ont une incidence sur leurs choix et l’efficacité de leur pratique.
Rôle du constructivisme dans la didactique et « le cours » de mathématiques ?
Si on considère ce qui parcourt la sphère des enseignants, on peut penser que le mot est associé à l’idée que, pour apprendre, il est important que les enfants développent des activités (éventuellement autonomes), leur permettant de construire “eux-mêmes” leurs connaissances, et non en écoutant le professeur. Activités de fait souvent peu précisées, encore moins analysées, et sans toujours de suites en termes de savoir à acquérir. Activité est confondue avec action. Et on oublie l’importance de faire suivre les activités de l’exposition des connaissances (plus générales) à retenir, exposition qu’on peut associer aux phases d’abstraction du constructivisme.
Dans la recherche, des acceptions différentes du constructivisme piagétien ont été retenues au niveau international : le constructivisme « strict » ou « radical » (il suffit de mettre les élèves dans les « bonnes » situations) et un constructivisme qui considère que c’est à travers leur propre activité cognitive que les élèves s’approprient un contenu de savoir, mais que cette nécessité n’est pas une condition suffisante : l’enseignant doit y intervenir. Globalement, la didactique française retient cette deuxième acception, même si le constructivisme n’apparaît pas toujours au même endroit selon les cadres théoriques didactiques.
Au cours des années, les recherches en didactique se sont développées et les fondements théoriques se sont diversifiés en fonction du développement des recherches dans les champs disciplinaires qui peuvent contribuer à mieux comprendre la complexité des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage. Les travaux de Piaget ont naturellement été pris en compte au moment de la naissance de la didactique, mais pas seulement ceux-là, et depuis lors, les chercheurs en didactique des mathématiques prennent en compte les résultats publiés de nombreux champs de recherche (sociologie, sciences du langage, neurosciences, pour n’en citer que quelques-uns).
La place du calcul dans l’enseignement mathématique (primaire, collège, lycée)
La place du calcul est centrale ou plutôt transversale dans l’enseignement des mathématiques, dans la mesure où, quel que soit le domaine concerné, le calcul intervient à un moment ou un autre. Le calcul joue également un rôle important dans d’autres disciplines.
De nombreuses recherches en didactique des mathématiques, en France et à l’étranger, ont été conduites sur la question de l’apprentissage du calcul par les élèves et son enseignement en milieu scolaire. Ces recherches ont abouti à un large consensus que l’on peut résumer brièvement ainsi : le calcul se développe en interaction avec le travail sur les nombres et les grandeurs dans le cadre de la modélisation et de la résolution de divers problèmes. Il prend différentes formes : mental, partiellement écrit, avec des algorithmes écrits (techniques opératoires), avec des instruments (calculatrices, logiciels) d’abord avec des nombres puis avec des expressions littérales. Ces différentes formes doivent se compléter en visant à développer une intelligence du calcul (cf. rapport sur le calcul, commission Kahane).
En ce qui concerne l’école primaire, il est important de ne pas confondre apprentissage d’une opération et apprentissage d’une technique conventionnelle de calcul de cette opération.
La construction du sens des opérations, la mise au point de modes de représentation et de désignation (schéma, droite numérique, écritures arithmétiques) et l’élaboration de procédures de calcul sont simultanées. C’est en rencontrant des situations faisant intervenir des collections d’objets et des grandeurs relevant de telle ou telle opération que les élèves comprennent progressivement ce qui unifie ces situations, et peuvent élaborer des procédures de calcul adaptées pour les résoudre. Lorsque l’articulation entre le sens d’une opération, ses différentes désignations et des procédures de calcul associées est assurée, il est alors nécessaire d’étudier les techniques conventionnelles et de les entraîner et les automatiser. Cette étude contribue à enrichir le lien entre l’opération et le calcul puisque les techniques conventionnelles s’appuient sur les propriétés des opérations et de la numération décimale. Il peut donc y avoir un décalage important entre le moment où une opération commence à être travaillée et celui où la technique conventionnelle est introduite. De nombreuses recherches convergent sur la nécessité d’articuler l’étude de la numération et des différentes représentations et écritures des nombres avec l’étude des procédures de calcul.
Prenons l’exemple de la division telle qu’elle est enseignée en France. Dès le CP, des situations de partage ou de répartition équitables sont travaillées. Pour trouver la part de chacun dans un partage équitable, les élèves dans un premier temps utilisent du matériel pour bien comprendre la situation, puis très vite sont mis en situation de faire une prévision sans matériel qui sera ensuite validée par la manipulation. C’est dans cette phase de prévision que vont apparaître les modes de représentation de la situation, modes de représentation que le professeur fera évoluer jusqu’à l’introduction d’écrits arithmétiques liant nombres et signes opératoires. Ces situations de division sont travaillées tout au long du cycle 2, dans des contextes variés, faisant intervenir notamment divers types de grandeurs, dans des champs numériques de plus en plus étendus. Parallèlement les procédures de résolution évoluent, en s’appuyant par exemple sur la droite numérique graduée. Et c’est au CM1 que la technique conventionnelle française – la « potence » – est enseignée.
Les changements de programmes, beaucoup trop fréquents dans les dernières décennies ont contribué à une certaine désarticulation du curriculum et à une perte de repères pour les enseignants et les parents. Les rédacteurs des programmes de 2016, conscients de cet état des lieux, ont cherché à rétablir la cohérence indispensable dans l’enseignement du calcul sous toutes ses formes. Mais il est nécessaire de souligner qu’il faut du temps pour que l’ensemble des enseignants s’approprient les changements de programmes. On ne peut attendre des retombées positives sur les performances des élèves que sur un temps long.
L’importance du calcul ne doit pas faire oublier l’importance des autres domaines mathématiques. Les interactions entre les grandeurs, notamment les grandeurs géométriques et le calcul ont déjà été signalées. Mais la géométrie a une importance en elle-même, non seulement pour l’éducation du rapport à l’espace, mais surtout parce qu’elle contribue au développement de la rationalité et à l’approche de ce qu’est une théorie, ce qui est difficile à faire dans d’autres domaines. La géométrie permet d’apprendre à raisonner dans des problèmes non « algorithmisables ». Le maintien d’un enseignement de la géométrie des figures (et pas seulement de la géométrie analytique) est indispensable dans toutes les filières et en particulier pour de très nombreuses filières professionnelles, à un moment où l’algorithmique prend légitimement davantage de place dans les programmes. Par ailleurs, l’usage des logiciels – tels que Geogebra – permet aux professeurs d’articuler pour leurs élèves expériences visuelles, conjectures et preuves.
Pour le calcul littéral, dont on sait qu’il est un enjeu essentiel et un facteur important d’échec, l’articulation entre les dimensions sémantique et syntaxique est essentielle : il ne s’agit pas d’un jeu gratuit sur les écritures. Les situations de modélisation algébrique intra-mathématiques ou extra-mathématiques permettent de travailler ces articulations et de faire éprouver aux élèves la puissance de cet outil pour traduire la généralité, produire de nouveaux résultats et les prouver, sur divers types d’objets mathématiques (nombres, polynômes, matrices, fonctions etc.). Un travail continu doit être conduit tout au long du collège et du lycée et poursuivi dans l’enseignement supérieur sur la variété et la reconnaissance des formes (les patterns) et sur les compétences nécessaires pour choisir une forme adaptée au problème à résoudre.
L’introduction au lycée des premiers objets de l’analyse ne peut se faire de façon satisfaisante si les élèves n’ont pas assimilé les bases du calcul algébrique. L’expertise en calcul algébrique est d’autant plus importante qu’elle conditionne en grande partie la réussite à l’université des étudiants des filières scientifiques.
Les paliers d’acquisition pour le calcul et les automatismes sont-ils clairs pour tous les enseignants ou les chercheurs (primaire, collège, lycée) ?
Les concepts mathématiques sont porteurs d’une complexité, et ce dès le début de la scolarité. Cette complexité ne peut être réduite, sauf à tomber dans une simplification excessive et contraire à une compréhension solide des élèves. C’est pourquoi il est important de laisser du temps aux apprentissages mathématiques, de la souplesse dans l’organisation des enseignements (en ce sens les programmes par cycle peuvent être pertinents).
Concernant le « calcul », pour une notion donnée, il est important de comprendre la nécessité d’un apprentissage sur le long terme avec un enrichissement progressif de la notion, des situations qui la mobilisent et des techniques opératoires disponibles et travaillées.
Par exemple, la proportionnalité, rencontrée dès l’école primaire, est retravaillée au collège (en arithmétique élémentaire, puis avec le calcul littéral et ensuite avec les fonctions linéaires), puis encore au lycée, et l’on pourrait encore montrer des développements de cette notion à l’université. Les situations rencontrées et les types de grandeurs en jeu (situations multiplicatives, agrandissement-réduction, relations fonctionnelles, etc.) contribuent à construire petit à petit le sens de la proportionnalité et les procédés de calcul associés.
Si un ordre logique existe dans la définition des notions en mathématiques dans une théorie donnée, il paraît complexe de définir de réels paliers dans l’acquisition du calcul. Les programmes français, héritiers de leur histoire et nourris de nombreux travaux de recherche reconnus au plan international, ont fait certains choix (situations additives /soustractives préalables aux situations multiplicatives, arithmétique élémentaire préalable au calcul littéra…). Des travaux mettent aussi en évidence d’autres cohérences possibles qui conduisent à d’autres choix dans d’autres curriculums (introduction plus précoce de la division dans certains, de l’algèbre dans d’autres). Cependant, nous insistons sur l’importance de ne pas modifier trop souvent les curriculums. En effet chaque réforme nécessite du temps et des formations pour que les enseignants s’approprient les choix curriculaires, et fassent fonctionner pleinement l’articulation des contenus proposée par de nouveaux programmes.
Des problèmes pour faire des mathématiques ou des mathématiques pour faire des problèmes ?
Les problèmes sont constitutifs de l’activité mathématique. Sur le plan de l’épistémologie, ce sont les problèmes qui sont à l’origine de la construction des savoirs mathématiques nouveaux, sur le plan cognitif, les travaux mettent en avant le rôle essentiel que jouent les problèmes dans l’appropriation du sens d’un concept.
Par ailleurs, faire des mathématiques, c’est identifier des types de problèmes que l’on peut résoudre avec des outils connus ; c’est aussi résoudre de nouveaux problèmes en mobilisant et en adaptant ses connaissances (ce qui nécessite des compétences heuristiques, expérimentales, …). Dans l’apprentissage des mathématiques, le rôle des problèmes est donc central.
Différentes fonctions peuvent leur être attribuées dans l’enseignement : introduction de nouvelles notions, approfondissement de notions déjà rencontrées, développement de compétences heuristiques et de compétences liées au raisonnement et à la preuve, réinvestissement de connaissances, développement des compétences liées à la modélisation, etc. Il est fondamental de prendre en compte la diversité de ces usages.
Savoir choisir des problèmes pertinents pour les objectifs fixés, les proposer aux moments adaptés de l’apprentissage avec des modalités adéquates est une compétence importante. Pour cela, les enseignants de tous niveaux doivent avoir pratiqué la résolution de problèmes et avoir été formés aux usages des problèmes dans l’enseignement des mathématiques. De nombreux travaux de recherche ont été produits sur ce sujet et constituent des références pertinentes pour la formation.
La place de l’histoire des mathématiques dans la formation des maîtres
Introduire l’histoire des mathématiques dans la formation des enseignants remplit deux fonctions distinctes. La première consiste à faire vivre la dimension culturelle historiquement et géographiquement située des mathématiques pour tempérer l’idée d’une discipline universelle et intemporelle. La deuxième a pour visée de nourrir la réflexion didactique par la prise en compte de la dimension épistémologique des savoirs à enseigner, qui permet de questionner l’illusion de transparence de ces savoirs.
Sous certaines conditions, des activités impliquant l’histoire des mathématiques peuvent être des leviers pour intéresser les élèves et permettre des collaborations intéressantes avec des collègues d’autres disciplines.
Les mathématiques pour la voie professionnelle : est-ce une autre pédagogie/ didactique ?
Les mathématiques qui se rencontrent dans certaines professions ont pour fonction d’aider à résoudre des problèmes spécifiques, avec des techniques – et instruments- spécifiques de ces professions. Des concepts mathématiques spécifiques apparaissent aussi. L’enseignement dispensé en France en mathématiques dans la voie professionnelle est plutôt constitué par une réduction de ce qui se fait en enseignement général (étude en 2000).
Les enseignants ont besoin de compétences spécifiques pour être en mesure de relier les situations professionnelles et les savoirs académiques. Des ressources pour des situations d’enseignement-apprentissage des mathématiques en lien avec les problèmes des professions, aux différents niveaux de la scolarité, semblent nécessaires. Des collaborations, soutenues par l’institution, entre professeurs de mathématiques, d’atelier et des disciplines intermédiaires pourraient contribuer à leur développement.
Par ailleurs, comme les autres, les élèves des filières professionnelles ont besoin de donner du sens aux mathématiques qu’ils apprennent. Le profil particulier de ces élèves, souvent en échec scolaire lourd, oblige à un travail visant à les réconcilier avec la discipline et leur donner confiance, et aussi à une utilisation un peu spécifique des outils technologiques, pour leur permettre d’avancer sans être en permanence bloqués par des difficultés de calcul par exemple.
Qu’est-ce qu’un bon professeur de mathématiques ?
On pourrait sans doute répondre très simplement à la question : un bon professeur est un professeur qui sait faire apprendre, comprendre et aimer les mathématiques à ses élèves. Mais ceci ne dit pas quelles sont les compétences professionnelles nécessaires pour y parvenir. En appui sur les résultats des travaux de recherche, nous pouvons préciser ce que serait idéalement un bon professeur.
C’est un professeur qui sait analyser une notion en la replaçant dans le déroulement du curriculum et dans l’ensemble des notions qui lui sont liées, en prenant en compte l’état des connaissances de ses élèves sur le sujet. Il sait choisir, dans les ressources à sa disposition, une situation d’enseignement, un problème en fonction des objectifs d’apprentissage visés et l’adapter à la réalité de sa classe. Il sait choisir les modalités de travail qu’il propose à ses élèves en classe en fonction de ses objectifs d’apprentissage (en individuel, en binôme, en petits groupes ou en groupe classe) et le moment de ses interventions collectives ou individuelles. Il parvient à prendre en compte les différentes formes de raisonnement valides et erronées produites par les élèves et sait s’appuyer sur ce qu’ils font pour dégager ce qui est visé ou attendu, et développer les liens entre ancien et nouveau, entre général et particulier. Il sait prélever des informations avant, pendant et après le travail des élèves pour mesurer leur avancée dans l’apprentissage. Il met en évidence les nouveaux savoirs et leurs liens avec les savoirs déjà connus. Il sait concevoir les évaluations qui le renseigneront sur l’état de savoir de ses élèves, et en utiliser les résultats pour ajuster ses interventions futures et apporter l’aide nécessaire à certains.
L’ensemble de ces compétences montre clairement qu’enseigner est une profession, ce qui nécessite une formation professionnelle initiale et continue, appuyée sur les résultats des recherches en éducation, dont la didactique des mathématiques. Cette question est centrale si l’on veut espérer améliorer l’efficacité du système éducatif.
Pour qu’une formation en mathématiques permette à des étudiants d’apprendre à enseigner les mathématiques, les recherches montrent qu’il est nécessaire d’articuler plusieurs approches et non de les juxtaposer. En ce qui concerne les contenus mathématiques, il importe d’en reprendre et compléter certains, en y ajoutant une dimension historique et épistémologique à partir des questions qui se posent pour enseigner (organisation des savoirs et difficultés d’apprentissage). Il s’agit notamment de contenus qui ne sont pas ou plus enseignés dans le secondaire, par exemple la structuration de différents ensembles de nombres, la différence entre ordres dense et discret, la numération, des éléments d’arithmétique élémentaire, des éléments de géométrie élémentaire, les opérations sur les grandeurs, en particulier les grandeurs continues.
L’analyse didactique des mathématiques à enseigner et des conditions nécessaires à leur appropriation par les élèves permet de mettre en évidence des éléments sur lesquels l’enseignant peut et doit jouer pour choisir des situations d’apprentissage cohérentes et articulées entre elles et les adapter à sa classe. Les travaux nombreux sur l’étude des pratiques professionnelles des enseignants de classes ordinaires ou de classes de REP et sur l’effet des formations donnent également des éléments qui, combinés avec des observations de classe et des stages de pratique accompagnée, permettent aux stagiaires d’acquérir progressivement les compétences requises pour que les élèves qui leur seront confiés apprennent réellement des mathématiques et en comprennent l’intérêt.
Les recherches soulignent l’importance de la formation initiale car, sans formation, un professeur convoque et met en œuvre le modèle d’apprentissage qu’il a lui-même connu en tant qu’élève, et une fois ses pratiques professionnelles installées, il est difficile pour lui de les modifier. La formation continue est essentielle pour permettre un échange entre enseignants sur leurs pratiques et approfondir la pratique de chacun en y intégrant des apports de la recherche.
Les travaux de la COPIRELEM et de la CORFEM regroupant des recherches et des expérimentations donnent de très nombreuses pistes pour la formation des professeurs.
Cependant la question de la formation se pose différemment selon que l’on parle des professeurs de mathématiques et des professeurs des écoles car ces derniers sont des enseignants polyvalents qui ont un intérêt marqué pour les questions d’apprentissage, mais souvent un bagage scientifique réduit alors que leur rôle dans l’apprentissage des mathématiques est fondamental. En effet, tous les élèves de notre pays vont « faire des mathématiques » environ 5 heures par semaine au cours des années d’école primaire et les connaissances qu’ils auront – ou non – construites et acquises forment le socle des mathématiques enseignées ultérieurement, quelles que soient les filières. De nombreuses recherches ont donc porté sur la formation en mathématiques des professeurs des écoles.
Les « Startup pédagogiques » : une menace/une aide pour le professeur ?
L’innovation va de pair avec la recherche. En ce sens, les start-up qui traitent de l’enseignement des mathématiques ne peuvent faire l’économie d’un appui sur les résultats existants de la recherche et sur les équipes de recherche en didactique des mathématiques qui maillent le territoire. Des innovations technologiques sont d’ailleurs déjà produites ou accompagnées par la recherche française (les outils de géométrie dynamique par exemple, dont l’usage est aujourd’hui très répandu dans les curriculums internationaux). Si les modèles de diffusion de l’innovation ou des produits de la recherche peuvent varier (start-up, développement interne aux équipes de recherche, logiciels libres…), les start-up pédagogiques ne sont en elles-mêmes pas une menace pour l’enseignant et peuvent apporter des outils pertinents pour la classe ou pour le temps hors-classe. Mais au sujet de l’enseignement, il convient de se méfier des discours simplificateurs ou prétendant révolutionner l’apprentissage. Les enjeux sont complexes et trop importants : l’innovation doit se développer en partenariat avec la recherche pour apporter les garanties nécessaires avant de généraliser l’usage de telle ou telle innovation.
D’autres points, non évoqués ici, nous paraissent importants, notamment celui des ressources à disposition des enseignants (documents pédagogiques, manuels scolaires, sites internet…). Ces ressources sont de qualité inégale, il est donc indispensable de réfléchir à des critères à donner dans les formations pour le choix de ces ressources.
La formation des enseignants nécessite des formateurs qui sont à l’interface de la recherche et de la pratique enseignante. Il est donc primordial que l’institution promeuve la formation continue des formateurs et aussi leur formation initiale, notamment en soutenant les enseignants qui s’engagent dans des masters et des thèses liés à l’enseignement ou dans les travaux des IREM.
L’ARDM, et la communauté française de didactique des mathématiques, sont prêtes à apporter leur expertise afin d’accompagner la mise en place de réformes ambitieuses pour l’amélioration de l’enseignement des mathématiques, et notamment de la formation initiale et continue des enseignants.
NDLR : Ajoutons que, dans une lettre ouverte à M. Blanquer, ministre de l’Éducation Nationale, en date du 12 février 2018, Isabelle Bloch, présidente de l’ARDM s’étonne de la composition du Conseil Supérieur de l’Éducation Nationale récemment nommé. « En effet, dans ce conseil les chercheurs en sciences cognitives sont sur-représentés, avec aussi des philosophes, un mathématicien et un informaticien… et nous observons un silence assourdissant du côté des spécialistes de la didactique et des contenus enseignés dans le système scolaire ». Elle demande à ce que la composition du Conseil soit revue .