L’enseignement des mathématiques dans
le nouveau lycée général

Vous avez sûrement vu ou lu, en début d’année 2022, l’emballement médiatique autour de l’enseignement des mathématiques au lycée général. Nos collègues du bureau de l’APMEP ont été sollicités de toutes parts. Ils partagent ici quelques-unes de leurs réflexions pour un avenir meilleur des mathématiques¹

Bureau national de l’APMEP

© APMEP Juin 2022

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Il était temps qu’on nous écoute !

Un constat au goût amer

Il est vrai qu’il était nécessaire de mettre en place une réforme pour sortir du précédent système qui ne répondait pas à ses objectifs. La série Scientifique n’était plus une filière pour former des scientifiques mais était devenue une filière dite généraliste. Mais la réforme du lycée « Blanquer » n’a fait que mettre à mal l’enseignement des mathématiques et des sciences en général. Les chiffres sont accablants et démontrent ce que nous avions annoncé depuis le début. L’enseignement est devenu encore plus sélectif, le nombre d’heures de formation en mathématiques a baissé de manière importante et près de la moitié des élèves ne fait plus de mathématiques désormais, sans oublier le décrochage inquiétant des filles (cf. Communiqué de l’ensemble des sociétés savantes et associations de mathématiques du 7 février 2022 ).

Cette réforme n’a été qu’une véritable destruction de l’enseignement des mathématiques pour un grand nombre d’élèves. En Première générale, la seule solution pour faire des mathématiques est de choisir la spécialité mathématique, choix qui pour certains élèves n’en est pas un, mais plutôt une obligation pour leurs projets d’orientation. Les mathématiques sont sûrement l’une des seules disciplines à avoir un rôle si particulier. Elles sont essentielles pour de nombreuses disciplines car elles constituent un socle commun indispensable à l’ensemble des sciences, y compris économiques, humaines et sociales. Il semble que lors de la réflexion sur la réforme du lycée général, l’ensemble de ces éléments ait été complètement oublié. Les pouvoirs publics semblent en effet conférer une place ambiguë aux mathématiques dans la formation des élèves. Considérée comme discipline fondamentale jusqu’en fin de collège, elle est brusquement présentée comme secondaire voire marginale dans le lycée réformé.

Pourtant, offrir une formation de qualité en mathématiques pour toutes et tous est un enjeu majeur pour l’avenir de notre société et de notre pays. Les mathématiques sont essentielles pour relever les défis numériques, technologiques, climatiques et énergétiques du XXI^e siècle. De ce fait, elles occupent une place croissante dans le monde professionnel, où les compétences en ingénierie et en recherche scientifique sont plébiscitées et donnent accès à des emplois fortement qualifiés et rémunérés. Tout le monde s’entend sur le fait qu’elles sont un enjeu stratégique pour l’économie d’aujourd’hui et une étude de 2015² annonçait même que la valeur ajoutée qu’elles apportent représente 15% du produit intérieur brut. Ces problématiques sont régulièrement relayées dans des tribunes d’économistes, de philosophes, dans des éditoriaux, dans des reportages et interviews d’industriels ou de patrons d’entreprises, lors de forums d’entreprises consacrés aux mathématiques, ou encore par des enseignants, parents ou citoyens. Tous s’interrogent sur l’avenir de leurs enfants ou de la France face au déficit de formation scientifique et en particulier mathématique de la population. Ils corroborent nos alertes demeurées ignorées des pouvoirs politiques.

Une proposition ministérielle

Dans cette période électorale, le ministre de l’Éducation Nationale n’a pas eu d’autre choix que de nous écouter et il a nommé un comité de consultation sur « la place des mathématiques au lycée » piloté par Pierre Mathiot. Ce comité³ a publié son rapport après un travail de trois semaines. Il semble au vu de la lettre de saisine au président du CSP (Conseil Supérieur des Programmes) du 22 mars 2022 que le ministre ait retenu la proposition d’augmenter l’Enseignement Scientifique en Première⁴ d’une heure et demie en intégrant un « module spécifique dédié à un enseignement de mathématiques ». Cet enseignement aurait pour objectifs :

• d’assurer la continuité entre l’enseignement commun de mathématiques de Seconde et l’enseignement optionnel de Mathématiques Complémentaires de Terminale ;

• de favoriser l’acquisition des démarches mathématiques fondamentales et la maîtrise des outils nécessaires à la compréhension et à la modélisation élémentaire des phénomènes quantitatifs (statistiques, probabilités, analyse) ;

• d’établir les liens concrets avec les programmes et les perspectives des autres enseignements ;

• et de réconcilier avec les mathématiques un bon nombre d’élèves démotivés.

Au bureau, il nous semble que c’est mission impossible de répondre à l’ensemble de ces objectifs en une heure et demie! Et il est illusoire de croire que nous pourrons donner les bases suffisantes pour pouvoir suivre l’option Mathématiques Complémentaires alors que celle-ci s’appuie sur le programme de la spécialité Mathématiques de Première.

Notre idée : trois parcours de mathématiques au lycée

En ce qui concerne l’enseignement des mathématiques au lycée général, il y a effectivement trois objectifs différents :

• un enseignement pour faire des mathématiques et des sciences théoriques ;

• un autre pour utiliser les mathématiques dans d’autres disciplines ou dans des métiers (économie, métiers du bâtiment, médecine, psychologie, sociologie, création artistique, …) ;

• un dernier pour une culture générale du citoyen.

Il est illusoire de vouloir faire porter sur un tronc commun au lycée général tous les besoins identifiés de numératie et de mathématiques dans la société. Il est tout aussi illusoire de vouloir faire porter aux programmes du lycée général tous les besoins particuliers de toutes les disciplines académiques du supérieur (les outils des physiciens, des économistes, des informaticiens, des biologistes, des géographes, etc. ne sont pas les mêmes), ainsi que les mathématiques qu’ils utilisent, y compris dans des domaines très mathématisés de leurs disciplines. Les physiciens par exemple vivent plutôt dans un monde continu quand les informaticiens vivent plutôt dans un monde discret.

Le lycée ne doit donc pas (parce qu’il ne peut pas) répondre à des demandes trop spécifiques mais plutôt se concentrer sur la poursuite des apprentissages commencés plus tôt, en les complétant et éventuellement en les spécialisant. Ainsi, si on identifie trois grands types de « besoins », on peut essayer de se donner comme objectif de penser trois parcours de mathématiques au lycée général. C’est ce que l’APMEP propose avec un enseignement de tronc commun auquel s’ajouterait éventuellement une spécialité de mathématiques à choisir parmi deux :

• l’une avec un programme pouvant convenir à tous les élèves qui choisiraient de faire des mathématiques avancées ;

• l’autre avec un programme convenant davantage aux élèves choisissant de faire des mathématiques « outils ».

Se pose alors évidemment la question de l’articulation du tronc commun avec l’une ou l’autre des spécialités mathématiques. En effet, nous observons, en Enseignement Scientifique, le décalage entre des élèves spécialistes et des non-spécialistes, aussi les réunir dans une même classe peut être difficile à gérer.

Une réponse possible à ce problème peut être la suivante : si le tronc commun en mathématiques est de deux heures, alors un élève qui ne choisit pas de spécialité Mathématiques suivra ces deux heures avec un programme spécifique, alors qu’un élève qui choisit une des spécialités Mathématiques ne suivra pas ces deux heures mais aura six heures de spécialité en Première, au lieu de quatre. On gagne sur la gestion de l’hétérogénéité des acquis et des motivations des élèves, on perd sur l’idée d’une culture commune.

Une autre réponse possible est de concevoir un programme suffisamment décorrélé et complémentaire de l’enseignement de spécialité pour qu’il soit offert à tous les élèves sans que cela ne pose de problème particulier. Sans que ni spécialistes, ni non-spécialistes ne s’ennuient ou, pire, ne décrochent.

Nos idées sur les contenus à enseigner dans un tronc commun

Quand il est question de « mathématiques pour le citoyen », arrivent en général en bonne place les calculs, les pourcentages, éventuellement quelques éléments de représentation graphique… plus rarement le raisonnement, les principes élémentaires de la logique, la distinction entre corrélation et causalité. On cite encore plus rarement peut-être la capacité de modélisation ou certaines compétences géométriques. C’est pourtant en regardant tout ça à la fois que l’on pourrait concevoir un enseignement de fin de lycée, qui prolonge les acquis du collège et de la classe de Seconde, sans pour autant donner l’impression que l’on ressasse les notions étudiées depuis plusieurs années sans les dépasser.
Quelques pistes :

• le traitement statistique de données, avec des cas réels qui demandent de prendre le temps de se poser des questions sur les modèles choisis, les indicateurs utilisés, les modes de représentation des données, … Tout ceci demande du temps, peut être fait en lien avec d’autres disciplines et est susceptible de soulever des questions non triviales qui pourraient avantageusement compléter l’enseignement de spécialité tout en étant intéressant et utile pour tous les élèves ;

• la combinatoire, domaine des mathématiques usuellement un peu à part et pas toujours facile à enseigner, le plus grand obstacle étant en général le manque de temps pour manipuler, pour essayer, pour comparer, … Ce sont pourtant des mathématiques que l’on pratique très tôt, qui ne demandent aucun prérequis et qui de manipuler, de travailler la modélisation, de passer progressivement à l’abstraction. Là encore, on peut imaginer des problèmes à explorer qui soient motivants pour les élèves les plus avancés sans être décourageants pour les autres ;

• les graphes, outils importants en modélisation dans de nombreux domaines, en particulier en SHS (Sciences Humaines et Sociales) ou en informatique ;

• l’arithmétique, endroit idéal pour continuer de travailler la démonstration ;

• la géométrie du triangle avec par exemple, les questions posées par la construction en origami sont riches de démonstrations utilisant les triangles semblables, le théorème de Thalès et le théorème de Pythagore… ;

• la géométrie dans l’espace ; l’étude des permutations, en lien avec combinatoire et arithmétique ; l’étude de systèmes de numération (en lien avec arithmétique) ; les statistiques à deux variables, ce qui permettrait de parler de corrélation ; les usages de logiciels, notamment le tableur, qui permet de faire, au passage, de l’algorithmique ; la logique ; etc.

Tous ces contenus, s’ils étaient dans un enseignement de tronc commun, n’auraient aucun besoin de figurer dans les programmes de spécialité… Mais ils compléteraient avantageusement la formation mathématique des élèves spécialistes.

Nos idées sur la forme que pourrait prendre l’enseignement de tronc commun

Rappelons que le tronc commun ne fait l’objet d’aucune épreuve terminale, ce qui laisse un peu de liberté sur les méthodes et sur la différenciation possible. On pourrait alors tout à fait imaginer, sur la forme, un programme du type de celui d’EMC (Enseignement Moral et Civique  ). Pour cet enseignement, une thématique est attachée à chaque année du lycée (général et technologique), chacune d’elles comprend deux axes. Puis, dans chaque axe, des domaines sont proposés : le professeur doit en choisir deux au moins.

Sans essayer d’utiliser la même structure, on pourrait tout à fait imaginer par exemple :

• trois domaines (gestion de données, nombres, figures) ;

• des « outils » devant être utilisés dans l’année (logiciels, histoire des mathématiques, outils pour la géométrie, …) ;

• quelques objectifs de connaissance et de savoir-faire, très modestes mais qui doivent être dépassés par tout le monde et qui constituent la partie commune des acquis « mesurables ».

Les enseignants auraient ensuite toute latitude pour organiser cet enseignement comme ils le souhaitent.

Pour conclure

La question de l’enseignement des mathématiques et des sciences en général au lycée est complexe et nécessite de réfléchir d’une part aux deux spécialités répondant aux besoins spécifiques de poursuite d’étude de tous les élèves et d’autre part à une nouvelle forme / un nouveau contenu pour un tronc commun concourant à la formation de citoyen de tous les élèves jusqu’en Terminale.

Elle ne pourra pas être résolue par l’annonce rapide d’une mesure au risque de faire échouer les objectifs fixés sur la place des mathématiques (sans discrimination de niveau, de formation, de sexe, ni d’origine sociale).

C’est pourquoi il nous semble plus qu’urgent qu’une remise à plat de la structure du lycée soit réalisée par un groupe de travail composé de tous les acteurs concernés, désignés de façon collégiale. Nous avons des idées, comme vous avez pu le lire ci-dessus, et nous saurons proposer une structure et des idées de programme qui seront bénéfiques à toutes et tous !

Et vous, qu’en pensez-vous ? N’hésitez pas à nous faire part de vos réflexions.