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Barycentres (suite 7)
© APMEP Juin 2020
2.3 Un peu de physique
L’intention n’est pas originale; il s’agit de défendre l’idée qu’un enseignement des mathématiques moins désincarné est susceptible de favoriser la compréhension en donnant plus de sens aux problèmes donc aux concepts leur apportant des réponses. On se propose d’aborder brièvement la question des équilibres physiques.
Le concept de barycentre est d’origine physique comme l’atteste déjà l’étymologie. Plus précisément, il est lié au problème de la composition des forces appliquées à un solide (indéformable). Un cas simple est celui de la balance ou du levier dans lequel les forces sont parallèles (forces de gravité). La statique (étude des équilibres des systèmes matériels dans un référentiel galiléen) résout ce problème, empiriquement depuis la Préhistoire, théoriquement depuis Archimède au moins.
Traditionnellement on distingue trois types de levier selon la position du point d’appui par rapport aux points d’exercice de la force de « puissance » \(F_P\) et de celle de « résistance » \(F_R\) bien illustrés par le pied de biche, le massicot et l’avant-bras. Dans tous les cas, en supposant les forces parallèles, la condition d’équilibre s’écrit \(F_P\times r_P=F_R\times r_R\) où \(r_P\) et \(r_R\) sont les bras de levier ce qui fournit \(F_P\) en fonction des données. Mais, tout aussi bien, connaissant le type de levier et les forces \(F_P\) et \(F_R\) on peut déterminer la position du point d’appui. Bien évidemment tout est plus simple si on dispose de grandeurs orientées, mesures algébriques ou vecteurs30.
Composition des forces
Un certain nombre de questions théoriques se posent, depuis au moins l’Antiquité grecque, autour de la statique : peut-elle se déduire de la géométrie ? Peut-elle être pensée indépendamment du mouvement ? Qu’est-ce-qu’une force ? Comment modéliser les forces ? Pourquoi les forces s’additionnent-elles comme des vecteurs et quels genres de vecteurs ? Belles questions, belles enquêtes, belles polémiques en perspective mais hors de propos ici.
Pendant une bonne partie du XXe siècle, les lois de la statique ont été enseignées au lycée à partir de l’expérience, d’abord en mathématiques, puis en physique et enfin en sciences de l’ingénieur. De nos jours la mécanique enseignée fait de la statique un sous-chapitre de la dynamique (étude des mouvements des systèmes matériels dans un référentiel quelconque) le principe fondamental de la statique (PFS) se déduisant du principe fondamental de la dynamique.
On peut formuler ce PFS dans le cas de machines simples comme le levier ou la balance; on a besoin de préciser quelques points :
toutes les grandeurs géométriques ou physiques, scalaires ou vectorielles seront considérées comme sans dimension — un système d’unités cohérent étant supposé fixé — et toutes les relations mettant en jeu ces grandeurs comme des relations sur leurs mesures ; dit simplement, il faut penser dans \( \mathbb{R}^n\) mais sans retourner aux coordonnées donc calculer sur des scalaires et des vecteurs « purs »;
la salle de classe est considérée comme un repère galiléen (pendant la durée de la lecture ) et l’espace est modélisée comme un espace affine euclidien orienté \((\mathscr{E},E)\) de dimension trois;
le contexte est euclidien : les vecteurs dits libres ont un module (qui est une grandeur), une direction et un sens;
les forces considérées sont modélisées chacune par un vecteur lié c’est-à-dire un couple (mathématique) formé d’un point d’application et d’un vecteur libre; la droite passant par le point d’application et dirigée par le vecteur force est appelée droite d’action; un système de forces est un ensemble fini de forces \((\mathsf{A}_k,\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F_k\mkern2mu})\)31; un couple est un système de deux forces \((\mathsf{A}_1,\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu})\) \((\mathsf{A}_2,\,-\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu})\) avec \(\mathsf{A}_1
\neq \mathsf{A}_2\). La somme du système est le vecteur \(\displaystyle\sum_k
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F_k\mkern2mu}\); si elle est non nulle, on l’appelle la résultante;
le moment d’une force \((\mathsf{A},\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F\mkern2mu})\) par rapport à un point quelconque \(\mathsf{O}\) est défini comme le produit vectoriel32 \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut\mathsf{OA}\mkern2mu} \wedge
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu}\); ce produit est indépendant de la position du point \(\mathsf{A}\) sur la droite d’action de la force; le moment par rapport à un axe \(\Delta=\mathsf{O}+ \mathbb{R}\overrightarrow{\mkern0.1mu u\mkern1mu}\) (\(\overrightarrow{\mkern0.1mu u\mkern1mu}\) unitaire) est défini comme le produit mixte \(\left[\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{OA}\mkern2mu},\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F\mkern2mu},\,\overrightarrow{\mkern0.1mu
u\mkern1mu}\right]=\left(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{OA}\mkern2mu}\wedge \overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F\mkern2mu}\right)\cdot\overrightarrow{\mkern0.1mu u\mkern1mu}\); cette grandeur scalaire mesure la capacité à faire tourner le solide auquel s’applique la force \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu}\) autour de l’axe considéré, son signe codant conventionnellement le sens de rotation; si l’axe est perpendiculaire au plan \((\mathsf{O},\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{OA}\mkern2mu},\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu})\), le moment se réduit à la mesure algébrique du vecteur \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut\mathsf{OA}\mkern2mu}\wedge
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu}\) selon \(\overrightarrow{\mkern0.1mu u\mkern1mu}\); si de plus, \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut\mathsf{OA}\mkern2mu}\) et \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu}\) sont orthogonaux, la mesure algébrique du produit vectoriel est le produit des mesures algébriques de ces vecteurs (avec une orientation ad hoc); on peut alors se passer du produit vectoriel et ne parler que de moment algébrique; c’est le cas pour le levier; enfin, la connaissance du moment en \(\mathsf{O}\) de \((\mathsf{A},\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu})\) (\(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu} \neq
\overrightarrow{\mkern0.1mu 0\mkern1mu}\)) détermine la position du point d’application \(\mathsf{A}\) de la force; le moment en \(\mathsf{O}\) d’un système de forces est défini comme la somme \[\sum_k\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut\mathsf{OA}\mkern2mu}_k\wedge
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F_k\mkern2mu};\]
Il reste à définir l’équilibre; une définition très forte consiste à dire qu’un système matériel rigide est en équilibre dans un référentiel galiléen si tous ces points sont immobiles dans le référentiel considéré; il est plus simple de dire qu’un solide rigide est en équilibre sous l’action d’un système de forces extérieures si le PFS est vérifié…
Examinons un cas de formulation du PFS. Supposons notre solide soumis à trois forces extérieures \((\mathsf{A}_1,\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_1\mkern2mu}),\,(\mathsf{A}_2,\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_2\mkern2mu}),\,(\mathsf{A}_3,\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_3\mkern2mu})\).
Le PFS énonce deux conditions pour l’équilibre :
\(
\tag{9}\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_1\mkern2mu}+\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_2\mkern2mu}+\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_3\mkern2mu}=\overrightarrow{\mkern0.1mu 0\mkern1mu}
\quad\text{pas de mise en translation}\) il existe33 un point \(\mathsf{O}\) tel que \(
\tag{10}
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut \mathsf{OA}_1\mkern2mu}\wedge
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F_1\mkern2mu} +
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut \mathsf{OA}_2\mkern2mu}\wedge
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F_2\mkern2mu} +
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut \mathsf{OA}_3\mkern2mu}\wedge
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F_3\mkern2mu}
=\overrightarrow{\mkern0.1mu 0\mkern1mu}
\quad\text{pas de mise en rotation}
\)
Ces conditions sont a priori nécessaires; elles sont suffisantes si le système était au repos avant l’application de ces forces.
En appliquant ceci à la balance romaine idéalisée (sans masse et frottement), et en supposant que les forces de gravité appliquées en \(\mathsf{A}_1\) et \(\mathsf{A}_2\) sont parallèles, on a \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_1\mkern2mu}=m_1\,\overrightarrow{\mkern0.1mu g\mkern1mu}\), \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_2\mkern2mu}=m_2\,\overrightarrow{\mkern0.1mu g\mkern1mu}\); \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F_3\mkern2mu}\) est la force de réaction au point \(\mathsf{A}_3\) d’accroche de l’anse donc \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F_3\mkern2mu}=-(m_1+m_2)\,\overrightarrow{\mkern0.1mu g\mkern1mu}\).
([equa10]) s’écrit alors \[\left(m_1\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{A}_3\mathsf{A}_1\mkern2mu}+m_2\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{A}_3\mathsf{A}_2\mkern2mu}\right)\wedge \overrightarrow{\mkern0.1mu
g\mkern1mu}=\overrightarrow{\mkern0.1mu 0\mkern1mu}\] qui équivaut, dans le cas étudié, à \[m_1\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{A}_3\mathsf{A}_1\mkern2mu}+m_2\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{A}_3\mathsf{A}_2\mkern2mu}=\overrightarrow{\mkern0.1mu 0\mkern1mu}\] ce qui positionne chaque point connaissant celles des deux autres, en particulier \(\mathsf{A}_3\) est barycentre de \((m_1,\,\mathsf{A}_1)\) et \((m_2,\,\mathsf{A}_2)\). On retrouve la loi d’équilibre connue d’Archimède : \[\frac{m_1}{m_2}=\frac{\mathsf{A}_3\mathsf{A}_2}{\mathsf{A}_3\mathsf{A}_1}\cdotp\] On observera que ce qui précède ne suppose rien sur l’inclinaison du fléau par rapport à l’horizontale sauf qu’il n’est pas vertical.
On peut refaire le travail avec un nombre quelconque de forces de gravité appliquées à une tige ou par exemple appliquées à une roue verticale idéale mobile autour de son axe. On met en évidence à chaque fois un point particulier en lequel s’applique la résultante des forces qu’on appelait autrefois le centre des forces parallèles alias le centre de gravité du système. Cette appellation provient du fait — prouvé dans ce qui précède — que le point d’application de la résultante des forces parallèles ne dépend pas de la direction de ces forces, ce qui permet de trouver expérimentalement le centre de gravité d’une plaque pesante en la suspendant en deux points différents et en traçant les verticales passant par ces points.
Il est intéressant d’examiner la façon dont le problème de la composition des forces parallèles était résolu dans le cours de statique graphique à la fin du siècle.
On utilise trois propriétés de base :
-
on ne modifie pas l’action d’un système de forces en lui « ajoutant » un système de forces opposées;
-
on ne modifie pas l’action d’un système de forces en déplaçant une force du système le long de sa ligne d’action;
-
le système de forces \(\left\{(\mathsf{M},\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F\mkern2mu}_1),\,(\mathsf{M},\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F\mkern2mu}_2)\right\}\) a la même action que la force unique \((\mathsf{M},\,\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
F\mkern2mu}_1+\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu}_2)\).
Dès lors, le système \(\left\{\left(\mathsf{A},\,\overrightarrow{a}\right),
\,\left(\mathsf{B},\,\overrightarrow{b}\right)\right\}\) est équivalent au système \(\left\{\left((\mathsf{A},\,\overrightarrow{a}\right),\,
\left(\mathsf{A},\,\overrightarrow{f}\right),\,
\left(\mathsf{B},\,\overrightarrow{b}\right),\,
\left(\mathsf{B},\,-\overrightarrow{f}\right)\right\}\) où \(\overrightarrow{f}\) est quelconque (non nulle), lequel équivaut au système \(\left\{\left(\mathsf{A},\,\overrightarrow{u}\right),\,
\left(\mathsf{B},\,\overrightarrow{v}\right)\right\}\), lequel est équivalent à la force unique \(\left(\mathsf{O},\,\overrightarrow{u}+\overrightarrow{v}=
\overrightarrow{a}+\overrightarrow{b}\right)\). D’où la position du centre de gravité \(\mathsf{G}\) en supposant le levier \(\mathsf{AB}\) sans masse.
Pour ce qui concerne la statique, on peut suggérer la lecture du petit bijou de l’architecte Paul Sandori [16].
Géométrie des masses
L’expression « géométrie des masses » remonte au milieu du siècle pour désigner un corps de doctrine « qui aurait pour objet la distribution géométrique des masses dans les systèmes matériels, indépendamment de toute notion de force ou de mouvement ». La géométrie des masses constitue encore aujourd’hui un chapitre systématique des cours de sciences de l’ingénieur des classes de lycée.
Les mécaniciens distinguent, subtilement, le centre de gravité du centre de masse. Ce dernier est un concept purement géométrique. Pour l’étudier même superficiellement, on a besoin d’une définition et d’une propriété d’existence et d’unicité. La question n’est pas simple. Le lecteur curieux pourra consulter [4] pour des développements originaux34.
Le centre de masse d’un système fini de points matériels massifs \(m_k\,\mathsf{A}_k\) (\(m_k \geqslant 0\) a priori) est simplement leur barycentre caractérisé par l’égalité vectorielle \(\sum_k m_k
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{GA}_k\mkern2mu}=\overrightarrow{\mkern0.1mu 0\mkern1mu}\). Il coïncide donc avec le centre de gravité au sens du paragraphe précédent.
Pour définir le centre de masse d’un système à la géométrie raisonnable et présentant une répartition continue de masse (une tige, une plaque, une voile tendue, un avion, un navire, un astéroïde), on ne peut échapper à un passage à la limite et à l’introduction d’intégrales. Le principe est plutôt simple; on subdivise le système en morceaux assez petits pour être « assimilés » à des points matériels; le système de points matériels obtenu possède un centre de masse; le physicien, toujours pragmatique, n’a plus qu’à passer tranquillement à la limite en remplaçant les \(\displaystyle\sum\) par des \(\displaystyle\int\).
Le centre de masse peut ainsi se définir à l’aide d’une intégrale, vectorielle certes, \[\int_{\mathsf{X}\in S}\hspace{-1em}m(\mathsf{X})\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut
\mathsf{GX}\mkern2mu}\mathrm{d}\,\mathsf{X}=\overrightarrow{\mkern0.1mu 0\mkern1mu}\] intégrale — simple, double ou triple — selon la géométrie de \(S\) et dans laquelle \(m(\mathsf{X})\) est la densité — linéique, surfacique, volumique — en \(\mathsf{X}\). Le lien entre la somme discrète et l’intégrale n’est pas simple à établir; on trouvera dans [17] une friandise accessible à des lycéens découvrant le calcul intégral. Dans la suite, nous allons nous passer de cette définition en admettant l’existence et l’unicité. Est utile un petit nombre de propriétés qui ne sont que des généralisations de celles connues pour les barycentres — c’est tout l’intérêt du thème. Pour simplifier, on peut se limiter à des corps homogènes ayant des formes géométriques simples.
Nous donnons quelques idées formulées dans le cas de corps plans homogènes qui peuvent être étendues à des réunions finies de tels corps; la mesure utile est donc l’aire.
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Utilisation des symétries : le centre de masse d’un disque est bien entendu son centre \(\mathsf{O}\); ceci se déduit du fait que la symétrie centrale de centre \(\mathsf{O}\) laisse le disque globalement invariant et \(\mathsf{O}\) fixe; l’homogénéité supposée et l’unicité du centre de masse fait le reste. Le raisonnement vaut pour tout corps possédant un unique centre de symétrie. Si le corps possède un axe de symétrie, le centre de masse lui appartient; et la symétrie n’a pas besoin d’être une isométrie : le centre de masse est une notion affine35; toute application affine ayant au moins un point fixe peut être utilisée.
Attention aux réciproques qui sont fausses : la considération d’un système fini permet de voir que les masses des points massifs n’ont pas besoin d’être égales pour que le centre de symétrie éventuel du système soit le centre de masse; et il n’est même pas nécessaire que deux points massifs symétriques aient la même masse.
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Généralisation de l’associativité : si le corps \(\Sigma\) est réunion (disjointe, finie) de systèmes \(\Sigma_k\) ayant chacun comme masse \(m_k\) et comme centre de masse \(\mathsf{C}_k\), le centre de masse de \(\Sigma\) est le barycentre des points massifs \((m_k\,\mathsf{C}_k)\). Cette propriété fonctionne avec des masses négatives qui permettent de modéliser des « trous » dans le système.
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Passage à la limite sur les corps : on dit qu’une suite \((\Sigma_n)\) de corps plans homogènes converge vers le corps plan homogène \(\Sigma\) si la suite des aires des différences symétriques \(\Sigma \Delta \Sigma_n\) converge vers \(0\). On peut alors démontrer le passage à la limite des centres de masses : la suite des centres de masse des \(\Sigma_n\) converge vers le centre de masse de \(\Sigma\). Cette propriété est utilisée par Archimède sous la forme d’un raisonnement par exhaustion qui permet de contourner le passage à la limite.
Comme illustration très simple, empruntons à David Treeby [18] une utilisation remarquable du centre de masses et de ses propriétés. Il s’agit de démontrer la célèbre identité \[\sum\limits_{k=1}^n k=\frac{n(n+1)}{2}\cdotp\]
Sur la droite réelle, il place une masse unité aux abscisses \(k\), \(1
\leqslant k \leqslant n\); le système possède un unique centre de symétrie à l’abscisse \(\dfrac{n+1}{2}\) qui est donc le centre de masse du système. On en déduit que \[\frac{\displaystyle\sum_{k=1}^n 1 \times k}{\displaystyle\sum_{k=1}^n 1}=\frac{n+1}{2}\] d’où l’identité. Le lecteur trouvera dans la thèse de Treeby de nombreuses exemples de déterminations d’identités combinatoires utilisant les propriétés du centre de masse et pas seulement en dimension \(1\).
Ouvrons une parenthèse historique. En 1586, Simon Stevin36 publie en flamand un traité de statique rédigé selon les canons des traités euclidiens de géométrie [19]. Il déduit la loi des leviers de quelques principes simples et étudie le centre de gravité des « plans » et des « solides ».
Admettons que le centre de gravité d’une barre rectiligne homogène pesante est son milieu et que dans les problèmes d’équilibre, une telle barre puisse être remplacée par une masse placée (ou accrochée au bout d’un fil) en ce milieu sans modifier l’équilibre.
On veut déterminer la position du centre de gravité de deux masses \(2a\) et \(2b\) placées aux extrémités d’un levier sans masse \(PQ\). Remplaçons la masse \(2a\) (respectivement \(2b\)) placée en \(\mathsf{P}\) (respectivement \(\mathsf{Q}\)) par une barre homogène centrée en \(\mathsf{P}\) (respectivement \(\mathsf{Q}\)) de densité telle que les barres se touchent, en \(\mathsf{B}\).
Imaginons les deux barres soudées en \(\mathsf{B}\); le centre de gravité de la barre homogène \(\mathsf{AC}\) est alors son milieu \(\mathsf{I}\) qui est aussi le centre de gravité cherché. On montre que \(\mathsf{I}\) est entre \(\mathsf{P}\) et \(\mathsf{Q}\), et plus près de \(\mathsf{P}\) que de \(\mathsf{Q}\) si \(a>b\). Par ailleurs un calcul simple fournit \[\frac{\mathsf{IP}}{\mathsf{IQ}}=\frac{b}{a}\] qui est la loi des leviers d’Archimède.
Ce traité, traduit en français par Albert Girard en 163437, est à mettre entre toutes les mains.
La recherche des centres de masses est un thème particulièrement bien exploré dans les manuels de mécanique de lycée — partie du cours de mathématique jusqu’en 195738. La brochure [20] explore ce sujet.
Un cas très instructif est celui du triangle qui, géométriquement, peut être vu comme un triplet de points, un polygone de trois côtés, une plaque triangulaire intersection de trois demi-plans.
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Le cas de trois masses (égales) placées aux sommets du triangle conduit à l’isobarycentre.
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Le cas des côtés-tringles se traite en remplaçant chaque tringle par une masse égale à sa longueur placée au milieu du côté ce qui conduit au centre du cercle inscrit dans le triangle médial.
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On ne peut pas trouver le centre de masses d’une plaque triangulaire sans passage à la limite (à moins d’admettre que le centre de masses est une notion affine). Simon Stevin procède ainsi : il inscrit dans le triangle des parallélogrammes avec un côté parallèle à la base du triangle et l’autre parallèle à la médiane.
Le centre de masse de chaque parallélogramme est son centre donc situé sur la médiane et le centre de masse de ces parallélogrammes est aussi sur la médiane. En inscrivant une infinité de triangles, qui se réduisent chacun à un segment, et remplissent donc le triangle, le centre de masse reste sur la médiane. Pour justifier cet emploi de l’infini (Cavalieri n’est pas encore né), il utilise un argument euclidien du type exhaustion : « & tant plus il y en a, tant moins différeront-ils du triangle ». Il en déduit que le centre de masse du triangle-plaque est aussi l’isobarycentre.
Le cas du quadrilatère (plaque) est aussi particulièrement intéressant. Notre collègue Lubczanski nous propose dans [17] une étude comparée de la solution du mathématicien et de celle du physicien.
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Grandeurs qui n’apparaîtront en physique que dans les programmes de 1966. ↩
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Il conviendrait de définir l’égalité de tels systèmes par l’intermédiaire d’une relation d’équivalence, ce qui est fait dans la théorie des torseurs que nos collègues de sciences de l’ingénieur enseignent dès la classe de Première. ↩
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Le lecteur pourra se demander dans quel(s) espace(s) vectoriel(s) vivent les trois grandeurs vectorielles \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut \mathsf{OA}\mkern2mu}\), \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu}\) et \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut \mathsf{OA}\mkern2mu} \wedge
\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut F\mkern2mu}\). ↩ -
On a ici une propriété « un/tous » ; s’il existe un tel point et si la résultante est nulle, tous les points conviennent ; mais il peut ne pas en exister, comme dans le cas d’un couple. ↩
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On y propose une démonstration d’existence et d’unicité du centre de masse basée sur l’utilisation de suites de Cauchy; de biens belles mathématiques donc. ↩
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Ce point est non trivial; l’intervention de l’infini est inévitable. ↩
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Simon Stevin (1548-1620) est un ingénieur et mathématicien hollandais. ↩
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Réédité par ACL-éditions en 1987. ↩
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Date à vérifier. ↩
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