Comprendre le langage mathématique

Le saviez-vous ? Le laboratoire de recherche brésilien MateGramàtìca s’est spécialisé dans l’étude du langage mathématique et en a extrait plusieurs dialectes, dont il identifie et formalise les règles de grammaire. Vous n’êtes pas au bout de vos surprises…

Sueli Cunha

© APMEP Juin 2018

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Le langage mathématique peut être vu comme une langue étrangère. Prenons, par exemple, l’expression « La somme des dix premiers nombres pairs positifs ». Elle transmet une idée qui signifie « l’opération d’addition ayant dix termes, correspondant aux dix premiers nombres pairs positifs ». Cette idée pourrait être transmise, en portugais, par « A soma dos dez primeiros números pares positivos  ». En langage mathématique, cette phrase est écrite comme

\[2+4+6+8+10+12+14+16+18+20\]

ou, de façon équivalente,

\[\sum_{i=1}^{10} 2i.\]

Cependant, pour bien comprendre ce qui est dit dans un langage, il est important de connaître sa grammaire ; c’est-à-dire, son alphabet, sa syntaxe et sa sémantique. Wittgenstein (2010) (cité par Ruy[6] ) voit les règles grammaticales d’un langage comme les règles d’un jeu ; c’est ce qu’il dénomme jeu de langage. Dans les deux cas, des « pièces » sont utilisées à des moments appropriés, dans le but d’obtenir la victoire (dans le cas d’un jeu) ou d’écrire correctement des mots et des phrases (dans le cas d’un langage). Par exemple, en français, on ne met jamais un accent sur la lettre e , avant deux consonnes identiques. De même, on double souvent les consonnes l et t , après une voyelle e, pour obtenir le son è (ouvert). La première règle est une règle d’écriture ; la seconde est à la fois une règle d’écriture et de lecture.

De même, en langage mathématique, quelle est la différence entre \(2x\), \(x^2\) et \(x_2\) ? La position des « lettres » dans ces mots changent leur lecture comme leur sens. Cependant, comme le langage mathématique n’a pas d’oralité, la lecture d’une expression en ce langage se fait à l’aide d’une langue naturelle.  Ces expressions sont, parfois, lues (en français) comme « deux iks », « iks  deux » et (également) « iks deux », respectivement. Cette façon de les lire est le début d’un problème de compréhension. Ce qui est fait là, c’est la lecture des mots, « symbole par symbole », sans souci d’en comprendre le sens. Un premier pas pour faire la différence entre elles est de les lire en explicitant l’opération ou le sens des symboles, en chaque expression. Autrement dit, \(2x\) doit être lue comme « deux fois iks »  (et signifie « le double de iks » ; c’est-à-dire, la somme de \(x\) et \(x\)) ; \(x^2\), comme « iks à la puissance deux » ou encore « iks au carré » (et signifie la multiplication1 de \(x\) par \(x\)) ; finalement, \(x_2\), comme « iks, indice deux » (et représente le deuxième élément d’une suite ordonnée).

Comme l’ont remarqué Bélanger et De Serres[1], les élèves confondent très souvent les expressions \(k^n\), \(x^n\) et \(n^x\). Comment les lire ? Que signifient-elles ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de connaître, par exemple, les règles de formation des mots. Cunha[2]  ajoute que pour que deux personnes communiquent, à travers un langage, il est nécessaire que chacune connaisse les règles du « jeu de langage » (ou la grammaire du langage) utilisé. Il est important de remarquer qu’au même titre que les langues naturelles, le langage mathématique possède également des dialectes, par exemple ceux que nous avons baptisés l’arithmétiquais, l’algébrais, le géométriquais et le logiquais.

La grammaire du langage mathématique

D’après le dictionnaire Larousse[4], une grammaire est un « ensemble de règles qui président à la correction, à la norme de la langue écrite ou parlée ». Voici quelques règles et conventions du langage mathématique, en démarrant par l’alphabet, suivi par quelques catégories grammaticales des mots, aussi bien que des façons de former des mots (par dérivation ou par composition) et quelques notions de ponctuation.

L’alphabet

D’ après le dictionnaire Larousse [4], l’alphabet est l’« Ensemble des lettres, des chiffres et des signes nécessaires pour la composition des textes ».  Ainsi, l’alphabet du langage mathématique est formé par les 26 lettres de l’alphabet latin, les lettres de l’alphabet grec, les chiffres et des symboles.

Ces lettres ne doivent pas être présentées d’emblée, lors d’un premier contact avec l’alphabet du langage mathématique (contrairement à ce qui se passe lors de l’alphabétisation dans une langue naturelle). Il n’est pas utile de présenter la lettre « \(\partial\) » (le symbole de dérivée partielle) à un élève des premières années, étant donné que cette lettre ne sera utilisée au mieux que dans l’enseignement supérieur.

Catégorie grammaticale des mots et identifiant

Les mots en français se regroupent en catégories (par exemple: nom, adjectif, verbe, adverbe, etc.), qui à leur tour peuvent avoir des sous-catégories (par exemple : adverbe de manière, de temps, de lieu, etc.). De même, des catégories grammaticales sont identifiées en langage mathématique. Par exemple, constante, variable, indice, proposition, entre autres ; quelques-unes ont également des sous-catégories (par exemple : variable entière, réelle, etc.). Pour chaque catégorie et sous-catégories, il y a une norme pour les identifier. Ainsi, en prenant ces quatre catégories, par exemple, on a généralement :

  1. constante : une valeur fixe, qui peut être connue ou pas ; si elle est connue, elle est décrite par des chiffres. Si elle n’est pas connue et est entière, elle est décrite, généralement, par les lettres \(k\), \(m\), \(n\) ; en revanche, une constante réelle inconnue est décrite par les premières lettres de l’alphabet latin (\(a\), \(b\), \(c\), …) ;

  2. variable : une grandeur dont la valeur est inconnue et indéterminée, et qui peut prendre des valeurs différentes (variées) lors d’un calcul. Une variable entière est généralement décrite par les lettres \(i\), \(j\) ; en revanche, une variable réelle est décrite par les lettres \(x\), \(y\), \(z\), … ;

  3. indice : les indices sont des valeurs entières qui indiquent, par exemple, l’ordre des termes d’une suite numérique. En tant que valeurs entières, variables (selon la position du terme dans la suite numérique), les indices sont identifiés par les lettres \(i\), \(j\), … ;

  4. proposition : une proposition logique est une affirmation à laquelle il est possible d’attribuer une, et une seule, valeur de vérité (vrai ou faux) ; une proposition est, généralement, représentée par les lettres \(p\), \(q\), \(r\), …

Formation de mots

En français, comme dans d’autres langues naturelles, il est possible de construire des nouveaux mots à partir d’un mot d’origine. Il y a au moins deux moyens pour former des nouveaux mots : la dérivation (par préfixation ou suffixation, par exemple) et la composition par juxtaposition.

La dérivation par affixation

Cunha et Velasco[3] présentent d’autres affixes, outre le préfixe et le suffixe. Voici quelques exemples :

  1. le préfixe « \(\sim\) » en logiquais, correspond à un préfixe de négation ; c’est-à-dire, si une proposition \(p\) a une valeur vrai, la proposition « \(\sim p\) » ( sa négation ) a une valeur faux (et inversement) ;

  2. en logiquais, le quantificateur existentiel « \(\exists\) » ( qui est lu comme « Il existe un … » ) signifie il existe « au moins » un ; en ajoutant le suffixe « ! », le mot formé, \(\exists!\), signifie « Il n’existe qu’un… ».

    Il est intéressant de remarquer que, en langage mathématique, les suffixes peuvent apparaître aussi bien « en haut » que « en bas ». Ils sont dénommés, respectivement, suffixe supérieur et suffixe inférieur. Par exemple, le mot « 2 », dans \(x^2\), est un suffixe supérieur qui représente un « exposant », tandis que en \(x_2\) il est un suffixe inférieur qui représente un « indice ».

  3. la négation en algébrais est formée à l’aide du  surfixe « / » ; c’est-à-dire, les mots « \(\in\) », « \(\subset\) » signifient, respectivement , appartient et est inclus ; en ajoutant le surfixe « \(/\) » à chacun de ces mots, ils deviennent, respectivement, « \(\notin\) » (signifiant n’appartient pas) et « \(\not\subset\) »  (signifiant n’est pas inclus) ;

  4. en algébrais, par exemple, on peut trouver des mots formés par parasynthèse, c’est-à-dire par affixation simultanée (ce qui en français est fait à l’aide d’un préfixe et d’un suffixe) . Par exemple, le mot

    \[\sum_{i=1}^{n}\]

    (qui est lu comme La somme de termes) est formé en ajoutant à \(\sum\) un infrafixe et un suprafixe .

    En effet, l’infrafixe (« \(i=1\) ») est un mot mis « en dessous de » \(\sum\), tandis que le suprafixe2 (« \(n\) ») est un mot mis « au-dessus » de \(\sum\).

La composition par juxtaposition

Une autre manière de former des mots est l’utilisation de juxtaposition. L’une des façons de le faire, en français, est la composition unifiée3, comme dans « bonhomme », « lequel », « lorsque », par exemple.

En langage mathématique, des mots composés par juxtaposition ont des sens différents, selon le dialecte concerné.

  1. en arithmétiquais, la juxtaposition nous amène à une idée d’addition. En effet, lorsque l’on voit le mot « \(347\) », on le lit, en français, comme trois-cent-quarante-sept. Or, cela signifie « trois centaines plus quatre dizaines plus sept unités ». De même, lorsque l’on voit le mot « \(1 \frac{3}{8}\) », utilisé dans de nombreux pays, on peut le lire en français, comme un entier et trois huitièmes. Et cela signifie « une unité plus trois huitièmes (d’une unité) ».

  2. en algébrais, en revanche, la juxtaposition nous amène à une idée de multiplication, vu que le mot \(ab\) est un synonyme du mot \(a \times b\) (ainsi que \(a \cdot b\)).

Le fait de ne pas identifier le dialecte utilisé nous amène à des erreurs, comme dans l’exemple observée par Gómez-Granell (cité par Silveira[7]), où un élève interprète que « si \(a=5\) et \(b=6\) alors \(ab=56\) ».

Il faudrait, tout d’abord, que les enseignants aient le souci de vérifier que les élèves ont bien compris que, comme dit Cunha[2], on n’additionne pas (ou on ne multiplie pas) des « lettres ». Ce que l’on fait, en algébrais, est additionner (ou multiplier) des quantités fixes (les constantes) ou variables, représentées par des lettres. Il est même intéressant de noter qu’au début, en algèbre, on commence à travailler en écrivant \(a \times b\) ( à la place de \(ab\) puisque ce sont des synonymes ) ; et petit à petit, on met en place le mot le plus commun en algébrais (c’est-à-dire \(ab\)).

Ponctuation

La ponctuation est un outil très important pour la communication écrite. En effet, c’est par une bonne ponctuation que le lecteur peut bien comprendre ce que l’auteur du texte veut dire. On a l’exemple « classique », dont la ponctuation change la personne qui a la caractéristique décrite :

  1. Paul dit : « Le professeur est très intelligent ».

  2. Paul, dit le professeur, est très intelligent .

De plus, à la lecture, elle permet d’indiquer l’intonation correcte pour exprimer une idée ou l’autre. Le langage mathématique possède également des signes de ponctuation. Ce sont les paires « \(( \ )\) », « \([ \ ]\) » et « \(\{ \ \}\) ». Cependant, l’intonation à la lecture prend également en compte les priorités entre opérations. Ci-après, quelques exemples :

  1. \(2 + 4 \times 3\)

    D’après la priorité des opérations, la multiplication est prioritaire sur l’addition. Ainsi, cette expression signifie que au produit résultant de la multiplication de \(4\) par \(3\), est additionné \(2\). Elle peut être lue comme « deux plus, quatre fois trois ».

  2. \((2+4) \times 3\)

    Ici, en revanche, les parenthèses indiquent un changement de priorité. Cette expression signifie donc que la somme, résultante de l’addition de \(2\) et \(4\), est multipliée par \(3\). Elle peut être lue comme « deux plus quatre, fois trois ».

On observe la « virgule » qui marque une petite pause, à la lecture .

Considérations finales

Considérant que les mathématiques ont leur propre langage, ce qu’il nous faut comprendre est que l’on peut retrouver dans ce langage les mêmes éléments que l’on retrouve dans une langue naturelle quelconque. Ce document en montre quelques-uns (l’alphabet, les catégories grammaticales, les manières de former des mots, aussi bien que la ponctuation). Et il n’y a pas que ça ! On peut retrouver des synonymes, comme \(a \times b\), \(a \cdot b\), \(ab\), en algébrais, (déjà cité), ou encore comme

\[\sum_{i=1}^{6}(2i-1) \text{ et } \sum_{i=0}^{5}(2i+1)\]

qui, toutes les deux, sont des expressions « plus compactes » signifiant « la somme des 6 premiers nombres impairs positifs ». En effet, \(2i-1\) et \(2i+1\) représentent un nombre impair ; c’est-à-dire, \(2i-1\) : le prédécesseur (« \(-1\) ») d’un nombre pair (« \(2i\) ») et « \(2i+1\) » : le successeur (« \(+1\) ») d’un nombre pair (« \(2i\) »). De plus, l’infrafixe et le suprafixe de \(\sum\) permettent d’indiquer la quantité de termes à additionner ; c’est-à-dire, de \(1\) à \(6\) on a six termes, au même titre que de \(0\) à \(5\). Le premier impair représenté par \(2i-1\) (avec \(i=1\)) est le nombre \(1\) et le dernier (avec \(i=6\)) est le nombre \(11\). De même, le premier impair représenté par \(2i+1\) (avec \(i=0\)) est le nombre \(1\) et le dernier (avec \(i=5\) ) est le nombre \(11\).

Cependant, il est intéressant de faire la différence entre synonyme et équivalence. En algébrais, deux expressions « équivalentes » ont la même valeur. Évidemment, deux expressions synonymes ont la même valeur (puisqu’elles ont la même signification). En revanche, on peut trouver des expressions « différentes » (c’est-à-dire, qui ont des significations différentes) et qui ont la même valeur ; par exemple, \(4 \times 3\) et \(5+7\), qui valent \(12\), toutes les deux . De même, \((2+4)\times 5\) et \(2 \times 5
+ 4 \times 5\)
, qui toutes les deux valent \(30\).

À ce propos, les propriétés des opérations sont une sorte d’équivalence. Le dernier exemple correspond à la propriété de distributivité de la multiplication par rapport à l’addition.

Par ailleurs, en connaissant la grammaire du langage mathématique, on peut répondre à la question posée plus haut, sur la distinction entre \(k^n\) , \(x^n\) et \(n^x\). Ce sont des mots formés par « dérivation par suffixation », où \(k\) et \(n\) représentent des constantes entières, tandis que \(x\) représente une variable réelle. Ainsi,

  • \(k^n\) signifie une « puissance de base constante entière et exposant entier » ;

  • \(x^n\) signifie une « puissance de base variable réelle et exposant entier » ;

  • \(n^x\) signifie une « fonction exponentielle de base n ».

De plus, il faut faire attention aux « petites » différences entre les dialectes. Par exemple,

  • en algébrais, les ensembles sont identifiés par des lettres latines, en majuscules. Leurs éléments, en revanche, sont identifiés par des lettres latines, en minuscule (par exemple, \(x \in X\), \(a_i \in A\)).

  • en géométriquais, c’est le contraire : une droite, qui peut être vue comme un ensemble de points alignés, est identifiée par une lettre latine en minuscule \(d\) ; un point (un élément d’une droite) est identifié par une lettre latine en majuscule \(A\).

Ce n’est qu’un début. Il y a encore beaucoup de règles de grammaire du langage mathématique qui restent à identifier.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter le site, en français, mis en place par le groupe MateGraMatica [5]

Bibliographie

  • [1] M. Bélanger et M. De Serres. « Les erreurs langagières en mathématiques ». In : Correspondance 3.4 ( avr. 1998 ).  

  • [2] S. Cunha, « Ler , Escrever e Compreender a Linguagem Matemática ». In . (Org.). Psicopedagogia : contribuições para o ensino da matemática e para clínica . PAIVA, M.G.V. Rio de Janeiro : Letra Capital, 2017, p 47 – 62 .

  • [3] S . Cunha et J . Velasco. « Los afijos en el lenguaje matemático » ». In : II Congreso de Educación Matemática de América Central y El Caribe . Cali (Colômbia). 2017 (29 de outuro a 1 de novembro)   II CEMACYC . Cali ( Colômbia ) , 2017. 

  • [4] Dictionnaires de français. Larousse.

  • [5] Groupe d’étude de la grammaire du langage Mathématique. MateGramátíca 

  • [6] M. C. Ruy. « O Conceito de Jogos de Linguagem nas Investigações Filosóficas de Wittgenstein ». In : Seminários de Pesquisa em Ciências Humanas  Londrina ( PR ), Brasil, 2008

  • [7] M . R . A . Silveira. « Tradução de textos matemáticos para a linguagem natural em situações de ensino e aprendizagem ». In : Educ . Matem . Pesq . 16.1 (2014).  

Sueli Cunha est professeure adjointe à l’Université d’État de Rio de Janeiro (UERJ) au Brésil.


  1. Précision : à ne pas confondre avec « le carré de iks » qui est le résultat et signifie donc « le produit de \(x\) par \(x\) ».

  2. On remarquera que la distinction entre un « surfixe » et un « suprafixe ». Le premier est associé à un affixe qui est mis dessus (c’est-à-dire : sur, à la surface de) ; tandis que le second est associé à un affixe qui est mis au-dessus de (c’est-à-dire : à un endroit plus élevé que).

  3. Il y a encore composition à apostrophe, à trait d’union, entre autres. 

Pour citer cet article : Cunha S., « Comprendre le langage mathématique », in APMEP Au fil des maths. N° 528. 19 juin 2018, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/comprendre-le-langage-mathematique/.