Dessin en perspective et géométrie dans l’espace

Dans cet article, Daniel Lehmann se propose de nous initier au dessin en perspective. Les principales règles de la perspective sont illustrées ! Alors jetez-vous sur cet article pour le plaisir des yeux ou pour lancer un projet artistique !

Daniel Lehmann

© APMEP Mars 2021

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L’étude de quelques-unes des règles du dessin en perspective nous semble une excellente motivation pour faire de la géométrie dans l’espace.

Pour éviter de gonfler exagérément cet article, nous avons plus ou moins parachuté ces règles. Mais oralement, avec des élèves, l’idéal serait probablement de faire en sorte qu’ils les découvrent eux-mêmes (par exemple en analysant quelques photos bien choisies1), avant que leur professeur les énonce proprement et les justifie.

Le dessin n’est ici avant tout qu’un prétexte à faire des mathématiques ; les spécialistes de la perspective ne manqueront pas de trouver ces quelques considérations pour le moins insuffisantes en ce qui les concerne.

Qu’est ce que le dessin en perspective ?

Classiquement, la définition est schématisée à l’aide de la gravure ci-dessous d’A. Dürer.

On y voit un observateur-dessinateur qui vise d’un œil2 le sujet qu’il veut dessiner, à travers une vitre dans le plan \(\Pi\) : la droite allant de \(\mathsf{S}\) à un point \(\mathsf{M}\) du sujet coupe le plan \(\Pi\) en un point \(\mathsf{M}’ ;\). La vitre étant quadrillée, le dessinateur repère dans quel carré et à quelle place de ce carré se trouve \(\mathsf{M}’ ;\). Il reporte alors un point \(\mathsf{M}’ ;’ ;\) situé à la place correspondante sur sa feuille de dessin, quadrillée de façon semblable à la vitre.

Figure 1

Mathématiquement :

  • l’application \(\mathsf{M}\longmapsto\mathsf{M}’ ;\) est une projection conique3 de sommet \(\mathsf{S}\) du sujet sur le plan \(\Pi\) ;

  • l’application \(\mathsf{M}’ ;\longmapsto \mathsf{M}’ ;’ ;\) est une similitude4 du plan \(\Pi\) sur le plan de la feuille de dessin, les quadrillages sur \(\Pi\) et sur la feuille de dessin étant simplement destinés à faciliter la reproduction par similitude.

Quelque chose, cependant, n’est pas très clair dans cette « définition » : que vient y faire la vitre ? Quelqu’un pourrait très bien orienter celle-ci de façon différente ou l’incliner, ce qui modifierait la forme de la projection du sujet sur \(\Pi\), sans que l’observateur ait modifié son regard pour autant ; et en pratique, il y a rarement une vitre ainsi interposée entre le sujet et le dessinateur !

En fait, il aurait fallu préciser que le champ visuel du dessinateur se situe autour d’un axe principal \(\mathsf{S}x\) (horizontal et parallèle au mur du fond), et que le plan \(\Pi\) est supposé orthogonal à \(\mathsf{S}x\). C’est cet axe principal du regard qui a réellement une signification, et non le plan \(\Pi\) proprement dit : si l’on déplace ce plan parallèlement à lui même, la projection n’est modifiée que par une homothétie, ce qui ne change pas la forme du dessin (qui n’est défini qu’à similitude près). Il faut assimiler le dessin en perspective à une photo, la prise de vue (correspondant à la projection \(\mathsf{M}\longmapsto \mathsf{M}’ ;\)) dépendant non seulement de la position de l’appareil photo par rapport au sujet, mais aussi de l’axe de l’objectif.

Pour faire un dessin en perspective, il faut donc supposer que le sujet réel du dessin (paysage, modèle, architecture, …) est observé d’un œil (en position \(\mathsf{S}\)), avec une direction principale \(\mathsf{S}x\) du regard au centre du champ visuel. On définit alors mentalement un plan \(\Pi\) orthogonal à la demi-droite \(\mathsf{S}x\) (on l’appellera le plan de projection), et le dessin est la reproduction par similitude de la projection conique de sommet \(\mathsf{S}\) du sujet (généralement tri-dimensionnel) sur le plan \(\Pi\).

On voit que les données de \(\mathsf{S}\) et \(\mathsf{S}x\) sont fondamentales dans les constructions permettant de définir la perspective. Or, une source de difficulté, c’est que ces éléments sont le plus souvent purement fictifs :

  • si le dessinateur veut reproduire ce qu’il voit, c’est instinctivement, qu’il reste à la même place et situe toujours son sujet dans la même zone de son champ visuel (autrement dit, \(\mathsf{S}\) et \(\mathsf{S}x\) sont à peu près fixes) ;

  • et si, comme c’est souvent le cas, il fait œuvre d’imagination, il ne suffit pas qu’il imagine son sujet, il faut aussi qu’il suppose celui-ci observé par un personnage fictif dont il doit aussi imaginer la position \(\mathsf{S}\) de l’œil par rapport au sujet ainsi que l’axe principal \(Sx\) du regard.

Il est donc indispensable que le dessinateur explicite mentalement ces données fictives, s’il veut comprendre et pouvoir appliquer les règles qui vont suivre.

Notons enfin que les notions importantes de point de fuite et de ligne de fuite, que nous allons définir plus loin, sont complètement indépendantes des notions d’horizontalité, de verticalité ou de ligne d’horizon : les directions de droites horizontales ou verticales ne sont que des cas particuliers, évidemment importants dans beaucoup de cas, mais qu’il ne faut pas introduire trop vite selon moi : mettre en place une structure trop riche risque de masquer la simplicité des phénomènes géométriques. En outre, le sujet à dessiner ne comporte pas toujours des éléments horizontaux ou verticaux.

Quelques règles

La forme du dessin étant entièrement définie par la projection conique du sujet, ce sont en fait les propriétés de cette projection que nous allons étudier.5

1. Préservation de l’alignement (importance du point \(\omega_\Delta\))
Des points alignés dans la réalité se projettent généralement (donc se dessinent) comme des points alignés et la droite \(\Delta\) qui les contient se projette suivant la droite \(\Delta’ ;\) de \(\Pi\)

 

  • passant, lorsque \(\Delta\) n’est pas parallèle à \(\Pi\), par le point \(\omega_\Delta\) à l’intersection de \(\Pi\) avec la parallèle à \(\Delta\) passant par \(\mathsf{S}\), ainsi que par le point \(\mathsf{m}_\Delta \) d’intersection de \(\Pi\) avec \(\Delta \),

  • parallèle à \(\Delta\) à l’intersection des plans \(\Pi\) et \((\mathsf{S},\Delta)\) si \(\Delta\) est parallèle à \(\Pi\).

Exceptionnellement, si la droite \(\Delta\) passe par \(\mathsf{S}\), elle se projette suivant un point.

Figure 2. Projection d’une droite non parallèle à \(\Pi\).

Figure 3. Projection d’une droite parallèle à \(\Pi\).

En effet, si \(\Delta \) ne passe pas par \(\mathsf{S}\), il existe un unique plan \((\mathsf{S},\Delta)\) la contenant et passant par \(\mathsf{S}\). Lorsqu’un point \(\mathsf{M}\) parcourt \(\Delta\), la droite \((\mathsf{SM})\) balaie le plan \((\mathsf{S},\Delta)\), et \(\mathsf{M}’ ;\) se trouve donc à la fois sur ce plan et sur \(\Pi\), donc à l’intersection \(\Delta’ ;\) de ces deux plans.

Si \(\Delta\) coupe \(\Pi\) en un point \(\mathsf{m}_\Delta\), il est clair que celui-ci est égal à sa propre projection.

Lorsque \(\mathsf{M}\) s’éloigne à l’infini sur \(\Delta\), la droite \((\mathsf{SM})\) tend vers la parallèle \(\Delta_0\) à \(\Delta\) passant par \(\mathsf{S}\). Le point \(\mathsf{M}’ ;\) tend alors vers le point \(\omega_{\Delta}\) à l’intersection de \(\Pi\) avec \(\Delta_0\) (lorsque ce point existe, c’est-à-dire lorsque \(\Delta\) n’est pas parallèle à \(\Pi\)). Le point \(\omega_{\Delta}\) sera évidemment le même pour toutes les droites parallèles à \(\Delta\), et cette propriété est à l’origine de l’existence des points de fuite que nous allons préciser ci-dessous.

Les autres cas sont évidents.

Projection d’un faisceau de droites parallèles et points de fuite

Des droites qui, dans la réalité, sont parallèles entre elles (c’est-à-dire de même direction \(\delta\)), et non parallèles au plan \(\Pi\), se projettent suivant des droites passant par un même point \(\omega_\delta\), que l’on appelle le point de fuite correspondant à cette direction.

Ce point est à l’intersection de \(\Pi\) avec la droite de direction \(\delta\) passant par \(\mathsf{S}\).

Des droites parallèles dans la réalité à une même direction \(\delta\) de \(\Pi\) se projettent suivant des droites encore parallèles à \(\delta\).

Figure 4. Point de fuite.

Figure 5. Point de fuite principal (voir aussi fig. 12).

Nous avons vu ci-dessus, en effet, dans le cas où une droite \(\Delta\) n’est pas parallèle à \(\Pi\), que le point \(\omega_{\Delta}\) en lequel la parallèle à \(\Delta\) passant par \(\mathsf{S}\) recoupe \(\Pi\) sera le même pour toutes les droites parallèles à \(\Delta\) et ne dépend donc en fait que de la direction \(\delta\) de \(\Delta\) : les projections sur \(\Pi\) de ces droites passeront donc toutes par ce même point, que l’on l’appellera le point de fuite associé à la direction \(\delta\) : on le notera désormais de préférence \(\omega_{\delta}\) plutôt que \(\omega_{\Delta}\).

En pratique, le sujet que l’on dessine ne comporte pas de droites complètes, et les droites dont il est question sont celles obtenues en complétant mentalement des alignements (par exemple les pieds d’une rangée de poteaux télégraphiques) ou des segments de droite (par exemple l’arête faîtière du toit d’une maison). Pour appliquer ce principe en dessinant, il sera souvent utile de complèter provisoirement tout ou partie de cette droite sur le dessin, quitte à effacer plus tard les points superflus. En outre, si l’angle de \(\delta\) avec \(\Pi\) est petit, le point de fuite correspondant peut se trouver en dehors des limites de la feuille de dessin !

On appelle en particulier point de fuite principal le point de fuite \(\omega_0\) associé à la direction principale du regard \(\mathsf{S}x\). Il est souvent situé plus ou moins au centre du dessin. Il reste virtuel si le sujet ne comporte aucun alignement parallèle à \(\mathsf{S}x\).

Si \(\Delta\) est parallèle à \(\Pi\), toutes les droites parallèles à \(\Delta\) se projetteront suivant des droites parallèles à \(\Delta\) (on dira que le point de fuite correspondant est rejeté à l’infini dans la direction \(\delta\)). L’angle que font deux telles droites dans la réalité est respecté sur le dessin (en particulier le parallélisme et l’orthogonalité de deux telles droites est respecté. Par exemple, si la direction principale du regard est horizontale (et seulement dans ce cas), les verticales seront toutes dessinées suivant des droites parallèles entre elles (et perpendiculaires à la « ligne d’horizon » que nous allons définir ci-dessous).

Figure 6. Projection de droites parallèles à \(\Pi\).

3. Projection de directions coplanaires et ligne de fuite d’une famille de plans parallèles

Les points de fuite correspondant à des directions de droite parallèles à un même plan \(P\) seront tous alignés sur une droite qu’on appelle la ligne de fuite associée à ce plan. Et des plans parallèles entre eux auront même ligne de fuite.

Cette ligne de fuite est la droite d’intersection de \(\Pi\) et du plan \(P_0\) parallèle à \(P\) passant par \(\mathsf{S}\).

Si une direction \(\delta\) est parallèle à un plan \(P\) supposé non parallèle à \(\Pi\), le point de fuite \(\omega_\delta\) se trouve en effet sur la droite \(L_P\) à l’intersection de \(\Pi\) et du plan \(P_0\) parallèle à \(P\) passant par \(\mathsf{S}\). Cette ligne de fuite ne dépend évidemment que de \(P_0\) : par conséquent, tous les plans parallèles à \(P\) auront la même.

Figure 7. Ligne de fuite d’une famille de plans parallèles.

Parmi toutes les directions de plan possibles, il y a celle des plans horizontaux. La ligne de fuite correspondante (qui n’existe que si \(\mathsf{S}x\) n’est pas vertical) est appelée ligne d’horizon (ou horizon tout court en abrégé).

4. Représentation des verticales. Plongée et contre-plongée
  • Si l’axe principal du regard est horizontal, le point de fuite principal \(\omega_0\) est sur l’horizon \(H\), et les droites verticales dans la réalité sont représentées par des droites parallèles entre elles, perpendiculaires à la ligne d’horizon :

    Figure 8. Axe principal du regard horizontal.

  • si l’axe principal du regard descend par rapport à l’horizontale (on dit alors que la vue est en plongée), le point de fuite principal \(\omega_0\) est en dessous de l’horizon \(H\), et les droites qui sont verticales dans la réalité ont un point de fuite \(\omega_v\) encore en dessous de \(\omega_0\) sur la perpendiculaire à \(H\) passant par \(\omega_0\), d’autant plus bas que l’angle de \(\mathsf{S}x\) avec les plans horizontaux est plus petit :

    Figure 9. Vue en plongée.

  • si l’axe principal du regard monte par rapport à l’horizontale (on dit alors que la vue est en contre-plongée), le point de fuite principal \(\omega_0\) est au-dessus de l’horizon \(H\), et les droites qui sont verticales dans la réalité ont un point de fuite \(\omega_v\) encore au-dessus de \(\omega_0\) sur la perpendiculaire à \(H\) passant par \(\omega_0\), d’autant plus haut que l’angle de \(Sx\) avec les plans horizontaux est plus petit :

    Figure 10. Vue en contre-plongée.

5. Représentation des reports de longueur sur une droite donnée ou sur une droite parallèle

On interprète, en perspective, le fait

  • qu’un parallélogramme peut aussi bien être défini comme un quadrilatère convexe ayant des côtés opposés d’égale longueur, ou des côtés opposés parallèles ;

  • et que deux parallélogrammes translatés l’un de l’autre ont nécessairement des diagonales parallèles deux à deux.

Exemples :

Dessin d’une voie ferrée (à partir du dessin de deux traverses consécutives, on peut représenter toutes les autres, qui sont supposées à égale distance les unes des autres dans la réalité).

Figure 11. Comment dessiner une voie ferrée.

Sur la photo, en l’agrandissant et en mettant en place les points de fuite des diagonales, on pourrait vérifier que les arches sont dans la réalité à égales distances les unes des autres. Accessoirement, on observe aussi qu’il n’est pas nécessaire que le photographe soit sur l’axe central de la galerie pour faire apparaître le point de fuite principal au centre de la photo.

Figure 12. Arches à égale distance les unes des autres (et point de fuite principal).

Quelques dessins

1. Un objet plan : l’échiquier (carré divisé en cases)

Pour dessiner l’échiquier, on peut mettre d’abord en place le pourtour \(\mathsf{ABCD}\) de celui-ci (ce peut être n’importe quel quadrilatère convexe, choisi en fonction de la position de l’observateur, réel ou fictif, par rapport à l’échiquier, ainsi que de la direction principale de son regard6). On en déduit

  • les points de fuite \(\mathsf{I}\) à l’intersection des droites \((\mathsf{AD})\) et \((\mathsf{BC})\) (resp. \(\mathsf{J}\) à l’intersection des droites \((\mathsf{AB})\) et \((\mathsf{CD})\) ;

  • la ligne de fuite \(L\) : c’est la droite \((\mathsf{IJ})\) (c’est la ligne d’horizon si l’échiquier a été posé sur un plan horizontal ; mais il a pu aussi être posé sur un plan incliné !).

Pour dessiner les \(64\) cases, on divise d’abord le pourtour en quatre parties :

  • en représentant le milieu \(\mathsf{M}\) du carré à l’intersection des diagonales \((\mathsf{AC})\) et \((\mathsf{BD})\) ;

  • puis les médianes \((\mathsf{EF})\) et \((\mathsf{GH})\) respectivement portées par les droites \((\mathsf{IM})\) et \((\mathsf{JM})\).

 Figure 13. Division d’un carré en quatre cases.

Figure 14. L’échiquier.

Puisque \(64=4\times 4\times 4\), on réitère deux fois la procédure après avoir explicité les points de fuite \(\mathsf{U}\) et \(\mathsf{V}\) des diagonales respectivement à l’intersection de \(L\) et des droites \((\mathsf{AC})\) et \((\mathsf{BD})\). Remarque : si l’on confond le plan de ce dessin et le plan de projection \(\Pi\), il suffit que \(\mathsf{S}\) soit à l’intersection des sphères de diamètre \([\mathsf{IJ}]\) et \([\mathsf{UV}]\) pour que le quadrilatère \(\mathsf{ABCD}\), a priori arbitraire, puisse effectivement être obtenu comme projection d’un carré : les droites \((\mathsf{SI})\) et \((\mathsf{SJ})\) seront en effet orthogonales, de même que \((\mathsf{SU})\) et \((\mathsf{SV})\) : on obtient donc la projection d’un parallélogramme (\(\Pi\) passe par \(\mathsf{I}\) et \(\mathsf{J}\)), qui est à la fois un rectangle et un losange.

2. Un objet 3D : la tablette triangulaire

On veut dessiner une tablette, posée sur un sol horizontal constituée de deux plateaux triangulaires superposés, obtenus l’un à partir de l’autre par une translation de direction verticale, et reliés par des pieds verticaux. On suppose l’œil de l’observateur à mi-hauteur entre les deux plateaux, et la direction principale de son regard en légère plongée.

Figure 15. Illustration du théorème de Desargues.

Les deux plateaux de la tablette et le bas des pieds forment trois triangles

  • dont les trois plans sont horizontaux parallèles, et admettent donc tous trois la ligne d’horizon \(L\) comme ligne de fuite ;

  • dont les côtés sont trois à trois parallèles, donnant lieu à trois points de fuite \(\mathsf{A}\), \(\mathsf{B}\) et \(\mathsf{C}\) situés sur \(L\).

Les trois pieds verticaux donnent lieu à un quatrième point de fuite \(\mathsf{K}\), très en dessous de la ligne d’horizon puisque la vue n’est qu’en légère plongée.

Ce dessin illustre le théorème de Desargues selon lequel, étant donné deux triangles \(\mathsf{PQR}\) et \(\mathsf{P}’ ;\mathsf{Q}’ ;\mathsf{R}’ ;\) (dans le plan ou dans l’espace, peu importe), les propositions suivantes sont équivalentes :

  • les trois droites \((\mathsf{PP}’ ;)\), \((\mathsf{QQ}’ ;)\) et \((\mathsf{RR}’ ;)\) sont concourantes (ou parallèles) ;

  • les trois points d’intersection \(\{\mathsf{A}\}=(\mathsf{RQ})\cap(\mathsf{R}’ ;\mathsf{Q}’ ;)\), \(\{\mathsf{B}\}=(\mathsf{PR})\cap
    (\mathsf{P}’ ;\mathsf{R}’ ;)\)
    , et \(\{\mathsf{C}\}=(\mathsf{PQ})\cap (\mathsf{P}’ ;\mathsf{Q}’ ;)\) sont alignés (l’un d’eux pouvant éventuellement être rejeté à l’infini sur la droite joignant les deux autres), ou tous rejetés à l’infini (dans le cas où les deux triangles sont homologues par une translation ou une homothétie).

3. L’horizon artificiel d’un avion

Il schématise ce que le pilote a devant lui (et ne peut pas voir s’il est dans un nuage), l’axe principal du regard étant parallèle à celui de l’avion :

Figure 16. L’horizon artificiel d’un avion.

L’appareil est ici en descente (vue en plongée : le point de fuite principal est en dessous de l’horizon), et en virage à gauche (angle de \(10\) degrés entre la ligne de fuite du plan des ailes et l’horizon). Le point de fuite dessiné sur la ligne d’horizon au-dessus du point de fuite principal est le point de fuite des droites horizontales au sol qui, dans la réalité, sont parallèles à la projection verticale de l’axe de l’avion ; sont également représentées les droites horizontales au sol perpendiculaires aux précédentes.

4. La maison

On veut dessiner en perspective la maison schématisée ci-dessous7, vue de trois quarts face, de deux façons différentes :

  • la première par un observateur dont l’œil est plus bas que la base des fenêtres, et dont l’axe principal du regard est horizontal ;

  • la seconde par un observateur dont l’œil est à une hauteur intermédiaire entre celle du bas du toit et celle de l’arête faîtière, et dont l’axe principal du regard est en plongée.

Figure 17. Maison.

On repère les lignes horizontales et verticales. On suppose que l’arête faîtière est horizontale et que les deux pans de toit ont même pente, ce qui se traduit en particulier par le fait que le point \(\mathsf{E}\) est à la verticale du centre \(\mathsf{M}\) du rectangle \(\mathsf{BDD}’ ;\mathsf{B}’ ;\).

Figure 18. Regards sur maison.

  • Dans les deux cas, on commence par mettre en place la ligne d’horizon et les points de fuite \(\mathsf{I}\) et \(\mathsf{J}\) des « horizontales »8 respectivement parallèles à la façade et aux pignons ;

  • dans le deuxième cas, on met en place le point de fuite \(\mathsf{K}\) des « verticales », d’autant plus bas que l’observateur est éloigné de la maison et que la plongée est moins forte (éventuellement en dessous de la feuille de dessin).

On met ensuite en place successivement :

  • les trois « horizontales » principales passant par \(\mathsf{I}\) (bas de la façade, haut de la façade, arête faîtière) ;

  • les trois points visibles \(\mathsf{A}\), \(\mathsf{B}\) et \(\mathsf{B}’ ;\) de la base, et les verticales correspondantes (qui passent par \(\mathsf{K}\) dans le second cas), permettant de définir les trois points visibles \(\mathsf{C}\), \(\mathsf{D}\) et \(\mathsf{D}’ ;\) du haut de la façade et du pignon ;

  • le « centre » \(\mathsf{M}\) du pignon à l’intersection des droites \((\mathsf{BD}’ ;)\) et \((\mathsf{B}’ ;\mathsf{D})\) ;

  • le point \(\mathsf{E}\) sur l’arête faîtière, à la « verticale » de \(\mathsf{M}\) ;

  • la ligne de fuite des pignons (la perpendiculaire en \(\mathsf{J}\) à la ligne d’horizon dans le premier cas, la droite \((\mathsf{JK})\) dans le second) ;

  • le point de fuite \(\mathsf{G}\) de la droite \((\mathsf{ED}’ ;)\) (ou le point de fuite \(\mathsf{G}’ ;\) de la droite \((\mathsf{ED})\)) sur la ligne de fuite précédente ;

  • la seconde extrémité \(\mathsf{F}\) de l’arête faîtière, à l’intersection des droites \((\mathsf{G}’ ;\mathsf{C})\) et \((\mathsf{IE})\).

Il ne reste plus qu’à dessiner porte et fenêtres (en respectant les alignements nécessaires « horizontaux » et « verticaux »), ainsi qu’à gommer tous les éléments superflus (lignes de rappel, étiquetage des points, …). On peut aussi faire déborder le toit, ajouter une cheminée, etc.

Il peut aussi être utile de mettre en place les points \(\mathsf{A}’ ;\) et \(\mathsf{C}’ ;\) (en fait invisibles, la maison n’étant pas transparente), respectivement à l’intersection des droites \((\mathsf{IB}’ ;)\) et \((\mathsf{JA})\) d’une part, \((\mathsf{ID}’ ;)\) et \((\mathsf{JC})\) d’autre part. Si le dessin a été fait avec suffisamment de précision, on constate quelques alignements (que l’on pourrait justifier) : par exemple \(\mathsf{C}’ ;\) est à la « verticale » de \(\mathsf{A}’ ;\), on trouve le même point \(\mathsf{F}\) à l’intersection des droites \((\mathsf{GC}’ ;)\) et \((\mathsf{IE})\) ou \((\mathsf{G}’ ;\mathsf{C})\) et \((\mathsf{IE})\), etc.

Conclusion

On aura compris que l’ossature d’un dessin en perspective est essentiellement constituée par les points de fuite et lignes de fuite. L’ordre des opérations sera donc le suivant :

  1. Définir où se trouve l’observateur par rapport au sujet à dessiner, et dans quelle direction principale il tourne son regard ;

  2. Repérer sur le sujet les différentes droites ou segments de droite (ou simplement les alignements tels ceux d’une rangée d’arbres par exemple), les facettes planes, les parallélismes, … ;

  3. Mettre en place (au moins provisoirement) les lignes de fuite et points de fuite correspondant (et en particulier l’horizon et le point de fuite des verticales, du moins lorsque le sujet présente des alignements horizontaux ou verticaux) ;

  4. Dessiner les éléments rectilignes et les alignements ;

  5. Effacer les points de fuite, lignes de fuite et lignes de rappel lorsqu’ils n’ont servi qu’à mettre en place certains éléments du dessin, mais ne font pas explicitement partie du sujet ;

  6. Mettre en place les autres éléments.

Bien entendu, toutes ces considérations n’ont lieu d’être que si le sujet comporte des alignements, des facettes planes, des parallèles… (et tel n’était pas le cas de la dame ayant servi de modèle dans la gravure de Dürer !)

Il existe d’autres règles à respecter pour dessiner en perspective, dont nous n’avons pas parlé (la préservation par projection des birapports et en particulier des divisions harmoniques, la projection des arcs de cercle sur des arcs de coniques, …). Mais nous ne prétendions pas à l’exhaustivité, voulant surtout montrer l’intérêt du sujet pour une classe de mathématiques.

Figure 19. Perspective cavalières ?

Un mot pour terminer au sujet de la perspective cavalière : on dit parfois qu’elle consiste à remplacer la projection conique de sommet \(\mathsf{S}\) par une projection « cylindrique » définie de façon analogue en supposant le point \(\mathsf{S}\) rejeté à l’infini dans une direction \(\delta_0\) donnée, le plan \(\Pi \) étant orthogonal à cette direction (penser à un observateur très éloigné de son sujet). Mais dans ce cas le schéma traditionnel du cube ne relève pas de cette définition : en effet, si le cube est supposé opaque et si trois faces sont visibles par l’observateur (c’est-à-dire si 0 n’est perpendiculaire à aucune arête du cube, donc a fortiori à aucune face), aucun des trois parallélogrammes obtenus par projection cylindrique de ces trois faces ne peut être carré ni même rectangulaire.

Si l’on veut absolument appeler « perspective cavalière » ce dessin du cube, il faut alors considérer que la définition de la perspective cavalière relève d’avantage de conventions (en particulier la nécessité de préserver le parallélisme), plutôt que d’une transformation géométrique précise. Ces conventions ne sont pas toujours explicitées, et peuvent varier selon les besoins. Les figures 2 à 8, 9, 10, 17 et 19, dessinées ci-dessus, relèvent de telles conventions.

Références

Pour plus de détails, on peut consulter par exemple :

  1. Daniel Lehmann. Initiation à la géométrie. Avec un appendice historique de Rudolf Bkouche. Presses Universitaires de France, 1988.

  2. Daniel Lehmann. « Une introduction à la géométrie projective ». In : Mathématiques pour le deuxième cycle. Éditions Ellipses, 2003.

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Daniel Lehmann a été professeur à l’Université de Lille puis de Montpellier. Ses travaux de recherche portent principalement sur la géométrie différentielle. Il s’est aussi intéressé à l’enseignement, a publié plusieurs manuels en topologie et géométrie différentielle, divers articles dans le bulletin de l’APMEP, et a été le premier directeur de l’IREM de Lille.


  1. Nous nous sommes contentés d’en suggérer quelques-unes, en format timbre-poste, sans vraiment les analyser.

  2. Le sommet \(S\) du repère en forme d’obélisque joue en fait le rôle de l’œil ; il a l’avantage d’être immobile et plus ponctuel.

  3. Cette projection est bien définie lorsque \(\mathsf{M}\) n’appartient pas au plan parallèle à \(\Pi\) passant par \(\mathsf{S}\).

  4. Comme son nom l’indique, une « similitude » conserve les formes (c’est-à-dire les angles et les rapports de distance).

  5. S’il n’y a pas d’ambiguïté, on fera l’abus de langage consistant à utiliser les mêmes mots pour désigner des éléments de la projection du sujet sur \(\Pi\), et leur reproduction sur la feuille de dessin.

  6. Voir la remarque à la fin du paragraphe !

  7. Voir la note relative à la perspective cavalière à la fin de l’article.

  8. On utilisera les guillemets pour indiquer qu’il s’agit non pas d’un élément du sujet à proprement parler, mais de sa représentation sur la feuille de dessin.

Pour citer cet article : Lehmann D., « Dessin en perspective et géométrie dans l’espace », in APMEP Au fil des maths. N° 539. 1 juillet 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/dessin-en-perspective-et-geometrie-dans-lespace/.