Gentilles fonctions polynomiales de degré 3
Trouver des fonctions sur lesquelles les calculs sont simples pour que les élèves puissent s’exercer sur les nouvelles notions qu’ils rencontrent n’est pas si facile. Dans cet article, Jacques Marot s’intéresse aux polynômes de degré 3 à racines entières et dont la dérivée a aussi des racines entières… Difficile de faire plus simple pour les calculs.
Jacques Marot
© APMEP Mars 2020
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Introduction
Lors de l’initiation à l’étude des variations d’une fonction \(f\) à l’aide du signe de sa fonction dérivée, il serait bienvenu que les deux fonctions \(f\) et \(f’\) s’annulent pour des valeurs exclusivement dans \(\mathbb{Z}\). Walter Mesnier, enseignant au lycée du Bois d’Amour à Poitiers, qui nous avait soumis ce problème dans la défunte rubrique : « Problème de la quinzaine »1 du site de l’académie de Poitiers, avait qualifié de « gentilles » ces fonctions \(f\) définies, dérivables sur \(\mathbb{R}\) et telles que les solutions des équations \(f(x)=0\) et \(f'(x)=0\) soient toutes entières. Il est très simple de proposer à nos élèves de gentilles fonctions polynomiales de degré \(2\) : si \(f(x)=a(x-x_1)(x-x_2)\), il faut et il suffit que \(x_1\) et \(x_2\) soient des entiers de même parité pour que \(f\) soit gentille. Mais si nous recherchons la forme générale d’un polynôme de degré \(3\) scindé dans \(\mathbb{Z}\) tel que son polynôme dérivé soit lui aussi scindé dans \(\mathbb{Z}\), nous tombons sur un problème moins trivial à résoudre, puisqu’il s’agit de déterminer les solutions dans \(\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\) de l’équation diophantienne \(12n^2=3p^2+q^2\). La résolution de ce problème aboutit à un module GeoGebra
permettant de construire toute gentille fonction polynomiale de degré 3 ; il est disponible sur GeoGebra
-TUBE (rechercher gentille fonction
) à cette adresse : .
Nous terminerons par le fameux « Casus irreducibilis »2, qui montre que l’utilisation de radicaux réels n’est pas suffisante pour exprimer les trois racines réelles d’une équation aussi simple que \(8x^3-6x-1=0\), ce qui fait donc de la fonction \(g\) telle que \(g(x)=8x^3-6x-1\) une fonction extrêmement méchante dont la dérivée est pourtant extrêmement gentille. Signalons que la version numérique de cet article évoque en plus les méthodes de résolution d’une équation de degré \(3\) lorsqu’il n’y a qu’une ou deux solutions.
Solutions d’une équation de degré 3 exprimées à l’aide de la fonction cosinus
Étant donné \((b\, ;\,c\, ;\,d)\in\mathbb{R}\times\mathbb{R}\times\mathbb{R}\) et \(f\colon\left\lbrace
\begin{array}{rcl}
\mathbb{R} & \longrightarrow & \mathbb{R} \\
x & \longmapsto & x^3+bx^2+cx+d
\end{array}
\right.\), nous allons rechercher les conditions pour que la courbe \(\mathscr{C}_{f}\) représentative de la fonction \(f\) coupe l’axe des abscisses en trois points distincts.
Paramétrisation d’une partie de la cubique à l’aide de la fonction cosinus
La fonction dérivée de \(f\) est la fonction du second degré \(f’\), telle que \(f’ (x)=3x^2+2bx+c=3\left(x+\dfrac{b}{3}\right)^2-\dfrac{\Delta}{3}\) où \(\Delta\) est le discriminant réduit \(b^2-3c\). Cette dérivée est représentée par une parabole \(\mathscr{C}_{f’}\) qui admet pour sommet le point \(\mathsf{S}\left(-\dfrac{b}{3}\,;\,-\dfrac{\Delta}{3}\right)\) ; ce point a même abscisse que le point d’inflexion de \(\mathscr{C}_{f}\) car c’est pour cette valeur que la dérivée seconde \(f’\,’\) s’annule en changeant de signe. Nous en déduisons le développement de Taylor suivant de \(f\) en \(x_0=-\dfrac{b}{3}\) : \[f\left(x_0+h\right)= f\left(x_0\right) +f’ \left(x_0\right)h+
f’\,’\left(x_0\right)\dfrac{h^2}2 +f’\,’\,’\left(x_ 0\right)\dfrac{h^3}6 =
f\left(-\dfrac{b}{3}\right) -\dfrac{\Delta}{3}h +h^3.\]
Cette expression de \(f\) met en évidence que \(\mathsf{C}(x_0\, ;\, f\left(x_0\right))\) est aussi centre de symétrie de \(\mathscr{C}_{f}\), car lorsque \(h\) est changé en son opposé, il en est de même de l’écart entre \(f\left(x_0+h\right)\) et \(f(x_0)\).
Si nous voulons que l’équation \(f(x)=0\) admette trois solutions réelles distinctes, alors \(f'(x)\) doit nécessairement changer deux fois de signe ; nous devons donc avoir \(\Delta>0\), mais cela ne suffit pas.
Figure 1 : Courbes représentatives de f et f’ telles que \(f(x) = x^3 + bx^2 + cx + d\) avec \(b^2 – 3c > 0\). ↩
Pour parvenir à une condition suffisante, exprimons notre développement de Taylor avec \(h =r.\cos(\alpha)\), où \(r=\dfrac{2\sqrt{\Delta}}{3}\) est l’écart entre les abscisses \(\dfrac{-b\pm\sqrt\Delta}3\) des sommets de la cubique \(\mathscr{C}_{f}\) : \[f\left(-\dfrac{b}{3}+ r.\cos(\alpha)\right)=
f\left(-\dfrac{b}{3}\right)-
\dfrac{\Delta}3\times\dfrac{2\sqrt{\Delta}}{3}\cos{(\alpha)}+
\dfrac{8\sqrt{\Delta^3}}{27}\cos^3(\alpha)=
f\left(-\dfrac{b}{3}\right)+\dfrac{8\sqrt{\Delta^3}}{27}\left(\cos^3(\alpha)-\dfrac{3}{4}\cos(\alpha)\right)\]
À l’aide de l’identité \(\cos^3(\alpha)=\left(\dfrac{\text{e}^{\mathrm{i}\alpha}+
\text{e}^{-{\mathrm{i}\alpha}}}2\right)^3=\dfrac{\text{e}^{3
\mathrm{i}\alpha}+ \text{e}^{-3 \mathrm{i}\alpha}}8+
3\dfrac{\text{e}^{\mathrm{i}\alpha}+ \text{e}^{-\mathrm{i}\alpha}}8
=\dfrac{1}{4}\cos(3\alpha)+\dfrac{3}{4}\cos(\alpha)\), nous en déduisons : \[\color{\colrubrique}f\left(-\dfrac{b}{3}+r.\cos(\alpha)\right)=
f\left(-\dfrac{b}{3}\right)+\dfrac{r^3}{4}\cdot\cos(3\alpha).\] Lorsqu’une fonction polynomiale \(f\) de degré \(3\) admet un maximum et un minimum local, comme celles représentées en figure 1 ou 2 par des courbes qui admettent deux sommets \(\mathsf{S}_1\) et \(\mathsf{S}_2\), une partie de la courbe est assimilable à une courbe de Lissajous. C’est ce qui est détaillé avec plus de précision sur la partie de la courbe comprise dans le rectangle bleu de la figure 2.
Figure 2 : Gentille fonction f telle que f(x) = a(x + 5)(x – 10)(x – 19) et f'(x) = 3a(x – 1)(x – 15). ↩
L’équation \(f(x)=0\) admet trois solutions réelles distinctes si et seulement si \(\mathscr{C}_{f}\) coupe trois fois l’axe des abscisses ; cet axe doit donc être sécant avec le cercle de centre \(\mathsf{C}\) et de rayon \(\dfrac{r^3}{4}\cdotp\) Pour que notre équation ait trois solutions distinctes, il faut donc adjoindre à l’inégalité \( \Delta>0\) cette autre condition : \(\left|f\left(-\dfrac{b}{3}\right)\right|< \dfrac{r^3}{4}\cdotp\) Les solutions \(x_1\), \(x_2\) et \(x_3\) de l’équation \(f(x)=0\) et les solutions \(x’_1\) et \(x’_2\) de l’équation \(f'(x)=0\) peuvent alors s’exprimer à l’aide de \(\alpha_0= \arccos\left(-\dfrac{4}{r^3}f\left(-\dfrac{b}{3}\right)\right)\) et \(r=\dfrac{2\sqrt\Delta}{3}\) : \[\left\{ \begin{aligned}
x’_1&= -\dfrac{b}{3}-\dfrac{r}{2}\\
x’_2&= -\dfrac{b}{3}+\dfrac{r}{2}
\end{aligned} \right.\qquad\qquad \left\{\begin{aligned}
x_1&= -\dfrac{b}{3} + r.\cos\left(\dfrac{\alpha_0}{3}\right)\\
x_2&= -\dfrac{b}{3} + r.\cos\left(\dfrac{\alpha_0-2\pi}{3}\right)\\
x_3&= -\dfrac{b}{3} + r.\cos\left(\dfrac{\alpha_0+2\pi}{3}\right)
\end{aligned}\right.\]
Il sera révélé ici comment a été fabriquée la gentille fonction de la figure 2 dont une version animée est consultable sur GeoGebra
-TUBE à l’adresse indiquée ci-dessus.
Remarques générales sur les équations du troisième degré
Nous avons pris l’habitude de dire que les équations algébriques de degré inférieur ou égal à \(4\) sont résolubles par radicaux, mais il faut bien s’entendre sur la signification de l’expression « résoluble par radicaux », car lorsque qu’un polynôme de \(\mathbb{R}[X]\) de degré \(3\) admet trois racines réelles distinctes, il nous faut déterminer \(\cos(\alpha)\) pour lequel le réel \(\cos(3\alpha)\) s’exprime par des opérations élémentaires sur les coefficients du polynôme. Chercher \(\cos(\alpha)\) tel que \(\cos(3\alpha)=A\) se ramène au problème de la trisection d’un angle dont \(A\in [-1\,;1]\) est le cosinus, pour exprimer la partie réelle de la racine cubique du nombre complexe \(A\pm \mathrm{i}\sqrt{1-A^2} \). Pouvons-nous parler d’une résolution par radicaux, lorsqu’il s’agit de calculer les racines cubiques d’un nombre complexe non réel tel \(A+\mathrm{i}\, B\) ? Sauf cas particulier, aucune des trois racines cubiques de \(A+\mathrm{i}\, B\) n’est exprimable à l’aide de radicaux, au sens où il s’agirait de racines carrées ou cubiques de nombres réels exprimables par des opérations élémentaires sur les réels \(A\) et \(B\). Il serait judicieux de remplacer l’expression « résoluble par radicaux » par « extractions de racines », car les racines cubiques d’un complexe non réel ne sont généralement pas évaluables par des procédés algébriques, c’est ce qui est expliqué ici ↩ , en montrant l’impasse dans laquelle nous nous trouvons pour exprimer \(\cos\left(\dfrac{\pi}{9}\right)\) à l’aide de radicaux où n’interviendraient que des nombre réels ; ce réel \(\cos\left(\dfrac{\pi}{9}\right)\) est pourtant solution de \(8x^3-6x-1=0\).
En revanche, si un polynôme de degré \(3\) à coefficients réels n’admet que deux racines réelles distinctes dont une de multiplicité égale à \(2\), ou bien une seule racine réelle et deux autres complexes conjuguées non réelles, il devient possible d’exprimer les racines à l’aide de racines carrées et cubiques de nombres réels exprimables par des opérations élémentaires sur les coefficients réels du polynôme. Nous utilisons à cet effet les fonctions hyperboliques \(\cosh\) ou \(\sinh\) restreintes à \(\mathbb{R}\), à la place de la fonction \(\cos\). Le fait que les réciproques de \(\sinh_{|\mathbb{R}}\) et \(\cosh_{[0\,;+\infty[}\) soient exprimables à l’aide de la fonction logarithme népérien permet d’exprimer les solutions par radicaux réels ; des explications plus détaillées sont fournies dans cette version numérique.
Nous remarquerons aussi que, contrairement aux bruits qui courent dans la littérature mathématique qui ne jure que par la méthode de Cardan, il n’y a nulle nécessité à faire intervenir le corps \(\mathbb{C}\) pour calculer les solutions d’une équation de degré \(3\) lorsqu’elles sont toutes les trois réelles. Les calculs dans \(\mathbb{C}\) sont bien entendu dissimulés derrière l’identité d’Euler : \(\left(\text{e}^{\mathrm{i}\, x} +\text{e}^{-\mathrm{i}\,x}\right)^n=2^n\cos^n(x)\) mais, pour \(n=3\), l’identité \(4\cos^3(x)=\cos(3x)+3 \cos(x) \) est aisément vérifiable sans intervention de nombres complexes.
Recherche de gentilles fonctions polynomiales de degré 3
Une équation diophantienne
Ramenons le problème à l’équation diophantienne \(12n^2=3p^2+q^2\).
Nous allons chercher quelle forme doit prendre le triplet \((x_1\, ;\,x_2\, ;\,x_3)\in\mathbb{Z}\times \mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\) pour que le polynôme dérivé de \(P(X)=(X-x_1)(X-x_2)(X-x_3)\) n’admette lui aussi que des racines entières. Toute gentille fonction \(f\, :\, \mathbb{R} \longrightarrow\mathbb{R}\) polynomiale de degré \(3\) pourra être obtenue à partir d’un polynôme comme \(P\), en posant \(f(x)=aP(x)\) avec \(a\in\mathbb{R}^*\) quelconque.
Étant donné que \(P'(X)=3X^2-2(x_1+x_2+x_3)X+ (x_1x_2+x_2x_3+x_3x_1)\), nous voudrions qu’il existe un couple \((x’_1\,;\,x’ _2)\in\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\) tel que : \(x’_1+x’ _2=\dfrac{2(x_1+x_2+x_3)}{3}\) et \(x’_1x’ _2=\dfrac{x_1x_2+x_2x_3+x_3x_1}{3}\cdotp\)
Posons \(x_{\mathsf{C}}=\dfrac{x_1+x_2+x_3}{\mathstrut3}=\dfrac{x’_1+x’_2}{2}\) ; l’hypothèse \(\{x’ _1,x’_2, x_1,x_2,x_3\}\subset\mathbb{Z}\) implique que \(x_{\mathsf{C}}\) \(\bigl(\)qui est aussi égal à \((x_1+x_2+x_3)-(x’_1+x’_2)\bigr)\) est également un élément de \(\mathbb{Z}\) ; et cet entier est l’abscisse du centre de symétrie de la courbe \(\mathscr{C}_{f}\) représentative d’une fonction polynomiale \(f\) telle que \(f(x)=a.P(x)\). Soit l’entier naturel \(n=|{x’_2-x_{\mathsf{C}}}|=|{x_{\mathsf{C}}-x’_1}|\) ; si \(a=1\) nous pouvons appliquer les résultats du paragraphe précédent avec \(r=2n\) car ils permettent de paramétrer une partie de la cubique \(\mathscr{C}_{f}\) de la manière suivante : \[\left\{ \begin{aligned} x(t) &= x_{\mathsf{C}} + 2n.\cos(t)\\
y(t) &= f\left(x_{\mathsf{C}}\right)+2n^3.\cos(3t)\\
\end{aligned}\right. \qquad\text{ avec } t\in [0\,;\pi].\] En permutant éventuellement les indices \(1\), \(2\) et \(3\) et en posant \(\alpha
=\dfrac{1}{3}\arccos\left(\dfrac{-f\left(x_{\mathsf{C}}\right)}{2n^3}\right)\), cette paramétrisation d’une partie de \(\mathscr{C}_{f}\) permet d’exprimer les solutions de \(f(x)=0\) et \(f'(x)=0\) sous la forme suivante : \[\left\{\begin{aligned} x_1&= x_{\mathsf{C}} +2n.\cos(\alpha)\\
x_2&=x_{\mathsf{C}}-n.\cos(\alpha)-n.\sqrt3\sin(\alpha)\\
x_3&=x_{\mathsf{C}}-n.\cos(\alpha)+n.\sqrt3\sin(\alpha)
\end{aligned}\right.\qquad\qquad
\left\{ \begin{aligned}
x’_1&=x_{\mathsf{C}}-n\\
x’_2&=x_{\mathsf{C}}+n
\end{aligned} \right.\] L’entier \(x_{\mathsf{C}}\) peut être choisi arbitrairement. Cela se traduit par le fait que toute gentille fonction est dans une classe d’équivalence de fonctions, dont les courbes représentatives dans un repère \((O,\vec{\imath},\vec{\jmath})\) sont les translatées les unes des autres par un vecteur \(k\cdot\vec\imath\) avec \(k\in\mathbb{Z}\). Mais nous devons rechercher un réel \(\alpha\) et des entiers \(p\) et \(q\) tels que \( p=x_1-x_{\mathsf{C}}=2n\cos(\alpha)\) et \(q=x_3-x_2=2n\sqrt{3}\sin(\alpha)\) et qui permettent d’exprimer les racines de la manière suivante :
\(x_1=x_{\mathsf{C}}+p\qquad\) ; \(\qquad x_2=x_{\mathsf{C}}-\dfrac{1}{2}(p+q)\qquad\) ; \(\qquad x_3=x_{\mathsf{C}}-\dfrac{1}{2}(p-q)\).
Ces expressions permettent tout à fait d’envisager les situations avec racine triple ou double :
-
nous avons \(x_1=x_2=x_3=x_{\mathsf{C}}\) si et seulement si \(p=q=n=0\) ;
-
nous avons \(x_3=x_2=x_{\mathsf{C}}\pm n\) si et seulement si \(\alpha=0\) ou \(\alpha=\pi\) ; nous avons alors \(q=0\), \(p=\pm2n\) et \(x_1=x_{\mathsf{C}}\pm2n\) ;
-
nous avons \(x_1=x_3=x_{\mathsf{C}}+n\) si et seulement si \(\alpha=\dfrac{\pi\mathstrut}{\mathstrut3}\) ; nous avons alors \(p=n\), \(q=3n\) et \(x_1=x_{\mathsf{C}}-2n\) ;
-
nous avons \(x_1=x_2=x_{\mathsf{C}}-n\) si et seulement si \(\alpha=\dfrac{2\pi\mathstrut}{\mathstrut3}\) ; nous avons alors \(p=-n\), \(q=3n\) et \(x_3=x_{\mathsf{C}}+2n\).
En toute situation, y compris les quatre cas particuliers que nous venons d’évoquer, \((n\, ;\,p\, ;\,q)\) doit toujours vérifier \(\left(\dfrac{p}{2n} \right) ^2+\left(\dfrac{q}{2n\sqrt3} \right) ^2=1
\), ce qui équivaut à l’équation diophantienne \(12n^2=3p^2+q^2\). Il apparaît des solutions évidentes de cette équation, déduites des situations avec racines doubles : si \(p=\pm 2n\) nous obtenons \(q=0\), si \(p=\pm n\) nous obtenons \(q=\pm 3n\).
Les triplets solutions de l’équation diophantienne qui fournissent des polynômes avec racines multiples sont donc uniquement de la forme \((n\, ;\,\pm 2n\, ;\, 0)\) ou \((n\, ;\, \pm n\, ;\, \pm 3n)\). Ils permettent d’exprimer, à l’aide d’un entier quelconque \(n\) dans \(\mathbb{Z}\), des polynômes tels que \(P(X)=(X-x_{\mathsf{C}}-2n)(X-x_{\mathsf{C}}+n)^2\) et \(P'(X)=3(X-x_{\mathsf{C}}+n)(X-x_{\mathsf{C}}-n)\) ; le réel \(x_{\mathsf{C}}\) peut être racine triple de \(P\) et double de \(P’\) si et seulement si \(n=0\).
Les calculs ci-dessous permettent de vérifier que toute autre solution de l’équation diophantienne qui permet d’exprimer les racines entières d’un polynôme \(P\) est telle que \(P’\) admette lui aussi des racines entières distinctes.
\(x_1x_2+x_1x_3=(x_{\mathsf{C}}+p)(2x_{\mathsf{C}}-p)=2x_{\mathsf{C}}^2+px_{\mathsf{C}}-p^2 \quad\text{ et }\quad
x_2x_3=x_{\mathsf{C}}^2-px_{\mathsf{C}}+\dfrac{p^2-q^2}4=x_{\mathsf{C}}^2-px_{\mathsf{C}}+p^2-3n^2\).
Donc :
\(P'(X){=}3X^2{-}2(x_1{+}x_2{+}x_3)X{+}x_1x_2{+}x_2x_3{+}x_3x_1{=}3X^2{-}6x_{\mathsf{C}}X
{+}3x_{\mathsf{C}}^2{-}3n^2{=}3\left(X{-}x_{\mathsf{C}}{-}n\right)\left(X{-}x_{\mathsf{C}}{+}n\right)\).
Recherche des premières solutions de l’équation diophantienne sur TI-83-Python
Toute solution dans \(\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\) de l’équation diophantienne \(12n^2=3p^2+q^2\) pourra s’écrire \((dn\, ;\,d’ ;p\, ;\,d’\,’ ;q)\), avec trois entiers relatifs \(d\), \(d’ ;\) et \(d’\,’ ;\) de mêmes valeurs absolues et un triplet \((n\, ;\,p\, ;\,q)\in\mathbb{N}\times\mathbb{N}\times\mathbb{N}\) que nous qualifierons de primitif lorsque \(n\), \(p\) et \(q\) sont premiers entre eux. Pour plus d’efficacité nous allons donc rechercher les seules solutions dans \(\mathbb{N}\times\mathbb{N}\times\mathbb{N}\), pour lesquelles nous aurons \(\text{PGCD}(n,p,q)=1\). Avec \(n>1\) nous ne pourrons obtenir que des polynômes avec trois racines distinctes, car nous avons vu que seuls les triplets de la forme \((n\, ;\,\pm2n\, ;\,0)\) ou \((n\, ;\,\pm n\, ;\,\pm 3n)\), permettent de former des polynômes avec une racine double, voire triple si \(n=0\). Étant donné un entier naturel \(k\) à choisir lors de l’exécution sur calculatrice du script ci-dessous, nous recherchons de manière exhaustive les solutions primitives pour tout entier \(n\in [1\,;k]\).
from math import sqrt
#le pgcd n'est pas implémenté sur TI 83
def pgcd(a,b) :
while b:a,b=b,a%b
return a
k=int(input("k= ?"))
for n in range(k+1) :
for p in range(2*n) :
if pgcd(n,p)==1 :
q=int(sqrt(12*n**2-3*p**2))
if q**2+3*p**2==12*n**2 :
print(n,p,q)
Nous testons seulement les entiers \(p\in[1\,;2n[\) pour lesquels \(\text{PGCD}(n,p)=1\), car si trois entiers \(n\), \(p\) et \(q\) premiers entre eux sont liés par la relation \(12n^2=3p^2+q^2\), alors tout facteur premier commun à \(n\) et \(p\) est aussi nécessairement facteur premier de \(q\). Les deux seuls entiers \(n\) et \(p\) sont donc premiers entre eux si et seulement si \(\text{PGCD}(n,p,q)=1\). Nous devons ensuite rechercher des couples d’entiers naturels \((n\, ;\,p)\) tels que \(12n^2-3p^2\) soit le carré parfait d’un entier \(q\) ; nous sélectionnons pour cela tous les entiers \(p\in[1\,;2n[\) premiers avec \(n\) et tels que \(\sqrt{12n^2-3p^2}\) soit un entier. Pour \(n<7\), ce script affiche pour unique solution \((1 ;1 ;3)\), c’est le seul triplet primitif avec \(q\neq 0\) qui peut générer des polynômes qui ont une racine double.
Dès qu’un entier \(n \geq 7\) permet d’obtenir des solutions, il en apparaît au moins trois distinctes avec ce même entier \(n\). Cela vient du fait que si \((n\, ;\,p\, ;\,q)\) est une première solution primitive, l’entier \(p\) est la distance entre la racine désignée arbitrairement par \(x_1\) et la moyenne \(x_{\mathsf{C}}\) des trois racines ; nous pouvons donc exprimer au moins deux autres triplets solutions de l’équation diophantienne en remplaçant \(p\) par les distances entre \(x_{\mathsf{C}}\) et l’une des deux autres racines : \(p’ =|x_2-x_{\mathsf{C}}|=\dfrac{|{p-q}|}{2}\) ou \(p’\,’=|{x_3-x_{\mathsf{C}}}|=\dfrac{p+q}{2}\cdotp\) Nous vérifions ainsi que \(\left(n\, ;\,p’\, ;\,q’ ;\right)=\left(n\, ;\,\dfrac{|{p-q}|}
{2}\, ;\,\dfrac{3p+q}{2} \right)\) et \(\left( n\, ;\,p’\,’ ;\,q’\,’ \right)=\left(n \, ;\,\dfrac{p+q}{2}
\, ;\,\dfrac{|{3p-q}|}{2} \right)\) sont aussi deux autres solutions de l’équation diophantienne : \[3\left(\dfrac{p-q}2 \right)^2+\left(\dfrac{3p+q}2
\right)^2=3\left(\dfrac{p+q}2 \right)^2+\left(\dfrac{3p-q}2 \right)^2
=3p^2+q^2=12n^2.\]
Nous reviendrons sur ce fait ici : nous vérifierons que si \((n\, ;\,p\, ;\,q)\) est une solution primitive, alors \((n\, ;\,p’\, ;\,q’ ;)\) et \((n\, ;\,p’\,’ ;\,q’\,’ ;)\) sont aussi des solutions primitives qui engendrent une même famille de gentilles fonctions polynomiales du troisième degré. Nous montrerons aussi que parmi ces trois triplets, il y en existe toujours un et un seul dont la dernière composante \(q\), \(q’\) ou \(q’\,’\) est multiple de \(24\), cela permettra d’exprimer plus simplement toute gentille fonction polynomiale de degré \(3\). Pour \(n<60\), il faut \(n\in \{7\, ;\,13\, ;\,19\, ;\,31\, ;\,37\, ;\,43\, ;\,49\}\) pour obtenir des solutions, cela nous fournit une première liste de sept ensembles de trois triplets primitifs qui permettent d’engendrer chacun toute une famille de gentilles fonctions obtenues en faisant varier \((a\, ;\,x_{\mathsf{C}}\, ;\,d)\) dans \(\mathbb{R}\times \mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\).
-
\(E_7=
\left\{(7\, ;\,2\, ;\,24),(7\, ;\,11\, ;\,15),(7\, ;\,13\, ;\,9)\right\}\) fournit les fonctions \(f\) telles que : \[f(x)=a\left(x -x_ C-2d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -11d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}
+13d\right)\text{ et } f'(x)=3a(x-x_{\mathsf{C}}+7d)(x-
x_{\mathsf{C}}-7d)\] -
\(E_{13}=
\left\{(13\, ;\,1\, ;\,45),(13\, ;\,22\, ;\,24),(13\, ;\,23\, ;\,21)\right\}\) fournit les fonctions \(f\) telles que : \[f(x)=a\left(x -x_ C-d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -22d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}
+23d\right)\text{ et }
f'(x)=3a(x-x_{\mathsf{C}}+13d)(x-x_{\mathsf{C}}-13d)\] -
\(E_{19 }=
\left\{(19\, ;\,11\, ;\,63),(19\, ;\,26\, ;\,48),(19\, ;\,37\, ;\,15)\right\}\) fournit les fonctions \(f\) telles que : \[f(x)=a\left(x -x_ C-11d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -26d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}
+37d\right)\text{ et }
f'(x)=3a(x-x_{\mathsf{C}}+19d)(x-x_{\mathsf{C}}-19d)\] -
\(E_{31 }=\left\{
(31\, ;\,13\, ;\,105),(31\, ;\,46\, ;\,72),(31\, ;\,59\, ;\,33)\right\}\) fournit les fonctions \(f\) telles que : \[f(x)=a\left(x -x_ C-13d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -46d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}
+59d\right)\text{ et }
f'(x)=3a(x-x_{\mathsf{C}}+31d)(x-x_{\mathsf{C}}-31d)\] -
\(E_{37
}=(\left\{(37\, ;\,26\, ;\,120),(37\, ;\,47\, ;\,99),(37\, ;\,73\, ;\,21)\right\}\) fournit les fonctions \(f\) telles que : \[f(x)=a\left(x -x_ C-26d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -47d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}
+73d\right)\text{ et }
f'(x)=3a(x-x_{\mathsf{C}}+37d)(x-x_{\mathsf{C}}-37d)\] -
\(E_{43}=\left\{
(43\, ;\,22\, ;\,144),(43\, ;\,61\, ;\,105),(43\, ;\,83\, ;\,39)\right\}\) fournit les fonctions \(f\) telles que : \[f(x)=a\left(x -x_ C-22d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -61d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}
+83d\right)\text{ et }
f'(x)=3a(x-x_{\mathsf{C}}+43d)(x-x_{\mathsf{C}}-43d)\] -
\(E_{49
}=\left\{(49\, ;\,23\, ;\,165),(49\, ;\,71\, ;\,117),(49\, ;\,94\, ;\,48)\right\}\) fournit les fonctions \(f\) telles que : \[f(x)=a\left(x -x_ C-23d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -71d\right)\left(x+x_{\mathsf{C}}
-94d\right)\text{ et }
f'(x)=3a(x-x_{\mathsf{C}}+49d)(x-x_{\mathsf{C}}-49d)\]
Pour une même valeur de \(n\), notre équation diophantienne peut avoir plus de trois solutions, mais toujours en nombre multiple de \(3\). Pour qu’il y en ait six, il faut au minimum \(n=91\) ; les solutions obtenues sont \((91\, ;\,61\, ;\,297)\), \( (91\, ;\,74\, ;\,288)\), \((91\, ;\,107\, ;\,255)\), \((91\, ;\,118\, ;\,240)\), \( (91\, ;\,179\, ;\,57)\), \( (91\, ;\,181\, ;\,33)\). Elles permettent d’exprimer deux fonctions :
\[f_ 1(x)=a\left(x -x_ C+179d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -61d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}
-118d\right)\] \[f_ 2(x)=a\left(x -x_ C+181d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}} -74d\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}
-107d\right)\] Ces deux fonctions ont la même fonction dérivée \(f’\) telle que : \(f(x)=3a(x-x_{\mathsf{C}}+91d)(x-x_{\mathsf{C}}-91d)\). Nous pouvons vérifier que \(f_1\) et \(f_2\) ont bien les mêmes coefficients de degré 3, 2 et 1, qui sont respectivement \(a\), \(-3ax_{\mathsf{C}}\) et \(a(3x_{\mathsf{C}}^2-{24843}d^3)\), mais leurs coefficients de degré 0 sont nécessairement différents étant donné que \(f_1\) et \(f_2\) sont différentes, sinon leurs décompositions en facteurs irréductibles ci-dessus seraient identiques.
Le plus petit entier \(n\) qui fournit plus de six solutions est \({1\,729}\) pour lequel il y a douze solutions, le plus petit entier pour lequel nous obtenons plus de douze solutions est \(n={53\,599}\), pour lequel il y en a vingt-quatre. Cette progression géométrique du nombre de solutions : \(3\) ; \(6\) ; \(12\) ; \(24\) est assez étonnante, d’autant plus que plusieurs heures de calcul n’ont pas permis de trouver un entier \(n\) pour lequel il y ait un nombre de solutions égal à \(9\), \(15\), \(18\) ou \(21\). Pour parvenir à ces résultats donnés en annexe A3, il est proposé un algorithme plus efficace que celui utilisé ci-dessus, car il est inadapté pour de très grands entiers. La méthode utilisée qui consiste à tester tous les termes d’une suite arithmétique, même si celle-ci est bien choisie, demande des temps de calculs extrêmement longs sur calculatrice. Sur ordinateur les temps de calculs sont considérablement raccourcis, mais la méthode utilisée devient quand même inopérante pour les grands entiers, car bien que soit censé effectuer des calculs arithmétiques exacts sans borne supérieure pour les entiers, il n’en est pas de même avec les nombres réels dont l’approximation en machine par un nombre décimal flottant est obligatoirement limitée en précision. Nous tombons alors dans un piège inhérent à tout calcul automatisé dès que \(n\) devient trop grand : nous constatons des inégalités \(\text{sqrt}\left(n^2\right)\neq|n|\) arithmétiquement fausses car la fonction sqrt
retourne des résultats de type « flottants » limités en précision ; il faudra donc prévoir une procédure spéciale pour reconnaitre un carré parfait très grand. Après avoir résolu l’équation diophantienne dans le paragraphe suivant, nous proposons en annexe A4 un script optimisé tenant compte de ces remarques ; les temps de calcul sont considérablement améliorés et nous découvrirons ainsi qu’avec \(n={3\,591\,133}\) il y a quarante-huit solutions.
Solution générale de l’équation diophantienne
Nous avons déjà vu que notre équation \(12n^2=3p^2+q^2\) admet comme solutions évidentes dans \(\mathbb{N}\times\mathbb{N}\times\mathbb{N}\) tous les triplets de la forme \((n\, ;\,n\, ;\,3n)\) ou \((n\, ;\,2n\, ;\,0)\) avec \(n\in\mathbb{N}\), et que ces solutions ne permettaient d’obtenir que des polynômes ayant une racine double, voire triple si \(n=0\). Pour obtenir des polynômes avec trois racines entières distinctes, il faut et il suffit que les entiers naturels \(p\) et \(q\) vérifient \(q \neq 0 \) et \(3p \neq q\) ; toute solution avec \(n>1\) telle que \(\text{PGCD}(n,p,q)=1\) fournira donc des polynômes avec trois racines simples.
Si \((n\, ;\,p\, ;\,q)\) est une telle solution dans \(\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\) de l’équation \(3p^2+q^2=12n^2\), alors \(n \neq 0\) et \(\left( \dfrac{q}{n}\, ;\,\dfrac{p}{n}\right)\) est solution dans \( \mathbb{Q}\times\mathbb{Q}\) de l’équation en \((x\, ;\,y)\) : \(x^2+3y^2=12\). Réciproquement, toute solution dans \(\mathbb{Q}\times\mathbb{Q}\) de cette équation exprimée sous la forme \((x\,;\,y)=\left(\dfrac{q}{n}\,;\, \dfrac{p}{n} \right)\), à l’aide de \((n\, ;\,p\, ;\,q)\in\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\), fournit ce triplet comme solution de notre équation diophantienne. Le point \(\mathsf{A}(0\, ;\,-2)\) sur l’ellipse \(\mathscr{E}\) d’équation \(x^2+3y^2=12\) tracée en figure 3, va nous servir de point de départ pour déterminer tous les autres points de coordonnées rationnelles sur \(\mathscr{E}\).
Figure 3. Ellipse admettant les équations paramétriques \(x(t) =\frac{12t}{3t2 + 1}\) et \(y(t) =\frac{6t^2- 2}{3t^2 + 1}\) ↩
Si un autre point \(\mathsf{B}\) sur cette ellipse a des coordonnées rationnelles, le coefficient directeur de la droite \((\mathsf{AB})\) qui est \(\dfrac{y_{\mathsf{B}}+2}{x_{\mathsf{B}}}\) est lui aussi rationnel. Réciproquement, considérons une droite \(d\) passant par \(\mathsf{A}\) de coefficient directeur rationnel \(t\), elle admet pour équation \(y=tx-2\) ; en substituant \(tx-2\) à \(y\) dans l’équation de \(\mathscr{E}\) ci-dessus, nous pouvons vérifier que \(d\) recoupe \(\mathscr{E}\) en un point \(\mathsf{B}\) à coordonnées rationnelles, car nous devons résoudre cette équation de degré \(2\): \(x^2+3(t^2x^2-4tx+4)=12\) équivalente à \(x \left((3t^2+1)x- 12t\right)=0\). L’abscisse de \(\mathsf{B}\) est donc \(\dfrac{12t}{3t^2+1}\) et son ordonnée est \(\dfrac{12t^2}{3t^2+1}-2=\dfrac{6t^2-2}{3t^2+1}\cdotp\)
Si nous supposons \(t\) rationnel, il existe des entiers \(u\) et \(v\) premiers entre eux, qui permettent d’écrire \(t\) et les coordonnées de \(\mathsf{B}\) sous forme de fractions : \(t=\dfrac {u}{v}\Longrightarrow x_{\mathsf{B}}=\dfrac{12uv}{3u^2+v^2}\) et \(y_{\mathsf{B}}=\dfrac{6u^2-2v^2}{3u^2+v^2}\cdotp\)
Nous n’avons besoin que des seules solutions de l’équation diophantienne dans \(\mathbb{N}\times\mathbb{N}\times\mathbb{N}\), nous poserons donc \( (n\, ;\,p\, ;\,q)=\left( 3u^2+v^2\, ;\, |{6u^2-2v^2}|\, ;\,12uv\right)\) en utilisant exclusivement des entiers \(u\) et \(v\) positifs. Pour parvenir à exprimer finalement une solution primitive, il nous faudra diviser ce triplet par \(\text{PGCD}(n,p,q)\). Si nous supposons \(u\) et \(v\) premiers entre eux, les seuls facteurs premiers communs que peuvent avoir \(12uv\) et \(3u^2+v^2\) sont \(2\) lorsque \(u\) et \(v\) sont impairs, et \(3\) lorsque celui ci est diviseur de \(v\). Si \(v=3v’\) avec \(v’\in\mathbb{N}\), après simplification par \(3\) nous obtenons la solution \(\left(u^2+3v’^2\, ;\, |{6v’^2-2u^2}| \, ;\,12v’u \right)\) ; cette solution aurait pu être obtenue directement à l’aide de \(t=\dfrac{v’}{u}\), nous en comprenons mieux les raisons sur la figure 3 où nous avons tracé deux droites de coefficients directeurs \(t=\dfrac{u}{v}\) et \(\dfrac{1}{3t}=\dfrac{v’}{u}\cdotp\) Toute solution primitive de \(12n^2=3p^2+q^2\) peut donc être exprimée en partant d’un couple \((u\, ;\,v) \) d’entiers premiers entre eux, tel que \(v\) ne soit pas multiple de \(3\). Pour parvenir à exprimer toute solution primitive, il ne nous reste donc à envisager que deux autres possibilités :
-
si \(u\) et \(v\) sont tels que l’un soit pair et l’autre impair, aucun facteur premier de \(12uv\) ne peut diviser \(3u^2+v^2\), nous obtenons d’emblée la solution primitive : \[(n\, ;\,p\, ;\,q) = \left(3u^2+v^2\, ;\,
|{6u^2-2v^2}|\, ;\,12uv\right) ;\] -
si \(u\) et \(v\) sont impairs, \(6u^2-2v^2\) et \(3u^2+v^2\) sont multiples de \(4\), nous pouvons alors effectuer une simplification par \(4\) et, puisqu’aucun facteur premier de \(3uv\) ne peut être diviseur de \(3u^2\pm v^2\), nous obtenons cette solution primitive : \[(n\, ;\,p\, ;\,q)=\left( \dfrac{3u^2+v^2}4 \, ;\,\dfrac{|{3u^2-v^2}|}2
\, ;\,3uv\right).\]
Même les triplets qui engendrent des polynômes avec une racine double peuvent s’exprimer sous l’une de ces deux formes : le triplet \((1\, ;\,2\, ;\,3)\) est obtenu avec \((u\, ;\,v)=(0\, ;\,1)\) et \((1\, ;\,1\, ;\,3)\) est obtenu avec \((u\, ;\,v)=(1\, ;\,1)\).
Conclusion : forme générale des gentilles fonctions polynomiales de degré 3
Nous sommes parvenus à exprimer toutes les solutions primitives de notre équation diophantienne selon deux formes possibles, mais pour engendrer l’ensemble des racines de tout gentil polynôme du troisième degré, nous allons voir qu’il est possible de n’en utiliser qu’une seule. Lorsque nous utilisons des entiers \(u\) et \(v\) impairs, nous obtenons des triplets dont la dernière composante \(3uv\) est impaire ; pourtant, dans la liste des solutions là ↩ , parmi les trois triplets qui permettent d’engendrer une même famille de gentilles fonctions, il en apparaît toujours un dont la troisième composante est multiple de \(24\). Ceci est une propriété générale, qui va nous permettre d’ignorer cette deuxième forme possible des solutions de l’équation diophantienne.
Éclaircissons d’abord les raisons pour lesquelles les racines d’un gentil polynôme du troisième degré peuvent être obtenues à partir de plusieurs solutions distinctes de l’équation diophantienne. Si nous considérons un premier triplet \((n\,;\,p\, ;\,q)\in\mathbb{N}\times\mathbb{N}\times\mathbb{N}\) tel que \(\text{PGCD}(n,p,q)=1\) et \(12n^2=3p^2+q^2\), nous avons déjà constaté là que \((n\, ;\,p’\,;\,q’)=\left(n \, ;\,\dfrac{p-q\mathstrut}{2\mathstrut} \, ;\,\dfrac{3p+q\mathstrut}{2\mathstrut}
\right)\) et \((n\,;\,p’\,’\,;\,q’\,’)=\left( n\, ;\,\dfrac{p+q\mathstrut}{2\mathstrut} \, ;\,\dfrac{3p-q\mathstrut}{2\mathstrut}
\right)\) étaient aussi des solutions dans \(\mathbb{N}\times\mathbb{Z}\times\mathbb{Z}\) de l’équation diophantienne et nous pouvons vérifier que les racines qu’elles engendrent sont les symétriques par rapport à \(x_\mathsf{C}\) de celles engendrées par \((n\, ;\,p\, ;\,q)\) car :
|
|
|
Il apparaît encore plus de solutions de l’équation diophantienne par changement de signe de \(n\), \(p\), \(p’\), \(p’\,’\), \(q\), \(q’\) et \(q’\,’\), mais l’ensemble des racines engendrées est insensible aux signes de \(q\), \(q’ \) et \(q’\,’\) et encore moins au signe de \(n\) qui n’intervient que pour exprimer les racines \(x_{\mathsf{C}}\pm n\) du polynôme dérivé. En revanche, avec \((n\, ;\,-p\, ;\,q)\), nous obtenons un ensemble de racines symétrique par rapport à \(x_{\mathsf{C}}\) de celui obtenu avec \((n\, ;\,p\, ;\,q)\) ; le changement de signe de \(p’\) ou \(p’\,’\) permet donc de retrouver les mêmes racines qu’avec \((n\, ;\,p\, ;\,q)\).
Nous pouvons vérifier que, si \(\left(n\, ;\,p\, ;\,q \right) \) est une solution primitive, alors \(\left(n\, ;\,|p’|\, ;\,q’ ; \right)\) et \(\left(n\, ;\,p’\,’ ;\,|q’\,’| \right)\) sont aussi des solutions primitives car, si \(d\) est un diviseur premier de \(\text{PGCD}(n,p’ ;,q’ ;)\) ou de \(\text{PGCD}(n,p’\,’,q’ \,’)\), il doit aussi diviser \(p’+q’=p’\,’+q’\,’=2p\) et \(q’ -3p’ =3p’\,’- q’\,’=2q\). Mais, puisque \(\text{PGCD}(n,p,q)=1\), le seul facteur premier que pourraient avoir en commun \(n\), \(2p\) et \(2q\) est nécessairement \(2\). Pourtant \(n\) ne peut pas être pair, sinon \(p\) et \(q\) qui doivent être nécessairement de même parité seraient tous les deux impairs. Or, dans \(\mathbb{Z}/8\mathbb{Z}\), nous avons \(\overline{1}^2\equiv\overline{3}^2\equiv\overline{5}^2\equiv\overline{7}^2\) ; nous aboutirions alors à une contradiction car, avec \(n\) pair, la projection dans \(\mathbb{Z}/8\mathbb{Z}\) de l’égalité \(12n^2=3p^2+q^2\) donnerait \(\overline{0}=\overline{4}\).
Finalement nous allons vérifier que, parmi les trois solutions primitives qui sont \((n\, ;\,p\, ;\,q)\), \(( n\, ;\, |p’|\, ;\, q’ ;)\) ou \(( n’\, ;\, p’\,’\, ;\, |q’\,’|)\), il y en a toujours une et une seule dont la dernière composante est paire. En observant les deux formes possibles des solutions de l’équation diophantienne à la fin du paragraphe précédent, nous voyons que l’un des trois entiers \(q\), \(q’\) ou \(q’\,’\) doit de plus être multiple de \(24\), ce qui fournit un excellent moyen d’accélérer la recherche de nos gentilles fonctions à l’aide de moyens numériques. Cela apparaît immédiatement si nous utilisons des entiers \(u\) et \(v\) de parités différentes : dans cette situation nous avons dû poser \(q=12uv\) qui est évidemment multiple de \(24\) puisque \(u\) ou \(v\) est pair ; de plus \(q’\) et \(q’\,’\) ne peuvent pas être pairs car, par projection de \(q’\) et \(q’\,’\) dans \(\mathbb{Z}/2\mathbb{Z}\), nous obtenons \(\overline{q’}=\overline {q’\,’}=\overline{3(u^2-v^2) \pm 6uv} =
\overline{u-v} = \overline{1}\).
En revanche, si nous utilisons des entiers \(u\) et \(v\) impairs et que nous posons \((p\, ;\,q)=\left(\dfrac{|{3u^2-v^2}|}2 \,\, ;\,3uv\right)\), il est évident que \(q=3uv\) est impair et nous avons \(\{q’\, ;\,q’\,’\}=\left\{ \dfrac34\left|3u^2-v^2-2uv
\right|\, ;\,\dfrac34\left| 3u^2-v^2+2uv \right|\right\}\). Si \(u\) et \(v\) sont impairs, nous vérifions alors qu’un et un seul des deux nombres \(3(3u^2-v^2\pm 2uv)\) est divisible par \(8\) car, en arithmétique modulo \(8\), les entiers impairs \(u\), \(v\) et \(uv\) sont nécessairement équivalents à \(1\), \(3\), \(5\) ou \(7\) ; nous avons donc les congruences modulo \(8\) suivantes : \(u^2\equiv v^2\equiv 1 \). Il ne nous reste donc que quatre cas à envisager :
-
si \(uv \equiv 1\) alors \(3u^2-v^2-2uv \equiv 3 – 1 – 2 \equiv 0 \) et \(3u^2-v^2+2uv \equiv 3 – 1 + 2 \equiv 4 \) ;
-
si \(uv \equiv 3\) alors \(3u^2-v^2-2uv \equiv 3 – 1 – 6 \equiv 4 \) et \(3u^2-v^2+2uv \equiv 3-1+6 \equiv 0 \) ;
-
si \(uv \equiv 5\) alors \(3u^2-v^2-2uv \equiv 3 – 1 – 10 \equiv 0 \) et \(3u^2-v^2+2uv \equiv 3 – 1 + 10 \equiv 4 \) ;
-
si \(uv \equiv 7\) alors \(3u^2-v^2-2uv \equiv 3 – 1 -14\equiv 4 \) et \(3u^2-v^2+2uv \equiv 3 – 1 + 14 \equiv 0 \).
Dans les quatre cas, nous voyons que les deux entiers \(\dfrac{3}{4}\left(3u^2-v^2-2uv \right)\) et \(\dfrac{3}{4}\left( 3u^2-v^2+2uv \right) \) sont bien de parités différentes et nous arrivons donc à la conclusion suivante :
Pour toute gentille fonction polynomiale \(f : \mathbb{R}\longrightarrow \mathbb{R}\) de degré \(3\) il existe :
deux entiers naturels \(u\) et \(v\) premiers entre eux tels que \(3\) ne divise pas \(v\),
un couple d’entiers relatifs \((x_{\mathsf{C}}\, ;\,d)\),
un nombre réel \(a\) non nul,
qui permettent d’exprimer \(f\) sous la forme suivante : \[f(x)=a\left( x-x_{\mathsf{C}}+d(6u^2-2v^2) \right)\left( x-x_{\mathsf{C}}-d(3u^2-v^2+6uv
)\right)\left(x-x_{\mathsf{C}}-d(3u^2-v^2-6uv )\right)\]
Nous aurions pu dès le départ exhiber le polynôme \(P\) unitaire de degré \(3\) dont les racines entières sont :
\(x_1=x_{\mathsf{C}}-d(6u^2-2v^2)\qquad\) ; \(\qquad x_2=x_{\mathsf{C}}+d(3u^2-v^2+6uv)\qquad\) ;\(\qquad x_3=x_{\mathsf{C}}+d(3u^2-v^2-6uv)\)
puis vérifier par un simple calcul que \(x’_1=x_{\mathsf{C}}+d(3u^2+v^2)\) et \(x’_2=x_{\mathsf{C}}-d(3u^2+v^2)\) sont bien les racines de \(P'(X)=3X^2-2(x_1+x_2+x_3)X+x_1x_2+x_2x_3+x_3x_1\) en constatant que : \[x’_1+x’_2=2x_{\mathsf{C}}=\dfrac{2(x_1+x_2+x_3)}{3}\text{ et }
x’_1x’_2=x_{\mathsf{C}}^2-d^2(3u^2+v^2)^2=\dfrac{(x_2+x_3)x_1+x_2x_3}{3}\cdotp\]
Mais notre étude en dit plus en affirmant que toutes les fonctions que nous cherchions peuvent s’exprimer sans exception comme nous venons de le faire ci-dessus ; même les cas particuliers avec une racine double s’obtiennent en posant \((u\, ;\,v)=(0\, ;\,1)\), et ceux avec une racine triple peuvent s’obtenir en posant \(d=0\).
Dans l’expression générale d’une gentille fonction polynomiale de degré \(3\) ci-dessus le réel \(a\) non nul peut être quelconque. Cela permet de fixer le centre de symétrie de la courbe représentative de la gentille fonction que nous souhaitons créer, à condition qu’il ait une ordonnée \(y_{\mathsf{C}}\) non nulle. L’abscisse de ce centre de symétrie est \(x_{\mathsf{C}}\), nous devons donc avoir \(f(x_{\mathsf{C}})=y_{\mathsf{C}}\). En posant \(p=d(3u^2-v^2)\) et \(q=6duv\) nous obtenons \(f(x_{\mathsf{C}})=2ap(p^2-q^2)\) ; avec trois racines distinctes nous avons \(p(p^2-q^2)\neq 0\), il suffit alors de poser \(a= \dfrac{y_{\mathsf{C}}}{2p\left(p^2-q^2\right)}\) pour obtenir \(f(x_{\mathsf{C}})=y_{\mathsf{C}}\).
À titre d’exemple, revenons sur la manière avec laquelle a été choisie l’illustration de la figure 2 :
-
nous avons choisi de placer arbitrairement le centre de symétrie en \({\mathsf{C}}(8\, ;\,2)\), d’où \(x_{\mathsf{C}}=8\) ;
-
nous sommes allés au plus simple en choisissant \((u\, ;\,v)=(1\, ;\,2)\) et \(d=1\) ;
nous obtenons \((n\, ;\,p\, ;\,q)=(7\, ;\,2\, ;\,24)\) et les racines : \(x_1=x_{\mathsf{C}}+p=10\) ;
\(x_2=x_{\mathsf{C}}-\dfrac{p-q}2=19\) ;
\(x_3=x_{\mathsf{C}}-\dfrac{p+q}2=-5\) -
étant donné le polynôme \(P\) tel que \(P(X)=(X-10)(X-19)(X+5)= X^3-24X^2+45X+950\), son polynôme dérivé \(P’\) \(\bigl(\)vérifiant \(P'(X)=3\left(X^2-16X+15\right)\bigr)\) admet bien pour racines \(x’ _1=x_{\mathsf{C}}-n=1\) et \(x’ _2=x_{\mathsf{C}}+n=15\) ;
-
nous avons \(P(8)=286\) ; nous avons donc posé \(a=\dfrac{2}{286}\) et nous avons représenté la fonction \(f\) définie par : \[f(x)=\dfrac {1}{143}\left(x^3-24x^2+45x+950\right) \quad\text{et donc}\quad
f'(x)=\dfrac {3}{143}\left(x^2-16x+15\right).\]
Recherche des solutions de \(12n^2=3p^2+q^ 2\) avec python
Le script suivant permet d’afficher les solutions pour tous les entiers \(n\) compris entre deux bornes qu’il faut entrer à son lancement. Il s’arrête dès que pour un même entier \(n\), nous avons obtenu un nombre de solutions supérieurs ou égal à \(s\) qui est le troisième paramètre demandé. En demandant l’arrêt pour au moins \(4\) solutions nous en obtenons \(6\), cela ne peut pas nous étonner car nous savons qu’il y en a un multiple de \(3\). En demandant l’arrêt pour au moins \(9\) solutions, nous en obtenons \(12\), jamais \(9\) ; en demandant au moins \(15\) solutions, le plus petit entier \(n\) obtenu est \({53\,599}\) pour lequel il y a \(24\) solutions, et pire encore dès que nous en demandons au moins \(25\), après un long temps de calcul nous obtenons \(48\) solutions pour \(n={3\,591\,133}\). Nous pouvons aussi vérifier qu’il n’ y a aucun entier inférieur à \({3\,591\,133}\), pour lequel il y aurait un nombre de solutions différent de \(3\), \(6\), \(12\), \(24\), \(48\).
Nous pouvons donc conjecturer que le nombre de solutions serait toujours de la forme \(3\times 2^a\) avec \(a\in\mathbb{N}\), plusieurs heures de calcul sur ordinateur avec le script ci-dessous légèrement modifié pour ne tester que les entiers écrits sous la forme \(n=3u^2+v^2\) avec \(u\) et \(v\) premiers entre eux, de parité différente et tel que 3 ne divise pas \(v\), n’ont pas pu remettre en cause cette hypothèse, mon ordinateur tourne encore pour trouver un nombre de solutions au moins égal à 51.
Équations du troisième degré qui n’ont qu’une ou deux solutions réelles [an]
Il s’agit toujours de résoudre \(f(x)=0\) où \(f\) est la fonction polynomiale de degré trois à coefficients réels telle que \(f(x)=x^3+bx^2+cx+d\). Lorsque le discriminant réduit \(\Delta=b^2-3c\) est positif, nous pourrons considérer le cercle \(\mathscr{C}\) de rayon \(r=\dfrac{4\sqrt\Delta^3}{27}\), et centre \(C (-\dfrac{b}{3} ;f\left( -\dfrac {b}{3}\right))\). Les situations où notre équation du troisième degré n’admet plus trois solutions réelles distinctes sont les suivantes :
Le cercle \(\mathscr{C}\) est tangent à l’axe des abscisses
Lorsque \(f\left(-\dfrac{b}{3}\right)=\pm\dfrac{r^3}{4}\), le cercle \(\mathscr{C}\) de la figure 6 n’est plus sécant avec l’axe des abscisses, mais lui est seulement tangent. Il y a un doublon dans les expressions des solutions de \(f(x)=0 \) du paragraphe [ts], il n’y a donc que deux solutions qui s’expriment très simplement à l’aide de radicaux :
-
lorsque \(f\left(-\dfrac{b}{3}\right)>0\), nous avons \(x_1=x_3=\dfrac{-b}{3}+\dfrac r2\) avec \(\alpha_0=-\dfrac\pi3 \) ;
-
lorsque \(f\left(-\dfrac{b}{3}\right)<0\), nous avons \(x_2=x_3=\dfrac{-b}{3}-\dfrac r2\) avec \(\alpha_0=0\).
Le cercle \(\mathscr{C}\) ne rencontre plus l’axe des abscisses
Nous observons sur les graphiques de la figure 1 que le cercle \(\mathscr{C}\) ne rencontre plus l’axe des abscisses, lorsque \(f\left(-\dfrac{b}{3}\right)\notin [-\dfrac{r^3}{4}\,;\dfrac{r^3}{4}]\), l’équation \(f(x)=0\) n’admet donc plus qu’une seule solution réelle. La fonction \( \arccos \) définie seulement sur \([-1\,;1]\) ne peut plus être utilisée, mais nous pourrons avoir recours à la fonction cosinus hyperbolique définie sur \(\mathbb{R}\), à valeurs réelles \( \cosh \colon x\longmapsto \dfrac{\text{e}^x+\text{e}^{-x}}{2}\) et l’identité : \[\cosh^3(x)=\left(\dfrac{\text{e}^{x}+\text{e}^{-x}}2 \right) ^3=
\dfrac{\text{e}^{3x}+\text{e}^{-3x}}8+3\dfrac{\text{e}^{x}+\text{e}^{-x}}{8}=\
\dfrac{1}{4}\cosh(3x)+\dfrac{3}{4}\cosh(x)\] Pour mettre en évidence l’unique solution de \(f(x)=0\), nous continuerons à poser \(r=\dfrac{2\sqrt{\Delta}}{3}\), mais il faudra tenir compte du fait que \(\text{Argcosh}\) est définie seulement sur \( [1\,;+\infty[\). Nous poserons alors
\(\alpha_0=\dfrac{1}{3}\text{Argcosh}\left(\dfrac{4}{r^3}
|f\left(\dfrac{-b}{3}\right)|\right)\), puis selon le signe de \(f\left(\dfrac{-b}{3}\right)\), nous utiliserons le développement de Taylor vu en [ts] avec \(h= r\cosh(\alpha)\) ou bien \(h=-r\cosh(\alpha)\) :
\(f\left(-\dfrac{b}{3}+r\cdot\cosh(\alpha)\right)=
f\left(-\dfrac{b}{3}\right)+ \dfrac{r^3}4\cosh(3\alpha)\) ; \(f\left(-\dfrac{b}{3}-r\cdot\cosh(\alpha)\right)=
f\left(-\dfrac{b}{3}\right)- \dfrac{r^3}4\cosh(3\alpha)\)
-
si \(f\left(-\dfrac{b}{3}\right)<0 \) avec la première égalité nous obtenons la solution \(-\dfrac{b}{3}+r\cdot\cosh(\alpha_0)\), (graphique à gauche en figure [figmarotc1]).
-
si \(f\left(-\dfrac{b}{3a}\right)>0\) avec la deuxième égalité nous obtenons la solution \(-\dfrac{b}{3}-r\cdot\cosh(\alpha_0)\), (graphique à droite en figure [figmarotc1]).
Dans les deux cas, la solution est exprimable par radicaux réels et ne nécessite plus l’utilisation des fonctions \(\cosh\) et \(\text{Argcosh}\), car nous pouvons montrer que la restriction de \(\cosh\) à \(\mathbb{R}^+\) est injective et que sa fonction réciproque est : \[{\text{Argcosh}\colon \left\lbrace
\begin{array}{rcl}
[1\,;+\infty[ &
\longrightarrow & \mathbb{R}^+ \\
y& \longmapsto &\ln\left(y+\sqrt{y^2-1}\right).
\end{array}\right.}\] En posant \(y=|\dfrac4{r^3}f\left(\dfrac{-b}{3}\right)|\), nous avons : \[\cosh\left(\dfrac{1}{3} \text{Argcosh}(y)\right)
=\dfrac{\text{e}^{\dfrac{1}{3}\text{Argcosh}(y)}+\text{e}^{-\dfrac{1}{3}\text{Argcosh}(y)}}{2}
=\dfrac{\text{e}^{\dfrac{1}{3}\ln\left(y+\sqrt{y^2-1}\right)}+\text{e}^{-\dfrac{1}{3}\ln\left(y+\sqrt{y^2-1}\right)}}{2}
=\dfrac{\sqrt[3]{y+\sqrt{y^2-1}}+\sqrt[3]{y-\sqrt{y^2-1}}}{2}\]
\(f\) est strictement monotone sur \(\mathbb{R}\)
Nous distinguerons les deux cas \(\Delta=0\) et \(\Delta< 0\). Lorsque \(\Delta=0\), bien que \(f’\) s’annule en \(\dfrac {b}{3}\), \(f\) est strictement monotone car \(f’\) ne change pas de signe. Le développement de Taylor de \(f\) en \(\dfrac{-b}{3}\) prend alors la forme très simple \(f\left(-\dfrac{b}{3}+h\right)=f\left(-\dfrac{b}{3}\right)+h^3\), la seule racine réelle de l’équation \(f(x)=0\) est \(x_0=-\dfrac{b}{3}+\sqrt[3]{-f\left(-\dfrac{b}{3}\right)}\).
Lorsque \(\Delta\) est strictement négatif, comme précédemment \(f’\) ne change pas de signe et \(f\) est strictement monotone. Dans cette situation, le calcul de l’unique solution réelle de l’équation \(f(x)=0\) est plus complexe, nous aurons recours à la fonction sinus hyperbolique définie sur \(\mathbb{R}\), à valeur réelle \(\sinh \colon x \longmapsto \dfrac{\text{e}^ x-\text{e}^{-x}}{2}\), qui vérifie l’identité : \[\sinh^3(x)=\left(\dfrac{\text{e}^{x}-\text{e}^{-x}}2 \right)^3=
\dfrac{\text{e}^{3x}-\text{e}^ {-3x}}8-3\dfrac{\text{e}^{x}-\text{e}^{-x}}{8}=\
\dfrac{1}{4}\sinh(3x)-\dfrac{3}{4}\sinh(x).\]
Avec \(r=\dfrac{2\sqrt{|\Delta|}}{3}\), le développement de Taylor de \(f\) en \(\dfrac{-b}{3}\) permet les calculs successifs suivants : \[f\left(-\dfrac{b}{3}+r\cdot\sinh(\alpha)\right) =
f\left(-\dfrac{b}{3}\right)+
\dfrac{r^3}{4}\left(3\sinh{(\alpha)}
+4\sinh^3(\alpha)\right)=
f\left(-\dfrac{b}{3}\right)+\dfrac{r^3}{4}\sinh(3\alpha)\]
En posant \(\alpha_0=\dfrac{1}{3}\text{Argsinh}\left(\dfrac{-4}{r^3}f\left(\dfrac{-b}{3}\right)\right)\) nous voyons que \(-\dfrac{b}{3}+r\cdot\sinh(\alpha_0)\) est l’unique solution réelle de l’équation \(f(x)=0\). Si nous posons \(y=\dfrac{-4}{r^3}f\left(\dfrac{-b}{3}\right)\), il apparaît encore que cette solution réelle peut s’exprimer par radicaux, car la bijection de \(\sinh\) est \[\text{Argsinh}\colon \left\lbrace \begin{array}{rcl} \mathbb{R}&\longrightarrow & \mathbb{R} \\
y
&\longmapsto
&\ln\left(y+\sqrt{y^2+1}\right) \end{array}
\right..\] Nous obtenons donc cette écriture avec radicaux : \[\sinh\left(\dfrac13\text{Argsinh}(y)\right)
=\dfrac{\text{e}^{\dfrac13\text{Argsinh}(y)}-\text{e}^{-\dfrac13\text{Argsinh}(y)}}{2}
=\dfrac{\text{e}^{\dfrac13\ln\left(y+\sqrt{y^2+1}\right)}-\text{e}^{-\dfrac13\ln\left(1+\sqrt{y^2+1}\right)}}{2}
=\dfrac{\sqrt[3]{\sqrt{y^2+1}+y}-\sqrt[3]{\sqrt{y^2+1}-y}}{2}\]
Cassus irreducibilis
Nous remarquons que lorsqu’une équation du troisième degré à coefficients réels n’admet qu’une solution réelle et deux autres complexes conjuguées, ou bien seulement deux solutions réelles mais aucune autre même complexe, ces solutions peuvent s’exprimer à l’aide de racines carrées et cubiques de nombres réels calculables par des opérations élémentaires sur les coefficients de l’équation ; l’expression « résoluble par radicaux » prend alors tout son sens. En revanche, il me semblerait préférable de dire que les équations algébriques de degré inférieur ou égal à \(4\) sont résolubles par extractions de racines, étant entendu que l’extraction de racines doit s’étendre au corps \(\mathbb{C}\) même lorsque les coefficients de l’équation sont tous réels car, comme nous l’avons vu, pour les équations du troisième degré à coefficients réels qui admettent trois solutions dans \(\mathbb{R}\), il faut faire appel aux fonctions trigonométriques et à leurs réciproques pour extraire ces racines !
Les formules de Cardan (et l’utilisation de \(j=-\dfrac{1}{2}+ i \dfrac{\sqrt{3}}{2}\) qui est l’une des racines cubiques de l’unité habituellement notée ainsi) ne nous sont d’aucune aide pour pouvoir exprimer par exemple \(\cos\left(\dfrac{\pi}{9}\right)\) par radicaux de nombres réels ; et pourtant, ce réel est solution de l’équation \( 8x^3- 6x-1=0\) (voir figure [figmarotfci]).
Pour résoudre cette équation, Jérôme Cardan5 poserait \(x=u+v\) pour écrire l’équation de la façon suivante : \[8(u+v)^3-6(u+v)-1=0 \qquad ; \qquad 8(u^3+v^3)
+24uv(u+v)-6(u+v)-1=0\] En imposant \(4uv=1\) l’équation prend la forme simplifiée \( (2u)^3+(2v)^3=1\) ; tout le génie créateur de Cardan a été alors d’imaginer que \((2u)^3\) et \((2v)^3\) étaient effectivement d’hypothétiques racines du polynôme \(X^2-X+1\). C’est ainsi que nous pouvons nous permettre d’écrire cinq siècles plus tard \(\left\{(2u)^3\, ;\, (2v)^3 \right\}
=\left\{\dfrac{1+\mathrm{i}\sqrt{3}\mathstrut}{2\mathstrut}\, ;\,
\dfrac{1-\mathrm{i}\sqrt{3}\mathstrut}{2\mathstrut}\right\}\).
Figure 6. Cubique qui coupe l’axe des \(x\) en \(x_1 = cos\left(\frac{\pi}{9}\right), x_2 = cos\left(\frac{5\pi}{9}\right) et x_3 = cos\left(\frac{7\pi}{9}\right)\). ↩
Mais nous sommes confrontés à un « casus irreducibilis » ainsi nommé par les anciens. Dit d’une manière plus triviale : « on tourne en rond ».
Même si aujourd’hui nous savons écrire \(\dfrac{1+i\sqrt{3}}{2}\) sous la forme \(\text{e}^{i\textstyle\frac{\pi}{3}}\) et ses trois racines cubiques sous la forme \(\text{e}^{i\textstyle\frac{(6k+1)\pi}{9}}\), nous n’avons pas fait avancer la question en posant \(\left\{2u\, ;\, 2v\right\}=
\left\{\text{e}^{\textstyle\frac{i(6k+1)\pi}{9}}\, ;\,\text{e}^{i\textstyle\frac{-(6k+1)\pi}{9}}\right\}\) et \(x=u+v= \mathbb{R}e\left(\text{e}^{i\textstyle\frac{(6k+1)\pi}9}\right)\). Nous savons tout simplement que \(\cos\left(\dfrac{\pi}{9}\right)\) est un réel positif qui est la partie réelle d’une racine cubique de \(\dfrac{1+i\sqrt{3}}{2}\) que nous ne savons pas extraire et évaluer sans les moyens de l’analyse numérique.
Serait-il possible d’écrire \(\cos\left(\dfrac{\pi}{9}\right) \) en utilisant les seuls coefficients du polynôme \(8X^3-6X -1\), et les opérations du corps \((\mathbb{R},+,\times)\) en y ajoutant le symbole \(\sqrt[n]{\vphantom{Pj}\hphantom{3}}\) pour exprimer dans \(\mathbb{R}\) des racines carrées, cubiques, quadratiques… ? Nous savons aujourd’hui qu’il faut répondre à cette question par la négative ; c’est confronté à ce type de problème que Jérôme Cardan fit faire un pas de géant aux mathématiques en introduisant des nombres qui étaient qualifiés d’imaginaires au xvie siècle et qui sont à l’origine des nombres complexes qui n’ont plus rien de mystérieux aujourd’hui.
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Jacques Marot, aujourd’hui à la retraite, était enseignant au lycée Marguerite de Valois à Angoulême.
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Chercher «
Une famille de fonctions gentilles
» sur le site de l’académie de Poitiers .↩ -
Voir Wikipedia .↩
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Cette annexe est accessible en ligne sur le site d’Au fil des maths .↩
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Voir note précédente.↩
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Nom francisé du mathématicien Girolamo Cardano né à Pavie en 1501 : https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%A9r%C3%B4me_Cardan.↩
Une réflexion sur « Gentilles fonctions polynomiales de degré 3 »
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