Le changement dans la continuité :
applications du théorème des valeurs intermédiaires
à des problèmes géométriques du plan
Le théorème des valeurs intermédiaires, emblème de l’analyse en Terminale, montre toute sa puissance pour résoudre aussi nombre de problèmes géométriques. C’est le programme que nous proposent Jean-Baptiste Hiriart-Urruty et Patrice Lassère en jouant à ranger des galettes dans des boîtes ou en les découpant.
Jean-Baptiste Hiriart-Urruty & Patrice Lassère
© APMEP Juin 2020
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Introduction
«Le changement dans la continuité», voilà un slogan qui convient bien au personnel politique : dans les programmes électoraux proposés, on annonce qu’on veut bien changer des choses, car le changement est présenté comme un progrès, mais pas trop brusquement pour ne pas effrayer, en particulier sans «rupture» par rapport à l’existant, c’est-à-dire de manière «continue». En procédant ainsi, on passe par toutes les étapes intermédiaires entre la situation de départ et celle à laquelle on veut arriver. En mathématiques, il y a un théorème simple d’analyse qui exprime cela, c’est ledit « théorème des valeurs intermédiaires » (TVI en abrégé). Il est présenté en annexe mais sa signification est simple : si \(f\) : \([a;b]\longrightarrow\mathbf{R}\) est une fonction continue de la variable réelle \(x\) dans \([a;b]\), toutes les valeurs intermédiaires entre \(f(a)\) et \(f(b)\) sont « visitées » par la fonction \(f\).
Ce résultat, qui relève de l’analyse élémentaire (que les formations anglo-américaines appellent le calculus), a des applications dans des situations où on ne l’y attend pas, notamment dans des problèmes d’essence géométrique. C’est ce que nous voulons présenter dans cette note avec quelques exemples dans le plan (nos sources d’inspiration ont été les références [1, 2,3].
C’était déjà, en 1849, la philosophie d’Adrien-Marie Legendre lorsque, dans ses « Éléments de Géométrie », il définit l’angle droit à la page 7 que nous reproduisons ci-dessous.
Nous nous appuyons sur l’intuition géométrique des hypothèses de continuité requises, il n’est pas question ici de les démontrer mathématiquement.
La même température à des points antipodaux, est-ce possible ?
Proposition |
Sur la Terre, il existe en chaque instant deux endroits du globe diamétralement opposés où la température est la même… c’est même vrai sur n’importe quel méridien ou parallèle de la Terre. |
Bizarre non ? Voyons comment le TVI va nous conduire à ce résultat.
Plaçons-nous sur un méridien terrestre quelconque, c’est-à-dire sur un grand cercle (passant par les pôles) de la sphère que constitue la Terre ; sur la figure 1, nous en avons choisi un.
Le long des points de ce méridien, plusieurs quantités varient de manière « continue », par exemple : la température, la pression, l’altitude par rapport au niveau de la mer. Supposer la continuité de ces quantités en fonction de la variable qui est le point où ces fonctions sont évaluées est une hypothèse physique raisonnable, ce que nous faisons ici. Choisissons comme exemple la fonction température. Eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, il y a nécessairement deux points antipodaux sur ce même méridien qui sont à la même température ! Rappelons que deux points du cercle sont dits antipodaux ou diamétralement opposés lorsque les coordonnées angulaires \(\alpha\) des points diffèrent de \(\pi\) si les angles sont mesurés en radians (ou de \(180° \) si les angles sont mesurés en degrés), ou encore si la corde qui les relie est un diamètre.
Soit \(\mathscr{C}\) le cercle de rayon \(1\) et de centre l’origine, c’est ce qui modélise notre méridien. Désignons par \(f\) la fonction température sur le cercle.
Définissons une nouvelle fonction continue \(g\) : \([-1; 1] \longrightarrow \mathbf{R} \) de la façon suivante : pour tout point \(x\) entre \(-1\) et \(1\), soit \(\mathsf{P}_{x}\) le point du demi-cercle supérieur obtenu comme intersection avec la perpendiculaire issue du point \(x\) sur l’axe horizontal, et donc de coordonnées cartésiennes \(\left(x,\sqrt{1-x^{2}}\right)\). Soit \(\mathsf{P’}_{x}\) le point diamétralement opposé à \(\mathsf{P}_x\) (voir figure 2). Posons
\[\begin{aligned}
g(x) =(\text{température en }\mathsf{P}_{x})-(\text{température en }\mathsf{P’}_{x})\\
=f\left(x,\sqrt{1-x^{2}}\right)-f\left(-x,-\sqrt{1-x^{2}}\right).\end{aligned}\]
Les valeurs de la fonction continue \(g\) aux extrémités de l’intervalle \([-1; 1]\) sont opposées ; en effet
\[\begin{aligned}
g(-1) = f(-1,0)-f(1,0)\ ;\\
g(1) = f(1,0)-f(-1,0).\end{aligned}\]
Par application du TVI à \(g\) sur \([-1; 1]\), il y a nécessairement un point \(x^{\ast}\) en lequel \(g\) s’annule. En conséquence, vu la définition de \(g\) ci-dessus, les températures aux points diamétralement opposés \(\mathsf{P}_{x^{\ast}}\) et \(\mathsf{P’}_{x^{\ast}}\) sont les mêmes.
Ce résultat a de quoi surprendre… et il surprend. Il pourrait même être étendu à deux fonctions, comme la température et la pression : il y a nécessairement deux points antipodaux où la température et la pression sont les mêmes. Ces résultats découlent d’un théorème général dû à K.BORSUK, mathématicien polonais (1905–1982), et S. ULAM, mathématicien américain d’origine polonaise (1909–1984).
Peut-on livrer une galette dans une boite carrée ?
Thomas se fait un peu d’argent de poche les fins de semaine en confectionnant des galettes1 puis en les faisant livrer à ceux qui les commandent. Il n’est pas très adroit ni très expérimenté, ses galettes ont donc une forme parfois bizarre, mais elles sont d’un seul tenant quand même ; disons pour fixer les idées que le bord de la galette est une courbe fermée simple. Avant de les livrer, Thomas doit protéger ses galettes en les disposant dans des cartons plats rectangulaires dont il relève les bords. Il n’a aucune difficulté à le faire, les rebords du carton étant tangents à la galette sur les quatre côtés. Il pourrait même choisir l’orientation des côtés du rectangle en se fixant un angle \(\theta\) par rapport à un axe horizontal \(\mathsf{O}x\) de référence (voir figure 3) ; c’est le rectangle «optimal» («optimal» au sens où c’est, dans la direction \(\theta\), la boite d’aire minimale contenant la galette) associé à cette disposition.
Pour des questions d’esthétique, Thomas aimerait bien que son carton soit carré et non pas seulement rectangulaire.
Question |
En jouant sur l’angle \(\theta\), serait-il possible de déformer continûment le rectangle en carton associé de manière à avoir un carré ? |
La réponse est oui, c’est encore une application du TVI, en supposant que le rectangle, c’est-à-dire en fait ses côtés \(a(\theta)\) et \(b(\theta)\), varient de manière continue avec \(\theta\), ce qui est une hypothèse raisonnable.
Soit \(a(\theta)\) et \(b(\theta)\) les côtés du rectangle de carton «optimal» associé à l’angle \(\theta\). En changeant \(\theta\) en \(\theta+ 90°\), ce qui jouait le rôle de \(a(\theta)\) est tenu par \(b(\theta)\) et vice versa.
Posons \(f(\theta )=\) \(a(\theta )-b(\theta )\), \(\theta\) variant de \(\theta_{0}\) (configuration initiale) à \(\theta_{0}+ 90°\) (configuration finale après une rotation de \(90°\)). D’après ce que nous avons dit au-dessus, \(f(\theta_{0}+ 90°)=-f(\theta_{0})\). Par application du TVI, il existe donc un angle \(\theta^{\ast}\) entre \(\theta_{0}\) et \(\theta_{0}+ 90°\) pour lequel \(f(\theta^{\ast})=0\), soit \(a(\theta^{\ast})=b(\theta^{\ast})\) ; ainsi, par déformation continue, en passant de la «configuration rectangle» associée à \(\theta_{0}\) à celle associée à \(\theta_{0}+ 90°\), on est passé par une « configuration carrée » associée à \(\theta^{\ast}\) (voir figure 5).
Peut-on couper une galette en deux parties égales d’un seul coup de couteau ?
La galette que Manon et Léa se sont fait livrer n’est pas ronde, elle est assez déformée même… Pourtant elles souhaitent la diviser en deux parts égales, et ce d’un seul coup de couteau.
Question |
Est-il possible de diviser une galette en deux parts égales, et ce d’un seul coup de couteau ? |
Eh bien, oui, quel que soit l’angle de coupe \(\theta\) du couteau. Voici comment.
Coinçons tout d’abord la galette entre deux droites parallèles, faisant un angle \(\theta\) avec un axe de référence \(\mathsf{O}x\) fixé, tangentes à la galette. Le couteau, assez long, également symbolisé par une ligne droite faisant un angle \(\theta\) avec l’axe \(\mathsf{O}x\), est déplacé de la position où toute la galette est à droite du couteau (sens de la flèche sur la figure 6 ) à la position où toute la galette est à gauche du couteau.
L’aire de la galette se trouvant à gauche du couteau varie de \(0\) à l’aire totale de la galette, de manière continue (c’est là notre hypothèse). En conséquence, il y a bien une position intermédiaire où l’aire de la partie de galette qui se trouve à gauche du couteau est égale à l’aire de la partie de galette qui se trouve à droite.
Manon et Léa pourraient préférer la croûte constituant le bord de la galette. En suivant le même raisonnement que pour l’aire, et en faisant l’hypothèse raisonnable de la variation continue de la longueur d’un morceau du bord de la galette, il est possible de couper cette galette, d’un seul coup de couteau, de manière que les deux parts aient la même longueur de croûte.
La réponse aux questions posées ci-dessus est valable quel que soit l’angle \(\theta\).
Question plus difficile |
Est-il possible de choisir l’angle de coupe \(\theta\) de sorte que l’aire et la longueur de la croûte soient égales pour les deux morceaux résultants ? |
La réponse est positive, voici pourquoi.
Pour une plage d’angles \(|\theta_{0};\theta_{0}+180°]\), soit \(L_{\theta}\) une ligne de coupe de la galette en deux parties égales. Cette droite « varie continûment » avec \(\theta\)… C’est un argument un peu subtil de continuité qu’il faut accepter, il se manifeste de la façon suivante : désignons par \(g(\theta)\) et \(d(\theta)\) les longueurs des croûtes des deux parties de la galette, respectivement celle « à gauche » de \(L_{\theta}\) et celle « à droite » de \(L_{\theta}\) (voir figure 7).
Ces fonctions \(g\) et \(d\) sont des fonctions continues de \(\theta\). Progressivement avec \(\theta\), ce qui est à gauche de \(L_{\theta}\) devient à droite de celle-ci, de sorte que, finalement, \(g(\theta_{0}+180°)=d(\theta_{0})\) et \(d(\theta_{0}+180°)=g(\theta_{0})\). Appliquons le TVI à la fonction \(e\) : \([\theta_{0};\theta_{0}+180°]\ni\theta \longmapsto e(\theta)=
g(\theta)-d(\theta)\) ; elle est continue et \(e(\theta_{0}+180°)=-e(\theta)\). Il existe donc \(\theta^{\ast}\) entre \(\theta_{0}\) et \(\theta_{0}+180°\) tel que \(e(\theta^{\ast})=0\), soit \(g(\theta^{\ast})=d(\theta^{\ast})\). Comme \(L_{\theta^{\ast}}\) coupait déjà la galette en deux parties égales, le tour est joué.
Satisfaites de leur galette, Manon et Léa en commandent une deuxième… mais au moment de la sortir de la boîte de livraison, la galette se défait en deux… Elles ont donc deux morceaux disjoints, désignés par \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) sur la figure 8, dont la forme n’est certes pas trop compliquée, comme pour les galettes précédentes.
Question |
Est-il possible de diviser les deux morceaux disjoints \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) en deux parts égales, et ce d’un seul coup de couteau ? |
La réponse est positive, comme nous allons le voir à présent. Le raisonnement est semblable à celui vu un peu plus haut (pour la division de l’aire et de la croûte d’une seule galette en deux parties égales).
Pour une plage d’angles \([\theta_{0};\theta_{0}+180°]\), soit \(L_{\theta}\) une ligne de coupe du morceau \(\mathsf{A}\) en deux parties égales. Cette droite « varie continûment » avec \(\theta\) (c’est une hypothèse « physique » acceptable ici). Désignons par \(a(\theta)\) et \(b(\theta)\) les parties du morceau \(\mathsf{B}\), respectivement celle « à gauche » de \(L_{\theta}\) et celle « à droite » de \(L_{\theta}\) (voir figure 8). Ces fonctions \(a\) et \(b\) sont des fonctions continues de \(\theta\). Progressivement avec \(\theta\), ce qui est à gauche de \(L_{\theta}\) devient à droite de celle-ci, de sorte que, finalement, \(a(\theta_{0}+180°)=b(\theta_{0})\) et \(b(\theta_{0}+180°)=a(\theta_{0})\). Appliquons le TVI à la fonction \(e_{B}\) : \([\theta_{0};\theta_{0}+180°]\ni\theta\longmapsto e_{B}(\theta)=a(\theta)-b(\theta)\) ; elle est continue et \(e_{B}(\theta_{0}+180°)=-e_{B}(\theta_{0})\). Il existe donc \(\theta^{\ast}\) entre \(\theta_{0}\) et \(\theta_{0}+180°\) tel que \(e_{B}(\theta^{\ast})=0\), soit \(a(\theta^{\ast})=b(\theta^{\ast})\). En conséquence, \(L_{\theta^{\ast}}\) coupe le morceau \(\mathsf{B}\) en deux parties égales, et comme \(L_{\theta^{\ast}}\) coupait déjà le morceau \(\mathsf{A}\) en deux parties égales (définition même des \(L_{\theta}\)), on a bien ce qu’on voulait.
Ce qui a été développé au-dessus n’est qu’un théorème d’existence… Pas facile de déterminer \(L_{\theta^{\ast}}\) ; on laisse à Marion et Léa (qui ont le coup d’œil) le soin de procéder à cette coupe «optimale» (ou à peu près).
Le lecteur se convaincra facilement que ce qui a été étendu à deux morceaux ne peut l’être à trois : avec trois morceaux disjoints de galette, on ne peut pas, en général, couper les trois en deux parties égales d’un seul coup de couteau (par exemple si les centres de trois disques disjoints ne sont pas alignés comme dans la figure ci-dessous).
Et si on essayait de couper une galette en quatre parties égales en seulement deux coups de couteau ?
Manon et Léa, maintenant devenues expertes en « coupes optimales » de galettes, ont décidé d’inviter leurs copains Maxime et Théo à partager une nouvelle galette. Lycéens ou étudiants, ils n’ont pas les moyens d’acheter plusieurs galettes, alors ils en commandent une seule, grande. Question : est-il possible de couper cette galette en quatre morceaux égaux, en (seulement) deux coups de couteau perpendiculaires ? La réponse est encore oui, l’argumentation toujours basée sur le TVI comme dans les cas précédents. Voyons comment.
Considérons \(L_{\theta}\) qui coupe la galette en deux parts égales, ainsi que \(L_{\theta+90°}\) qui coupe aussi la galette en deux parts égales (rappelons qu’une telle ligne de coupe existe pour tout angle \(\theta\)).
La galette est divisée en quatre morceaux \(\mathsf{A}_{1}\), \(\mathsf{A}_{2}\), \(\mathsf{A}_{3}\) et \(\mathsf{A}_{4}\) (voir figure 10) qui vérifient : \[\mathsf{A}_{1}+\mathsf{A}_{2}=\mathsf{A}_{3}+\mathsf{A}_{4}\quad ;\quad\mathsf{A}_{2}+\mathsf{A}_{3}=\mathsf{A}_{1}+\mathsf{A}_{4}.\]
Il en résulte facilement, par simples manipulations algébriques, que \(\mathsf{A}_{1}=\mathsf{A}_{3}\) et \(\mathsf{A}_{2}=\mathsf{A}_{4}\). Notre objectif sera atteint si on démontre que \(\mathsf{A}_{1}=\mathsf{A}_{2}\) pour un certain \(\theta\).
Pour chaque angle de coupe \(\theta\), on définit alors \(f(\theta)=\mathsf{A}_{1}(\theta)-\mathsf{A}_{2}(\theta)\). En passant de \(\theta_{0}\) à \(\theta_{0}+ 90°\), ce qui était le morceau \(\mathsf{A}_{1}\) devient \(\mathsf{A}_{2}\) et ce qui était \(\mathsf{A}_{2}\) devient \(\mathsf{A}_{3}\) ; en somme, \[\begin{aligned}
f(\theta_{0}+ 90 °) = \mathsf{A}_{1}(\theta_0+ 90°)-\mathsf{A}_{2}(\theta_0+ 90°)\\
=\mathsf{A}_{2}(\theta_0)-\mathsf{A}_{1}(\theta_0).\end{aligned}\]
Ainsi \(f(\theta_{0}+ 90°)\) et \(f(\theta_{0})\) sont de signes contraires. En faisant l’hypothèse, raisonnable, que ces fonctions \(\mathsf{A}_{1}\) et \(\mathsf{A}_{2}\) (et donc \(f\)) varient continûment avec \(\theta\), l’application du TVI conduit à l’existence de \(\theta^{\ast}\) entre \(\theta_{0}\) et \(\theta_{0}+90°\) tel que \(f(\theta^{\ast})=0\), soit \[\begin{aligned}
\mathsf{A}_{1}(\theta^{\ast}) = \mathsf{A}_{2}(\theta^{\ast})\\
(\text{et par suite }\mathsf{A}_{3}(\theta^{\ast}) = \mathsf{A}_{4}(\theta^{\ast})).\end{aligned}\]
Manon, Léa, Maxime et Théo sont rassurés… Ne voulant léser personne, ils peuvent bien partager la galette en quatre parts égales, en seulement deux coups de couteau perpendiculaires. Ils tireront au sort celle ou celui d’entre eux qui procédera effectivement à la double coupe «égalitaire».
Problème du carré inscrit dans une courbe du plan
Peut-on inscrire un carré dans une courbe fermée simple (c’est-à-dire qui ne passe pas deux fois par le même point) du plan ? (cf. figure 11).
Carré inscrit dans une courbe du plan |
Voilà un problème géométrique qui, dans toute sa généralité, n’est pas encore résolu. Il est dû originellement à O. TOEPLITZ (1911), a fait l’objet d’une abondante littérature, rassemblant notamment tous les cas où la réponse est connue comme positive (voir [4] \(\S\) 2.62 « The inscribed square problem » pour une revue récente de l’état de l’art). |
Le lecteur se convaincra facilement de la nécessité d’avoir une courbe fermée… De plus, les cas simples suivants sont assez faciles à traiter :
-
carrés et cercles : il y a une infinité de solutions (c’est-à-dire de carrés inscrits dans ces courbes) ;
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triangles rectangles : deux solutions ;
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triangles avec angles aigus : trois solutions ;
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triangles avec un angle obtus : une solution.
Pour d’autres courbes comme l’ellipse d’équation cartésienne \(\dfrac{x^{2}}{a^{2}}+\dfrac{y^{2}}{b^{2}}=1\), la résolution du problème est également facile : un carré inscrit est celui dont les sommets sont \(\left(\pm\dfrac{ab}{\sqrt{a^{2}+b^{2}}},\pm\dfrac{ab}{\sqrt{a^{2}+b^{2}}}\right)\cdotp\)
Plus généralement dans le même registre, le mathématicien A. EMCH a, dès 1913, répondu positivement pour des ovales (c’est-à-dire les courbes frontières de convexes à bords lisses).
Nous résolvons ci-dessous le problème du carré inscrit dans le cas particulier où la courbe est délimitée par le graphe d’une fonction continue et l’axe des abscisses (voir la figure 12).
Plus précisément, voici l’énoncé du résultat.
Soit \(f\) : \([0 ; 1]\longrightarrow\mathbf{R}\) une fonction continue telle que \(f(0)=0\), \(f(1)=0\), et \(f\) est strictement positive sur \(]0 ; 1[ \). Alors on peut inscrire sous le graphe de \(f\) un carré avec deux sommets sur le graphe et deux sur l’axe des abcisses \(\mathsf{O}x\).
Un sommet sur \(]0 ; 1[ \), d’abscisse \(x\), sera solution de notre problème lorsque \(f(x)=f\left[x+f(x)\right]\). Il s’agit donc de montrer que la fonction \(\varphi\) définie par \(x\longmapsto\varphi(x)=f(x)-f\left[x+f(x)\right]\) s’annule sur \(]0 ; 1[ \).
Afin que \(\varphi\) soit bien définie, on prolonge la définition de \(f\) à toute la droite réelle \(\mathbf{R}\) en posant : \(f(x)=0\) pour tout \(x\notin [0 ; 1]\). Ainsi \(\varphi\) est une fonction bien définie et continue sur \(\mathbf{R}\).
\(f\) étant continue sur \([0 ; 1]\), vu les hypothèses faites sur \(f\) (en \(0\) et \(1\) notamment), il existe \(a\in ]0 ; 1[\) tel que \(f(a)=\max\limits_{x\in
[0 ; 1]}f(x)\ = \max\limits_{x\in \mathbf{R}\
}f(x)\).
Comme la fonction \(g\) : \(x\longmapsto
g(x)=x+f(x)\) est continue et vérifie \(g(0)=0\) et \(g(1)=1\), le TVI nous permet d’affirmer qu’il existe \(b\in ] 0 ; 1[\) tel que \(g(b)=a\).
Observons que \[\begin{aligned}
\varphi(a) = f(a)-f\left[a+f(a)\right]\\
= f(a)-f\left[g(a)\right]\\
\geqslant 0\end{aligned}\] puisque \(a\) est un maximiseur de \(f\), puis que \[\begin{aligned}
\varphi(b) =f(b)-f\left[b+f(b)\right]\\
=f(b)-f\left[g(b)\right]\\
=f(b)-f(a)\\
\leqslant 0\end{aligned}\] toujours parce que \(a\) est un maximiseur de \(f\). Invoquons à nouveau le TVI, pour \(\varphi\) cette fois, sur le segment d’extrémités \(a\) et \(b\) (lequel est contenu dans \(]0 ; 1[\)) ; il s’ensuit l’existence de \(c\in ]0 ; 1[\) tel que \(\varphi(c)=0\). CQFD.
On peut facilement étendre la méthode et le résultat au cas d’une courbe formée du graphe de \(f\) et de son symétrique (voir la figure 13). En effet, on procède comme au-dessus avec les nouvelles fonctions \(g\) : \(x\longmapsto g(x)=
x+2f(x)\) et \(x\longmapsto\varphi(x)=f(x)-f\left[x+2f(x)\right]\). On arrive ainsi à inscrire sous le graphe de \(f\) un rectangle dont la longueur est double de la largeur, avec deux sommets sur le graphe et deux sur l’axe des abscisses \(\mathsf{O}x\). En adjoignant à ce rectangle son symétrique par rapport à l’axe \(\mathsf{O}x\), on obtient un carré inscrit dans la courbe fermée constituée du graphe de \(f\) et de son symétrique.
Annexe
Théorème des valeurs intermédiaires (TVI), ou théorème de BOLZANO |
Soit \(f\) : \([a ; b]\longrightarrow \mathbf{R}\) une fonction continue sur l’intervalle réel \([a ; b]\). Alors, pour toute valeur \(\gamma\) comprise entre \(f(a)\) et \(f(b)\), il existe \(c\) dans l’intervalle \([a ; b]\) tel que \(f(c)=\gamma\). |
C’est un résultat facile à comprendre, à visualiser et à faire accepter : en passant de \(a\) à \(b\) et en suivant les valeurs de \(f\), on doit visiter toutes les valeurs prises entre \(f(a)\) et \(f(b)\). Il est tout aussi facile à réaliser qu’on ne peut se dispenser de la continuité (même si cette notion n’est perçue que dans un sens physique ; bref on ne peut pas se permettre des «sauts» dans les valeurs de \(f\))2, pas plus qu’on ne peut se dispenser du fait que \([a;b]\) est d’un seul tenant.
En termes un peu plus pompeux, on dirait : « L’image continue d’un intervalle est un intervalle ». Si \(m=\min\limits_{x\in [a ; b]}f(x)\) et \(M=\max\limits_{x\in [a ; b]}f(x)\), l’image de \([a ; b]\) par \(f\) est l’intervalle \([m;M]) ; \(f(a)\) et \(f(b)\) font partie de cet intervalle (sans qu’on sache a priori laquelle de ces deux valeurs est la plus petite), il en est donc de même de tout point de l’intervalle d’extrémités \(f(a)\) et \(f(b)\).
Souvent, le TVI est appliqué dans le contexte suivant : \(f\) : \([a ; b] \longrightarrow\mathbf{R}\) est une fonction continue sur l’intervalle réel \([a ; b]\), \(f(a)\) et \(f(b)\) sont de signe contraire, par exemple \(f(b)=-f(a)\) ; alors il existe \(c\in [a ; b]\) tel que \(f(c)=0\).
Le TVI, que l’on demande d’exploiter dès les classes de Terminale des lycées, est un outil mathématique essentiel et d’utilisation commode dans les exercices de niveau L1 et L2 des universités (voir [6] par exemple) ou de préparations de concours (cf. [7]).
Références
- [1] W. G. Chinn et N. E. Steenrod. Topologie élémentaire. Géométrie des fonctions de segments, de courbes, de cercles et de disques. Éditions Dunod, 1970 ↩
- [2] Yu. A. Shashkin. « Fixed points ». In : Mathematical World. Vol. 2. The American Mathematical Society, 1991.ISBN : 978-0-8218-9000-4. ↩
- [3] J. Tanton. « A dozen areal maneuvers ». In : Math Horizons (novembre 2000), pp. 26-30. ↩
- [4] F. Kennard. Unsolved Problems in Mathematics. AMF
Publishing, 2015.ISBN : 978-1-3129-3811-3. ↩ - [5] J.-B. Hiriart-Urruty. « Dérivation et primitivation, quand tu nous tiens. . . » In : Bulletin de l’APMEP n° 509 (2014), pp. 340-348. ↩
- [6] J.-B. Hiriart-Urruty. Mathematical Tapas. Vol. 1 (for Undergraduates). Springer Undergraduate Mathematics Series. Springer, 2016. ISBN : 978-3-3194-2185-8. ↩
- [7] P. Lassère. « Petit bestiaire » d’exercices de mathématiques avec leur corrigé, à l’usage de l’oral voire de l’écrit de certains concours (agrégation externe, interne & CAPES). Publication interne. Université Paul Sabatier, 2008. ↩
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Jean-Baptiste Hiriart-Urruty (alias JBHU) est professeur émérite à l’Université Paul Sabatier de Toulouse. Son domaine de recherche est l’optimisation. Il a aussi publié de nombreux ouvrages mathématiques (de recherche ou pour l’enseignement). Il est également impliqué dans la diffusion des sciences et des mathématiques en particulier au travers de l’association Fermat Science.
Patrice Lassère est professeur agrégé (PRAG) à l’Université Paul Sabatier de Toulouse. Son domaine de recherche est l’analyse complexe.
-
On peut adapter avec des crêpes en Bretagne, taloak au Pays basque, ou encore des pizzas…↩
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Bien sûr, une fonction peut vérifier la conclusion du TVI («l’image d’un intervalle est un intervalle») sans qu’elle soit continue sur cet intervalle, une fonction dérivée en est un exemple typique. Pour ces différences et subtilités, voir [5].↩