Une curiosité numérique
Calculer les décimales de \(\pi\), c’est rigolo mais cela peut être très long. François Boucher nous propose une variation autour de la formule de Leibniz pour obtenir de nombreuses décimales sans trop d’efforts.
François Boucher
© APMEP Juin 2023
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Naissance d’un problème
Parmi les nombreuses formules dans lesquelles le nombre \(\pi\) apparaît, l’une des plus connues est sans doute celle dite de Leibniz1 \[\sum_{k=1}^{+\infty}\frac{(-1)^{k-1}}{2k-1}=1-\frac{1}{3}+\frac{1}{5}-\frac{1}{7}+ \cdots=\frac{\pi}{4}\cdotp\] La démonstration fut jadis accessible à un lycéen ; voir par exemple le problème du bac E 1986 de Nouvelle-Calédonie . Il est plutôt simple de prouver que la série converge vers \(\displaystyle\int_0^1\frac{1}{1+x^2}\,\mathrm{d}x\) ; la difficulté est de calculer l’intégrale pour qui ne dispose pas de la fonction \(\arctan\). Le lecteur esthète pourra consulter la belle preuve visuelle donnée dans Au fil des maths n°547
.
Mieux, en posant \(\displaystyle s_n=4\sum_{k=1}^n\frac{(-1)^{k-1}}{2k-1}\), on a l’encadrement (si \(n\) est pair) : \(s_{n}<\pi< s_{n}+\dfrac{4}{2n+1}\) ce qui permet de tenter du calcul numérique. Il est alors classique d’observer que la convergence est « lente » ; comme l’encadrement est de longueur \(\dfrac{2}{n}\), \(n=2\,000\) ne garantit que la précision \(10^{-3}\) et pour passer à la précision \(10^{-4}\), l’encadrement disponible impose de multiplier \(n\) par dix2. Mesurée par le nombre de décimales exactes à obtenir, la complexité est donc exponentielle.
Un programme de calcul simple — dans lequel il est conseillé d’accumuler la somme en commençant par les termes les plus petits — fournit toutefois les valeurs approchées suivantes :
| \(n\) | \(\overline{s_{n}}\) | \(\overline{\pi}\) |
|---|---|---|
| 100 | \(3,1{\color{red}3}1\,592\,(0)\) | \(3,1{\color{red}4}1\,592\) |
| 1000 | \(3,14{\color{red}0}\,592\,653\,(8)\) | \(3,14{\color{red}1}\,592\,653\) |
| 10000 | \(3,141\,{\color{red}4}92\,653\,590\,(0)\) | \(3,141\,{\color{red}5}92\,653\,590\) |
| 100000 | \(3,141\,5{\color{red}8}2\,653\,589\,793\,(4)\) | \(3,141\,5{\color{red}9}2\,653\,589\,793\) |
Les valeurs approchées de \(\pi\) étant fournies, par exemple, par la comptine « que j’aime à faire apprendre… »
On note bien que, si \(n=10^p\), la \(p\)-ième décimale n’est pas exacte3 à une unité par défaut près et que la différence \(\overline{\pi}-\overline{s_n}\) vérifie \(0<\overline{\pi}-\overline{s_n} \approx 10^{-p}<2\times10^{-p}\) comme prévu. Ce n’est pas exactement la même chose que \(\pi-s_n\) ; mais \(|\pi-s_n|<| \pi-\overline{\pi}|+|\overline{\pi}-\overline{s_n}|+|\overline{s_n}-s_n|\leqslant \dfrac{1}{2}10^{-3p}+10^{-p}+\dfrac{1}{2}10^{-3p}=10^{-p}+10^{-3p}\). On a indiqué dans la colonne des valeurs approchées de \(s_n\) la \(3p+1\)-ième décimale calculée.
Le questionnement naît si on regarde les décimales suivantes : les \(2p\) suivantes sont exactes ce qui appelle immédiatement une explication4. Il s’agit d’enquêter.
Commençons par une majoration validant la petite expérience numérique précédente : si \(n\) est pair, \(\pi-s_n \sim \dfrac{1}{n\mathstrut}\cdotp\) On remplace \(n\) par \(2n\) pour traduire l’hypothèse \(n\) pair. En utilisant la somme des termes d’une suite géométrique et les propriétés de l’intégration, on obtient
\(\left|\pi-s_{2n}-\dfrac{1}{2n}\right|<\dfrac{1}{2(2n)^3}\cdotp\)
Cette dernière inégalité montre que, dans le cas \(2n=10^p\), l’erreur sur la \(p\)-ième décimale est bien de \(1\) par défaut, et que les \(2p\) décimales suivantes sont exactes. Ainsi, avec \(p=5\), on peut calculer une valeur approchée de \(\pi\) avec quinze décimales exactes à l’aide d’un système de calcul utilisant des flottants IEEE 754 doubles5. Bien sûr, il s’agit là d’une constatation a posteriori puisqu’on disposait d’une valeur connue de \(\pi\) avec une précision suffisante.
Les nombres d’Euler
Reprenons le calcul précédent avec \(n=50\,000\) en calculant en multiple précision (par exemple, avec le module Decimal de Python ou le logiciel Maple). Pour une raison difficile à justifier a priori, il vaut mieux travailler avec \(\dfrac{\pi}{2}\); de plus, prendre \(n\) tel que \(2n\) soit une puissance de dix est fort utile, la lumière sera plus éclatante…
On obtient alors : \( \overline{s} = 1,570\,7{\color{red}8}6\,326\,794\,89{\color{red}7}\,619\,231\,321\,{\color{red}1}91\,639\,75{\color{red}2}\,{\color{red}{05}}2\,098\,\)
et on connaît \(\dfrac{\pi}{2} = 1,570\,7{\color{red}9}6\,326\,794\,89{\color{red}6}\,619\,231\,321\,{\color{red}6}91\,639\,75{\color{red}1}\,{\color{red}{44}}2\,098 {\dots}\)
Formons un tableau de différences : bloc de décimales exactes moins bloc de décimales calculées :
| rang | 5 | 15 | 25 | 35 |
| différence | 1 | \(-1\) | 5 | \(-61\) |
On en déduit que \(\overline{s}+\dfrac{1}{10^5\mathstrut}-\dfrac{1}{10^{15}\mathstrut}+\dfrac{5}{10^{25}\mathstrut}-\dfrac{61}{10^{35}\mathstrut}\) est une approximation de \(\dfrac{\mathstrut\pi}{2}\) à au moins \(10^{-39}\) près.
Avec \(n=5\,000\,000\), la durée de calcul reste acceptable.
\[\begin{aligned}
\overline{s} =& 1,570\,796\,{\color{red}2}26\,794\,896\,619\,23{\color{red}2}\,321\,691\,639\,751\,{\color{red}{39}}2\,098\,584\,699\,6{\color{red}{93}}\,{\color{red}6}52\,910\,487\,47{\color{red}0}\,{\color{red}{911}}\,153\,908\,203\,{\color{red}{648}}\,{\color{red}{31}}4\,499\,31{\color{red}3}\,{\color{red}{74}}7\,{\color{red}{136}}\,{\color{red}1}71\,058 \\
\frac{\pi}{2} =& 1,570\,796\,{\color{red}3}26\,794\,896\,619\,23{\color{red}1}\,321\,691\,639\,751\,{\color{red}{44}}2\,098\,584\,699\,6{\color{red}{87}}\,{\color{red}5}52\,910\,487\,47{\color{red}2}\,{\color{red}{296}}\,153\,908\,203\,{\color{red}{143}}\,{\color{red}{10}}4\,499\,31{\color{red}4}\,{\color{red}{01}}7\,{\color{red}{412}}\,{\color{red}6}71\,058 \end{aligned}\]
Formons à nouveau le tableau de différences :
| r | 7 | 21 | 35 | 49 | 63 | 77 | 91 |
| \(\Delta\) | 1 | \(-1\) | 5 | \(-61\) | 1 385 | \(-50\,521\) | 2 702 765 |
On en déduit que \(\overline{s}+\dfrac{1}{10^7}-\dfrac{1}{10^{21}}+\dfrac{5}{10^{35}}-\dfrac{61}{10^{49}} +\dfrac{1\,385}{10^{63}}-\dfrac{50\,521}{10^{77}}+\dfrac{2\,702\,765}{10^{91}}\) est une approximation de \(\dfrac{\pi}{2}\) à au moins \(10^{-98}\) près.
Il est flagrant que la longueur des paquets de décimales exactes diminue alors que celle des paquets de décimales inexactes augmente et il est probable que les décimales exactes finissent par disparaître (pour un \(p\) donné).
On retrouve ainsi la même suite d’entiers que précédemment. Il ne reste plus qu’à consulter le site oeis.org pour obtenir l’information : il s’agit des nombres d’Euler alternés d’indice pair \(\mathrm{E}_{2n}\) qui apparaissent dans le développement en série entière exponentielle de diverses fonctions ; on peut prendre comme définition6
\[
\frac{1}{\cosh(x)} = \sum\limits_{n=0}^{+\infty}\frac{\mathrm{E}_{2n}}{(2n) !}x^{2n}\]
ou aussi bien
\[\frac{1}{\cos(x)} = \sum\limits_{n=0}^{+\infty}\frac{(-1)^n\mathrm{E}_{2n}}{(2n) !}x^{2n} \qquad |x| < \frac{\pi}{2}\cdotp \]
Ces nombres d’Euler sont aussi ubiquistes que leurs cousins, les nombres de Bernoulli.
Intéressons-nous à un procédé de calcul élémentaire imaginé en 1877 par Philip Seidel (1821-1896), qui utilise un tableau du type triangle de Pascal, que le mathématicien anglais John Conway (1937-2020) appelait le triangle « zigzag » ; les flèches indiquent le sens de remplissage du tableau (sens « boustrophédon »); chaque rangée orientée, à partir de la seconde, commence par \(0\) ; ensuite, la rangée est remplie en additionnant le nombre précédent et le nombre au-dessus de la flèche.
| 1 | ||||||||||||||
| 0 | → | 1 | ||||||||||||
| 1 | ← | 1 | ← | 0 | ||||||||||
| 0 | → | 1 | → | 2 | → | 2 | ||||||||
| 5 | ← | 5 | ← | 4 | ← | 2 | ← | 0 | ||||||
| 0 | → | 5 | → | 10 | → | 14 | → | 16 | → | 16 | ||||
| 61 | ← | 61 | ← | 56 | ← | 46 | ← | 32 | ← | 16 | ← | 0 | ||
| 0 | → | 61 | → | 122 | → | 178 | → | 224 | → | 256 | → | 272 | → | 272 |
On trouve les nombres d’Euler au signe près (alias nombres « sécants », alias nombres zig) dans la diagonale descendante de gauche. Bien sûr on peut se poser la question des nombres de la diagonale de droite; il s’agit des nombres dits « tangents » (alias nombres zag) qui apparaissent dans le développement en série entière de la fonction \(\tan\), pour \(|x| < \dfrac{\pi}{2}\) : \(\displaystyle \tan(x) = \sum_{n=0}^{+\infty} \frac{\mathrm{T}_n}{n !}x^n=\frac{1}{1 !}x+\frac{2}{3 !}x^3+\frac{16}{5 !}x^5+\cdots\)
Les nombres « zigzag » \(1\), \(1\), \(1\), \(2\), \(5\), \(16\), \(61\), \(272\), \(1\,385\), \(7\,936\) — qui apparaissent aux extrémités des lignes orientées — sont donc ceux du développement en série entière de \[\begin{aligned}
\Psi(x) &= \dfrac{1}{\cos(x)}+\tan(x)=\tan\left(\frac{x}{2}+\frac{\pi}{4}\right) \\
&= \sum_{n=0}^{+\infty}\dfrac{\mathrm{Z}_n}{n{!}}x^n \end{aligned}\]
Le tableau zigzag permet de les calculer simplement en ne faisant que des additions. La question est bien évidemment de comprendre tout cela.
Appel à la combinatoire
Commençons par donner une interprétation combinatoire des nombres \(\mathrm{Z}_n\) due à Désiré André (1840-1917) ; on va suivre essentiellement son travail [1].
Pour faire le lien avec le tableau zigzag, désignons par \(\mathrm{E}_{n,k}\) (\(0 \leqslant k \leqslant n\)) le nombre situé en ligne \(n\) et colonne \(k\) en suivant l’ordre boustrophédon du tableau pour la numérotation des colonnes ; ces nombres sont les nombres d’Entringer.
On a donc par construction du tableau : \[\begin{aligned}
\mathrm{E}_{0,0} &= 1,\\
\mathrm{E}_{n,0} &= 0 \quad(n \geqslant 1)\\
\mathrm{E}_{n,k} &= \mathrm{E}_{n,k-1}+\mathrm{E}_{n-1,n-k}\quad\text{pour $1\leqslant k \leqslant n$} \end{aligned}\]
Il est clair (?) que les conditions précédentes déterminent la suite des \(\mathrm{E}_{n,k}\) de façon unique. On veut démontrer que \(\mathrm{A}_n=\mathrm{E}_{n,n}\).
Un développement asymptotique
Les systèmes de calcul formel savent calculer les nombres d’Euler ; ainsi Maple nous donne pour le développement asymptotique de \(\displaystyle \frac{\pi}{2}-2\sum_{k=0}^{n-1}\dfrac{(-1)^{k}}{2k+1}\) (\(n\) pair) \[\frac{1}{2n}-\frac{1}{(2n)^3}+\frac{5}{(2n)^5}-\frac{61}{(2n)^7}+\frac{1\,385}{(2n)^9}+\mathrm{O}\left(\frac{1}{(2n)^{11}}\right)\cdotp\]
On comprend dès lors l’intérêt de travailler avec \(\dfrac{\mathstrut\pi}{\mathstrut2}\) et \(2n\) égal à une puissance (\(>1\)) de dix : ceci évite aux termes correctifs de se diluer dans la sommation.
On conjecture alors une formule du type (toujours avec \(n\) pair) : \[\begin{aligned}
\frac{\pi}{2}-2\sum_{k=0}^{n-1}\dfrac{(-1)^{k}}{2k+1} &= \sum_{k=n}^{+\infty}\dfrac{(-1)^{k}}{2k+1} \\
&= \sum_{k=0}^{m-1}\dfrac{\mathrm{E}_{2k}}{(2n)^{2k+1}}+\mathop{\mathrm{O}}_{n\infty}\left(\frac{1}{n^{2m+1}}\right) \end{aligned}\] qu’il s’agit de démontrer tout en majorant la constante qui se cache dans le \(\mathrm{O}()\).
Ce problème a été résolu seulement en 1989 par J. M. Borwein, P.B. Borwein et K. Dilcher [3]. La clef est une formule bien moins connue que la formule sommatoire d’Euler-Maclaurin mais de la même famille : la formule de Boole9.
Une version de cette formule s’énonce ainsi : soit \(x \in \mathbb{R}\) et \(m\) entier non nul ; si \(f\) est de classe \(\mathcal{C}^{\infty}\) sur \([x;x+1]\) alors pour \(h \in [0;1]\) et tout entier \(m \geqslant 1\), on a
\[\begin{aligned}
f(x+h) =& \sum_{k=0}^{m-1} \dfrac{1}{k{!}}\mathrm{E}_k(h)\frac{1}{2}\left\{f^{(k)}(x+1) +f^{(k)}(x)\right\} \\
& +\frac{1}{2}\int_0^1\dfrac{\widetilde{\mathrm{E}}_{m-1}(h-t)}{(m-1){!}}f^{(m)}(x+t)\,\mathrm{d}t.
\end{aligned}\]
Les \(\mathrm{E}_k(X)\) sont les polynômes d’Euler, images réciproques des \(X^k\) par l’isomorphisme \[P\longmapsto \dfrac{1}{2}\left(P(X+1)+P(X)\right).\]
Les \(\widetilde{\mathrm{E}}_m\) sont des fonctions périodiques de période \(2\) et de classe \(\mathcal{C}^{m-1}\) définies à partir des polynômes d’Euler par \(\widetilde{\mathrm{E}}_n(x)=\mathrm{E}_n(x)\) pour \(0 \leqslant x < 1\) et \(\widetilde{\mathrm{E}}_n(1+x)=-\widetilde{\mathrm{E}}_n(x)\) pour tout \(x\).
Le lecteur percevra sans doute une parenté (sous des hypothèses ad hoc) avec :
- une formule de Taylor : \(\displaystyle f(x+h)=\sum_{k=0}^{m-1}\dfrac{h^k}{k !}f^{(k)}(x) +\int_0^h\dfrac{(h-t)^{m-1}}{(m-1) !}f^{(m)}(x+t)\,\mathrm{d}t\) ;
- une formule d’Euler-Maclaurin : \[\begin{aligned}
f(x+h) =& \sum_{k=0}^{m-1}\dfrac{\mathrm{B}_k(h)}{k{!}}\int_0^1f^{(k)}(x+t)\,\mathrm{d}t \\
& -\int_0^1\dfrac{\widetilde{\mathrm{B}}_{m-1}(h-t)}{(m-1){!}}f^{(m-1)}(x+t)\,\mathrm{d}t.
\end{aligned}\] où les \(\mathrm{B}_k(X)\) sont les polynômes de Bernoulli10 et les \(\widetilde{\mathrm{B}}_m\) des fonctions périodiques et régulières définies à partir des polynômes \(\mathrm{B}_k\).
Cette parenté s’explique en faisant appel aux opérateurs de composition.
La formule de Boole se démontre par récurrence en s’appuyant sur une intégration par parties, démonstration fort peu éclairante à dire vrai, car elle ne dévoile rien sur l’origine de cette formule.
On en déduit une formule sommatoire du type Maclaurin : on prend \(h=\dfrac{1}{2}\) et \(x=p \in \mathbb{N}^{\ast}\) et \(m=2M+1\), il vient \[\begin{aligned}
2(-1)^pf\left(p+\frac{1}{2}\right) =& \sum_{h=0}^{M}\frac{1}{2^{2h}(2h){!}}\mathrm{E}_{2h} \left\{ (-1)^pf^{(2h)}(p)-(-1)^{p+1}f^{(2h)}(p+1)\right\} \\
& +\int_p^{p+1}\frac{\widetilde{\mathrm{E}}_{2M}\left(\frac{1}{2}-u\right)}{(2M){!}}f^{(2M+1)}(u)\,\mathrm{d}u
\end{aligned}\]
puis, supposant valides toutes les convergences utiles :
\[\begin{aligned}
2\sum_{p=n}^{+\infty}(-1)^pf\left(p+\frac{1}{2}\right) =& \sum_{h=0}^{M}\frac{1}{2^{2h}(2h){!}}E_{2h}\left\{ (-1)^nf^{(2h)}(n) – \lim_{p \infty}(-1)^{p+1}f^{(2h)}(p+1)\right\} \\
& +\int_n^{{+}\infty}\frac{\widetilde{\mathrm{E}}_{2M}\left(\frac{1}{2}{-}u\right)}{(2M){!}}f^{(2M{+}1)}(u)\,\mathrm{d}u
\end{aligned}\]
En prenant \(f(x)=\dfrac{1}{x}\), on valide les convergences et on obtient une expression explicite du reste qui nous intéresse
\[\begin{aligned}
2\sum_{p=n}^{+\infty}(-1)^p\frac{1}{2p+1} =& (-1)^n\sum_{h=0}^{M}\frac{\mathrm{E}_{2h}}{(2n)^{2h+1}} \\
& -\frac{1}{2}\int_n^{+\infty}\widetilde{\mathrm{E}}_{2M}\left(\frac{1}{2}-u\right)\frac{2M+1}{u^{2M+2}}\,\mathrm{d}u.
\end{aligned}\]
Les \(\widetilde{\mathrm{E}}_k\) sont continues et périodiques donc bornées, disons par \(C_k\) ; on en déduit que
\[\begin{aligned}
\left|\frac{1}{2}\int_n^{{+}\infty}\widetilde{\mathrm{E}}_{2M}\left(\frac{1}{2}{-}u\right)\frac{2M{+}1}{u^{2M{+}2}}\,\mathrm{d}u\right| \leqslant\frac{C_{2M}}{2} & \int_n^{{+}\infty}\frac{2M{+}1}{u^{2M{+}2}}\,\mathrm{d}u \\
& = \frac{C_{2M}}{2n^{2M+1}}.
\end{aligned}\]
En supposant \(n\) pair, on a donc \[2\sum_{p=n}^{+\infty}(-1)^p\frac{1}{2p+1}=\sum_{h=0}^{M}\frac{\mathrm{E}_{2h}}{(2n)^{2h+1}}+r_{2M}\] avec \(0 \leqslant r_{2M} \leqslant \dfrac{C_{2M}}{\mathstrut 2n^{2M+1}}\), ce qui, à \(M\) fixé, valide le développement asymptotique. On peut démontrer, en étudiant les variations de \(\mathrm{E}_n(x)\) sur \([0;1]\), que \(\left|\widetilde{\mathrm{E}}_{2M}(x)\right| \leqslant \dfrac{|\mathstrut\mathrm{E}_{2M}|}{\mathstrut 2^{2M}}\) ; on en déduit enfin que \(\displaystyle r_{2M} \leqslant \dfrac{|\mathstrut\mathrm{E}_{2M}|}{\mathstrut(2n)^{2M+1}}\cdotp\)
Le calcul numérique peut alors être validé.
Calculer 1 000 décimales de \(\pi\) avec la formule de Leibniz
Le problème est donc de trouver un \(n\) et un \(M\) convenables ; la condition suffisante est \[\dfrac{2|\mathrm{E}_{2M}|}{(2n)^{2M+1}} < \frac{1}{2}10^{-1\,000}\]
On cherche \(n\) et \(M\) avec \(n \gg M\) car le calcul des \(\mathrm{E}_{2k}\), bien que non coûteux en temps, l’est en mémoire ; on peut démontrer que \[|\mathrm{E}_{2k}| \sim \dfrac{4^{k+1}(2k) !}{\pi^{2k+1}}\cdotp\]
En utilisant des logarithmes décimaux, on obtient le tableau
| \(2k\) | 100 | 200 | 500 | 1 000 |
|---|---|---|---|---|
| nombre de chiffres de \(\mathrm{E}_{2k}\) | 336 | 791 | 1 821 | 4 121 |
Une exploration numérique donne comme valeurs possibles \(M=118\) et \(2n=10^6\). Reste à écrire un programme de calcul (Xcas, Maple, Python avec le module Decimal) ce qui ne présente pas de difficulté particulière mais constitue un projet significatif.
D’autre part, l’équivalent donné de \(\mathrm{E}_{2M}\) prouve que, à \(n\) fixé, la série \(\displaystyle\sum \frac{\mathrm{E}_{2M}}{(2n)^{2M+1}}\) est très grossièrement divergente ; ce qui n’empêche pas ses sommes partielles de fournir des termes correctifs efficaces.
Un complément numérique fournit démonstrations et programmes
Python.
Cette introduction de termes correctifs dans le calcul de valeurs approchées de sommes de série ne s’applique pas uniquement à la série ici étudiée ; le lecteur curieux pourra faire ses propres expériences numériques sur les séries\(\displaystyle\sum_n \dfrac{(-1)^{n+1}}{n^k}\), \(\displaystyle\sum_n \dfrac{(-1)^{n+1}}{(2n+1)^k}\), et même \(\displaystyle\sum_n \dfrac{1}{n^2}\cdotp\)
Un programme Python (donné sur le complément numérique ) nous permet d’obtenir \[\begin{aligned}
3,&141\,592\,653\,589\,793\,238\,462\,643\,383\,279\,502\,884\,197\,169\,399\,375\,105\,820\,974\,944\,592\,307\,816\,406\,286\\
&208\,998\,628\,034\,825\,342\,117\,067\,982\,148\,086\,513\,282\,306\,647\,093\,844\,609\,550\,582\,231\,725\,359\,408\,128\\
&481\,117\,450\,284\,102\,701\,938\,521\,105\,559\,644\,622\,948\,954\,930\,381\,964\,428\,810\,975\,665\,933\,446\,128\,475\\
&648\,233\,786\,783\,165\,271\,201\,909\,145\,648\,566\,923\,460\,348\,610\,454\,326\,648\,213\,393\,607\,260\,249\,141\,273\\
&724\,587\,006\,606\,315\,588\,174\,881\,520\,920\,962\,829\,254\,091\,715\,364\,367\,892\,590\,360\,011\,330\,530\,548\,820\\
&466\,521\,384\,146\,951\,941\,511\,609\,433\,057\,270\,365\,759\,591\,953\,092\,186\,117\,381\,932\,611\,793\,105\,118\,548\\
&074\,462\,379\,962\,749\,567\,351\,885\,752\,724\,891\,227\,938\,183\,011\,949\,129\,833\,673\,362\,440\,656\,643\,086\,021\\
&394\,946\,395\,224\,737\,190\,702\,179\,860\,943\,702\,770\,539\,217\,176\,293\,176\,752\,384\,674\,818\,467\,669\,405\,132\\
&000\,568\,127\,145\,263\,560\,827\,785\,771\,342\,757\,789\,609\,173\,637\,178\,721\,468\,440\,901\,224\,953\,430\,146\,549\\
&585\,371\,050\,792\,279\,689\,258\,923\,542\,019\,956\,112\,129\,021\,960\,864\,034\,418\,159\,813\,629\,774\,771\,309\,960\\
&518\,707\,211\,349\,999\,998\,372\,978\,049\,951\,059\,731\,732\,816\,096\,318\,595\,024\,459\,455\,346\,908\,302\,642\,522\\
&308\,253\,344\,685\,035\,261\,931\,188\,171\,010\,003\,137\,838\,752\,886\,587\,533\,208\,381\,420\,617\,177\,669\,147\,303\\
&598\,253\,490\,428\,755\,468\,731\,159\,562\,863\,882\,353\,787\,593\,751\,957\,781\,857\,780\,532\,171\,226\,806\,613\,001\\
&927\,876\,611\,195\,909\,216\,420\,198\,938\,095\,257\,2
\end{aligned}\] soit 1 009 décimales avec une formule n’en donnant en théorie que 6.
- Désiré André. « Sur les permutations alternées ». In : Journal de mathématiques pures et appliquées vol. 7 (1881). Disponible sur Gallica
, p. 167-184.
- Philippe Henry et Gerhard Wanner. « Zigzags with Bürgi, Bernoulli, Euler and the Seidel–Entringer–Arnold triangle ». In : Elemente der Mathematik vol. 74 (2019), p. 141-168.
- Jonathan Borwein, Peter Borwein et Karl Dilcher. « Pi, Euler Numbers, and Asymptotic Expansions ». In : American Mathematical Monthly vol. 96. N°8 (1989), p. 681-687.
- Connue des mathématiciens indiens au XIVe siècle.
- On verra plus loin que \(|\pi-s_n|\sim\dfrac{1}{n}\), ce qui valide la condition nécessaire alors qu’a priori une majoration ne fournit qu’une condition suffisante.
- Exacte ne signifie pas identique; la \(p\)-ième décimale d’une valeur approchée \(\bar{x}\) d’un réel \(x\) est dite exacte si \(\left|x-\bar{x}\right|<\dfrac{1}{2}10^{-p}\); ainsi \(0,999\,7\) est une valeur approchée de \(1\) avec trois décimales exactes.
- Cette question semble n’apparaître qu’en 1982 dans la revue Mathematical Gazette.
- L’IEEE 754 est une norme informatique sur l’arithmétique à virgule flottante mise au point par le Institute of Electrical and Electronics Engineers
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- Il règne une grande cacophonie dans l’« arithmosphère » sur les définitions et les appellations; convenons ici de suivre le site expert
OEIS. - On pourrait considérer aussi, plus lourdement, des développements limités. Le credo en combinatoire est plutôt de travailler avec des séries formelles.
- Emprunté à [2].
- Il y a malheureusement autant de formes pour cette dernière que d’auteurs… Nous allons suivre [3].
- Voir la page
Wikipediapour une brève revue.
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François Boucher, à la retraite depuis quelques années, continue de s’intéresser aux mathématiques et à leur enseignement. Il fait également partie de l’équipe d’Au fil des maths.