Les cryptarithmes
Derrière le mot mystérieux de cryptarithmes se cachent de jolies énigmes ne nécessitant que des connaissances élémentaires sur les opérations, et qui ont eu leur heure de gloire il y a une centaine d’années. Pierre Legrand nous les fait (re)découvrir dans cet article. Vous en trouverez une version légèrement différente dans le n° 58 de MathemaTICE, enrichie par Patrick Raffinat de considérations algorithmiques et informatiques .
Pierre Legrand
© APMEP Septembre 2018
⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅
Les récréations arithmétiques ont un passé vieux d’au moins deux millénaires, mais elles ont évolué avec le temps. Celles qu’a connues l’Antiquité grecque portaient le plus souvent sur des problèmes du premier degré tels qu’en utilisa jadis notre certificat d’études. Puis sont venus au fil du temps des casse-têtes plus variés et souvent plus complexes.
Un des types les plus élémentaires d’énigme arithmétique, les additions et multiplications lacunaires ou masquées, n’a pourtant fait une timide entrée 1 qu’à la fin du siècle. Les exemples se sont multipliés dans la première moitié du XIXe siècle et ce type de jeu a connu alors une vogue certaine, avant de retomber dans un relatif oubli.
Notons cependant que les jeux venus récemment du Japon, comme le sudoku, le bento ou le fubuki, ont avec les problèmes dont nous allons parler une parenté certaine.
Quel intérêt pour les élèves
Les cryptarithmes 2, puisque tel est leur nom, ne font appel qu’à un strict minimum de notions mathématiques : les quatre opérations, le maniement des inégalités, la divisibilité, des rudiments sur les congruences (qu’on peut toujours remplacer par l’étude des restes de division par \(2\), \(5\), \(10\), \(100\) ou \(1\,000\)) et à l’occasion le raisonnement par l’absurde. Ils sont donc marginaux par rapport aux programmes des classes.
En revanche, ils demandent de la méthode, une certaine ingéniosité et la capacité d’utiliser plusieurs idées différentes pour parvenir à un résultat. S’ils ne contribuent guère à consolider les connaissances, ils constituent, outre un agréable passe-temps, un bon entraînement à l’autonomie de raisonnement.
Un modèle simple les additions lacunaires
Il s’agit de reconstituer une addition dans laquelle certains chiffres ont été masqués.
Selon le nombre de chiffres occultés, le travail peut être immédiat ou demander un peu de réflexion. Si on se limite à des exercices où manquent au plus deux chiffres, ce type de jeu peut être utilisé au cours moyen ou en sixième pour consolider la maîtrise de l’addition et de la soustraction et approfondir la compréhension de leurs mécanismes.
Quelques exemples élémentaires
En voici quatre qui, vu leur simplicité, sont donnés sans justification de leur solution :
Chacun de ces exemples peut être présenté de trois façons : une addition (\(x+y=z\)) comme ci-dessus et deux soustractions (\(z-x=y\), \(z-y=x\)).
Un exemple un peu plus complexe
Soit à compléter \(1\,\blacksquare\,8\,\blacksquare\,+\,\blacksquare\,4\,\blacksquare\,5=\,\blacksquare\,\,\blacksquare\,721\).
Le premier membre est inférieur à \(2\,000+9\,500\), soit \(11\,500\). Le second membre est donc au plus égal à \(10\,721\), mais comme il a \(5\) chiffres et se termine par \(721\), c’est \(10\,721\).
On est donc ramené à \(1\,\blacksquare\,8\,\blacksquare\,+\,\blacksquare\,4\,\blacksquare\,5=10\,721\). La considération du chiffre des unités mène à \(1\,\blacksquare\,86+\,\blacksquare\,4\,\blacksquare\,5=10\,721\), dont on déduit \(1\,\blacksquare\,80+\,\blacksquare\,4\,\blacksquare\,0=10\,710\). On est ainsi ramené à \(1\,\blacksquare\,8+\,\blacksquare\,4\,\blacksquare\,=1\,071\). Le chiffre des unités de \(\,\blacksquare\,4\,\blacksquare\,\) est donc \(3\).
De \(1\,\blacksquare\,8+\,\blacksquare\,43=1\,071\) on déduit immédiatement \(1\,\blacksquare\,0+\,\blacksquare\,40=1\,060\), donc \(1\,\blacksquare\,+\,\blacksquare\,4=106\). On en tire aisément que les deux chiffres manquants sont respectivement \(2\) et \(9\).
Finalement, l’addition reconstituée est : \[1\,286+9\,435=10\,721.\]
Et les multiplications lacunaires
Là encore des exemples simples permettent d’exercer les élèves.
Cela va du très simple \(25\times\,\blacksquare\,=17\,\blacksquare\,\) au déjà plus sophistiqué \(5\,\blacksquare\,\times\,\blacksquare\,7=1\,\blacksquare\,\,\blacksquare\,6\) (\(58\times27=1\,566\)), qui exige de se rappeler que dans la table de multiplication par \(7\) le seul cas où le produit finit par \(6\) est \(8\times7\) ; il reste ensuite à essayer les produits de \(58\) par \(17\), \(27\) et \(37\).
Les additions cryptées
Dans la résolution des problèmes précédents, nous avons été un peu gênés par le fait que les chiffres manquants dans l’égalité de départ étaient représentés par le même symbole. Il aurait sans doute été plus commode de leur donner à chacun un nom.
Cela nous mène à l’idée d’addition cryptée, où chaque chiffre est représenté par une lettre, toujours la même, deux chiffres différents étant représentés par deux lettres différentes, la lettre la plus à gauche de l’écriture d’un nombre ne représentant jamais zéro.
Nous donnons ci-après, dans l’ordre de difficulté croissante, des problèmes dont tous les chiffres sont cryptés. Nous utiliserons les conventions d’écriture suivantes :
-
Une écriture décimale comportant au moins deux symboles dont au moins une lettre est surlignée : ainsi \(\overline{A2B}\) désigne le nombre dont \(A\) est le chiffre des centaines, \(2\) celui des dizaines, \(B\) celui des unités.
-
Une écriture décimale comportant la seule lettre \(O\) est surlignée, de façon à bien distinguer du zéro (\(0\)) le nombre représenté par la seule lettre \(\overline{O}\).
-
Afin d’éviter toute confusion, les produits sont toujours désignés par le symbole \(\times\) : on peut ainsi distinguer nettement \(2\times N\) de \(\overline{2N}\).
Un exemple simple : \(\overline{AC}+\overline{BC}=\overline{CDA}\)
\(\overline{AC}\) et \(\overline{BC}\) sont strictement inférieurs à \(100\), donc leur somme l’est à \(200\), donc \(C=1\).
En regardant le chiffre des unités du total on obtient alors \(A=2\).
\(\overline{AC}+\overline{BC}=\overline{CDA}\) s’écrit donc \[20+1+10\times B+1=100+10\times D+2,\] soit \(10\times(B-D)=80\), donc \(B=D+8\), donc \(D=0\), \(B=8\) (\(D\neq1\) car \(D\neq C\)).
Finalement : \(21 + 81 = 102\).
Hésitation : \(\overline{NON}+\overline{NON}=\overline{OUI}\)
On a évidemment \(\overline{NON}<500\), donc \(N\leqslant4\).
Dans l’addition des unités il ne peut y avoir de retenue, car \(N+N\leqslant8\), donc \(I=N+N\), ce qui permet de supprimer dans l’égalité le chiffre des unités : \[\overline{NO}+\overline{NO}=\overline{OU}.\]
Si l’addition \(\overline{O}+\overline{O}\) ne donnait pas lieu à retenue, on aurait \(\overline{O}=N+N\), donc \(\overline{O}=I\), ce qui est à exclure. Il y a donc une retenue et l’on a : \(\overline{O}=2\times N+1\) et \(\overline{O}+\overline{O}=U+10\).
De \(I=2\times N\) et \(\overline{O}=2\times N+1\) on tire \(U=4\times N-8\). De \(U\geqslant0\) on tire \(N\geqslant 2\). Or on a vu que \(N\leqslant 4\) ; donc \(N\in\{2\, ;\,3\, ;\,4\}\). Mais \(N=4\) entraîne \(I=U=8\), ce qui est exclu.
-
Supposons \(N=2\). On a \(I = 4\), \(\overline{O}=5\), \(U=0\). On est conduit à \(252 + 252 = 504\), qui convient manifestement.
-
Supposons maintenant \(N=3\). Alors \(\overline{O}=7\), \(I=6\), \(U=4\). Il vient \(373 + 373 = 746\), qui convient aussi. On a donc ici deux solutions.
Revirement : \(\overline{OUI}+\overline{OUI}=\overline{NON}\)
On démarre de la même façon : \(\overline{OUI}<500\), donc \(\overline{O}\leqslant4\). \(\overline{NON}\) est forcément pair, donc
Si l’addition des dizaines donnait lieu à retenue, la considération des centaines donnerait \(N=2\times\overline{0}+1\) et \(N\) serait impair. Il n’y a donc pas de retenue dans l’addition des dizaines et l’on peut séparer le problème en deux : \(2\times\overline{O}=N\) et \(\overline{UI}+\overline{UI}=\overline{ON}\).
De \(N=2\times\overline{O}\) résulte \(\overline{ON}=12\times\overline{O}\), d’où \(\overline{UI}=6\times\overline{O}\).
Il y a quatre valeurs à essayer :
-
\(\overline{O}=1\) donne \(N=2\), \(U=0\), \(I=6\) ce qui amène à \(106 + 106 = 212\), qui convient.
-
\(\overline{O}=2\) donne \(\overline{UI}=12\), donc \(I=\overline{O}\), qui est à exclure.
-
\(\overline{O}=3\) donne \(\overline{UI}=18\), d’où \(318 + 318 = 636\), qui convient.
-
\(\overline{O}=4\) donne \(\overline{UI}=24\), donc \(I=\overline{O}\), qui est à exclure.
On a là encore deux solutions.
Imbuvable : \(\overline{COCA}+\overline{COLA}=\overline{OASIS}\)
\(\overline{COCA}<10\,000\) et \(\overline{COLA} <10\,000\), donc \(\overline{OASIS}<20\,000\) et \(\overline{O}=1\). \(A\) n’est donc pas \(1\).
Si \(A\) était nul, le chiffre des unités montre que \(S\) serait nul aussi. Donc \(A\geqslant2\).
On a \(\overline{COCA}+\overline{COLA}<12\,000\). Si on avait \(C\leqslant5\), on aurait \(\overline{COCA}+\overline{COLA}<2\times6\,000\). Donc \(C\geqslant6\). En regardant le chiffre des unités, on voit que \(S\) vaut \(A+A\) ou \(A+A-10\), donc \(S\) est pair.
-
Le chiffre \(S\) des centaines d’\(\overline{OASIS}\), lu sur le membre de gauche de l’égalité, est \(\overline{O}+\overline{O}+\varepsilon\), avec \(\varepsilon\) valant \(1\) ou \(0\) selon que l’addition des dizaines a donné lieu à retenue ou non ; donc \(S=2+\varepsilon\). Et comme \(S\) est pair, on arrive à \(S=2\) (et \(\varepsilon=0\)).
-
Considérons à nouveau le chiffre des unités. On obtient \(S=A+A\) ou \(S=A+A-10\) ; le premier cas donnerait \(A=1\), qui a été exclu ; \(S\) vaut donc \(A+A-10\), d’où \(A=6\).
-
Comme l’addition des dizaines n’a pas donné lieu à retenue (on a vu que \(\varepsilon=0\)), le problème se sépare en deux : \(\overline{CO}+\overline{CO}=\overline{OAS}\) et \(\overline{CA}+\overline{LA}=\overline{IS}\).
La première égalité se ramène à \(\overline{C1}+\overline{C1}=162\), qui donne \(C=8\). La seconde s’écrit alors \(86+10\times L+6=10\times I+2\) ; après réduction et division par \(10\), on obtient \(9+L=I\), qui impose \(L=0\) et \(I=9\).
La réponse est donc \(8 186+8 106 = 16 292\), dont on vérifie qu’elle convient.
Une somme de trois termes : \(\overline{UN}+\overline{UN}+\overline{NEUF}=\overline{ONZE}\)
-
\(\overline{ONZE}<\overline{NEUF}\) donne \(\overline{O}\geqslant N\) ;
comme \(\overline{O}\neq N\), on a \(\overline{O}\geqslant N+1\) ; si on avait \(\overline{O}\geqslant N+2\), on aurait \(\overline{ONZE}-\overline{NEUF}<1\,000\), alors que \(\overline{UN}+\overline{UN}<200\) ; donc \(\overline{O}=N+1\). -
Le problème se ramène alors à : \[\overline{UN}+\overline{UN}+\overline{EUF}=1\,000+\overline{NZE}\, ;\] le second membre est supérieur à \(1\,100\), donc \(\overline{EUF}<900\), ce qui donne \(E=9\) ; on arrive ainsi à : \(\overline{UN}+\overline{UN}+\overline{UF}=100+\overline{NZE}\).
-
\(\overline{UN}+\overline{UN}+\overline{UF}<300\), donc \(\overline{NZE}<200\) et \(N=1\) ; mais \(\overline{O}=N+1\), donc \(\overline{O}=2\).
-
Reportons maintenant les valeurs de \(N\) et \(E\) dans \(\overline{UN}+\overline{UN}+\overline{UF}=100+\overline{NZE}\). On obtient : \(30\times U+2+F=200+10\times Z+9\).
Le chiffre des unités donne \(F=7\). Après réduction et simplification par \(10\), il nous reste alors \(3\times U=20+Z\). Donc \(U\geqslant 7\) ; mais \(U\) ne peut valoir \(7\), qui est \(F\), ni \(9\), qui est \(E\). Ainsi \(U=8\) et \(Z=4\).
La seule possibilité reste \(81+81+1 987 = 2 149\), qui convient bien.
Un problème espagnol : \(\overline{DOS}+\overline{DOS}+\overline{TRES}=\overline{SIETE}\)
La recherche est laissée aux soins du lecteur. La réponse est \(581 + 581 + 9 231 = 10 393\); les premiers résultats accessibles sont \(S=1\), \(I=0\), \(E=3\).
Le problème fondateur
La mode des additions cryptées et plus généralement des cryptarithmes fut lancée en juillet 1924 par un casse-tête d’Henry Dudeney sorti dans le Strand Magazine, la revue mensuelle qui publiait les aventures de Sherlock Holmes.
L’auteur (ci-dessus) raconte l’histoire d’un jeune homme qui, à court d’argent, télégraphie à son père . Il s’agit en fait d’une addition, où chaque lettre représente un chiffre différent : \(\overline{SEND}+\overline{MORE}=\overline{MONEY}\)
- Première étape :
-
\(\overline{SEND}+\overline{MORE}<10\,000+10\,000\), donc \(\overline{MONEY}<20\,000\), et \(M=1\) ; mais alors \(\overline{MORE}<2\,000\) et \(\overline{SEND}+\overline{MORE}<12\,000\), donc \(\overline{O}\) vaut \(0\) ou \(1\) et, comme \(M=1\), on a \(\overline{O}=0\) ;
de \(\overline{MONEY}\geqslant10\,234\) et \(\overline{MORE}\leqslant1\,098\) on tire : \(\overline{SEND}\geqslant10\,234-1\,098\), soit \(\overline{SEND}\geqslant9\,136\), donc \(S =9\).
- Deuxième étape :
-
on a donc : \[9\,000+\overline{END}+1\,000+\overline{RE}=10\,000+\overline{NEY},\] ce qui ramène à un problème de taille plus modeste où, puisque \(\overline{O}=0\), \(M=1\) et \(S=9\), les chiffres représentés par les lettres restantes sont à prendre dans \(\big[\!|2;8|\!\big]\) : \(\overline{END}+\overline{RE}= \overline{NEY}\).
\(\overline{NEY}\) s’obtient en ajoutant à \(\overline{END}\) un nombre inférieur à \(100\), donc \(N=E+1\). Il vient alors \(\overline{ND}+\overline{RE}=\overline{EY}+100\) puis \(\overline{ED}+\overline{RE}=\overline{EY}+90\), d’où : \(D + \overline{RE}=Y+90\).
- Troisième étape :
-
de \(D+\overline{RE}>90\) et \(R\neq9\), on tire \(R=8\). \(D+\overline{RE}=Y+90\) devient alors \(D+E=Y+10\), les chiffres \(D\), \(E\), \(Y\) étant à prendre dans \(\big[\!|2;7|\!\big]\).
On a \(D+E\leqslant7+6\), donc \(Y\) vaut \(2\) ou \(3\). Si on avait \(Y=3\), on aurait : soit (\(D=7\), \(E=6\)), ce qui est exclu car on aurait \(D=E+1\), donc \(D=N\) ; soit (\(D=6\), \(E=7\)), ce qui donnerait \(N=8\), donc \(N=R\).
La seule possibilité est donc \(Y=2\), qui donne \(D=7\), \(E=5\) ou \(D=5\), \(E=7\) ; mais la seconde éventualité est exclue, car menant à \(N=8=R\).
Reste à voir que l’unique possibilité restante convient bien.
On vérifie : \(9 567 + 1 085 = 10 652\).
Multiplications cryptées ou lacunaires
Les problèmes de multiplication cryptée ou lacunaire concernent le plus souvent des opérations «posées » faites à la main. Le nombre élevé de symboles mis en jeu rend ces énigmes plus difficiles que les problèmes d’addition. Elles amènent à utiliser abondamment la divisibilité et/ou les congruences modulo une puissance de \(10\).
Très simple une puissance quatrième
\(\overline{ABC}=C^4\)
On a \(100<C^4<1\,000\), donc \(\sqrt{10}<C<\sqrt[4]{1000}\), ce qui donne \(3,16<C<5,63\). \(C\) vaut donc \(4\) ou \(5\), mais le chiffre des unités de \(C^4\) étant \(C\), on a \(C=5\). On a bien \(625 = 5^4\).
Assez simple
-
La ligne donnant \(\overline{ABC}\times A=\overline{**A}\) est plus courte que les deux autres. \(A\) est donc strictement inférieur à \(B\) et \(C\) (qui sont donc au moins égaux à \(2\)).
-
De \(\overline{ABC}\times A=\overline{**A}\) on déduit que le chiffre des unités de \(C\times A\) est \(A\) ; autrement dit \(C\times A-A\) est multiple de \(10\). A fortiori, \(5\) divise \((C-1)\times A\), donc il divise \(A\) ou \(C\), donc ou bien \(A=5\) ou bien \(C=6\).
Le même raisonnement appliqué à l’égalité \(\overline{ABC}\times B=\overline{***\,B}\) prouve que \(B=5\) ou \(C=6\). \(C\neq6\) donnerait \(A=B=5\). Finalement \(C=6\).
-
Nous savons que \(10\) divise \((C-1)\times A\) et \((C-1)\times B\), soit \(5\times A\) et \(5\times B\) ; \(A\) et \(B\) sont donc pairs : ils valent \(2\), \(4\) ou \(8\) ; comme \(A<B\), \(A\) vaut \(2\) ou \(4\) ; si \(A\) valait \(4\), \(\overline{ABC}\times A\) vaudrait au moins \(400\times4\) et aurait donc quatre chiffres ; on en conclut que \(A=2\).
-
\(B\) vaut donc \(4\) ou \(8\). Mais \(B=4\) impliquerait \(\overline{ABC}\times B=246\times4=984\), alors que ce produit est censé avoir quatre chiffres. Finalement on arrive au résultat : \(286 \times 826 = 236 236\), dont on vérifie qu’il convient bien.
Un exemple historique
La revue belge , entièrement consacrée aux récréations mathématiques et logiques, fut fondée en 1931 par Maurice Kraitchik, spécialiste notoire de théorie des nombres. Elle connut un certain succès international jusqu’en 1939, mais périt victime de la guerre 3. C’est dedans que fut publié en mai 1931 le premier exemple de multiplication cryptée, qui est donné ci-dessous. \[\begin{array}{*{4}{c}}
&A &B & C \\
& &D &E \\
\hline
& F & E & C \\
D &E &C & \\
\hline
H &G & B & C
\end{array}\]
-
\(D\times\overline{ABC}\) et \(E\times\overline{ABC}\) finissent tous deux par \(\overline{EC}\), donc \(100\) divise \((D-E)\times\overline{BC}\) ; il en résulte que \(25\) divise \(\overline{BC}\) ou \(5\) divise à la fois \(\overline{BC}\) et \(D-E\) ; dans les deux cas cela donne \(C=5\) ou \(C=0\).
-
En regardant l’addition des dizaines dans le détail de l’opération, on voit que \(E+C=B\) ; donc \(C=0\) entraînerait \(E=B\), d’où \(C=5\).
-
\(4\) divise \((D-E)\times\overline{BC}\) et est premier avec \(\overline{BC}\) puisque \(C=5\), donc \(4\) divise \((D-E)\), qui vaut ainsi \(4\), \(-4\), \(8\) ou \(-8\).
-
\(25\) divise \((D-E)\times\overline{BC}\) et est premier avec \(D-E\) donc il divise \(\overline{BC}\), qui se termine par \(5\) ; les multiples impairs de \(25\) se terminent par \(25\) ou \(75\), donc \(B\) vaut \(2\) ou \(7\).
-
\(\overline{ABC}\) est multiple de \(25\), donc il en est de même pour \(\overline{FEC}=\overline{ABC}\times E\) et \(\overline{FEC}\) est impair puisque se terminant par un \(5\). \(\overline{EC}\) vaut donc \(25\) ou \(75\) ; mais si on avait \(E=2\) le produit \(E\times\overline{ABC}\) serait pair alors que c’est l’impair \(\overline{FEC}\).
-
On a donc : \(\overline{EC}=75\), \(\overline{BC}=25\) soit \(B=2\), \(C=5\), \(E=7\) ; on a vu en outre que \(D-E\) est \(\pm 4\) ou \(\pm 8\) ; comme \(E=7\), la seule possibilité est \(D=3\).
-
De \(\overline{ABC}\times D=\overline{DEC}\) on tire \(\overline{ABC}\times3=375\), donc \(\overline{ABC}=125\). La solution est bien déterminée. Mais on a procédé par conditions nécessaires ; il reste à vérifier que cette solution convient bien :
\[\begin{array}{*{4}{c}}
&1 & 2 &5 \\
&&3 &7 \\
\hline
&8 &7 &5 \\
3 &7 & 5 &\\
\hline
4 &6 &2 &5
\end{array}\]
Un autre exemple tiré de Sphinx
L’exemple ci-après (de janvier 1934) est assez curieux, car à la multiplication présentée est adjointe une mention qui à première vue semble anodine : Tous les \(3\) sont indiqués, mais qui en fait doit être utilisée à deux reprises.
Explicitons par des lettres (qui ici représentent des chiffres a priori non forcément distincts) les deux nombres dont on fait le produit :
\(\overline{AB3C}\times\overline{PQ3}\).
-
De \(\overline{AB3C}\times3=\overline{3***}\) on tire \(A=1\) et \(B\leqslant3\) ; \(B\) n’étant pas \(3\) (exclu par l’énoncé) vaut donc \(0\), \(1\) ou \(2\).
-
De la seconde ligne de produits partiels, \(\overline{1B3C}\times Q=\overline{***33}\), on déduit immédiatement que \(Q\geqslant\dfrac{10\,033}{1\,239}\approx8,09\) ; donc \(Q=9\) ; le chiffre des unités dans \(\overline{1B3C}\times9=\overline{***33}\) montre que \(C=7\).
-
Si on avait \(B=0\), on aurait \(\overline{1\,037}\times9=9\,333\), alors que ce produit devrait avoir cinq chiffres (et a un \(3\) de trop) ; donc \(B=1\) ou \(B=2\).
-
Le produit \(\overline{1B37}\times\overline{P93}\) a sept chiffres, donc est au moins égal à \(1\,000\,000\) ; on a donc :
\(\overline{P93}\geqslant\dfrac{\mathstrut1\,000\,000}{\mathstrut1\,237}\), d’où \(\overline{P93}\geqslant808\) ; \(P\) vaut donc \(8\) ou \(9\) ; mais si \(P\) valait \(9\), on aurait :
\(\overline{1B37}\times9\geqslant1\,137\times9=10\,233\) et \(\overline{1B37}\times P\) aurait cinq chiffres alors qu’il en a quatre ; on a donc \(P=8\). -
Il reste donc à essayer \(1\,137\times893\) et \(1\,237\times893\). On voit ci-dessous que la première éventualité ne convient pas, à cause du \(3\) figurant dans \(1\,015\,341\) :
En revanche, \(1 237 \times 893\) répond à toutes les conditions imposées :
Un problème de congruences
\(\overline{MATH}\times\overline{MATH}=\overline{****MATH}\)
Posons \(x=\overline{MATH}\). La principale information que nous ayons est \(x^2\equiv x \pmod{10\,000}\) :
\(10^4\) divise donc \(x(x-1)\) ; \(x\) et \(x-1\) sont premiers entre eux, donc chacun des deux nombres \(2^4\) et \(5^4\) divise \(x\) ou \(x-1\). Ils ne peuvent diviser le même, car \(x\) serait supérieur ou égal à \(10\,000\), alors qu’il n’a que quatre chiffres.
Donc : ou \(625\) divise \(x\) et \(16\) divise \(x-1\), ou \(625\) divise \(x-1\) et \(16\) divise \(x\).
Premier cas : \(625\) divise \(x\) et \(16\) divise \(x-1\).
Posons \(x=625h\) ; de \(625\equiv1\pmod{16}\) on tire \(x\equiv h\pmod{16}\). On veut que \(x-1\) soit multiple de \(16\), donc que \(h\) soit de la forme \(16u+1\) et \(x=625\times(16u+1)\). La plus petite valeur est \(625\), qui n’a pas assez de chiffres, la suivante est \(625 \times 17\), soit \(10\,625\), qui a trop de chiffres.
Second cas : \(625\) divise \(x-1\) et \(16\) divise \(x\).
Posons \(x=625k+1\) ; de \(625\equiv1\pmod{16}\) on déduit \(k+1\equiv0\pmod{16}\). Pour \(k=15\) on a \(x=625\times15+1=9\,376\). Les autres valeurs de \(k\) fournissent pour \(x\) des écritures à au moins cinq chiffres, donc exclues. Reste donc à examiner si \(\overline{MATH}=9\,376\) convient. La seule condition à vérifier est que le carré de \(\overline{MATH}\) ait huit chiffres. Or, \(9\,376^2=87\,909\,376\) ce qui règle la question.
Pour finir hommage à une gloire nationale
Cette énigme, plus difficile que les précédentes, date des alentours de 1960. Signalons qu’elle repose en partie sur la preuve par \(9\).
Chacune des lettres représente un chiffre différent, autre que zéro.
La résolution en est laissée à la bonne volonté de chacun. Le lecteur fatigué pourra trouver une solution entièrement tricotée main sur le site d’Au fil des maths sous le titre : Hommage à Brigitte Bardot.
Conclusion
Ces exemples 4 l’ont, je pense, montré : les méthodes utilisées pour résoudre ces problèmes demandent de la patience et une certaine ingéniosité, mais elles sont assez peu variées. En outre un informaticien objectera que, dans chacune de ces énigmes, le nombre d’éventualités à examiner est fini. On en connaît même une borne : si l’opération à reconstituer contient \(n\) chiffres inconnus, il y a au plus \(10^n\) possibilités. Un petit programme doit donc pouvoir régler aisément la question.
C’est irréfutable. Mais on peut aussi se poser une question du même genre : pourquoi se fatiguer à faire des randonnées à pied alors qu’il existe des véhicules automobiles ?
⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅
Pierre Legrand a depuis longtemps un rôle actif au sein de l’APMEP. Il a écrit de nombreux articles dans le Bulletin Vert.
-
Une partie de ce retard s’explique par le temps qu’ont mis la numération décimale et les règles de calcul allant avec elle pour entrer vraiment dans les mœurs. ↩
-
Du grec : (kryptos, caché) et (arithmos, nombre). Le terme daterait de 1931. ↩
-
Kraitchik, qui était juif, émigra en 1939 pour des raisons évidentes et passa la guerre aux États-Unis. ↩
-
Je remercie vivement Catherine Combelles, qui a vérifié les solutions de ces exercices et a rectifié plusieurs erreurs. ↩
Une réflexion sur « Les cryptarithmes »
Les commentaires sont fermés.