Matériaux pour une documentation N° 536

Conversation sur les mathématiques
Sylvestre Huet, Flammarion, 2019

Le bateau ivre
Pierre Legrand, L’Harmattan, 2019

L’intelligence artificielle, pas sans elles !
Aude Bernheim & Flora Vincent, Belin, 2019

L’art de ne pas dire n’importe quoi
Jordan Elenberg, Cassini, 2018

© APMEP Juin 2020

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Conversation sur les mathématiques

Ouvrage collectif de Pierre Cartier, Jean Dhombres, Gerhard Heinzmann, Cédric Villani
Sous la direction de Sylvestre Huet, Champs Sciences,
Flammarion, 2019
ISBN 978-2-08147873-2, 336 pages, 9 €.

Dans ce livre de la collection Le salon scientifique, conversation sur écrit sous la houlette du journaliste scientifique Sylvestre Huet, quatre spécialistes confrontent leur point de vue sur les mathématiques : Cédric Villani — médaillé Fields 2010 — sans doute le plus médiatisé des quatre intervenants, Pierre Cartier mathématicien ayant appartenu au groupe Bourbaki, Jean Dhombres, mathématicien et historien des sciences et Gerhard Heinzmann, philosophe des sciences.

L’ouvrage de 336 pages commence par une présentation des quatre intervenants et se termine par une liste de lectures proposées par chacun d’eux destinée aux lecteurs qui souhaitent approfondir les sujets abordés. Il se divise en quatre grands thèmes regroupant chacun plusieurs chapitres :

Thème I.

Sur les origines des mathématiques

Thème II.

Les mathématiques et le réel

Thème III.

Histoire politique et sociale de l’enseignement des mathématiques

Thème IV.

Nature et enjeux de la recherche en mathématiques

Le premier chapitre du thème II, intitulé Des mathématiques pour comprendre et agir sur le réel aborde en particulier le lien entre les mathématiques et la physique en s’appuyant sur l’exemple de Galilée.

Le deuxième, Les mathématiques comme outil autosuffisant, est articulé autour de deux mots-clés : Langage et Outil. Ce dernier point est illustré par l’exemple des nombres complexes : « Les complexes, un outil puis une réalité ».

Le chapitre 5, La nature des objets mathématiques, débute par un échange que l’on pourrait illustrer par la citation d’Henri Poincaré « C’est par la logique qu’on démontre, c’est par l’intuition qu’on invente ».

Puis vient la question des critères de l’esthétique des mathématiques. Qu’est-ce qu’une belle démonstration ? Une démonstration élégante ? Il est intéressant de confronter son propre point de vue à celui d’Henri Poincaré par exemple.

Ce thème se termine par le chapitre Déterminisme, chaos et prévision.

Le thème III, Histoire politique et sociale de l’enseignement, au contenu plus abordable que les autres, est aussi d’actualité lorsque l’on pense à la réforme du lycée qui se met en place et au rôle du rapport Villani-Torossian. Le chapitre 8 est consacré à la place des mathématiques dans le système éducatif ; il aborde en particulier leur rôle perçu comme sélectif.

La diversité des intervenants permet d’enrichir le débat : comparaison entre les systèmes éducatifs français et allemands par Gerhard Heinzmann et évolution de l’enseignement des mathématiques au cours du vingtième siècle avec le témoignage de Pierre Cartier qui était en classes préparatoires en 1949.

Cédric Villani attire notre attention sur une spécificité des mathématiques : «Je pense en effet que c’est la seule discipline enseignée au lycée où on est si éloigné dans le temps de l’objet que l’on étudie. (…) En mathématiques, tout ce qui est enseigné au lycée date globalement d’avant 1800».

Le témoignage sur l’enseignement des mathématiques en Allemagne fait le lien avec le chapitre 9 : De l’abstrait vers le concret.

Le chapitre 10 est intitulé Les mathématiques, outil de démocratisation ou de reproduction sociale. Selon Jean Dhombres, après avoir été un outil de démocratisation depuis l’époque de la révolution française, les mathématiques sont devenues un outil de reproduction sociale. Dans le chapitre 11, La didactique en cause, il affirme « À partir du moment où on a donné aux didacticiens un certain pouvoir, celui de dire ce qu’il fallait enseigner en mathématiques et la façon dont il fallait l’enseigner, on s’est engagé sur un mode d’enseignement excessivement normatif ».

Sont ensuite abordés les problèmes qui se posent, selon les intervenants, à l’enseignement des mathématiques en France : les programmes trop directifs, le manque de temps, l’organisation dans les établissements scolaires et le rôle de la communauté éducative. Dans le chapitre 12, Existe-t-il une culture mathématique ?, se pose la question de donner à tous les citoyens une formation afin qu’ils puissent comprendre le monde qui les entoure. Dans le chapitre 13, Les mathématiques appliquées, socle de l’enseignement et de la culture mathématique ?, on revient sur différentes expérimentations où il était prévu de faire travailler les élèves sur des sujets dans lesquels les mathématiques s’appliquaient sous différentes formes ; expérimentations sans suite à la demande des professeurs de mathématiques qui estimaient ne pas avoir les compétences nécessaires pour parler d’autres disciplines que la leur. Ceci conduit Pierre Cartier à poser une question qui fera sans doute sursauter un certain nombre de lecteurs : « Est-ce que le péché originel, dans le système français, n’est pas le professeur monodisciplinaire ? ».

Le chapitre 14, Enseigner l’histoire des mathématiques, est parfaitement en adéquation avec les questions posées par l’introduction de l’histoire des mathématiques dans les nouveaux programmes du lycée.

Nous en arrivons au dernier thème de l’ouvrage Nature et enjeux de la recherche en mathématiques. C’est le thème le plus long, qui ne compte pas moins de dix chapitres. J’ai trouvé l’échange sur le clivage mathématiques pures, mathématiques appliquées particulièrement intéressant. Pour Pierre Cartier qui fut membre du groupe Bourbaki, la recherche mathématique a connu un changement de paradigme dans les années 1950-70, lié aux travaux de ce groupe. Cédric Villani ne partage pas totalement cette opinion : pour lui, mathématicien d’une autre génération, la vraie révolution correspond à la chute du mur qui séparait les mathématiques pures des mathématiques appliquées. Plusieurs causes peuvent expliquer ce phénomène : la chute du système soviétique qui a entraîné une dissémination des mathématiciens russes qui n’avaient jamais séparé mathématiques pures et appliquées dans le monde entier et naturellement le développement de l’informatique.

Le chapitre 17, Enjeux de la mathématisation de l’activité industrielle, donne des exemples concrets d’utilisation des mathématiques et pointe aussi les difficultés soulevées par ces modèles. Ce thème est ensuite développé dans les chapitres Convergence entre les mathématiques fondamentales et appliquées, Mathématiques et industrie : le choc des cultures et Les mathématiques, discipline auxiliaire des autres sciences ?

Les derniers chapitres annoncent une ouverture :

  • Nouveaux outils, nouvelles pratiques ;

  • Nouveaux paradigmes, nouvelles frontières ;

  • Les mathématiques dans le monde.

Le texte, qui se présente comme un débat entre les quatre spécialistes orchestré par un journaliste scientifique, est particulièrement vivant et agréable à lire. Il devrait sans aucun doute figurer dans toutes les bibliothèques scientifiques. L’ouvrage s’adresse à un vaste public, quitte à « sauter » certains chapitres un peu ardus en particulier dans les thèmes I et II :

  • tout d’abord aux professeurs en exercice. Le thème sur l’enseignement des mathématiques donnera matière à réflexion car cet ouvrage provoque davantage de questionnements qu’il n’apporte de réponses toutes faites — d’ailleurs en existe-t-il ? Ils trouveront dans le thème IV de quoi répondre à la fréquente question des élèves « À quoi servent les mathématiques ? » car si l’on sait bien qu’elles sont utilisées dans toutes les autres sciences, il ne nous est pas toujours évident d’évoquer des exemples précis et parlants pour nos élèves.

  • Ensuite aux professeurs plus anciens, dont je suis. Ils seront sans doute intéressés par la discussion sur la frontière mathématiques pures, mathématiques appliquées. Elle met vraiment en lumière une évolution récente des pratiques et des mentalités.

  • Bien évidemment aux étudiants en mathématiques. Ils trouveront des pistes de réflexion des plus intéressantes.

  • Et bien sûr à toutes les personnes intéressées par la culture scientifique qui pourront en faire leur miel.

Bénédicte Bourgeois

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Le bateau ivre

Pierre Legrand
L’Harmattan, 2019
ISBN 978-2-343-17592-8, 178 pages, 18 €.

Derrière ce titre aux accents rimbaldiens, se cache un panorama complet de cinquante ans d’Éducation nationale (1969-2019). Qui mieux que Pierre Legrand pouvait se lancer dans un tel opus ? Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, en charge du groupe de travail sur les méthodes d’évaluation du baccalauréat 1995 formé à la demande du ministre Jack Lang, auteur ou coordinateur de nombreux ouvrages ou articles, parus en particulier dans le Bulletin vert de l’APMEP, il est un fin connaisseur du système scolaire français.

Les lecteurs qui souhaiteraient mieux le connaître pourront lire avec profit l’article paru dans la revue PLOT 10 : « L’enseignement des mathématiques, un guide vers la pensée indépendante » .

Après une introduction dans laquelle l’auteur explique le choix de son titre, le livre se décline en douze chapitres, eux-mêmes divisés en sous paragraphes, parfois assez brefs.

Le chapitre 1, « Une étrange dictature », présente les différentes institutions intervenant dans l’Éducation nationale : la DEPP1, le Conseil Supérieur des Programmes, les IGEN2 etc. Très critique vis-à-vis de ce système centralisé, mais non sans une pointe d’humour, l’auteur compare ensuite nos institutions avec celles d’autres pays développés.

Le chapitre 2, « L’effarante histoire du socle commun » traite du collège et en particulier de la réforme de 2016. Le titre informe sans équivoque le lecteur de la position de l’auteur sur ce sujet !

Le chapitre 3, « Les mystères de l’évaluation » aborde en particulier des thèmes bien connus des professeurs de collège : l’évaluation par compétences, le LPC3 puis le LSU4, les bilans de fin de cycle et une comparaison avec les systèmes américains et finlandais. On notera que l’auteur met à mal le mythe finlandais qui nous est si souvent présenté comme modèle.

Le chapitre 4 intitulé « L’ennui, cet ennemi » a comme point de départ la citation de la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem : « Le vrai problème que l’on a aujourd’hui au collège, c’est que les collégiens s’ennuient ». L’auteur étudie alors les différentes solutions préconisées pour lutter contre cet ennui : l’interdisciplinarité, l’histoire des arts, les TPE5, les EPI6, les différents parcours, etc.

Viennent ensuite deux chapitres consacrés aux deux matières fondamentales du cursus des écoliers et collégiens : le français et les mathématiques.

Le chapitre 5 s’intitule « Le français en péril ». L’auteur y déplore la baisse continue des horaires, la manière dont les nouveaux programmes ont été rédigés, le recul de la littérature classique, tous ces éléments concourant à une baisse importante du niveau en orthographe des collégiens. Certes, mais j’ai envie de répondre qu’il suffit à quiconque de parcourir quelques forums sur internet pour constater que les carences orthographiques ne sont pas limitées aux collégiens et qu’une grande partie des adultes, pourtant formés sur les anciens programmes avec des horaires plus importants pratique une orthographe pour le moins approximative.

Le panorama ne semble guère plus réjouissant pour les mathématiques traitées au chapitre 6, « Les mathématiques au pilori ». Après avoir évoqué « la folle aventure des mathématiques modernes », l’auteur décrit « une interminable expiation » et dénonce la situation actuelle pour conclure à « un amas de décombres ». Notons qu’un paragraphe est consacré à l’enseignement des mathématiques en primaire et en particulier au problème de la formation mathématique des professeurs des écoles dont la grande majorité est issue de filières non scientifiques.

Le chapitre 7, « Une démocratisation en trompe l’œil » s’intéresse à la lutte contre les inégalités sociales et la reproduction sociale. On y étudie le passage au collège unique sous le ministère de René Haby, la création des ZEP7 pour terminer par une comparaison avec certains systèmes éducatifs étrangers et quelques suggestions.

« Le recrutement des enseignants » est l’objet du chapitre 8. Il nous propose une étude historique très instructive, partant du système de pré-recrutement que constituaient les IPES8, la baisse drastique du nombre de postes offerts aux concours sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la création des concours réservés pour résorber l’auxiliariat, la mastérisation… L’ouvrage est malheureusement sorti trop tôt pour prendre en compte la modification du concours du CAPES qui se profile. Apportera-t-elle une réponse aux problèmes évoqués ?
La question du peu d’attractivité des métiers de l’enseignement n’est pas éludée : question d’argent ? question de respect ? s’interroge l’auteur.

Une fois le concours obtenu, Pierre Legrand s’intéresse dans le chapitre 9 à « La formation des enseignants ». Là aussi, une étude historique montre l’évolution des CPR9 en IUFM10 puis en ESPE11 et enfin récemment en INSPÉ12, et les transformations qui en ont résulté au niveau de la formation pédagogique et didactique des professeurs, pour conclure par l’interrogation : « Le CAPES actuel, formation ou formatage ? »

L’enseignant enfin titularisé débute sa carrière et se trouve confronté à « La liberté des enseignants », thème du chapitre 10. L’auteur estime que cette liberté est très encadrée, en particulier par tous les documents d’accompagnement publié par Eduscol ; il considère même que les professeurs des écoles sont « sous tutelle ».

Les deux derniers chapitres sont consacrés au lycée. Au chapitre 11, « Le lycée tel qu’il est encore », on étudie le système qui a prévalu jusqu’en 2019 et en particulier les nombreux problèmes posés par le baccalauréat (lourdeur et coût des épreuves, lien avec l’orientation, etc.). L’auteur se livre ensuite à une comparaison avec les pays développés sur l’accès à l’université. Le chapitre 12 porte sur « Le lycée tel qu’il va être ». Si Pierre Legrand concède quelques avancées comme le moins grand nombre d’épreuves, il reste néanmoins très critique sur de nombreux points : le problème du calendrier, le grand oral, l’équilibre des disciplines, la rédaction des programmes.

Ce livre répond tout à fait à l’objectif énoncé en sous-titre : dresser un panorama du système scolaire français sur les cinquante dernières années. Cependant, le ton extrêmement critique peut à la longue être mal perçu par le lecteur. Par exemple, on ne peut qu’être d’accord sur le fait qu’« un changement de thermomètre n’a que peu d’impact sur la santé des patients ». Néanmoins, mettre en doute le fait que les mauvaises notes sont traumatisantes ou critiquer vertement la constante macabre d’André Antibi, est plus discutable. Nous avons tous connu dans nos classes des élèves dans une telle situation d’échec que l’avalanche de mauvaises notes ne faisait que mettre à mal un peu plus leur estime de soi et par là même paralysait tout progrès, certains sombrant alors dans la passivité et d’autres renonçant à tout effort pour devenir parfois des éléments perturbateurs.

Nul n’ignore, hélas, les maux de notre école mais elle comporte aussi de belles réussites, des professeurs très impliqués, des enseignants novateurs. On peut déplorer que l’auteur n’ait choisi de se focaliser que sur les échecs, les dysfonctionnements avec des prises de positions très marquées sans contrebalancer par des éléments positifs.

Cet ouvrage permettra aux professeurs ayant traversé professionnellement ces années, même partiellement, d’en faire une relecture et aux jeunes enseignants de mieux connaître l’histoire de l’institution dans laquelle ils effectueront leur carrière.

Bénédicte Bourgeois

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L’intelligence artificielle, pas sans elles !

Aude Bernheim &amp ; Flora Vincent
Préface de Cédric Villani
Belin & Laboratoire de l’Égalité, 2019
ISBN 978-2-410-01555-3, 96 pages, 8,50 €.

Seule collection consacrée à l’égalité femmes / hommes, la collection Égale à égal des éditions Belin , en partenariat avec le Laboratoire de l’Égalité a publié en mars 2019 l’ouvrage L’intelligence artificielle, pas sans elles !

Tout le monde a entendu parler des biais, des dangers des algorithmes utilisés en particulier par les GAFA. Mais qui a déjà été sensibilisé au fait que les inégalités liées au genre sont aussi présentes en intelligence artificielle (IA) ? Ce petit fascicule de quatre-vingt-seize pages fait le point sur l’inégalité dans l’IA, en analyse les conséquences et propose des solutions.

Le pari proposé par les deux auteures est, à mon avis, gagné. En cinq chapitres elles passent en revue l’inégalité des sexes dans l’informatique et l’IA (« Où sont les femmes ? ») et ses conséquences : « Comment les algorithmes deviennent machistes ! » avant de terminer par des pistes de solutions : « Dans le monde de l’IA rien n’est impossible… pour des algorithmes biaisés en faveur de l’égalité ».

Voici un livre très agréable à lire avec en annexe un quiz stimulant, quelques dates-clés qui mettent bien le problème en perspective, quelques chiffres-clés qui montrent l’ampleur de la tâche à accomplir pour atteindre l’égalité et, comme le dit Cédric Villani13 dans la préface : « Ce livre nous permet de mieux comprendre et de mieux lutter contre ce qui est un fléau de société, un mal pour nous tous ».

À lire de toute urgence et à faire lire à tous nos élèves.

Daniel Vagost

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L’art de ne pas dire n’importe quoi

Ce que le bon sens doit aux mathématiques

Jordan Ellenberg
Cassini, 2018
ISBN 978-2-842-25223-6, 544 pages, 20 €.

J’imagine qu’avant d’attaquer la lecture de 544 pages, tout lecteur, même motivé par le sujet (les mathématiques ici), espère avoir fait le bon choix. La quatrième de couverture est encourageante :

Comment le statisticien Abraham Wald a-t-il sauvé des centaines de pilotes américains pendant la seconde guerre mondiale ? Comment le courtier de Baltimore a-t-il persuadé ses clients qu’il pouvait prévoir les cours de la bourse de façon infaillible ? Comment les étudiants du M.I.T. ont-ils réussi à plumer la loterie du Massachusetts ?

En apparence, ces questions n’ont rien en commun. Pourtant la réponse est toujours la même : la force de la pensée mathématique. Vous en doutez ? Vous pensez que les maths ne servent à rien ? L’art de ne pas dire n’importe quoi a été écrit pour vous.

Par des exemples bien choisis dans des domaines très divers (débats politiques, calculs de pourcentages, recherche de suspects…), Jordan Ellenberg analyse des erreurs très communes dont l’absurdité nous apparaît clairement une fois qu’on a réduit la question à son squelette mathématique. Pour lui, les mathématiques sont « la continuation du bon sens par d’autres moyens » — des moyens plus puissants qui « révèlent les structures dissimulées sous la surface chaotique du monde ».

Facile, intelligent et hilarant, le livre de Jordan Ellenberg séduira autant les amoureux des mathématiques que ceux qui les ont en horreur, il vous fera mieux comprendre le monde qui vous entoure, et vous aidera, soyez-en sûr, à ne plus dire n’importe quoi.

C’est plutôt alléchant mais un éditeur ne va pas nous dire que ce qu’il publie est mauvais ! Le commentaire de Philippe Boulanger (Pour la science, avril 2018) publié sur le site CultureMath convainc d’attaquer la lecture : « Ce livre est une merveille, un des meilleurs livres de vulgarisation des mathématiques. Je ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer ma reconnaissance à l’auteur ».

L’auteur débute le livre avec une question d’une de ses étudiantes en proie à du calcul intégral rébarbatif « À quoi ça va me servir ? ». Chaque enseignant est ou a été confronté à cette question et a parfois bien du mal à trouver des réponses. Ellenberg nous en donne plusieurs, en majeure partie exploitables avec des lycéens. Il réussit à montrer que les mathématiques ne se résument pas à des formules, qu’elles concernent tout ce que nous faisons et qu’elles nous permettent d’exercer notre esprit critique.

De plus, l’auteur est souvent drôle, le style est léger. Laissons-le introduire son ouvrage : « ce livre ne sera pas une de ces visites guidées des grands monuments mathématiques, où l’on vous explique ce qu’il faut admirer sans vous laisser approcher. Ici il va falloir mettre un peu les mains dans le cambouis. Nous allons calculer des choses. Il y aura quelques formules et une ou deux équations quand il faudra préciser un point. Cela n’exige aucune connaissance mathématique au delà des bases de l’arithmétique, même si les mathématiques que nous allons expliquer vont bien au-delà. […] Il y aura en outre quelques anecdotes sur des mathématiciens connus, et un brin de spéculation philosophique. Mais il n’y aura pas de devoirs à la maison, et pas d’examen final ».

Le livre comporte cinq parties : Linéarité, Inférence, Espérance, Régression et Existence. Chacune d’elles annonce ce qui attend le lecteur en éveillant sa curiosité.

On peut parcourir le livre comme bon nous semble au gré des introductions des différentes parties ou des titres des dix-huit chapitres, percutants et souvent humoristiques :
Ratez plus souvent vos avions !
L’opinion publique n’existe pas.
Les poissons morts ne lisent pas les émotions, …

La lecture est facile, tout à fait abordable pour un lycéen (mais les 544 pages risquent de le rebuter) et pour tous nos collègues d’autres disciplines qui ont quitté le système scolaire avec une image négative, fausse de ce que sont les mathématiques.

Concernant l’auteur : Jordan Ellenberg est professeur de mathématiques à l’université du Wisconsin. Dans la partie remerciements, Jordan Ellenberg évoque les éditeurs de Slate qui, en décidant en 2001 de publier une chronique de maths, lui ont permis d’apprendre à vulgariser pour un lectorat non matheux. On peut lire deux articles de Ellenberg, traduits en français, sur slate.fr .

Valérie Larose

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  1. DEPP : Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance.

  2. IGEN : Inspecteur Général de l’Éducation nationale.

  3. LPC : Livret Personnel de Compétences.

  4. LSU : Livret Scolaire Unique.

  5. TPE : Travaux Personnels Encadrés.

  6. EPI : Enseignements Pratiques Interdisciplinaires.

  7. ZEP : Zone d’Éducation Prioritaire.

  8. IPES : Institut de Préparation aux Enseignements du Second degré.

  9. CPR : Centre Pédagogique Régional.

  10. IUFM : Institut Universitaire de Formation des Maîtres.

  11. ESPE : École Supérieure du Professorat et de l’Éducation.

  12. INSPÉ : Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation.

  13. Mathématicien et député de l’Essonne, auteur du rapport parlementaire « Donner un sens à l’intelligence artificielle ».

Pour citer cet article : Bourgeois B., Larose V. et Vagost D., « Matériaux pour une documentation – 536 », in APMEP Au fil des maths. N° 536. 6 juillet 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/temps/materiaux-pour-une-documentation-6/.