Variations autour d’une formule

Cet article présente diverses illustrations et démonstrations de la formule close de la somme des \(n\) premiers entiers strictement positifs. De l’illustration géométrique à la preuve formelle, en passant par des modèles combinatoires et algébriques, voici différents niveaux de mathématiques et d’abstraction à exploiter avec des élèves, du cycle 4 au post-bac.

Attila Máder & Zoltán Matos

© APMEP Septembre 2019

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Introduction

Des études montrent qu’un enseignement linéaire des mathématiques est beaucoup moins efficace qu’un enseignement dit « spiralé » qui consiste à revenir régulièrement sur le même thème. Il est bien souvent plus efficace d’enseigner une même connaissance avec plusieurs points de vue et d’en présenter diverses utilisations.

Nous vous proposons six manières justifiant la formule \(\displaystyle\sum_{k=1}^{n}k=\frac{n(n+1)}{2}\cdotp\) Toutes sont connues d’un étudiant en mathématiques, l’intérêt est de les présenter aux élèves en fonction de leur niveau ou des objectifs mathématiques souhaités.

Méthode n° 1 : preuve par récurrence

Avec les programmes actuels (2010), seuls les élèves de Terminale S abordent la démonstration par récurrence.

Proposition à prouver : pour tout entier \(n\) strictement positif,

\[\tag{$P_n$}
1+2+\cdots+n=\frac{n(n+1)}{2}\cdotp\]

1re étape :

initialisation de la récurrence.

\((P_1)\) est vraie, puisque \(\dfrac{1\times(1+1)}{2}=1\).

2e étape :

montrer que \((P_n)\) est héréditaire, c’est-à-dire montrer que \((P_n)\Longrightarrow(P_{n+1})\)

\[\begin{aligned}
1+2+\cdots+n+(n+1)& =\frac{n(n+1)}{2}+(n+1)\\
& =\frac{(n+1)(n+2)}{2}\cdotp\end{aligned}\]

On a donc bien montré que si \((P_n)\) est vraie alors \((P_{n+1})\) est vraie.

D’après le principe de récurrence, la proposition est donc vraie pour tous les entiers strictement positifs.

Remarque

  Dans les exercices de mathématiques, les élèves rencontrent très souvent des questions commençant par « Démontrer que ». Cette formulation, fermée, est écrite par quelqu’un ayant davantage de connaissances qu’eux. Bien souvent, les élèves n’ont pas d’autres moyens d’y répondre que d’utiliser formellement une méthode récemment apprise.

Mais ce type de questions ne répond pas à la question naturelle « pourquoi ? ». Alors la question : « est-ce que cela vaut le coup de démontrer cette formule par récurrence ? » se pose. Évidemment oui si nous voulons entraîner nos élèves à effectuer un tel type de démonstration, donc lorsque le but de l’enseignement est la démonstration par récurrence et pas le théorème lui-même.

La méthode qui suit, visuelle et géométrique, ne nécessite aucune connaissance mathématique savante. Elle est accessible dès l’enseignement primaire.

Méthode 2 :  la méthode de l’escalier

La somme des cinq premiers entiers strictement positifs peut être représentée des deux manières suivantes selon que l’on préfère les cailloux ou les carrés unité :

Cette représentation permet de voir la moitié d’un rectangle de dimensions \(5\) et \(6\). L’aire de la moitié de ce rectangle nous donne \(15\).

Il faut ensuite généraliser le raisonnement, ce qui se fera plus ou moins facilement selon la maturité des élèves.

La somme des cailloux par ligne est égale à l’aire de la moitié d’un rectangle de dimensions \(n\) et \(n+1\) d’où \(1+2+\cdots+n=\dfrac{n(n+1)}{2}\cdotp\)

Remarque

  Cette méthode permet de se représenter cette somme (contrairement à la preuve par récurrence) et, peut-être, de mieux retenir la formule ainsi illustrée mais pas formellement démontrée. Un élève du primaire qui maîtrise la multiplication peut la comprendre et la réinvestir aisément.

Méthode 3 : dite « méthode du petit Gauss »

Légende ou fait historique ? On raconte qu’à sept ans, Karl Gauss a trouvé la manière de calculer la somme des entiers de \(1\) à \(100\) très rapidement, à la grande surprise de son professeur. L’astuce de Gauss a consisté à écrire la somme cherchée premièrement dans l’ordre croissant des termes, puis dans l’ordre décroissant des termes :

\[
\begin{array}{rccccccccccr}
S& =& 1& +& 2& +& \cdots& +& 99& +& 100& \quad[\mathrm{L}1]\\
S& =& 100& +& 99& +& \cdots& +& 2& +& 1& \quad[\mathrm{L}2]
\end{array}\]
puis de sommer les deux lignes, ce qui donne \(2S=100\times101\) d’où la valeur de \(S\) à savoir 5050.

Selon le niveau des élèves et leurs capacités en calcul littéral, on pourra généraliser le résultat pour les \(n\) premiers entiers strictement positifs.

Remarque

  Cette astuce, comme la précédente, est bien comprise par des élèves de cycle 3 et 4. Ils pourront la réexploiter au lycée lorsqu’ils auront à trouver la somme des \(n\) premiers termes d’une suite arithmétique.

Méthode 4 : la formule de Newton de développement du binôme

La démonstration commence par une idée un peu surprenante que bien des matheux considéreront « jolie » :

\[\begin{aligned}
0^2& =(1-1)^2=1^2-2\times1\times1+1^2\\
1^2& =(2-1)^2=2^2-2\times2\times1+1^2\\
2^2& =(3-1)^2=3^2-2\times3\times1+1^2\\
& \qquad\qquad\vdots\\
(n-1)^2& =(n-1)^2=n^2-2\times n\times1+1^2\end{aligned}\]

On somme membre à membre les lignes ainsi obtenues :

\[\begin{aligned}
0^2+1^2+\cdots+(n-1)^2& =(1^2+2^2+\cdots+n^2)\\
& \quad-2\times(1+2+\cdots +n)\\
& \quad+n\times1^2\\[6pt]
0& =n^2-2S+n\end{aligned}\]

En regroupant les termes, on a \[2\times S=n^2+n=n(n+1)\] d’où la formule pour \(S\).

Remarque

  Le point de départ de cette méthode est une idée bizarre, peu naturelle, que les élèves du secondaire ou des étudiants n’ont pas la moindre possibilité de trouver seuls. On doit leur révéler ex cathedra ; elle enrichira le catalogue des diverses astuces pour calculer et sera peut-être réinvestie lors de calcul de sommes télescopiques.

Cette méthode a un grand avantage par rapport aux démonstrations déjà vues, c’est qu’on peut très facilement la généraliser.

En effet, sachant que \(1+2+\cdots+n=\dfrac{n(n+1)}{2}\) et en utilisant la même astuce pour le cube d’une somme de deux termes, on peut trouver une formule pour la somme des \(n\) premiers carrés d’entiers… dont on peut déduire la formule pour la somme des \(n\) premiers cubes d’entiers, etc.

Cette méthode offre donc la possibilité aux élèves de découvrir de nouvelles formules (en développant le carré, cube, etc. d’une somme de deux termes) et nul doute que beaucoup seront heureux de les construire.

Méthode 5 : méthode combinatoire

Le problème peut être exposé ainsi : \((n+1)\) personnes sont conviées dans une pièce et chacune d’elles serre la main des \(n\) autres personnes. Le nombre de poignées de main échangées est égal au nombre de combinaisons de deux personnes parmi \((n+1)\).

Cette façon de voir n’est plus pratiquée dans le secondaire depuis la disparition du chapitre « Arrangement, dénombrement » mais on peut penser que nombre d’élèves peuvent la comprendre et y répondre avec un \(n\) fixé.

Dans le supérieur, l’enseignement des combinaisons sans répétition permet d’exprimer le nombre des sous-ensembles de deux éléments d’un ensemble de \((n+1)\) éléments : \[\binom{n+1}{2}=\frac{(n+1) !}{2 !\times(n-1) !}=\frac{n(n+1)}{2}\cdotp\] Le schéma ci-dessous matérialise tous les sous-groupes possibles et le nombre de sous-ensembles est écrit à droite.

Méthode 6 : dénombrer en combien de zones \(n\) droites partagent le plan

C’est un problème classique posé par les enseignants du secondaire qui aiment mettre leurs élèves en situation de recherche.

On se place dans le cas où deux droites quelconques ne sont pas parallèles et trois droites quelconques ne sont pas concourantes.

Pour commencer : « Déterminer le nombre de points d’intersection de deux droites, trois droites, quatre droites et généraliser à \(n\) droites ».

Deux droites sécantes ayant un point d’intersection, il suffit de dénombrer le nombre de façons de choisir deux droites parmi \(n\) soit \(\displaystyle\binom{n}{2}\).

En se coupant, les droites créent des zones du plan… combien pour \(n\) droites ? Voilà un nouveau problème apprécié des enseignants1.

Nous allons dénombrer ces zones de deux façons différentes :

Première façon

  Une droite divise le plan en deux zones.

Supposons qu’on ait déjà tracé \(n\) droites ; chaque nouvelle droite tracée coupe chacune des précédentes en un point et crée donc \(n\) nouveaux points d’intersection.

Ces \(n\) nouveaux points d’intersection découpent sur la nouvelle droite \((n+1)\) parties.

Ces \((n+1)\) parties sur la droite ont coupé \((n+1)\) zones du plan en deux.

Le nombre de zones du plan a augmenté de \((n+1)\).

Autrement dit, si on nomme \(z_n\) le nombre de zones du plan créées par \(n\) droites, on a la relation de récurrence : \(z_{n+1}=z_n+(n+1)\).

nombre de droites nombre de zones
1 2
\(1+1=2\) \(2+(1+1)=1+1+2\)
\(2+1=3\) \((1+1+2)+(2+1)=1+1+2+3\)
\(3+1=4\) \((1+1+2+3)+(3+1)=1+1+2+3+4\)
etc. etc.
\(n\) \(1+1+2+3+\cdots+n\)

Seconde façon

  Dessinons nos \(n\) droites dans un cadre rectangulaire tel que :

  • aucune des droites n’est parallèle au bord du « bas » du cadre ;

  • tous les points d’intersection de deux droites sont dans le cadre ;

  • toutes les droites coupent le bas du cadre, formant ainsi \(n\) points d’intersection qui partagent le bas du cadre en \((n+1)\) parties.

Exemple avec trois droites

Comptons les zones du plan, il y en a deux sortes :

  • celles dont le point « le plus bas » est un point d’intersection de deux droites : il y en a \(\displaystyle\binom{n}{2}\) ;

  • celles qui coupent le bas du cadre suivant un segment ou une demi-droite : il y en a \((n+1)\).

Il y a donc \(\displaystyle\binom{n}{2}+(n+1)\) zones.

Avec trois droites : trois zones hachurées du premier type et quatre zones du second type.

Bilan : L’égalité \(\displaystyle1+1+2+\cdots+n=1+n+\binom{n}{2}\) donne \(\displaystyle1+2+\cdots n=n+\binom{n}{2}\) d’où notre formule.

Conclusion

Nous ne disons pas qu’il faut montrer toutes les méthodes présentées ici dans toutes les classes ! Nous pensons qu’un élève qui rencontre diverses illustrations et démonstrations d’une formule a plus de chances de la comprendre, de la réinvestir, voire de la retenir, et donc qu’il est utile qu’un enseignant dispose d’un « catalogue » de méthodes diverses qu’il pourra utiliser dans ses classes selon ses objectifs et le niveau de ses élèves.

Ressources

  • Un article bien illustré sur le site (site de ressources mathématiques pour les enseignants) :  (mots-clés : culture maths somme puissances) ;

  • Le kangourou des mathématiques propose une belle affiche en couleurs illustrant diverses sommes (mots-clés : kangourou sommes affiche) :  ainsi qu’un livre de preuves en images :  (mots-clés : kangourou preuves images).

Références

  1. Martin Aigner et Gunter M. Ziegler. Raisonnements divins. 3e édition. Berlin, New York : Springer-Verlag, 2013.

  2. András Ambrus. A problémamegoldás (feladatmegoldás) tanításának elméleti alapjai. . Új Pedagógiai Szemle, octobre 2002.

  3. László Lovász, József Pelikán et Katalin Vesztergombi. Discrete Mathematics. New York : Springer- Verlag,2003.

  4. Roger B. Nelsen. Proof Without Words – Exercices in Visual Thinking. Washington : The Mathematical Association of America, 1993.

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Attila Máder est enseignant de mathématiques au lycée Tömörkény István de Szeged (Szegedi Tömörkény István Gimnázium és Művészeti Szakgimnázium) en Hongrie.
Zoltán Matos est enseignant de mathématiques au lycée de l’Université de Szeged (SZTE Gyakorló Gimnázium és Általános Iskola).


  1. Sujet qui a donné lieu à un atelier Maths.en.Jeans :  .

Pour citer cet article : Máder A. et Matos Z., « Variations autour d’une formule », in APMEP Au fil des maths. N° 533. 29 décembre 2019, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/variations-autour-dune-formule/.