L’enseignement en prison

Quand on entend élèves à besoins particuliers, on ne pense pas nécessairement aux personnes incarcérées. Et pourtant… Dans cet article, Philippe Vieille Marchiset nous montre bien la particularité d’un tel public et la spécificité du travail d’un enseignant en prison.

Philippe Vieille Marchiset

© APMEP Septembre 2022

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Les textes

La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule dans son article 26 alinéa 1 :

Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leurs mérites.

Dès 1938, l’inspecteur général des prisons Charles Lucas préconisait : « L’éducation seule peut servir d’instrument pénitentiaire. La question de l’emprisonnement est une question d’éducation. »

Il faut cependant attendre 1951 pour que l’enseignement en tant que tel fasse son entrée dans le code de procédure pénale. Cette année-là, des instituteurs, certes bénévoles, entrent dans la maison centrale de Caen avant que d’autres ne leur emboîtent le pas l’année suivante dans quatre autres maisons centrales. En 1964, treize enseignants du premier degré seront mis à disposition de l’administration pénitentiaire. Il est remarquable que cette organisation de l’enseignement en milieu carcéral ait dû attendre 1995, soit une bonne trentaine d’années, pour qu’un document contractuel soit signé entre les deux ministères. Ce fut la convention du 19 janvier 1995. Comme on avait attendu 30 ans pour en signer une, il fallait vite en mettre une seconde en chantier signée le 29 mars 2002 puis une troisième, puis une… énième signée en 2019. Ce qui ressort de ces circulaires, c’est la priorité donnée à la prise en charge des mineurs et à la lutte contre l’illettrisme. Gageons qu’une nouvelle circulaire verra le jour pour redéfinir (ou rabâcher) le cadre du partenariat entre les deux ministères…

L’enseignement en milieu pénitentiaire s’inscrit dans une perspective d’éducation permanente, de formation tout au long de la vie et de préparation à un diplôme. Le service public de l’éducation propose aux personnes détenues une prise en charge et une offre de formation adaptées, ce qui leur permet d’acquérir connaissances et compétences. L’enseignement concourt ainsi à la réinsertion des personnes détenues. Il a également pour mission de leur faire partager les valeurs de la République. Cet enseignement s’adresse en priorité aux plus jeunes (mineurs et jeunes adultes) et aux adultes sans qualification, ni diplôme, notamment les illettrés et les non francophones.

L’activité d’études en prison s’inscrit dans un cadre législatif et organisationnel précis. La fonction de l’éducation consiste de manière très générale à préparer l’individu à son rôle social. En effet, l’éducation en prison est porteuse d’un engagement de resocialisation et maintient, par les différentes figures socio-éducatives qui y interviennent, le lien avec l’extérieur.

Le dispositif d’enseignement

Le dispositif d’enseignement en milieu pénitentiaire comporte trois niveaux de responsabilité :

  • le niveau national est celui de la mise en œuvre des orientations politiques définies conjointement par la DGESCO 1 et la DAP 2 ;
  • le niveau interrégional est celui du pilotage en relation avec les autorités responsables de l’attribution des moyens (recteurs d’académie et directeurs interrégionaux des services pénitentiaires) ;
  • le niveau local est celui de la mise en œuvre de l’enseignement dans les établissements pénitentiaires.

À chaque échelon, un personnel de l’Éducation nationale assure la cohérence du dispositif et l’articulation entre l’Éducation nationale et l’administration pénitentiaire.

    • Au niveau national : un responsable national de l’enseignement en milieu pénitentiaire et son adjoint.
    • Au niveau régional : les proviseurs-directeurs des UPR 3 et leurs adjoints. L’UPR est considérée comme une structure scolaire spécialisée dont le classement est celui d’un lycée de 4e catégorie.

      Il y a une UPR dans chaque DISP 4.

    • Au niveau local : un RLE 5en charge du fonctionnement d’une ULE 6.

Carte des DISP (source Wikipedia).

L’équipe pédagogique locale

Elle se compose d’un RLE et d’enseignants du premier degré ou du second degré de l’Éducation nationale.

Le responsable local de l’enseignement

Le RLE est spécifiquement recruté par une commission mixte Éducation nationale / administration pénitentiaire. C’est un enseignant du premier ou du second degré spécialisé.

Les spécificités d’un tel poste impliquent un recrutement qui prend en compte les compétences nécessaires pour l’accomplissement de nombreuses missions :

  • l’élaboration du projet pédagogique de l’ULE avec les enseignants ;
  • l’organisation, la répartition et la coordination des moyens d’enseignement nécessaires à la mise en œuvre du projet pédagogique et des projets individuels ;
  • la coordination de l’action des assistants de formation et du repérage des personnes détenues en fragilité avec les savoirs de base (illettrées ; non francophones) ;
  • l’accueil et l’orientation des élèves ;
  • l’organisation des groupes, le contrôle des absences, le suivi des projets individuels ;
  • l’organisation des examens ;
  • la gestion du budget et des subventions affectées à l’ULE, les prévisions d’équipement ;
  • le suivi et la déclaration mensuelle des heures supplémentaires effectives ;
  • l’élaboration et la communication des emplois du temps, des rapports de fonctionnement et des bilans spécifiques ;
  • la participation aux différentes instances propres à l’administration pénitentiaire en qualité de représentant de l’Éducation nationale, sur les questions directement liées à la mission de l’enseignement et dans la limite de son temps de décharge ;
  • la participation aux réunions de l’UPR (au moins une réunion par trimestre) ;
  • l’organisation des partenariats (SPIP 7, PJJ 8, activités de formation professionnelle, travail, etc.) ;
  • la préparation du bilan annuel de l’activité de l’ULE et la rédaction d’un rapport pour la commission locale ou départementale.

Compte tenu des moyens d’encadrement pédagogique alloués à l’établissement, le RLE organise les modalités et les niveaux d’enseignement qui correspondent aux besoins dominants de la population pénale et des publics prioritaires. Dans un souci d’efficacité pédagogique, les offres d’enseignement doivent proposer des horaires adaptés aux objectifs poursuivis.

Les enseignants

Les enseignants du premier degré sont, comme les RLE, spécialisés. En fonction de la taille des établissements pénitentiaires, ils peuvent être nommés à temps plein ou à temps partiel. Ils sont aussi recrutés par une commission mixte Éducation nationale/administration pénitentiaire. Nommés à temps plein, ils dépendent de l’IEN 9 en charge des structures spécialisées et sont inspectés comme leurs collègues des classes spécialisées.

Ils sont statutairement totalement indépendants de l’administration pénitentiaire, mais doivent cependant recevoir un agrément de celle-ci. Les services de police compétents (DGSI 10) convoquent les enseignants nouvellement nommés pour un entretien afin de déterminer leur intégrité. Les professeurs nouvellement nommés, à temps plein ou à mi-temps, bénéficient d’une formation d’adaptation à l’emploi obligatoire de cinq jours organisée par l’école nationale d’administration pénitentiaire, prise en charge par l’administration pénitentiaire. Ils bénéficient également d’une formation organisée par le responsable de chaque UPR.

L’emploi du temps des enseignants nommés à temps plein est adapté aux contraintes de la vie pénitentiaire. Ainsi, il faut organiser des cours hors des horaires de travail en ateliers pour permettre aux (rares) travailleurs de bénéficier de l’enseignement. Par ailleurs, l’année scolaire n’est pas organisée sur le modèle des établissements scolaires. Les enseignants travaillent 41 semaines voire 44 semaines dans l’année au lieu des 36 semaines habituelles. Ils doivent effectuer sept cent cinquante-six heures annuelles et, hebdomadairement, vingt et une heures hors les heures supplémentaires pour assister aux diverses réunions avec les services pénitentiaires. Pratiquement, cela permet aux enseignants de bénéficier de trois semaines de congé pris sur la période des vacances de printemps, de fin d’année et d’hiver. À cela s’ajoutent 5 semaines de congé d’été pendant lesquelles l’ULE est fermée. Cette coupure d’été permet aux détenus de suivre le rythme des vacances estivales.

Les enseignants du second degré peuvent également être nommés à temps plein sur les gros établissements pénitentiaires en suivant les mêmes modes de recrutement.

Au cours de leur première année d’exercice en milieu pénitentiaire, les personnels restent titulaires de leur poste précédent. À l’issue de cette première année, ils peuvent, s’ils le souhaitent, retrouver leur affectation sur ce poste.

Dans les petits établissements pénitentiaires, l’enseignement est assuré par des enseignants spécialisés vacataires exerçant par exemple dans des SEGPA 11 ou dans des classe-relais (structures accueillant des élèves exclus des établissements scolaires orientés par l’autorité académique sans l’accord des représentants légaux).

Dans chaque ULE, le RLE peut embaucher des enseignants du second degré pour assurer des cours de français, de mathématiques, de langues, ou de toute autre spécialité en fonction des besoins des élèves. Ces enseignants sont alors rémunérés sur des heures de soutien effectives (HSE). Le quota de ces HSE est fixé par le proviseur de chaque UPR.

Source : enquête annuelle 2018-2019.

Les élèves majeurs

Chaque nouvel arrivant placé en détention est reçu par un membre de l’ULE dès la première semaine d’incarcération. Il est invité à préciser son parcours scolaire et mentionne les diplômes obtenus. S’il déclare n’avoir aucun diplôme ou mal maîtriser la langue française, un test de lecture est proposé. Cela permet à l’enseignant de déterminer dans quel cours le détenu peut être inscrit. Le nombre de places étant cependant limité, il peut y avoir une période d’attente de plusieurs semaines avant que le détenu n’intègre un cours. Le détenu qui accepte d’être inscrit s’engage à respecter les horaires et le règlement. En cas d’absences répétées, il peut être exclu. De plus, l’administration pénitentiaire a un droit de regard sur l’inscription d’un élève. Il peut arriver qu’un détenu ne puisse suivre un cours où il croiserait un ou plusieurs autres détenus avec lequel ou lesquels il n’est pas autorisé à communiquer.

Les motivations sont très diverses : cela peut être une envie réelle de préparer un diplôme ou de se remettre à niveau, cela peut être une envie de sortir de cellule et de côtoyer d’autres détenus, des personnes extérieures, cela peut être une volonté de s’insérer dans des projets et de rencontrer d’autres intervenants artistiques, culturels et donc de sortir un peu de la prison.

Les cours

Les cours sont organisés par niveaux. Cela va du niveau analphabète au niveau de l’enseignement supérieur. Le contenu des cours est fonction des besoins des élèves. Ils ne sont pas forcément cloisonnés par des programmes. Cela permet aux élèves non scolaires et peu motivés de trouver un intérêt aux cours et de ne pas abandonner. Le nombre d’élèves est limité à 12. Les groupes sont cependant très hétérogènes et un enseignement individualisé est nécessaire. On peut parler d’enseignement sur-spécialisé. Une adaptation individuelle ne doit pourtant pas empêcher les échanges entre les apprenants. Il faut donc programmer des moments de mises en commun où chacun peut exposer sa façon de réfléchir à une problématique. Cela est primordial car échanger avec l’autre est la première étape de la réinsertion.

Pour les élèves préparant des diplômes, le contenu des cours suit les programmes. La préparation aux examens incite les élèves à se projeter dans un avenir prometteur. Ils sont alors assidus et préparent très sérieusement l’examen. Les cours de préparation au CFG 12 sont les plus demandés.

Pour les élèves non-francophones sont proposés des cours hebdomadaires de FLE 13 donnés par des professeurs de cette spécialité rémunérés en HSE.

Pour la préparation au DNB 14 et au Baccalauréat, ce sont des professeurs du second degré qui interviennent.

En ce qui concerne la préparation d’examens au niveau supérieur, cela relève un peu du bricolage… Il est très difficile — voire impossible — de faire intervenir des professeurs d’université. Les étudiants peuvent cependant bénéficier des cours du CNED 15 ou du CTU 16. Le RLE est alors chargé de distribuer les cours et de veiller à ce que les devoirs soient envoyés. Les étudiants choisissant ce mode de formation peuvent bénéficier d’une aide financière. Ils doivent cependant être autonomes dans leur travail. Problème : le e-learning s’impose comme le mode d’enseignement à distance de référence. La plupart des universités et des organismes de formation ont remplacé l’échange de polycopiés et de devoirs par voie postale par des correspondances électroniques. Une révolution numérique censée permettre à chacun de se former n’importe où exclut dans les faits les personnes sans connexion. Et donc les prisonniers, puisque l’accès à l’internet n’est pas autorisé en détention. Un interdit justifié par des impératifs sécuritaires et des contraintes matérielles. Et conforté jusqu’ici par la jurisprudence : en 2020, le Conseil d’État a estimé que le droit à l’enseignement à distance via l’internet peut être refusé en raison des contraintes de fonctionnement de l’administration pénitentiaire. Les détenus se retrouvent donc privés de l’accès aux plateformes numériques, mais aussi aux contenus multimédia (vidéos, cours enregistrés, etc.) désormais couramment utilisés par les enseignants.

À noter que l’ULE est un centre d’examen. Les épreuves sont ainsi organisées à l’intérieur des locaux de l’ULE. Ce sont alors des professeurs extérieurs qui sont chargés de la surveillance. Les candidats sont inscrits au préalable dans les services académiques concernés. Après l’examen, leurs copies sont apportées et corrigées dans les établissements scolaires où sont programmés les examens.

Il y a aussi des activités spécifiques dispensées par les professeurs des écoles. Ce sont par exemple les ateliers d’écriture ou les ateliers philo. Ces activités permettent aux détenus de s’évader ailleurs que dans des activités purement scolaires. Les écrits réalisés sont souvent affichés dans les salles de classe ou dans les endroits dédiés de la détention.

Les élèves mineurs

La détention des mineurs est organisée au sein de quarante-six quartiers pour mineurs et de six établissements pénitentiaires pour mineurs. Cela représentait, au 1er janvier 2019, une capacité théorique de 1 187 places.

Au 1er janvier 2019, 769 mineurs étaient en détention dont 95,5 % de garçons.

Les mineurs n’ont pas le droit de communiquer avec les majeurs. Ils ne peuvent donc pas assister aux cours programmés pour les majeurs. Ils sont soumis à l’obligation scolaire et très fortement incités à participer aux cours entre 16 ans et 18 ans.

Les intervenants au quartier des mineurs

Un enseignant de l’ULE est nommé référent du quartier mineur. Il reçoit chaque arrivant le jour ou le lendemain de son incarcération. Comme pour les majeurs, il est informé du fonctionnement de l’école. Il passe un test de français et un test de mathématiques qui permet de déterminer son niveau scolaire.

Les autres enseignants de l’ULE interviennent aussi chez les mineurs. Les professeurs vacataires peuvent également assurer des cours si besoin.

Les mineurs sont aussi pris en charge quotidiennement et à la demande par des éducateurs PJJ.

Des surveillants de l’AP 17 sont spécifiquement nommés au quartier mineurs.

Psychologue, psychiatre, infirmier, médecin interviennent à la demande de l’AP ou du mineur. Ce personnel médical fait partie de l’UCSA 18 rattachée à un établissement de santé public.

Un psychologue orienteur du CIO 19 intervient une fois par mois auprès des mineurs.

Les cours

Ils sont essentiellement assurés par les professeurs des écoles de l’ULE. L’emploi du temps est défini chaque semaine. Chaque élève doit être scolarisé a minima 12 heures par semaine. Les groupes constitués comptent entre 4 et 7 élèves. La constitution des groupes n’est pas aisée puisqu’il faut tenir compte des passés scolaires de chaque élève, de leur projet de formation, de leur appétence à venir à l’école et de leur capacité à supporter les contraintes du groupe.

Le contenu pédagogique doit nécessairement être adapté à chaque apprenant. Il s’agit de proposer des activités visant à l’acquisition de compétences déterminées pour chaque élève. Pour chaque séance un objectif est fixé et les réussites de chaque élève sont consignées dans un livret journalier. Certains mineurs ont subi un parcours scolaire chaotique et n’ont pas acquis les notions de base. Ils n’ont spontanément pas envie de venir à l’école. Charge alors à l’enseignant de leur proposer des activités scolaires « à doses homéopathiques » pour leur permettre de trouver de l’intérêt à se lever pour assister aux cours. D’autres mineurs ont suivi une scolarité plus longue et le contenu des cours proposés est plus simple à définir puisqu’il suit les programmes scolaires. Il peut y avoir des prises en charge individuelles pour un élève violent, agressif, ayant des troubles du comportement refusant catégoriquement de participer aux cours. Ces aménagements ne sont que ponctuels, l’objectif à moyen terme étant de réintégrer l’élève au groupe.

Des projets transversaux sont mis en place par l’équipe pédagogique secondée par des intervenants extérieurs. Ces projets nécessitent une importante préparation. Il faut d’abord trouver des financements pour leur mise en place. Ils doivent aussi être validés par l’administration pénitentiaire. C’est elle qui donne les autorisations d’entrer en détention aux intervenants extérieurs. Les éducateurs du SPIP qui travaillent au quotidien avec les mineurs sont aussi partie prenante. Ces activités sont très utiles pour les mineurs qui mènent à bien un projet collectif : la réalisation de films d’animation, l’enregistrement d’un CD de chansons écrites par les élèves, la réalisation de maquettes ou l’écriture de BD. Pour ces activités transversales les intervenants extérieurs doivent faire la liste exhaustive de tout le matériel et la soumettre à l’administration pour accord.

Les outils pédagogiques

Certaines salles de classe sont équipées d’ordinateurs mais la connexion internet est interdite en détention. Charge alors à l’enseignant d’enregistrer des documents de travail sur des supports amovibles (clé USB ; CD-ROM). Il faut obtenir l’autorisation du responsable informatique de l’établissement pénitentiaire pour les utiliser en détention. L’utilisation de l’outil informatique pose d’autres problèmes. Toutes les salles de classe ne sont pas équipées d’ordinateurs. Quand elles le sont, il n’y a pas un ordinateur par élève.

Ajoutons que de nombreux élèves ne maîtrisent pas l’outil informatique. Pour éviter ces problèmes, le recours aux livres est fréquent. L’ULE peut se doter d’un arsenal de recueils scolaires couvrant tous les niveaux.

Les détenus ont accès à la bibliothèque de l’établissement où ils peuvent emprunter des recueils scolaires et des documents leur permettant d’enrichir leurs connaissances.

Le suivi des élèves mineurs

Une réunion bimensuelle (CPU 20) est organisée dans l’établissement pénitentiaire. Elle regroupe un surveillant responsable du quartier mineur, le chef d’établissement (ou son représentant), un éducateur PJJ, l’éducateur qui suit le mineur à l’extérieur, l’enseignant référent du quartier mineurs, un membre de l’UCSA. Sont invités une fois par mois le juge pour enfants et le mineur s’il le désire.

Chaque intervenant fait le point sur le comportement et sur le travail accompli par le mineur. L’enseignant rédige un bilan scolaire qui sera transmis au juge.

Lors de cette réunion, les projets scolaires et socio-éducatifs visant à la réinsertion sont aussi étudiés. Il peut s’agir par exemple de programmer une sortie pour visiter l’établissement scolaire où le mineur a l’intention de s’inscrire à sa libération. Il faut alors obtenir l’autorisation de sortie du juge pour enfants, l’autorisation de la direction et mettre en œuvre toutes les mesures sécuritaires pour l’accompagnement du mineur.

Un livret de compétences établi pour chaque élève est le document essentiel transmis à une autre ULE pour les détenus transférés ou à l’établissement scolaire où sera inscrit le mineur à sa libération.

La relation avec les parents reste anecdotique.

S’adapter

L’enseignant qui débarque en prison ne maîtrise ni l’espace ni le temps. Entrer en détention n’est pas chose évidente. Des portiques à passer, des grilles à franchir au moment opportun. « Le prof » est considéré par de nombreux surveillants comme un intrus. Il ne fait pas partie de l’AP. Le surveillant a le pouvoir de la clé. C’est lui seul qui peut ouvrir et fermer les salles de classe, c’est lui qui va chercher les élèves en cellule. C’est lui qui peut intervenir en cas de conflits graves dans les salles de classe, l’enseignant n’ayant à disposition qu’un bouton poussoir qui permet de déclencher une alarme. Les échanges avec les surveillants sont cependant indispensables. Ils permettent de rappeler le rôle de chacun dans la réinsertion des détenus.

L’enseignant doit aussi s’adapter aux changements fréquents des groupes-classes dont il a la charge. En effet, de nouveaux élèves arrivent très régulièrement alors que d’autres quittent le groupe pour aller travailler en détention ou parce qu’ils sont libérés ou transférés dans un autre établissement pénitentiaire. Il s’agit alors d’évaluer rapidement le niveau scolaire de l’arrivant afin de proposer des activités en adéquation avec ses acquis, de déterminer son aptitude à s’intégrer à un groupe inconnu, de le faire accepter par ses codétenus. Il faut aussi prendre en compte les absences parfois justifiées (rendez-vous avec un avocat, parloir, convocation devant un juge) mais surtout les absences injustifiées. Dans ce cas de figure, il est nécessaire de dialoguer avec un élève afin de connaître le motif des absences. Cela suppose de le rencontrer en cellule, ce qui n’est possible qu’avec l’accord de l’intéressé et du surveillant. Entrer dans une cellule n’est pas aisé. C’est d’abord traumatisant. C’est ensuite intrusif. C’est cependant très instructif d’imaginer la personne vivant, la majeure partie du temps, dans cet espace réduit. En situation duelle, l’élève est beaucoup plus enclin à se confier, il n’a pas à supporter le jugement des codétenus. L’enseignant montre qu’il s’intéresse à lui, ce qui l’incite à exprimer ses doutes, ses angoisses quant à son devenir pénal. Prêter une oreille attentive suffit souvent à redonner espoir à l’élève. L’enseignant dépasse largement le rôle de transmission des savoirs.

Il faut aussi s’adapter aux règlements de la prison. Ne pas répondre à des demandes apparemment anodines, comme par exemple poster un courrier ou transmettre un numéro de téléphone ou une lettre à un codétenu. Il ne faut pas remettre en cause les sanctions infligées à un détenu. Si un élève est placé en quartier disciplinaire, il s’agira de lui rendre visite pour lui apporter des cours ou des exercices afin d’assurer une continuité pédagogique. Cela demande une adaptation de l’emploi du temps et une prise en charge individuelle. Les détenus travaillant dans les ateliers ont aussi droit aux cours. Il faut donc constituer un groupe en tenant compte des horaires de travail. Ce groupe est très hétérogène et peut changer régulièrement si un détenu perd son emploi.

L’adaptation de l’enseignant est réussie quand il est reconnu, identifié par les détenus et par les surveillants. Il est alors appelé « prof ».

Pour le « prof », apparaissent deux grands pôles : privilégier l’acquisition de connaissances et la primauté du contenu, ou insister sur l’épanouissement et la primauté des intérêts de l’apprenant.

C’est ce grand écart pédagogique que l’enseignant doit effectuer pour satisfaire les demandes des détenus inscrits aux cours. Pour les détenus les plus motivés, visant un diplôme, il faut suivre les programmes. Le temps est alors une denrée rare, il faut gagner du temps. Pour les détenus ne visant pas l’obtention d’un diplôme, l’objectif premier n’est plus l’acquisition de connaissances scolaires mais privilégie le développement, fortement contrarié en prison, de la créativité et de l’épanouissement personnel. C’est l’essence même d’une « pédagogie spécialisée », adaptée aux spécificités du public détenu.

Ce n’est pas chose aisée mais c’est ce qui rend le métier passionnant avec comme objectif principal la réinsertion des publics apprenants.

Synthèse

Toutes les données (diagrammes dans le texte, tableau ci-dessous) sont tirées du bilan annuel national de l’enseignement en milieu pénitentiaire (année 2018-2019).

Tableau de bord national de l’enseignement en milieu pénitentiaire

2018–2019 2017–2018
(pour rappel)
Indicateurs de contexte Effectifs des personnes détenues hébergées au 1er janvier 2019 70 059 68 974
Encadrement EN 795 ETP 785 ETP
Taux d’encadrement EN (ratio pour 100 détenus) 21,4 heures 22,35 heures
Nombre d’assistants de formation auprès des services d’enseignement 44,5 ETP 44,5 ETP
Budget de l’enseignement 1 181 806 € 1 232 437,20 €
Accueil
Repérage
Orientation
Moyens affectés à l’accueil, au repérage et à l’orientation 6 % 6,3 %
Taux de pré-repérage de l’illettrisme 58,9 % 58,2 %
Taux de repérage de l’illettrisme 58,9 % 75,1 %
Scolarisation Nombre global de scolarisés (\(> 20~\hbox{h}\)) 33 856 personnes 34 555 personnes
     Dont nombre de mineurs scolarisés (\(> 20~\hbox{h}\)) 2 853 mineurs 3 035 mineurs
     Dont nombre de femmes scolarisées (\(> 20~\hbox{h}\)) 2 345 femmes 2 262 femmes
Taux général de scolarisation 25 % 23,4 %
Pourcentage du public prioritaire scolarisé sur l’ensemble des personnes détenues scolarisées 52,4 % 58 %
Taux de scolarisation en enseignement à distance 2,8 % 5,1 %
Nombre d’heures hebdomadaires moyen de scolarisation 4,9 heures 5,3 heures
Nombre d’heures hebdomadaires moyen de scolarisation pour les mineurs 10 heures 12,1 heures
Diplômes et validations Nombre de réussites aux diplômes 3 325 personnes 3 352 personnes
     Dont nombre de réussites aux diplômes chez les mineurs 298 mineurs 347 mineurs
Nombre de réussites aux validations 7 031 personnes 6 542 personnes
     Dont nombre de réussites aux validations chez les mineurs 893 mineurs 769 mineurs
Nombre de livrets tenus 7 238 livrets
Taux de réussite aux diplômes 73,1 % 74,1 %
Taux de réussite aux diplômes chez les mineurs 65,7 % 71,1 %
Taux de réussite aux validations 92,6 % 90,6 %
Taux de réussite aux validations chez les mineurs 72,4 % 89,8 %

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Philippe Vieille Marchiset, aujourd’hui retraité, a été enseignant à la maison d’arrêt de Besançon (Doubs) où il a enseigné aux majeurs et aux mineurs pendant treize années scolaires. Il a été référent du quartier des mineurs qui comptait dix-huit places.


1. Direction Générale de l’Enseignement SCOlaire.

2. Direction de l’Administration Pénitentiaire.

3. Unité Pédagogiques interRégionales.

4. Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires.

5. Responsable Local de l’Enseignement, équivalent d’un chef d’établissement.

6. Unité Locale d’Enseignement ; elle comprend l’ensemble des enseignants du premier degré ou du second degré affectés dans un établissement pénitentiaire par l’Éducation nationale et des personnels vacataires assurant des cours auprès des personnes détenues sur une enveloppe d’heures supplémentaires.

7. Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation.

8. Protection Judiciaire de la Jeunesse.

9. Inspecteur de l’Éducation Nationale.

10. Direction Générale de la Sécurité Intérieure.

11. Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté.

12. Certificat de Formation Générale.

13. Français Langue Étrangère.

14. Diplôme National du Brevet.

15. Centre National d’Enseignement à Distance.

16. Centre de Télé-enseignement Universitaire.

17. Administration Pénitentiaire.

18. Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires.

19. Centre d’Information et d’Orientation.

20. Commission Pluridisciplinaire Unique.

Pour citer cet article : Vieille Marchiset P., « L’enseignement en prison », in APMEP Au fil des maths. N° 545. 30 octobre 2022, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/lenseignement-en-prison/.

Une réflexion sur « L’enseignement en prison »

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