Retour mathémagique
des Journées Nationales de Bourges…
Vous avez acheté les deux jeux de cartes à dos rouge ou vert proposés par l’APMEP : c’est le moment de les utiliser et de vous amuser, toutes générations réunies, avec deux tours alliant maths et magie !
Dominique Souder
© APMEP Septembre 2022
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Les trois cartes visibles en coïncidence
Ils sont tout neufs les deux jeux, l’un à dos rouge, l’autre à dos vert. Il faut profiter du fait qu’à la fabrication les cartes soient préparées et classées avec le même ordre (la même succession des 52 cartes dans chaque jeu) pour tester le tour suivant. Laissez le jeu vert dans son étui sur la table. Prenez le jeu rouge et faites passer trois cartes du dessus vers le dessous. Vous êtes prêt.
Montrez le dos rouge de vos cartes en les éventaillant avec le pouce gauche, une à une, vers la droite. Demandez au spectateur de vous arrêter rapidement. Qu’il prenne la carte que votre pouce touchait, qu’il la regarde. Pendant ce temps, poussez trois cartes supplémentaires de votre pouce vers la droite, et faites-lui remettre sa carte à cet endroit, face visible.
Continuez cette tactique plus loin dans le paquet, pour une deuxième carte, puis une troisième. Vous avez maintenant trois cartes choisies par le spectateur qui se trouvent faces visibles dans le jeu rouge et qu’il sera facile de retrouver même si celui-ci les oublie.
Sortez le jeu vert de son étui et dites que vous aviez tout prévu : les cartes choisies vont être en coïncidence de place dans les deux jeux et ce seront les seules.
Prenez le jeu rouge. Donnez au spectateur le jeu vert, et mettez-vous à distribuer chacun ensemble de votre jeu les cartes en les retournant une à une, faces visibles. Vous ne noterez aucune coïncidence jusqu’à ce que vous arriviez à la première carte face visible de votre jeu. Comme ce sera votre ami qui retournera de son jeu la carte identique, l’effet sera encore plus étonnant pour lui. De plus le miracle se réalisera trois fois (pour chacune des trois cartes mises faces visibles par le spectateur), on ne fait pas plus gâté !
Vous avez compris que le décalage de trois cartes opéré au début est compensé par celui que vous faites tandis que le spectateur regarde la carte qu’il a en main. Ainsi les cartes choisies passent à la position réelle de leur semblable de l’autre jeu. De plus on s’assure ainsi que pour les autres cartes il n’y a pas coïncidence de position !
Voir double avec ivresse
Ce que le magicien doit savoir pour mettre en œuvre le tour
Pour ce tour il est nécessaire de maîtriser deux manipulations…
Celle effectuée par le spectateur désignée par « élimination 1 + mouvement 1 » dans la suite de l’article.
On connaît le procédé d’élimination suivant, à partir d’un paquet de cartes tenu en main et présenté faces cachées : on prend la carte du dessus d’un jeu, on l’élimine sur la table, puis on fait passer la suivante sous le paquet, et on
recommence cette double manœuvre, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une seule carte en main. On sait que le numéro de la carte qui reste (à partir de \(1\) en haut du paquet, et jusqu’à \(N\) pour la carte du dessous) est donné par la formule : \(2(N-2^x)\) où \(2^x\) est la plus grande puissance de \(2\) strictement inférieure à \(N\).
Démonstration
Voir le tour au début de mon ouvrage paru chez Dunod 80 petites expériences de maths magiques. Trouver cette formule a été l’un des sujets des Olympiades mathématiques de Première il y a une vingtaine d’années. Vous pourrez aussi la retrouver, en adaptant la démonstration qui va suivre, d’une deuxième manipulation…
Celle effectuée par le magicien
Il s’agit de la manipulation « élimination 2 + mouvement 1 », obtenue en modifiant le procédé décrit ci-dessus ainsi :« Je retire deux cartes du paquet pour les éliminer sur la table, puis je fais passer une seule carte du haut du paquet vers son dessous, et je recommence ainsi de suite : deux cartes éliminées, puis une carte qui passe dessous, ceci jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une seule carte en main. »
Des essais montrent qu’il est alors plus simple d’avoir au départ un nombre impair de cartes dans le paquet pour qu’il n’en reste qu’une seule en main à la fin.
La formule qui donne le numéro de la dernière carte en fonction du nombre \(N\) de cartes du paquet est \(\dfrac{3(N – 3^x)}{2}\) dans laquelle \(3^x\) est la plus grande puissance de \(3\) strictement inférieure à \(N\).
Voici quelques exemples après essais, puis confrontation avec la formule :
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\(N=\hbox{}\)nb de cartes n° dernière carte Calcul de \(\dfrac{\mathstrut3(N-3^x)}{\mathstrut2}\) 9 9 \(\dfrac{3(9-3)}{\mathstrut2}=9\) 11 3 \(\dfrac{3(11-9)}{\mathstrut2}=3\) 13 6 \(\dfrac{3(13-9)}{\mathstrut2}=6\) 15 9 \(\dfrac{3(15-9)}{\mathstrut2}=9\) 17 12 \(\dfrac{3(17-9)}{\mathstrut2}=12\) 19 15 \(\dfrac{3(19-9)}{\mathstrut2}=15\) 21 18 \(\dfrac{3(21-9)}{\mathstrut2}=18\) Démonstration
- On s’intéresse d’abord à un nombre \(N\) de cartes qui soit une puissance de \(3\). Dans l’élimination sur table, les premières cartes écartées ont les numéros \(1\), \(2\) puis \(4\), \(5\) puis \(7\), \(8\), etc., alors que les cartes \(3\), \(6\), \(9\),… passent en dessous. On comprend que la première élimination concerne les nombres non divisibles par \(3\). Dans la deuxième élimination les cartes écartées sont \(3\) et \(6\) alors que la carte \(9\) passe dessous, etc. : on comprend que la deuxième série d’élimination concerne les numéros divisibles par \(3\) une seule fois. La troisième série d’élimination concernera les numéros divisibles par \(3\) seulement deux fois (comme \(9\) et \(18\)) mais ne concernera pas les numéros comme \(27\) qui sont divisibles trois fois par \(3\).
Puisque le nombre de cartes est une puissance de \(3\), par exemple \(N=3^n\), le calcul du numéro de la dernière carte donne \[\dfrac{3(3^n-3^{n-1})}{2}=\dfrac{3(3^{n-1})(3-1)}{2}=3^n.\]La carte qui restera à la fin est donc la dernière carte du paquet : celle qui a le numéro divisible par \(3\) le plus grand nombre de fois et c’est la seule en ce cas. - Si le paquet a un nombre \(N\) de cartes différent d’une puissance de \(3\), le nombre \(N\) est égal à la plus grande puissance de \(3\) strictement inférieur à \(N\) augmenté d’un nombre pair de cartes (car il faut qu’il soit impair, alors que la puissance de \(3\) est déjà impaire). On peut alors écrire que \(N=3^x+2p\) avec \(p\) entier. On fait baisser le nombre de cartes du paquet vers \(3^x\) pour se ramener à un cas connu : le numéro de la carte finale sera celui de la carte du dessous. On enlève donc \(2p\) cartes vers la table mais ceci veut dire aussi qu’il y a \(p\) cartes qui passent du dessus vers le dessous du jeu. Le numéro de la carte qui est maintenant sous le jeu de \(3^x\) cartes doit être \(2p+p=3p\). Comme \(N=3^x+2p\) on a \(2p=(N-3^x)\) d’où \(p=\dfrac{N-3^x}{2}\cdotp\) Le numéro de la carte finale est \(3p=\dfrac{3(N-3^x)}{2}\) où \(3^x\) est égal à la plus grande puissance de \(3\) strictement inférieure à \(N\).
- On s’intéresse d’abord à un nombre \(N\) de cartes qui soit une puissance de \(3\). Dans l’élimination sur table, les premières cartes écartées ont les numéros \(1\), \(2\) puis \(4\), \(5\) puis \(7\), \(8\), etc., alors que les cartes \(3\), \(6\), \(9\),… passent en dessous. On comprend que la première élimination concerne les nombres non divisibles par \(3\). Dans la deuxième élimination les cartes écartées sont \(3\) et \(6\) alors que la carte \(9\) passe dessous, etc. : on comprend que la deuxième série d’élimination concerne les numéros divisibles par \(3\) une seule fois. La troisième série d’élimination concernera les numéros divisibles par \(3\) seulement deux fois (comme \(9\) et \(18\)) mais ne concernera pas les numéros comme \(27\) qui sont divisibles trois fois par \(3\).
Déroulement du tour
Le spectateur prend le jeu rouge, le magicien prend le jeu vert, les jeux peuvent avoir été mélangés auparavant par le spectateur.
Le magicien demande au spectateur de lui dire un nombre \(N_1\) inférieur à \(52\) (pas trop petit pour que le tour soit intéressant) et le spectateur va constituer, carte après carte, à partir de son jeu rouge, un paquet ayant ce nombre \(N_1\) de cartes, ceci en comptant à haute voix à chaque fois qu’il pose une carte face visible sur la table. Pendant ce temps le magicien sans rien dire calcule de tête quel est, à partir du haut du jeu, le numéro « \(a\) » de la carte du paquet de \(N_1\) qui restera la dernière si l’on procède à « élimination 1 + mouvement 1 ». Exemple : si le spectateur compte \(37\) cartes, le magicien calcule \(a=2(37-32)=2\times5=10\). Le magicien doit voir pendant la distribution le nom « X » de la carte distribuée en \(a\)-ième place (dans l’exemple : 10e place) et il doit s’en rappeler.
Pendant que le spectateur finit de constituer son paquet, le magicien doit chercher rapidement dans son paquet vert la carte « X » et la positionner sous son paquet de \(52\) cartes tenu faces cachées vers le haut.
Le magicien demande au spectateur de lui dire maintenant un nombre impair \(N_2\) inférieur à \(52\) (pas trop petit pour que le tour soit intéressant). Le magicien va constituer alors, carte après carte, à partir de son jeu vert, un paquet de \(N_2\) cartes distribuées faces visibles. Cependant, pendant qu’il démarre doucement la distribution le magicien, sans rien dire, calcule de tête quel est, à partir du haut du jeu, le numéro « \(b\) » de la carte du paquet de \(N_2\) qui restera la dernière si l’on procède à « élimination 2 + mouvement 1 ». Exemple : si le spectateur a dit \(29\) cartes, le magicien calcule \(b=\dfrac{3(29-27)}{2}=3\). Le magicien doit alors se débrouiller pour saisir la carte « X » du dessous de son paquet (et non à partir du dessus, et sans se faire voir du spectateur) afin de la placer en la position « \(b\) » à partir du haut, dans le paquet de \(N_2\) cartes qu’il distribue.
Maintenant, le spectateur est invité par le magicien à effectuer la manipulation « élimination 1 + mouvement 1 » : sa dernière carte est posée à l’écart sur la table, face cachée.
Le magicien indique que lui, qui a déjà montré son hostilité aux nombres pairs (avec son choix d’un nombre impair) va éliminer les cartes par \(2\). Il effectue donc la manipulation « élimination 2 + mouvement 1 ». Sa dernière carte est posée sur la table, face cachée, à côté de la carte du spectateur. On retourne les deux cartes et on croit voir double : elles sont identiques (de même nom), mis à part leur dos : rouge pour l’une et vert pour l’autre ! Pour que ce soit encore plus bluffant, le magicien peut donner, un instant avant, le nom commun des deux cartes avant de les retourner.1
Enseignant retraité, pionnier en France des animations autour de la magie mathématique, Dominique Souder propose aussi des sessions de formations à ce domaine.
- NDLR : Pour un détour historique sur les problèmes d’élimination, lire l’article daté de 2012 de Laurent Signac Autour du problème de Josèphe et disponible ici.
Une réflexion sur « Retour mathémagique des Journées Nationales de Bourges »
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