Des bâtons pour multiplier

Dans cet article, les auteures partagent une de leurs expériences autour de la fabrication de bâtons de Neper par des élèves dans le cadre d’une liaison CM2/6e, puis de l’usage fait en classe lorsqu’elles enseignaient toutes deux au collège Louise Weiss de Nozay (91).

Séverine Chassagne-Lambert et Valérie Larose

© APMEP Mars 2018

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Les liaisons école-collège peuvent prendre des formes diverses et variées. Au collège de Nozay (91), elles avaient lieu sous forme de rencontres régulières au collège entre classes de 6e et de CM2. Une progression annuelle permettait de traiter de nombreux thèmes du programme, la manipulation étant systématiquement privilégiée : planches à clous, pliages, découpages… et bâtons de Neper ! En fin d’année, une sortie commune à Paris comportait une visite au Musée des arts et métiers : des bâtons de Neper y sont exposés et un atelier avec un animateur du musée permet d’en comprendre le fonctionnement (bâtons géants en bois manipulables).

Lors d’une de ces rencontres, après avoir présenté le matériel et la vidéo de Nathalie Daval  qui explique très bien comment utiliser les bâtons de Neper, il ne restait plus qu’à :

  • fabriquer son set de bâtons ;
  • l’utiliser !

Pour notre liaison, nous avions choisi de faire fabriquer par chaque élève un set de quatre bâtons de Neper.

Pour cela, nous leur fournissions les bâtons en bois brut… des pavés droits à section carrée : 10 cm de hauteur pour 1 cm de base issus de tasseaux découpés puis poncés au préalable (bref, un peu de bricolage en amont !). Chaque bâton ayant 4 faces rectangulaires, on peut saisir quatre tables par bâton, une par face. Deux options se présentent alors :

  • n°1 : écrire les tables directement sur les bâtons,

  • n°2 : écrire les tables sur un tableau fourni qui sera ensuite plié puis collé sur le bâton.

L’option n°1 implique du soin : un même écart entre deux résultats de sorte que l’on puisse lire les produits au final, un stylo qui ne bave pas sur le bois et aucune erreur dans les tables, le correcteur ou la gomme n’étant pas très efficaces. Le résultat est plus proche du matériel utilisé par Neper et résistera mieux aux manipulations.

L’option n°2 implique du soin au pliage puis au collage de la feuille sur le tasseau de bois. En revanche, en cas d’erreur dans les tables, on peut redistribuer un tableau vierge à compléter (voir la figure 1).

Figure 1. Modèle de feuille à découper, compléter et coller.

Si le travail des tables à compléter peut être réalisé à la maison ou en classe, nous avons préféré accompagner les élèves et notamment montrer quelques propriétés permettant de retrouver certains résultats :

  • la table des 6 est le double de la table des 3. Donc si on a 3 × 7, on a facilement 6 × 7 ;

  • les résultats des tables de ; ; 6 et 8 sont tous pairs ;

  • etc.

Il y a systématiquement deux cases pour chaque produit. Certains élèves s’interrogent lorsqu’ils n’ont qu’un chiffre à écrire : dans quelle case écrire le 8 de 4 × 2 ? Écrire 08 pour 0 dizaine et 8 unités permet à certains d’entre eux de mieux comprendre notre système d’écriture des nombres.

Une fois les tables remplies, il faut plier soigneusement la feuille puis la coller sur le bâton… une activité manuelle qui réserve des surprises !

Vient ensuite le temps des calculs. . .

On commence par des produits où l’un des facteurs ne comprend qu’un seul chiffre et bien sûr on exige au préalable un ordre de grandeur du résultat.

Un produit du type 453 × 6 permet de jongler avec les retenues et de revenir sur notre système de numération (voir la figure 2) :

  • on a 6 × 3 soit 18 unités soit 1 dizaine et 8 unités (le je pose 8 et je retiens 1)

  • puis 6 × 5 + 1 en attente soit 31 dizaines soit 1 dizaine et 3 centaines (je pose 1 et je retiens 3)

  • et enfin 6 × 4 + 3 soit 27 centaines.

Les élèves plébiscitent cette manière de faire, nous constatons un taux de réussite plus élevé que lors de la multiplication posée.

Les élèves se questionnent rapidement : comment effectuer des produits de facteurs ayant tous au moins deux chiffres ? Comment faire avec des décimaux ?

Quelques exemples :

  • Effectuer le produit 48 × 26
    C’est l’occasion de réfléchir et de travailler la décomposition d’un entier en base 10 :
    48 × 26 = (40 + 8) × 26 = 40 × 26 + 8 × 26
    Ainsi pour calculer 48 × 26, les élèves utiliseront les bâtons 4, 8, 2 et 6 pour calculer 8 × 26 et 4 × 26 ; ils déduiront 40 × 26 puis ajouteront le résultat des produits partiels : 40 × 26 + 8 × 26. On pourra alors revenir sur la technique de la multiplication posée en faisant écrire systématiquement les produits partiels effectués et ainsi redonner du sens à la technique.

Figure 2. Placement des bâtons des élèves.

Dans la même optique, il peut également être intéressant de leur montrer la présentation en tableau (ou multiplication per gelosia), celle-ci ayant plus de sens pour certains élèves.

  • Effectuer le produit \(48 \times2,6\)

    $$48 \times 2,6=48 \times 26 \text{ dixièmes }$$

    On effectue le produit 48 × 26 puis mentalement la division par 10.

  • Effectuer 5 × 776 c’est-à-dire un produit avec un facteur comprenant plusieurs fois le même chiffre. Soit la table des 7 apparaît sur deux bâtons du set de l’élève, soit il devra emprunter un bâton…

    C’est l’occasion de montrer les limites du matériel et de montrer l’intérêt de savoir poser ses multiplications et du coup de maîtriser ses tables !

On peut également demander à des binômes d’effectuer les produits, l’un des élèves avec les bâtons, l’autre en posant la multiplication. La calculatrice, qui permet une auto-évaluation, permet aussi de mettre tout le monde d’accord ! En cas d’erreur dans un produit posé, la consigne était de retrouver la (ou les) erreur(s) : erreur de tables, de retenue ?

L’expérience a été très concluante : élèves motivés, ravis de montrer à leurs parents leur set de Neper et d’en expliquer le fonctionnement.

Les élèves en difficulté étaient en situation de réussite et ont pu se réapproprier la technique de la multiplication posée, pour laquelle la maîtrise des tables est indispensable. Chaque élève a conservé son set de bâtons dans sa trousse, certains les avaient encore en 5e !

Figure 3. Bâtons de Neper au Musée des arts et métiers.

À l’heure des EPI, un parcours avec un ou une collègue d’histoire ne peut qu’enrichir le cours de mathématiques. Une visite à Paris au Musée des arts et métiers est bien sûr un plus. Le musée met aussi en ligne un document pédagogique intitulé Du doigt à la machine : le calcul . Boulier chinois, pascaline, machine à calculer de Bollée, bâtons de Neper et autres machines exposées au musée y sont illustrés avec un questionnaire que les élèves peuvent compléter durant leur visite ou de retour en classe. Pour tous ceux qui ne peuvent pas emmener leurs élèves à Paris, de nombreuses vidéos permettent d’observer le matériel et d’écouter une explication.

Que cet article soit l’occasion de saluer la mémoire de Françoise Coumes, professeure des écoles avec qui nous avons pu mener ces liaisons, trop tôt disparue.

Séverine Chassagne-Lambert et Valérie Larose enseignent actuellement respectivement au collège/lycée de Sceaux (92) et au lycée de Vaison-la-Romaine (84).

Figure 4. Ader Avion III, de Clément Ader, 1891.  wikimedia

Pour aller plus loin

  1. Alain Busser et Nathalie Duval. Les instruments de calcul anciens : de l’abaque à jetons aux réglettes de Genaille. MathemaTICE no 51. 

  2. Valérie Larose. « Échanges entre CM et Sixièmes ». In : Bulletin de l’APMEP 468 (2007).

  3. Caroline Poisard. « Ateliers de fabrication et d’étude d’objets mathématiques, le cas des instruments à calculer ». Cinq fiches et quatre modèles sont téléchargeables, la fiche 4 concerne les bâtons de Neper. La thèse est disponible en ligne : . Université de d’Aix-Marseille, 2005.

Pour citer cet article : Chassagne-Lambert S. et Larose V., « Des bâtons pour multiplier », in APMEP Au fil des maths. N° 527. 19 mai 2018, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/des-batons-pour-multiplier/.