Des Math & Manips autour des grandeurs
Publié partiellement en 2011 dans la revue Losanges, cet article, actualisé par les auteures pour Au fil des maths, présente des activités destinées à des élèves d’école primaire en Belgique (de 6 à 12 ans) pour favoriser l’apprentissage des grandeurs par des manipulations.
Marie-France Guissard, Valérie Henry, Pauline Lambrecht, Patricia Van Geet, Sylvie Vansimpsen
© APMEP Juin 2019
⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅
Le contexte de la recherche
Depuis sa création en 1992, le CREM (Centre de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques, situé à Nivelles en Belgique) s’est attaché à identifier les difficultés d’apprentissage liées aux mathématiques et à développer des outils permettant aux enseignants de détecter ces difficultés et d’y remédier. Dans la majorité de ces ouvrages, la philosophie a consisté à dégager des fils conducteurs de la formation mathématique depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte. C’est dans ce même esprit que le CREM s’est engagé entre 2010 et 2014 dans une recherche visant à favoriser l’introduction de certains concepts mathématiques par des séquences d’apprentissage intégrant des manipulations effectuées par les élèves.
Ces activités, appelées Math & Manips, sont destinées à améliorer l’apprentissage de certaines matières du cursus et ont été conçues pour provoquer chez les élèves des conflits entre ce qu’ils pensent et ce qu’ils découvrent lors des manipulations.
Les élèves sont confrontés (par l’enseignant ou par le milieu) à des phénomènes qui interpellent, qui sont organisés en une suite d’épisodes pour lesquels le recours à l’expérimentation avec divers matériels pédagogiques est propice à une meilleure compréhension. L’activité expérimentale a pour but d’ancrer un nouveau concept dans la réalité.
Une Math & Manip doit pousser les élèves à se poser des questions et, pour les plus âgés, les amener à entrer dans des démarches de modélisation. Elle doit donner du sens aux concepts qu’elle introduit et aux outils qu’elle nécessite et, par là même, rendre un certain plaisir d’apprendre aux élèves démotivés par l’aspect théorique et abstrait des mathématiques.
Dans l’esprit des travaux précédents du CREM, la recherche consacrée aux manipulations envisage la scolarité dans son ensemble, depuis le début de l’école maternelle (2 ans et demi) jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire (18 ans). L’ensemble des Math & Manips a fait l’objet d’une publication détaillée à destination des enseignants ([2]) disponible sur le site du CREM .
Comparaison de grandeurs – Premier cycle (de 6 à 8 ans)
Avec les enfants de cet âge, nous travaillons les grandeurs (longueurs, masses, capacités et aires) avec pour objectif de dégager des méthodes efficaces de comparaison sans unité conventionnelle de référence. Les activités sont présentées autour d’un thème : un goûter pour le septième anniversaire de la mascotte de la classe. Au cours de la séquence d’apprentissage, les élèves sont amenés à choisir l’objet le plus long, le plus lourd, celui de plus grande capacité, ou celui de plus grande surface. Ces manipulations sont conçues pour ne nécessiter aucun recours aux mesures [4].
Une activité préliminaire est proposée afin de permettre à l’enseignant de s’assurer que le principe de conservation du volume est acquis par la plupart des élèves. Pour cela, chacun d’eux apporte un verre. L’enseignant verse dans chaque verre, devant tous les élèves, le contenu d’un petit carton de jus, puis leur demande si l’un d’eux a plus à boire que les autres. Si les enfants affirment qu’ils ont tous la même quantité à boire malgré la diversité des formes de leurs verres, les manipulations du goûter d’anniversaire peuvent commencer. Sinon, nous conseillons avant cette Math & Manip d’autres activités ciblant l’acquisition du principe de conservation du volume (voir par exemple [1]).
L’enseignant installe alors le contexte : les élèves vont fêter l’anniversaire de la mascotte de leur classe. Pour cela, ils vont être amenés à choisir les sept plus longues bougies pour mettre sur le gâteau, le moule pouvant contenir le plus de pâte, la boîte contenant le plus de bonbons, le gobelet ayant la plus grande contenance, la ficelle d’emballage la plus longue et le set de table recouvrant la plus grande surface.
Comparaison de longueurs de segments : les bougies
La classe est divisée en sept groupes et chacun d’eux reçoit un lot identique de bougies coupées à différentes longueurs. Les élèves doivent présenter à l’enseignant la bougie la plus longue de leur lot. Les sept bougies rassemblées, l’enseignant demande à un élève de vérifier qu’elles ont toutes la même longueur, puisqu’il s’agit de la bougie la plus longue de chacun des lots identiques. Ces bougies les plus longues peuvent être de couleurs différentes.
Cette activité très simple, qui se limite à la comparaison de segments rectilignes, prépare le terrain pour la comparaison de longueurs (les ficelles).
Comparaison de capacités : les moules à gâteau ↩
Cette manipulation, menée par l’enseignant devant toute la classe, consiste à développer avec les élèves une méthode permettant de reconnaître le récipient de plus grande contenance.
Pour ce faire, l’enseignant présente trois moules différents. Notre choix s’est porté sur les moules illustrés. En les manipulant, les élèves observent leurs particularités, par exemple, un moule peut être entièrement placé à l’intérieur d’un autre, ce qui permet de déduire qu’il n’est pas celui de plus grande contenance et qu’on peut l’écarter.
La comparaison des deux autres moules, l’un plus haut et l’autre plus large, nécessite une technique plus élaborée. Suite à une discussion avec les élèves, l’enseignant remplit d’eau un premier moule puis transvase son contenu dans le second. Les élèves sont amenés à se rendre compte que, s’il n’est pas possible de verser toute la quantité d’eau du premier moule dans le second, cela signifie que le premier moule a une capacité supérieure au second. Par ailleurs si, ayant versé toute l’eau du premier moule dans le second, ce dernier n’est pas rempli, cela signifie que le second moule a une capacité supérieure au premier. Cette technique de transvasement, proposée par l’enseignant et mise en œuvre par lui seul devant la classe, sera travaillée individuellement par les élèves lors de la comparaison de capacités (les gobelets).
Comparaison de masses : les boîtes à bonbons
La manipulation suivante amène les élèves à comparer des masses sans les mesurer. Elle s’effectue avec des petits groupes d’élèves, à tour de rôle. Pendant ce temps, ceux qui ne manipulent pas sont invités à réaliser des décorations pour garnir la table le jour de la fête.
L’enseignant présente aux élèves quatre boîtes identiques et opaques contenant les mêmes bonbons. Il explique qu’il a préparé ces boîtes pour différents groupes d’enfants, en comptant trois bonbons par enfant.
Parmi les quatre boîtes, l’une d’elles est destinée à ses élèves qui constituent le groupe d’enfants le plus nombreux. Mais l’enseignant a oublié de noter les destinataires de chaque boîte. La tâche des élèves consiste à retrouver, sans l’ouvrir, la boîte qui leur est attribuée. La première étape est de comprendre que, si la classe représente le groupe le plus nombreux, leur boîte est celle qui contient le plus grand nombre de bonbons, et est donc la plus lourde.
Les premières réactions consistent à soupeser les boîtes et à les secouer pour « entendre » si l’une d’elles contient un nombre significativement différent de bonbons. Les boîtes sont remplies de manière à ce que l’une de ces techniques (ou les deux) permette d’exclure une boîte par une expérience purement sensorielle. Pour comparer les trois boîtes restantes, il faut recourir à une technique plus précise. Nous proposons d’utiliser une balance à deux plateaux (balance de Roberval), qui permet des comparaisons des boîtes deux par deux. C’est donc la transitivité de l’ordre sur les grandeurs qui est utilisée implicitement par les élèves dans la plupart des cas pour déterminer la boîte la plus lourde. Si tous les groupes n’ont pas sélectionné la même boîte, la balance à plateaux est utilisée devant l’ensemble des élèves pour les mettre d’accord. Il s’ensuit une vérification : l’enseignant ouvre la boîte choisie unanimement et chaque enfant prend trois bonbons. Si le choix de la boîte est correct, il doit y en avoir pour tout le monde.
Comparaison de capacités : les gobelets ↩
Parmi quatre gobelets, sélectionnés de sorte que le plus haut ne soit pas celui qui a la plus grande capacité, les élèves ont la consigne de choisir celui qui peut contenir le plus de grenadine. Comme lors des comparaisons précédentes, une première analyse de la situation permet d’écarter un gobelet de contenance visiblement plus petite que les autres. Ensuite, les élèves doivent réinvestir les apprentissages réalisés lors de la comparaison des moules à gâteaux, et procéder par transvasements d’eau. Les élèves comparent les récipients deux par deux et conservent, après chaque transvasement, le gobelet ayant la plus grande capacité. Ils devraient ici encore appliquer spontanément le principe de transitivité.
Comparaison de longueurs : les ficelles d’emballage ↩
L’enseignant explique aux élèves qu’il souhaite emballer le gâteau d’anniversaire dans une boîte fermée à l’aide d’une ficelle d’emballage. Il présente un ensemble de ficelles : les unes sont enroulées, les autres torsadées et les dernières déroulées. Les longueurs à comparer ne se présentent plus d’emblée comme des segments rectilignes. Les ficelles proposées ont une longueur de plus d’un mètre cinquante afin d’éviter au maximum la tentation d’utiliser la règle pour les mesurer. La classe est partagée en plusieurs groupes pour travailler. L’enseignant remet à chacun d’eux un lot de ficelles différentes et leur demande de trouver la ficelle la plus longue. Pour les comparer, les élèves tendent les ficelles et les mettent bord à bord, pour se ramener à une situation semblable à celle des bougies.
Comparaison d’aires : set de table ou serviette ?
L’enseignant souhaite protéger les bureaux des élèves pour le goûter et donne le choix entre un set de table ou deux sortes de serviettes. Il présente aux élèves des lots identiques d’éléments et leur demande de déterminer celui qui recouvre la plus grande surface de leur table. Comme prévu pour les manipulations précédentes, un élément est, à première vue, bien plus petit que les autres et est écarté. Il s’agit d’une petite serviette.
Pour comparer les deux éléments restants, les élèves doivent penser à les superposer et ainsi se rendre compte que le set dépasse de la serviette et que c’est donc lui qui recouvre la plus grande surface.
La synthèse… et le goûter !
Après ces manipulations, une synthèse est nécessaire, comprenant à la fois l’ensemble des démarches effectuées par les élèves et des éléments plus théoriques. Elle se fait en deux temps : oralement lorsque les élèves expliquent ce qu’ils ont découvert au fil de la Math & Manip et ensuite par écrit. Les élèves pourraient dessiner eux-mêmes ce qu’ils viennent de découvrir. Cette dernière partie est laissée à l’initiative des enseignants étant donné que le matériel utilisé et les réflexions proposées par les élèves peuvent varier d’une classe à l’autre.
L’ensemble des activités se termine par la fête d’anniversaire.
Des étalons – Deuxième cycle (de 8 à 10 ans)
Cette Math & Manip propose de découvrir les étalons conventionnels de capacité en partant de comparaisons directes et indirectes avec des étalons familiers.
L’enjeu principal de cette suite d’activités est d’amener les élèves à prendre conscience de la nécessité de s’accorder sur un étalon.
Comparaison directe
La première phase de cette Math & Manip est de proposer aux élèves deux récipients et de leur demander d’identifier celui qui a la plus grande capacité.
Après une discussion pendant laquelle les élèves émettent leur avis (le plus grand car le plus large, le plus grand car le plus haut, impression que l’un est plus grand, etc.), l’enseignant leur demande de vérifier ce qu’ils affirment en transvasant par exemple le contenu de l’un dans l’autre. Le résultat de la manipulation (eau qui déborde, reste d’eau dans un des récipients, etc.) permet de déterminer quel récipient a la plus grande capacité (cf. paragraphe sur les moules à gâteau).
Comparaison indirecte
Pour poursuivre l’activité, l’enseignant divise la classe en deux groupes et raconte l’histoire suivante :
Vous êtes deux équipes d’archéologues. Avant de partir en expédition, vous faites vos malles ensemble et vous emportez exactement le même matériel de travail. Une équipe part sur un site de fouilles en Grèce, une autre en Égypte. Au cours des fouilles, les équipes se donnent des nouvelles. Il se fait qu’elles ont trouvé toutes les deux une amphore. Chaque groupe estime avoir découvert l’amphore de plus grande capacité. Malheureusement, ces amphores sont trop fragiles pour être transportées de sorte qu’il n’est pas possible de les comparer directement. Afin de déterminer l’amphore de plus grande capacité, vous pouvez utiliser le matériel de votre malle et échanger des informations écrites. Vous êtes également en contact avec un expert belge auquel vous devez envoyer un rapport mentionnant les résultats de la comparaison et leur justification.
En sortant le matériel de la valisette, chaque groupe est confronté au choix d’un objet approprié à la mesure de la capacité de son amphore. Certains objets sont très petits (bouchon, cuillère, etc.), ce qui rend fastidieux le remplissage de l’amphore. D’autres sont plus grands (boîte de conserve, tasse, etc.), ce qui manque de précision mais permet néanmoins de mesurer par encadrement. De plus, des objets inadaptés à la mesure de capacité ont été placés, avec pour possible effet de focaliser l’attention des élèves sur la hauteur, la largeur, la longueur, … de l’amphore. Notons que certains groupes pourraient se servir d’étalons variés, plus grands et plus petits (bol et pot à cure-dents, etc.) afin d’amener plus de précision.
Au moment de choisir l’étalon, plusieurs situations peuvent se présenter.
-
Les deux équipes se mettent d’accord, à un moment donné, sur un étalon via un échange de messages. Pour celles-ci, l’activité est presque terminée. Il ne leur reste plus qu’à mesurer la capacité de leur amphore et à comparer leurs mesures pour établir l’amphore de capacité la plus grande.
-
Les deux équipes ne s’accordent pas sur un étalon. Deux cas de figures sont alors possibles :
-
les équipes ont utilisé des récipients différents comme étalon. Quand elles rendent leur rapport, l’expert le désapprouve, quels que soient les résultats, en raison de l’inadéquation de la démarche ;
-
les équipes ont pris le même récipient comme étalon, par hasard. L’expert envoie alors un message annonçant par exemple : « Une troisième amphore a été découverte en France par une équipe disposant du même matériel que vous. L’équipe dit qu’elle a une capacité de 21 bols rouges1. Est-elle de plus grande capacité ? ».
-
Les équipes doivent, dans tous les cas, prendre conscience de la nécessité de s’accorder sur un récipient commun. Il reste aux élèves à procéder, une nouvelle fois si nécessaire, à la mesure de la capacité de leur amphore avec cet étalon. Les mesures ainsi obtenues sont finalement comparées et cela débouche sur la détermination de l’amphore de plus grande capacité.
Étalons conventionnels
Après avoir vécu la nécessité de choisir un étalon commun pour comparer les capacités de récipients, les élèves peuvent aller plus loin dans leur apprentissage. L’enseignant poursuit alors l’histoire avec le passage suivant :
Une autre amphore a été découverte en Turquie. Les archéologues turcs ont mesuré la capacité de cette amphore avec leur propre matériel. L’amphore contient 33 verres. Classez les amphores de Turquie, de Grèce et d’Égypte selon leur capacité.
Notons que le verre utilisé comme étalon par l’équipe de Turquie ne doit pas se trouver dans les valisettes et que les élèves ne peuvent donc pas imaginer sa taille. Ils doivent se rendre compte qu’il est difficile de trouver exactement les mêmes récipients d’un pays à l’autre. Une discussion s’engage avec le groupe classe autour des étalons familiers. La question d’un étalon commun universel devrait se poser et déboucher progressivement sur l’étalon de mesure de capacité actuel : le litre ou l’un de ses sous-multiples.
Lorsque le litre a été évoqué comme unité de référence, l’enseignant reforme les deux équipes des sites de Grèce et d’Égypte. Celles-ci regagnent leur espace d’expérimentation où elles retrouvent leur amphore remplie d’eau et un seau vide pour recueillir l’eau. L’enseignant distribue les récipients gradués avec les mêmes sous-unités à chaque groupe et reprend l’histoire.
Communiquant avec l’équipe de Turquie, vous apprenez que leur amphore a une capacité de \({3 } {L}\) et \({750 } {mL}\). Mesurez la capacité de votre amphore à l’aide du récipient gradué et, ensuite, classez les trois amphores de celle qui a la plus grande capacité à celle qui a la plus petite capacité.
L’enseignant doit choisir la capacité de l’amphore turque de telle sorte que la partie entière de sa mesure — en litres — coïncide avec celle d’au moins une des amphores de Grèce et d’Égypte. La partie décimale, quant à elle, doit être choisie en fonction des sous-unités apparaissant parfois implicitement dans les graduations des récipients utilisés.
Pour mesurer la capacité de leur amphore, les élèves doivent la vider à l’aide du récipient gradué distribué. Ils veillent à remplir à chaque fois le récipient gradué jusqu’à une de ses graduations afin de pouvoir additionner les mesures des quantités qu’ils retirent de l’amphore. Une autre solution est de verser, dans le seau vide, l’eau contenue dans l’amphore et de la remplir, à nouveau, avec l’eau recueillie en suivant le même principe. Dans les deux cas, il reste aux élèves à additionner toutes les mesures des volumes transvasés pour connaître la capacité de leur amphore.
Remarquons qu’il faut éviter que les élèves jettent l’eau contenue dans l’amphore car ils se trouveraient alors face à une difficulté supplémentaire. En effet, s’ils remplissent l’amphore litre après litre, il arrivera un moment où ils ne pourront plus verser l’entièreté de leur récipient gradué dans l’amphore et il y aura un reste dans le récipient gradué. Par exemple, s’il reste \({650 } {mL}\) dans le récipient gradué, les élèves doivent en déduire que \({350 } {mL}\) ont été versés dans l’amphore.
La séquence se termine par une activité de classement de différents récipients avec une indication de capacité exprimée en litres, centilitres ou millilitres (nous n’en avons pas trouvé avec une indication en décilitres). Il s’agit de regrouper les récipients par groupes de même capacité et de découvrir ainsi les liens entre les différentes unités.
Volumes – Troisième cycle (de 10 à 12 ans)
L’ensemble des manipulations destinées aux élèves de la fin du primaire a pour objectifs l’appropriation de la notion de volume, la découverte de la formule du volume d’un parallélépipède rectangle ainsi que la construction de liens entre quelques unités de volume.
La mise au point d’une séquence d’apprentissage sur le volume du parallélépipède rectangle et les expériences menées en classe dans ce cadre nous ont fait comprendre à quel point la notion de volume était délicate à circonscrire avec les élèves et, dans un même temps, combien il était nécessaire de poser des bases solides pour la compréhension de ce concept. L’impossibilité d’une définition rigoureuse et complète, à ce stade de l’enseignement, nous a amenés à mettre en place une série d’expériences qui confrontent les préconceptions des élèves à la réalité de la situation et conduisent à la création d’images mentales diverses dont la cohérence est progressivement installée. En particulier, la distinction entre les notions de volume d’un objet plein ou creux nous a semblé fondamentale. Les volumes d’objets creux sont comparés par remplissage, ceux des objets pleins de tailles, de formes et/ou de masses différentes sont comparés par immersion. Le compte rendu de cette réflexion préalable a fait l’objet d’une publication détaillée ([3]) et n’est pas présenté ici.
En ce qui concerne la découverte de la formule du volume d’un parallélépipède rectangle, nous avons délibérément choisi de travailler d’emblée sur des boîtes parallélépipédiques sans passer par des boîtes cubiques comme c’est le cas dans de nombreux manuels scolaires. En effet, il nous a semblé que le rôle de chacune des trois dimensions est plus perceptible dans le cas général.
Construction d’un solide en cubes
L’enseignant répartit les élèves en groupes et distribue à chacun d’eux six cubes emboîtables.
Il leur montre un solide de forme parallélépipédique qu’il a construit avec six de ces mêmes cubes puis il donne la consigne de construire un solide différent du sien en utilisant les six cubes. L’enseignant devra peut-être encourager la créativité des élèves pour obtenir des formes variées, comme celles présentées ci-dessous.
Cette première consigne permet d’attirer l’attention des élèves sur le mot « volume » lorsque l’enseignant demande ensuite de construire un solide de « volume » différent du sien en utilisant tous les cubes.
Les élèves cherchent à se conformer à la consigne et tentent, par tous les moyens, de construire un tel solide. Dès lors, il se peut que plusieurs d’entre eux construisent un solide différent de celui de l’enseignant tout en sachant pertinemment bien que le volume trouvé ne sera pas différent.
Cette seconde consigne vise à faire prendre conscience aux élèves que le volume d’un objet ne varie pas si on utilise le même nombre de cubes.
Il se peut qu’aux yeux de certains élèves, des solides construits semblent prendre plus de place que d’autres car leur rangement est moins aisé à cause de leur configuration. C’est le moment opportun pour dissocier la notion de volume de celle de rangement.
Comparaison du volume de boîtes parallélépipédiques
L’enseignant présente aux élèves trois boîtes de forme parallélépipédique de dimensions très différentes mais de volume assez proche, par exemple une boîte cubique, une boîte assez haute et une troisième assez large. L’enseignant demande de trouver la boîte la plus grande. La boîte « la plus grande », est-ce celle qui est la plus haute, la plus large, la plus longue ? Cette discussion fait surgir la nécessité de préciser la question : nous souhaitons trouver la boîte qui a le plus grand volume.
Les élèves cherchent alors un moyen de comparer les volumes des trois boîtes. Une manière de procéder consiste à remplir les différentes boîtes au moyen de cubes en bois de 2 cm d’arêtes.
Devant la classe, les trois boîtes sont alors remplies successivement. Le nombre de cubes que contient chaque boîte est noté au tableau ; on remarque que ce nombre est constant, quelle que soit la position de la boîte.
On se met d’accord sur le fait qu’on peut comparer le volume des boîtes en comparant le nombre de cubes qu’elles contiennent, ce nombre de cubes peut donc servir à mesurer le volume. La boîte contenant le plus grand nombre de cubes est identifiée comme étant la boîte de plus grand volume.
À partir de cette mise au point, on convient d’exprimer le volume des boîtes suivantes en nombre de cubes.
Construction de la formule du volume du parallélépipède rectangle
Chaque groupe reçoit 38 cubes de 2 cm d’arête et quatre boîtes dont les dimensions sont :
-
boîte 1 :
longueur 6 cm, largeur 4 cm, hauteur 8 cm ; -
boîte 2 :
longueur 12 cm, largeur 8 cm, hauteur 4 cm ; -
boîte 3 :
longueur 14 cm, largeur 10 cm, hauteur 6 cm ; -
boîte 4 :
longueur 16 cm, largeur 12 cm, hauteur8 cm.
La consigne donnée est de trouver le nombre de cubes nécessaires pour remplir chaque boîte.
Le nombre de cubes à la disposition des élèves leur permet de remplir entièrement la première boîte et de remplir une base ainsi qu’une partie d’un second « étage » de la deuxième. Pour la troisième boîte, il est possible de remplir une base et de construire une hauteur. Quand à la quatrième boîte, il y a assez de cubes pour construire une longueur, une largeur et une hauteur.
Connaissant l’aire d’un rectangle, les élèves trouvent assez vite que le nombre de cubes nécessaires à remplir un étage correspond au nombre de cubes placés dans la longueur multiplié par le nombre de cubes mis dans la largeur. Ce nombre trouvé, ils le multiplient par le nombre d’étages qu’ils peuvent construire. Il est très important que les élèves notent, pour chaque boîte, la démarche qu’ils ont utilisée. Celle-ci sera expliquée lors de la mise en commun et, par la suite, lors de la synthèse construite avec eux.
Notons que, dans toute l’activité, le volume s’exprime en nombre de cubes. Nous souhaitons par là favoriser une image mentale associant le volume à un nombre de solides-étalons et pas à la multiplication de trois longueurs.
Calcul du volume d’un parallélépipède rectangle en cm3
Il s’agit à présent de suivre la même consigne que précédemment mais avec 50 cubes de 1 cm d’arête. Le remplissage systématique des boîtes est si fastidieux que les élèves y renoncent d’emblée. Ils cherchent soit par calculs, soit par remplissage partiel. Pour chaque boîte, ils ont suffisamment de cubes pour remplir une longueur, une largeur et une hauteur.
Il se peut que des élèves ne passent pas par l’utilisation des petits cubes mais se basent sur le fait que la longueur de l’arête d’un cube en bois est le double de celle d’un petit cube. De ce fait, ils peuvent être tentés de doubler le nombre de cubes en bois pour calculer le volume en petits cubes. C’est la manipulation qui permet de trouver et de comprendre que le rapport est 8 car il faut 8 petits cubes pour reconstituer un cube en bois.
L’intérêt de cette activité est de montrer que, pour une même boîte, on obtient un nombre de petits cubes différent du nombre de cubes en bois. Ces nombres sont des mesures du volume de la boîte. Ils diffèrent parce que l’on a utilisé des « cubes étalons » différents. Cette activité amène la nécessité du choix d’un étalon commun pour mesurer des volumes.
L’enseignant explique aux élèves que le volume du cube de 1 cm d’arête est souvent choisi comme unité de référence pour mesurer et calculer un volume. Cette unité de volume est appelée centimètre cube. Ce choix est conventionnel, tout comme le choix du mètre ou du litre pour mesurer respectivement les longueurs et les capacités.
L’enseignant propose aux élèves de réfléchir au calcul du volume de boîtes qu’ils ne peuvent pas manipuler, par exemple de déterminer le volume d’une autre boîte qui mesure 3 cm de large, 4 cm de long et 7 cm de haut.
Le but de cette question est de faire découvrir aux élèves que l’on peut faire l’économie du remplissage en effectuant un calcul. Les cubes conventionnels ayant une arête de 1 cm, on place autant de cubes sur une arête que sa mesure en centimètres. Cela nous amène au calcul suivant : dans cette boîte, on peut mettre \(3 \times 4 \times 7\) cubes d’un centimètre d’arête ce qui correspond à un volume de 84 cm3.
Une boîte particulière
Une nouvelle boîte est proposée aux élèves, sans préciser ses dimensions. Il s’agit d’un décimètre cube. Puisqu’il leur est possible de mesurer les dimensions de cette boîte, les élèves effectuent le calcul \(10 \times 10 \times 10\) cm3 qui font 1 000 cm3. On met donc 1 000 petits cubes dans le cube de 1 décimètre d’arête.
L’enseignant rappelle aux élèves que la mesure de chaque arête, exprimée en centimètres, peut aussi être exprimée en décimètres. La boîte que les élèves ont devant eux a une longueur, une largeur et une hauteur égales à 1 dm, son volume est de un décimètre cube, tout comme le centimètre cube est le volume d’un cube mesurant un centimètre d’arête.
Le calcul du volume de cette boîte a fait découvrir aux élèves qu’il faut 1 000 cubes de 1 cm3 pour remplir la boîte de 1 dm3. Par conséquent, 1 dm3 et 1 000 cm3 sont des mesures d’un même volume.
Adéquation des unités
L’enseignant propose aux élèves de chercher le volume d’une boîte dont une dimension est donnée en décimètres et deux en centimètres. Il demande par exemple de chercher le volume d’une boîte ayant comme longueur 70 cm, comme largeur 3 dm et comme hauteur 40 cm.
Le choix des mesures données en centimètres s’est porté sur des multiples de 10 afin d’éviter les nombres décimaux dans un premier temps.
-
La réponse 84 000 cm3 est obtenue par les élèves qui ont converti toutes les dimensions en centimètres avant de calculer le volume en cm3.
-
La réponse 84 dm3 est obtenue par les élèves qui ont effectué le même travail mais en dm3.
-
Les élèves qui proposent 8 400 cm3 ont vraisemblablement multiplié les trois dimensions entre elles en omettant de les convertir en une unité commune.
Lorsque l’ensemble de la classe s’est accordé sur un volume égal à 84 000 cm3 ou 84 dm3, il reste à demander aux élèves comment expliquer que ces deux volumes sont égaux. Cela les renvoie à l’activité précédente dans laquelle ils ont découvert que le décimètre cube est 1 000 fois plus grand que le centimètre cube. Puisque 1 dm3 équivaut à 1 000 cm3, 84 dm3 équivalent à 84 000 cm3. Le nombre qui donne la mesure du volume en dm3 est ici d’un ordre de grandeur plus facile à appréhender.
La recherche du volume de la boîte suivante légitime l’extension de la formule aux nombres décimaux. L’enseignant demande de calculer le volume d’une boîte ayant 55 cm de longueur, 3,4 dm de largeur et 21 cm de hauteur et d’exprimer la réponse en cm3 et en dm3.
Pour exprimer la réponse en cm3, les élèves convertissent en cm la largeur donnée, effectuent le produit \(55\times 34\times21\) et obtiennent 39 270 cm3.
Pour exprimer la réponse en dm3, deux possibilités se présentent. Soit les élèves se souviennent que 1 dm3 équivaut à 1 000 cm3 et transforment 39 270 cm3 en 39,270 dm3, soit ils transforment la longueur et la hauteur en dm et effectuent le produit \({5,5}\times{3,4}\times{2,1}\). Comme le résultat est le même, on pense que le dernier calcul est légitime même si cette multiplication des trois nombres ne peut plus s’appuyer sur la même démarche mentale de dénombrement de cubes.
Calculer un volume à partir de nombres décimaux amène les élèves à dépasser l’image mentale du volume qu’ils s’étaient construite à partir des manipulations.
Conclusion
Cet article a présenté trois Math & Manips conçues pour les élèves du primaire.
Dans la première, les enfants découvrent diverses méthodes de comparaison selon les grandeurs avec lesquelles ils travaillent et se forgent des intuitions relativement aux domaines de validité des techniques qu’ils possèdent déjà, ce qui crée l’espace nécessaire à la mise en place de nouvelles procédures, plus efficaces.
Au cours d’une activité de comparaison de récipients dans un contexte ludique, la deuxième activité amène les élèves à vivre la nécessité de s’accorder sur un étalon commun, conventionnel ou non, dès que la comparaison directe des capacités devient impossible.
Dans la troisième, les élèves mettent progressivement en place des procédures pour déterminer le nombre de cubes de référence nécessaires au remplissage de boîtes parallélépipédiques. Tout en dégageant la formule de calcul du volume d’un parallélépipède rectangle par des manipulations qui lui donnent du sens, ils sont confrontés à la nécessité de s’accorder sur un étalon, et construisent les liens entre certaines unités de volume.
Les différents conflits rencontrés au cours de ces séquences d’apprentissage incitent les élèves à questionner leurs conceptions préalables, à identifier les cas où l’impression visuelle suffit et à mettre en œuvre des méthodes efficaces dans les autres cas.
Pour terminer, soulignons que, en ce qui concerne l’école primaire, l’objectif n’est pas tant l’introduction de manipulations dans les classes, car celles-ci y ont généralement leur place, mais bien la mise en évidence, pour l’enseignant, des savoirs mathématiques impliqués et des conditions nécessaires à leur mobilisation.
Références
-
CREM. Des grandeurs aux espaces vectoriels. La linéarité comme fil conducteur. Sous la dir. de Nicolas Rouche. Nivelles : Centre de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques, 2002.↩
-
CREM. Math & Manips, des manipulations pour favoriser la construction des apprentissages en mathématiques. Sous la dir. de Marie-France Guissard et Valérie Henry. Nivelles : Centre de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques, 2017.↩
-
Marie-France Guissard et al. « Construction de la notion de volume ». In : Grand N no 96 (2015), p. 35-44.↩
-
Nicolas Rouche. Le sens de la mesure : des grandeurs aux nombres rationnels. Bruxelles : Didier-Hatier, 1992.↩
⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅
Marie-France Guissard, Valérie Henry, Pauline Lambrecht, Patricia Van Geet, Sylvie Vansimpsen ont fait partie d’un groupe de chercheurs au CREM (Centre de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques) à Nivelles, en Belgique.
-
L’étalon utilisé par l’équipe d’archéologues en France doit être différent de celui utilisé par les deux équipes mais se trouver dans leur valisette. Le nombre mentionné doit être compatible avec les valeurs obtenues par les élèves pour les deux amphores.↩
Une réflexion sur « Des Math & Manips autour des grandeurs »
Les commentaires sont fermés.