Des suites au collège : pourquoi pas des fractales ?

Lise Malrieu nous invite à partager avec elle la saveur particulière de ces suites d’images géométriques que sont les fractales. Ce n’est pas tant le côté mathématique que l’auteur partage ici, mais davantage son enthousiasme pour ces figures esthétiques et le côté « touchant » de l’engagement sans découragement de ses élèves dans ces répétitions sans fin.

Lise Malrieu

© APMEP Mars 2023
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Pour être honnête, ce n’est pas, dans un premier temps, l’envie de faire goûter les phénomènes itératifs à mes élèves de Troisième qui a motivé mon « pas de côté » vers les fractales, mais plutôt le fait que j’avais découvert, peu de temps avant, les superbes images du film sur l’ensemble de Mandelbrot, déposées alors sur le site Image des maths1. Ces images de synthèse sont fascinantes et faire prendre corps ainsi à des objets mathématiques complexes est une prouesse autant technique qu’esthétique.

Plusieurs années de suite, j’ai donc proposé, en devoir maison2, un exercice sur le flocon de Von Koch. Avant de distribuer l’énoncé à mes élèves, nous discutions rapidement du concept de fractale (en général, aucun de mes élèves ne connaissait ni le mot, ni le principe) puis je projetais plusieurs minutes de la promenade dans l’ensemble de Mandelbrot, en laissant ensuite quelques instants à la classe pour donner ses impressions.

Une précision : j’utilisais le fichier vonkoch.exe3, une animation Windows qui, à chaque clic, montre comment se forme le flocon à l’étape suivante. Il permet de visualiser le flocon jusqu’à l’étape 7 et a été créé par Sébastien Dumortier4. Cette animation a l’intérêt principal d’éviter des explications sur la position des triangles équilatéraux à l’extérieur de la figure, par exemple. Il existe aussi de nombreuses autres animations, notamment dans les ressources Geogebra utilisables en ligne comme celle de Christian Mercat . Attention toutefois, dans cette dernière, les étapes ne sont pas indexées de la même manière que dans le programme vonkoch.exe.

La construction

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Figure 1. Étape 2 — Katelina.
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Figure 2. Étape 3 — Léa.
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Figure 3. Étape 4 — Charlène.

Comme vous le voyez, trois temps de construction sont demandés aux élèves : a minima, de l’étape 0 à l’étape 2. Un certain nombre d’entre eux s’arrêtent là, même si le rendu est encore assez loin du flocon de neige typique.

Promesse de bonus aidant, un bon tiers de mes élèves ont cherché à aller plus loin et certains m’ont rendu des travaux fort intéressants par leur précision et leur qualité esthétique.

Une telle construction demande du temps et de la persévérance. Curieusement, le côté répétitif et routinier de la construction a parfois été vécu comme rassurant et a constitué un moteur pour certains élèves : les qualités pour réussir ne sont pas celles qui sont le plus souvent mobilisées en cours de mathématiques. Si on y regarde de près, on devine les étapes successives, les arcs de cercle de compas, les quelques petits arrangements quand l’utilisation des instruments devenait pénible (partager en trois un segment qui mesure moins de 1 cm, et le faire correctement presque deux-cents fois, est-ce vraiment raisonnable ?). On devine aussi le soin qu’ont mis ces élèves à effacer les traits de construction intermédiaires. C’est pour tout cela que je trouve ces réalisations touchantes.

Elles m’ont d’ailleurs renvoyée à un souvenir de mon enfance : mon oncle prenant quelques jours de ses vacances d’été au bord de la Méditerranée pour représenter un flocon de Von Koch (quelle étape ?) sur une immense feuille à dessin immaculée. Je le revois, instruments de géométrie en main, penché sur son ouvrage, s’appliquant à ne faire aucune tache, avec une minutie, un rythme et une gestuelle que j’aurais pu regarder pendant des heures si des jeux de mon âge ne m’avaient pas appelée.

Histoire de périmètres

Les questions qui suivent la construction avaient pour objectif, au travers de notions connues depuis longtemps (comme le périmètre d’un polygone) ou en cours de construction (comme le calcul littéral), de situer ce flocon comme un objet mathématique et d’en faire découvrir une propriété.

J’aurais pu trouver de nombreuses autres situations mettant en jeu conjointement ces mêmes notions. L’attrait de celle-ci, c’est qu’elle permet de faire toucher du doigt trois notions difficiles à concevoir mais constitutives des mathématiques : celle de suite, celle de limite et celle d’infini. Envisager ce flocon sous l’angle mathématique, c’est produire une suite de figures dont le périmètre tend vers l’infini tandis que l’aire tend vers une limite finie (qui, au passage, est \(\frac{8}{5}\) de l’aire du triangle équilatéral initial). Rien n’est démontré dans ce devoir, mais grâce à la construction que chacun a faite avec les instruments de géométrie et grâce au fichier vonkoch qui permet d’obtenir visuellement le flocon après sept itérations du processus de construction, on peut facilement conjecturer. L’intérêt, c’est le paradoxe apparent « un périmètre infini pour une aire finie » qu’il est fort séduisant pour un enseignant d’expliciter, tant cela suscite de surprise voire d’incrédulité chez ses élèves.

C’est le même type de paradoxe apparent que j’ai retrouvé bien des années après lorsque Philippe Grillot, un de ces universitaires passionnés, inlassable passeur de science auprès d’élèves, d’étudiants, de parents et d’enseignants, nous posait comme défi de « passer à travers une feuille de papier » ; si vous ne connaissez pas, prenez un peu de temps pour chercher. Vous pourrez ensuite trouver des vidéos à ce sujet sur l’Internet.

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La notion de suite

Mes élèves avaient tendance à ne voir dans cette histoire qu’une seule figure en évolution. Il faut dire que le programme de construction tel que je le leur avais donné, en gommant pour compléter à chaque étape, incitait à cette perception. Afficher côte à côté au tableau le flocon à différents stades de réalisation, de l’étape 0 à l’étape 4, comme dans un strip de BD, permet de faire prendre conscience que l’on peut aussi considérer qu’il s’agit de figures différentes, chacune étant liée à la suivante (et à la précédente, de fait) par l’action itérative indiquée dans l’énoncé. Nous ne sommes pas allés plus loin dans la notion de suite mais, derrière l’idée qu’on pouvait toujours afficher une nouvelle figure construite à partir de la précédente selon le principe donné, ainsi que derrière les superbes images du film, je pense que certains élèves ont pu sentir le parfum de l’infini.

Alternatives

Le flocon de Von Koch ouvre de nombreuses possibilités de travail avec des élèves de fin de cycle 4 ; je n’en ai exploitées que très peu dans ce devoir. Je l’ai abordé comme une courte parenthèse de culture mathématique sans chercher ni l’exhaustivité, ni l’approfondissement, mais avec cette envie de « faire sentir », et aussi de partager mon intérêt pour les fractales, que je trouve réellement fascinantes pour leur définition simple alliée à leur esthétique hors du commun.

Je n’ai pas du tout, par exemple, profité de l’occasion pour utiliser GeoGebra. Si je le faisais aujourd’hui, je pense que je me pencherais sur les possibilités offertes par Scratch pour éviter de fournir un fichier tout fait.

De la même façon, j’aurais pu faire réaliser un affichage avec des fractales « de la nature » comme la côte bretonne ou le chou romanesco, ou lancer mes élèves dans une recherche documentaire sur le concept, en sélectionnant des ressources accessibles.

Par ailleurs, j’ai orienté le travail des élèves sur les périmètres mais je n’ai rien exploré sur les aires, où il y a également un travail sur les formules intéressant à mener et très complémentaire à ce que j’ai proposé, quoique plus difficile sauf si on a déjà établi la formule donnant l’aire d’un triangle équilatéral à partir de la longueur de son côté.

Bref, ce flocon est une mine mathématique. Vous l’avez peut-être déjà explorée, mais si ce n’est pas le cas, ne vous en privez pas !

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Lise Malrieu est enseignante et formatrice en mathématiques dans l’académie d’Orléans-Tours et à l’INSPÉ de Tours-Fondettes. Elle fait également partie de l’équipe d’Au fil des maths.

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  1. Le film n’est aujourd’hui plus disponible sur ce site. Vous pouvez le trouver intégré au film Dimensions de Jos Leys, Étienne Ghys et Aurélien Alvarez  (chapitre 6, à partir de la 10e minute environ). 

  2. L’énoncé est visualisable ici :  ou disponible au téléchargement en version modifiable ici : 

  3. Ce programme (uniquement pour Windows) est téléchargeable sur le site d’Au fil des maths ici : 

  4. Sébastien Dumortier est l’auteur de l’article Les jeux d’évasion paru dans Au fil des maths n°536  et il est aussi médiateur numérique Canopé 32. 

Pour citer cet article : Malrieu L., « Des suites au collège : pourquoi pas des fractales ? », in APMEP Au fil des maths. N° 547. 28 mars 2023, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/des-suites-au-college-pourquoi-pas-des-fractales/.

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