Maths en scène 2020, le virus s’invite

La Semaine des maths est une occasion de plus pour donner à nos élèves et leurs familles une image actuelle, vivante et attractive des mathématiques… Voici le récit d’une aventure originale et passionnante, en terre bretonne, avec des élèves du CE2 au CM2 !

Claudie Asselain-Missenard

© APMEP Juin 2021

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Année scolaire 2019-2020, le thème de la semaine des maths   nous inspire ! Des maths en scène ! Nous, c’est-à-dire l’institutrice et amie Gwenaëlle qui officie à Lanmodez (Côtes-d’Armor) et moi, Claudie, qui coiffe depuis plusieurs années la casquette d’ambassadrice des maths dans sa classe. Cette année, elle travaille avec des enfants de trois niveaux, du CE2 au CM2.

Le scénario

Quelques séances de remue-méninges nous ont permis de bâtir un scénario en trois temps. Nous tenons toujours à associer les parents à nos entreprises de la semaine des maths. Nous allons leur concocter une fin de journée en forme de spectacle mathématique, pour le vendredi 13 mars, en clôture de ladite semaine. Les festivités prévues comporteront trois temps :

  • une mise en bouche à base de courtes saynètes où, pour certaines plus interactives que d’autres, nous espérons bien faire travailler les parents sous la haute direction des enfants ;

  • un temps d’échange autour d’un repas type auberge espagnole, chacun amenant un petit quelque chose (le résultat se révélant généralement pantagruélique) ;

  • une pièce de théâtre, que Gwenaëlle a repérée depuis longtemps et qui constituera le clou de la soirée. Elle s’intitule « Le problème » et a été écrite par Christian Lamblin .

La mise en place

Le travail commence dès le début de l’année scolaire. Gwenaëlle distribue les rôles et fait apprendre le texte pour le théâtre. Je me charge davantage de la première partie en venant régulièrement dans la classe, partie qui doit contenir des mathématiques. Je fais des interventions en classe entière pour expliquer la teneur de l’activité proposée et afin que tous en profitent pour apprendre un petit quelque chose. Ensuite, je prends en petit groupe les enfants qui seront plus précisément responsables de chacun des sujets présentés.

La semaine fatidique

La préparation de l’événement prend beaucoup de place cette semaine-là. Nous répétons plusieurs fois la pièce de théâtre : elle est au point. Les acteurs sont parfaits. On répète chaque saynète en petits groupes, puis dans un filage complet. Ils sont à fond, et nous aussi. Nous sommes fin prêts.

Et patatras, le jeudi, discours présidentiel, l’annonce du confinement pour le mardi suivant, la fermeture des écoles dès le vendredi soir, auxquels s’ajoutent des rumeurs sur un patient qui aurait contracté la Covid à l’hôpital de Paimpol avec qui une maman d’élève aurait été en contact, tout cela nous place devant une lourde responsabilité. Le vendredi avant l’arrivée en classe des enfants, nous nous concertons. La hiérarchie consultée est aux abonnés absents. Nous ne pouvons pas prendre la responsabilité d’entasser dans une salle de classe les enfants, les frères et sœurs, les parents et grands-parents. Nous prenons la mort dans l’âme la décision de tout annuler.

Happy end

Le virus ayant eu la bonté de lever un peu le pied, Gwenaëlle retrouve ses élèves en juin. Comme elle est bretonne, donc plutôt persévérante dans ses entreprises, elle trouve un ami vidéaste, qui viendra filmer — en partie du moins — le travail des enfants. Tout est réactivé très vite la dernière semaine d’école, filmé et mis en boîte. Chaque enfant repartira pour les vacances avec le DVD qui contient le tout1. Nous nous étions consolées en pensant que l’essentiel s’était joué dans la préparation. C’est effectivement le plus important, là où les enfants découvrent vraiment des contenus et apprennent quelque chose. Nous sommes quand même très heureuses d’avoir pu aboutir in extremis à une production qui nous permet de garder une trace tangible de l’action.

Plongée dans le monde des mathématiques

Mais vous aimeriez sans doute savoir ce que contenait vraiment la soirée prévue pour les parents. Le programme vous le dira mieux que moi, avant que j’entre dans le détail.

Chaque enfant trouvait sa place dans plusieurs des thèmes, suivant une répartition faite par les adultes, en fonction du niveau et des talents de chacun… Tous avaient un rôle à jouer quelque part (et souvent plusieurs).

Programme de la soirée de clôture.
Le défilé des chiffres

Privilège du premier degré où un maître polyvalent est pluridisciplinaire par nature. Dix élèves avaient chacun fabriqué une pancarte qui montrait un chiffre coloré et artistiquement décoré (hé oui, dix chiffres, un par élève !).

Le défilé des chiffres

Ils avaient écrit, pour chaque chiffre, un certain nombre de phrases qu’évoquait ce chiffre, des « \({7}\) jours de la semaine » ou des « \({9}\) mois pour naître », à « à \({2}\) c’est mieux » en passant par « \({0}\), c’est pas rien » ou encore « le \({1}\) c’est triste parce qu’on est seul », … Et ils défilaient dans l’ordre… naturel en récitant chacun la phrase qu’ils avaient choisie.

Vidéo autour du million

C’est le résultat d’un travail autour des ordres de grandeur qui avait été mené tôt dans l’année, en classe entière, puis retravaillé avec le groupe des CM2. Le support en est une superbe affiche anglo-saxonne qui est restée aux murs de mes classes pendant une trentaine d’années. Elle représente un million de points groupés en mini-carrés de \(10 \times 10\) (\(100\) points), les mini-carrés étant eux-mêmes groupés par \(10 \times 10\) (10000 points), et l’affiche réunissant in fine \(100\) de ces groupes en un carré de \(10 \times 10\).

L’affiche One million .

Nous nous sommes assurés que nous avions bien sous les yeux un million de petits points puis le groupe des CM2 s’est chargé d’élaborer un certain nombre de phrases autour de « un million de… ». Voici quelques exemples :

  • un million d’enfants qui se tiennent par la main font une chaîne de 1000 km environ, soit la distance de Brest à Strasbourg ;

  • un million de tracteurs pèsent quatre millions de tonnes, soit \(400\) tours Eiffel.

  • un million de livres empilés, ça fait à peu près 50 km, la distance de Lanmodez à Saint-Brieuc.

La mise en image du résultat donnait un sympathique film, qui avait été tourné et monté en hiver et que nous avions l’intention de projeter aux parents lors de notre folle soirée mathématique.

Calcul mental \({1}\), \({2}\), \({3}\), \({4}\), \({5}\)

Cette partie devait être interactive et les enfants devaient y faire travailler leurs parents et grands- parents. Bien entendu, l’activité avait d’abord donné lieu à un travail en classe entière. Le tableau ci-dessous étant projeté, il s’agit de mettre des signes d’opération, avec éventuellement des parenthèses, pour écrire un calcul juste. Il n’est pas nécessaire de travailler dans l’ordre : le premier qui trouve un des résultats vient le proposer au public.

Pour encadrer le texte :

\[\begin{array}{ccccccccl}
1& & 2& & 3& & 4& =& 0\\
1& & 2& & 3& & 4& =& 1\\
1& & 2& & 3& & 4& =& 2\\
1& & 2& & 3& & 4& =& 3\\
1& & 2& & 3& & 4& =& 4\\
1& & 2& & 3& & 4& =& 5\\
1& & 2& & 3& & 4& =& 10\\
1& & 2& & 3& & 4& =& 15\\
1& & 2& & 3& & 4& =& 20\\
\end{array}\]

Cette activité qui trouvait son sel dans l’interactivité enfants/parents n’a pas pu être récupérée au mois de juin. C’est la faute du virus.

Poèmes sur le triangle

À partir du recueil de poèmes Euclidiennes écrit par le poète breton Eugène Guillevic (1907–1997, poète breton natif de Carnac, fils d’une couturière et d’un marin devenu gendarme), nous avons fait travailler quatre élèves de CE2 autour du vocabulaire du triangle. Nous avons sélectionné et mis en scène quatre de ces poèmes. Chacune avait appris un des poèmes, qu’elle récitait tandis que les autres matérialisaient à l’aide d’un morceau de corde (on dit un bout — prononcé boutte — en pays maritime) le triangle évoqué dans le poème. Je vous laisse imaginer les jeux de corde, à partir des textes reproduits ci-dessous.

Poèmes de Guillevic.

Triangle

Bon pour danser
Virevolter

Sur ma base, sur mon sommet
Sur mes côtés, mes autres angles,

C’est que je suis toujours
Agité, tiraillé

Par des angles, par des côtés
Assemblés au hasard et sans égalité

Triangle isocèle

J’ai réussi à mettre
Un peu d’ordre en moi-même

J’ai tendance à me plaire

Triangle équilatéral

Je suis allé trop loin
Avec mon souci d’ordre

Rien ne peut plus venir

Triangle rectangle

J’ai fermé l’angle droit
Qui souffrait d’être ouvert
En grand sur l’aventure

Je suis une demeure
Où rêver est un droit

Tour de calcul magique

J’avais choisi dans les écrits prolifiques de Dominique Souder un « tour » simple et qui avait le mérite de pouvoir perdre sa magie grâce à des mathématiques compréhensibles au cycle 3. Il s’agit d’une pyramide de nombres additive (chaque case se remplit avec la somme des deux nombres situés en-dessous). Les spectateurs donnent les quatre nombres de la rangée du bas et le « mathémagicien » trouve directement, devant le public médusé, le nombre qui figure en haut de la pyramide. Et ce, sans avoir besoin de remplir les cases intermédiaires.

Je laisse le soin au mathématicien que vous êtes de trouver leur « truc » et au pédagogue que vous êtes de réfléchir à comment le faire découvrir à des enfants qui ne disposent pas de l’écriture algébrique et du calcul littéral, un outil ma foi, bien commode… Bref ce thème, travaillé d’abord en classe entière, fut le support d’une activité intéressante et qui a, au moins, permis à tous de pratiquer le calcul mental.

Pyramide des nombres.
Le jeu des ficelles

Il s’agit d’un défi qui permet de faire jouer deux personnes, prises dans le public, à qui on attache ensemble les deux poignets avec une ficelle (ce qui fait un anneau fermé \(\text{bras}+\text{ficelle}\)). Le hic, c’est qu’on entrelace les deux anneaux ainsi formés. La tâche des deux participants est alors de réussir à se séparer sans défaire les nœuds aux poignets. Le résultat est assez comique en général, surtout si les deux acteurs sont d’un naturel actif et que le meneur de jeu entretient convenablement le suspens. Où sont les maths là-dedans me direz-vous ? Ténu sans doute, mais il y a bien un rapport à la topologie là-dedans. Suffisamment en tous cas pour qu’on ait le droit de rigoler avec les contorsions des deux protagonistes.

Jeu des ficelles.

Ci-dessus, la poupée et la peluche ayant servi à l’entrainement des meneurs de jeux. Il y a bien sûr un moyen de réaliser la séparation en utilisant le fait que les anneaux ne sont pas totalement fermés : il y a un passage aux poignets. Ce qui est remarquable, c’est que les enfants se sont montrés très inégaux devant la compréhension et la réalisation de la séparation. Nous ne sommes pas tous égaux devant la topologie. Nous n’avons pas gardé de trace filmée de cette dernière affaire, qui valait surtout par la joie qu’il y aurait eu à voir se démener les parents volontaires…

La pièce de théâtre

Nous avons donc monté « Le problème » de Christian Lamblin. Cette courte pièce, d’une vingtaine de minutes, met en scène des personnages de l’univers scolaire : la maîtresse, la directrice, l’inspecteur, les élèves, le concierge de l’école. Un maitre soumet un problème de mathématiques, simple en apparence, à ses élèves.

Mon papa achète une grosse tarte aux fraises et il la partage en quatre. Sachant que la tarte pèse 800 grammes, quel va être le poids de chaque part ?

Mais face à leurs remarques déconcertantes, il va être amené à modifier peu à peu l’énoncé de son problème… jusqu’à le dénaturer en le complexifiant à l’excès.

Les ressorts comiques fonctionnent bien, et l’argument, moins superficiel qu’il n’y paraît, montre qu’à vouloir trop bien faire, on se casse parfois les dents. Cela pourrait bien nous ramener à une célèbre fable de Jean de La Fontaine, « Le meunier, son fils et l’âne », dont la morale

« […] est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père. »

est valable, ô combien, en milieu scolaire.

En guise de conclusion

Je persiste à penser que ce genre de collaboration entre personnes de bonne volonté, ayant à cœur de partager leur goût pour les mathématiques avec les acteurs de terrain qui les enseignent au quotidien, est assez facilement reproductible. Elle est au final assez peu coûteuse et riche de découvertes dans les deux sens. Mais il faut bien avouer que l’arrivée en guest star d’un vilain virus nous complique ces temps-ci singulièrement la tâche.

NDLR à propos des poèmes de Guillevic
Nous vous signalons :

  • un exemple d’utilisation des poèmes Euclidiennes en collège, présenté dans PLOT 2016 n°54 ; par Claudie Asselin-Missenard.

  • ainsi qu’ un très bel article de M. Lagarde et A.Pouchot , paru dans le Bulletin de l’APMEP n°417, sur leur utilisation en classe de Seconde.

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Professeure de mathématiques à la retraite, Claudie Asselain-Missenard est encore active pour faire rayonner les mathématiques dans les classes.


  1. Si vous êtes intéressés, n’hésitez pas à m’écrire, je pourrai mettre à votre disposition certains extraits.↩︎

Pour citer cet article : Asselain-Missenard C., « Maths en scène 2020, le virus s’invite », in APMEP Au fil des maths. N° 540. 17 septembre 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/maths-en-scene-2020-le-virus-sinvite/.