Une séquence sur les angles en ULIS-collège

Claire Chantreuil, enseignante spécialisée, travaille en ULIS-collège. Elle nous présente quelques spécificités de son métier au travers d’une séquence sur les angles en Sixième. En filigrane, vous pourrez piocher dans ses pratiques des idées pour affiner la différenciation dans vos classes, même « ordinaires ».

Claire Chantreuil

© APMEP Décembre 2022

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Travailler avec des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers peut être une source de stress pour certains enseignants. En tant qu’enseignante spécialisée, je connais quelques pratiques pédagogiques optionnelles face à un public «ordinaire» qui peuvent se révéler utiles lorsque nous sommes confrontés à ce type de public. Je vais en illustrer ici certaines au travers d’une séquence autour des angles proposée au cycle 3.

Mon travail d’enseignante spécialisée

Mon travail consiste avant tout à organiser et programmer la scolarité des enfants de façon à leur proposer des modalités d’apprentissage et d’enseignement adaptées et personnalisées selon leurs différents troubles et leurs capacités dans chaque domaine d’apprentissage.

Les mots d’ordre pour accompagner ce type d’élèves sont : l’explicitation, la manipulation (expériences corporelles, expériences perceptives,…) et la motivation (du jeu à l’exercice plus scolaire).

J’interviens donc à différents moments de l’apprentissage d’une notion :

  • avant et pendant la séquence, pour échanger avec l’enseignant de la classe de référence sur le contenu de la séquence qui sera abordé et préparer des adaptations ou aménagements nécessaires, ainsi que des éventuelles modalités de co-intervention au sein de la classe;

  • en amont de la séquence étudiée en classe, afin de renforcer le bagage de connaissances de mes élèves, de m’assurer qu’ils ont les prérequis nécessaires pour faciliter leur travail en classe de référence et renforcer leur sentiment de compétences;

  • en parallèle de la séquence ou en aval, afin de remédier aux notions qui ne seraient pas tout à fait comprises, pour reprendre les méthodes étudiées par un autre biais, pour augmenter le temps d’entraînement et aussi pour répondre aux questionnements des jeunes qui n’oseraient pas s’exprimer devant un groupe de vingt-cinq camarades.

Et évidemment, j’essaie de prendre en considération les besoins de chacun :

  • en ayant une attention particulière et un temps dédié à la manipulation et l’expérience ;

  • en définissant le vocabulaire spécifique lors d’une séance prédéfinie puis en le rappelant régulièrement à chaque séance ;

  • en laissant à disposition un mémo avec des moyens mnémotechniques si possible ou à défaut une illustration de la notion (on peut aussi parler de cartes d’ancrage) ;

  • en procurant des temps d’apprentissage plus flexibles ;

  • en changeant régulièrement les modalités de travail ;

  • et en m’armant de patience afin que tous les élèves puissent accéder aux notions que nous travaillons ensemble.

Un exemple de situation

Contexte

La séquence que je vous présente concerne la notion d’angle qui est au programme de cycle 3.

Mon objectif est à la fois de permettre aux élèves à besoins éducatifs particuliers d’avoir les pré-requis nécessaires à l’apprentissage de cette notion, mais surtout de veiller à ce qu’ils se sentent les plus confiants possible lorsqu’ils l’aborderont en classe de référence.

Cette séquence est donc très courte puisqu’elle a pour but d’anticiper la séquence qui sera étudiée en classe ordinaire et dans laquelle les élèves seront amenés à savoir reconnaître la nature des angles en utilisant un vocabulaire adapté et en se servant au besoin des instruments de mesures adéquats, à mesurer ou tracer des angles.

Profil des élèves concernés

Cette séquence a été mise en œuvre avec huit élèves de Sixième dont :

  • deux en grande difficulté scolaire mais ne relevant pas du champ du handicap, ils sont en ULIS faute de place en SEGPA ;

  • trois avec beaucoup de difficultés d’abstraction pour lesquels le passage par la manipulation, par des images et des expériences est indispensable à leur compréhension ;

  • trois ayant des difficultés attentionnelles, ayant besoin de temps d’apprentissage plus flexibles et individualisés afin de s’assurer que chaque étape de l’apprentissage est bien assimilée ;

  • trois élèves ayant de grandes difficultés de langage ; ce qui rend l’autonomie et les apprentissages presque impossibles dans le schéma scolaire classique puisque le monde de l’écrit leur est inaccessible et que celui de l’oral peut être entravé par un vocabulaire spécifique qui pourra limiter, voire faire écran à la compréhension.

Séance 1 (45 min) : première approche des angles et acquisition du vocabulaire spécifique

Pour débuter la séance, je commence par présenter et expliciter clairement les objectifs de la séance, les compétences associées et l’intérêt d’apprendre ces compétences : «Aujourd’hui, nous allons commencer à travailler sur les angles. Nous allons apprendre à reconnaître des angles et à donner leur nature. Par la suite, nous apprendrons à mesurer et construire des angles. Savoir identifier la nature des angles (les mesurer et les construire) est très utile quand on fait du bricolage : cela évite par exemple de monter un meuble de travers. Cela est utile aussi si on veut travailler dans le milieu de la construction ou de la création et puis évidemment cela vous sera utile lorsque vous travaillerez sur les angles en classe entière et plus tard la trigonométrie au collège.»

La pédagogie explicite [1, Chapitre 7] permet de donner du sens aux apprentissages en amenant de la motivation : apprendre pour rien n’a aucun intérêt !

Pour s’imprégner du vocabulaire exigible, je raconte ensuite une petite histoire durant laquelle nous mimons tous la situation sur le sol :

C’est l’histoire d’un astronaute. Dans sa navette, le travail est dur alors il profite d’un instant de calme pour se dire «Je suis à plat, je vais m’allonger». Mais, tout à coup, son chef arrive sans prévenir et lui dit : «Tiens-toi droit !» tout en redressant son siège1.

 L’astronaute est très surpris, mais toujours aussi fatigué. Alors dès que le chef s’est éloigné, l’astronaute dit «Je vais tricher un peu et basculer le siège. Oh que je suis bien !». Cet instant n’est que de courte durée car son chef revient et se fâche en pliant le siège d’un coup sec : «Aïe, ça fait mal !». L’astronaute, qui est très souple, se laisse ensuite tomber sur ses jambes en soupirant : «C’est trop nul…On ne peut même pas se reposer et maintenant je dois renifler mes pieds».

Figure 1. Mimes des situations avec le buste et les membres inférieurs (angle obtus / angle plat).

Je répète cette histoire une seconde fois en insistant sur les moyens mnémotechniques, sur les angles «ressentis» par le corps des élèves et sur la nature des angles que je rajoute dans cette seconde version.

Afin d’assimiler ce nouveau vocabulaire, les élèves vont faire une partie de «Jacques a dit…» des angles. Suivant les élèves, cette phase de la séance peut se faire :

  • toujours en mimant avec son corps pour ceux qui ont encore du mal à s’approprier les notions ;

  • avec des figurines amovibles, type Playmobil®, pour passer d’un ressenti corporel à une perception visuelle ;

  • ou encore à l’aide de deux bandes de papier (sur lesquelles on peut dessiner un visage de profil et des pieds) afin de favoriser le passage de la 3D à la 2D.

Figure 2. Bandes de papier représentant le mouvement de la personne (angle aigu / angle droit).

Le fait de se détacher petit à petit de l’histoire et de la représentation de l’astronaute permet d’amener progressivement les élèves aux représentations mathématiques.

La séance se termine par un bilan durant lequel les élèves sont amenés à restituer les connaissances apprises lors de la séance (vocabulaire et représentation des angles), ainsi qu’à rappeler comment on peut les reconnaître et pourquoi leur apprentissage pourra leur servir dans leur scolarité mais aussi dans leur vie de tous les jours. Une affiche est réalisée (tous ensemble, ou par un élève si le rythme de travail est trop différent) et servira d’aide-mémoire.

Figure 3. Aide-mémoire affiché dans la salle.

Ces temps d’explicitation s’avèrent indispensables lors de séances comme celle-ci où l’habillage de l’exercice, servant à rendre l’apprentissage plus motivant et concret, pourrait porter à confusion sur la finalité des enjeux des savoirs. Ici, il faut que les élèves sortent du cours en sachant qu’ils ont appris les différentes natures d’angles et non pas qu’ils ont joué aux astronautes !

Séance 2 (et 2 bis si besoin) (45 min chacune) : identifier la nature des angles

Je propose aux élèves de construire une leçon à manipuler qui leur permettra à la fois d’être plus motivés à apprendre mais aussi plus autonomes lors de l’apprentissage à la maison grâce à son côté «question/réponse». Les élèves découpent toutes les parties de la leçon et nous cherchons ensemble dans un ordre précis les étiquettes correspondantes. Cela permet de mettre en lumière tout ce qu’il est nécessaire de savoir et de savoir faire pour réussir les exercices proposés plus tard dans le dispositif, mais surtout en classe de référence. C’est aussi le moment où beaucoup de questions d’élèves peuvent survenir et durant lequel j’en profite pour évaluer le niveau de compréhension de chacun. Cette observation me permet de définir si nous devons visionner en plus une capsule vidéo de la leçon ou si nous pouvons passer directement aux exercices.

Figure 4. Leçon à manipuler.

On passe aux exercices : je demande dans un premier temps aux élèves de classer selon leur nature des représentations d’angles découpées et de les coller dans un tableau (pratique guidée), puis dans un second temps de colorier d’autres angles selon une légende (pratique autonome). Je fais ce choix car le temps du découpage et du collage permet aux jeunes de se reposer. Nous venons tout juste de travailler sur la trace écrite, donc ils viennent d’utiliser presque tout leur stock d’attention sur cette tâche. Relâcher la pression cinq minutes le temps de tout découper les rend de nouveau disponibles pour les exercices. En effet, durant ce découpage, ceux qui le souhaitent peuvent bavarder et ceux qui ont encore des questions les posent. Par ailleurs, je constate souvent de l’entraide entre ceux qui ont des troubles de motricité fine et ceux qui n’en ont pas. C’est toujours valorisant pour mes jeunes qui cognitivement ne sont presque jamais tuteurs et qui n’ont pas de trouble en motricité de pouvoir aider sur ces temps un peu plus «informels».

Lors de la pratique guidée, je mets un «haut-parleur» sur ma «pensée d’expert» : j’explicite la tâche et les stratégies à adopter sur un ou deux angles. La majorité des élèves réussit l’exercice. Ils sont alors invités à reproduire la technique en explicitant bien toute la procédure (j’étaye de questions tout au long du travail). Le but est de créer beaucoup d’échanges entre élèves pour créer un conflit socio-cognitif afin qu’ils prennent conscience de leur pensée (ce qu’ils ont compris), de la comparer à celle des autres pour permettre une reconsidération de leurs connaissances en simultané et pour construire ou reconstruire le savoir. De mon côté, je pose beaucoup de questions et donne beaucoup de feedbacks. Évidemment, lors de cette pratique, j’observe et évalue les élèves (démarches, savoirs erronés) et repère donc ceux qui auront vraisemblablement besoin d’étayage lors de la pratique autonome.

Lors de la pratique autonome, c’est à l’élève de parfaire sa technique en autonomie. De mon côté, je peux évaluer plus finement la compréhension et je peux rétroagir si jamais l’un d’entre eux a besoin de pratiques guidées supplémentaires ou d’entrer dans l’apprentissage de manière différenciée (en proposant, par exemple, plus de manipulations). Cette pratique autonome est une phase d’entraînement qui permet de consolider les réussites afin d’améliorer l’automatisation et l’organisation dans la mémoire à long terme.

Une seconde séance peut être nécessaire, selon le temps passé à la «rédaction» de la trace écrite, le nombre de questions posées au cours de celle-ci, le niveau de compréhension, etc. Mais n’oublions pas, les élèves continueront à travailler aussi cette notion dans leur classe de référence !

Séance 3 (et 3 bis si besoin) (45 min chacune) : mesurer les angles

Cette séance peut être proposée juste après le travail d’identification de la nature des angles ou plus tard dans l’année tant qu’elle est faite avant le travail sur la mesure et la construction d’angle en classe de référence. L’objectif est de travailler avec certains élèves (ceux qui sont prêts pour cet apprentissage) l’utilisation du rapporteur pour mesurer un angle, sans pour autant m’y tenir de bout en bout.

Après le rituel de début de séance (explicitation des objectifs, des compétences en jeu et de leurs intérêts), les élèves vont devoir, en groupes, coder les angles droits et les angles égaux, donner leur nature et pour certains les mesurer. Selon leur niveau, les élèves réalisent ce dont ils sont capables et ont des missions différentes.

Lors de mon expérimentation :

  • un élève devait dans un premier temps uniquement chercher les angles droits et les indiquer sur sa feuille. Il devait ensuite me dire à l’oral si les autres étaient plus petits ou plus grands qu’un angle droit. Enfin, avec la leçon sous les yeux, il devait indiquer leur nature sur sa feuille ;

  • deux élèves devaient simplement identifier la nature des angles et l’indiquer sur leur feuille ;

  • les cinq autres devaient mesurer les angles identifiés par les autres élèves (ou d’autres angles) et confirmer ou infirmer la nature donnée précédemment.

Évidemment les groupes ne sont pas figés, l’enseignant peut demander à un élève de faire plus ou moins s’il juge que l’élève n’est pas dans sa ZPD2.

Avec certains élèves, on en est resté à l’identification de la nature des angles (on continuera à s’entraîner) et, en classe de référence, ils n’ont participé qu’au début de la séquence3.

Avec les autres élèves, on s’est questionné sur comment mesurer un angle à l’aide du rapporteur.

À partir du modèle proposé, chaque élève a été invité à faire et à expliciter sa propre procédure, ou celle d’un camarade en se mettant d’accord entre eux sur la démarche à suivre (pratique guidée). Puis je les ai laissés mesurer des angles en pratique autonome durant laquelle je les ai questionnés pour évaluer leur niveau de compréhension individuel et de maîtrise de la démarche.

Figure 5. Mesure d’un angle à l’aide du rapporteur.

Pour conclure

C’est ainsi que je mets en œuvre une séquence sur les angles pour accompagner le professeur de mathématiques en classe de référence. On voit que le dispositif permet de rendre les temps d’apprentissage plus flexibles afin de permettre aux élèves à besoins éducatifs particuliers d’acquérir à leur rythme ces nouvelles notions

Bibliographie

  1. C. Gauthier, S. Bissonnette, M. Richard, « L’enseignement explicite ». in : Enseigner. Sous la dir. de G. Chapelle et V. Dupriez. . Paris : PUF 2007, p. 107‑116.

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Claire Chantreuil est enseignante du premier degré dans l’académie d’Orléans-Tours. Titulaire du CAPPEI (Certificat d’Aptitude Professionnelle aux Pratiques de l’Éducation Inclusive), elle est actuellement coordonnatrice dans une ULIS-collège en REP.


  1. Lorsque, dans la navette spatiale, le siège est redressé, le buste et les jambes (au sens « membres inférieurs ») de l’astronaute sont perpendiculaires !

  2. ZPD : Zone Proximale de Développement .

  3. Dans l’enseignement spécialisé, on a ce qu’on appelle la PAOA (Programmation Adaptée des Objectifs d’Apprentissage) qui est un genre de dérogation à la mise en œuvre de la totalité des programmes scolaires ; ce qui permet de mettre en place un programme adapté au jeune et de viser toujours le progrès sans se mettre de pression.

Pour citer cet article : Chantreuil C., « Une séquence sur les angles en ULIS-collège », in APMEP Au fil des maths. N° 546. 12 mai 2023, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/une-sequence-sur-les-angles-en-ulis-college/.

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