Zelliges pythagoriciens
Se réconcilier, voire s’émerveiller de nouveau avec les tables de multiplication de notre enfance souvent rébarbatives et pour certains difficiles à retenir, c’est possible en changeant de point de vue. La géométrie permet cette jolie gageure au sein d’une table de Pythagore…
Sébastien Reb
© APMEP Décembre 2022
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Les zelliges, alliance de l’art et des mathématiques ?
Un zellige est constitué d’un carreau de faïence en terre cuite et permet la réalisation de mosaïques, de pavages dans l’art maghrébin (Maroc, Algérie, Tunisie,…) en les assemblant de manière géométrique et symétrique. Les plus illustres ornements de zelliges se situent à Fès sur les mosquées Karaouiyine (IXe siècle, où siège l’actuelle université musulmane de Fès) et celles des Andalous (XIe siècle).
Celles de l’Alhambra à Grenade (XIVe siècle) en sont un héritage direct. De nos jours, les zelliges sont utilisés à d’autres fins, comme élément de décoration intérieure, dans de nombreux logos publicitaires, dans la vaisselle et le mobilier d’habitat. Ces motifs arabo-andalous peuvent se construire entre autres à partir d’une base triangulaire, carrée ou en forme de polygones réguliers et suivant un protocole géométrique précis. De nombreux exemples sont consultables sur internet :
- l’APMEP de Lorraine dans son numéro 139 du Petit Vert : ;
- l’APMEP d’Île-de-France dans Chantiers pédagogiques : ;
- l’académie de Bordeaux durant la semaine des maths «maths en forme» : .
Au collège, la construction de zelliges met en évidence certains éléments du programme comme les transformations géométriques au cycle 4. En effet, le zellige est un motif de base qui, s’associant à d’autres zelliges, forme ainsi un pavage du plan. La translation, la rotation, la symétrie de tels motifs engendrent in extenso, des mosaïques magnifiques. Le changement de contexte, à travers de telles constructions géométriques est un fixateur indéniable de la concentration, de la motivation chez les élèves. Prendre un autre point de vue accroît le sens donné aux mathématiques à travers l’art. Comment construire de tels zelliges ?
Les zelliges pythagoriciens, des tables artistiques ?
Les tables de multiplication, édifices essentiels au calcul mental automatisé et réfléchi, sont très souvent rassemblées dès le primaire dans une table dite de Pythagore, tableau carré à double entrée. Cette table peut servir de base géométrique pour construire de futurs zelliges grâce au procédé suivant :
Le produit \(np\) est calculé à l’intersection de la ligne \(n\) et de la colonne \(p\). On effectue ensuite la somme des chiffres qui composent ce produit jusqu’à obtenir un seul chiffre entre \(1\) et \(9\). Par exemple : \(6\times8=48\) puis \(4+8=12\) et enfin \(1+2=3\). À l’intersection de la ligne \(6\) et de la colonne \(8\), on écrit le chiffre \(3\). La table de Pythagore se trouve ainsi transformée en un tableau contenant uniquement les chiffres de \(1\) à \(9\) (on peut très facilement démontrer qu’obtenir \(0\) est impossible). Chaque zellige est alors construit en reliant tous les chiffres identiques dans la table. Pour le premier zellige, on relie tous les chiffres \(1\) (le centre des cases représentant le point à relier). Pour le deuxième, on relie tous les chiffres \(2\), pour le troisième tous les chiffres \(3\), etc. Une exception cependant pour le chiffre \(9\), on omet les chiffres \(9\) sur le contour à droite et en bas et on ne relie que ceux du centre de la table afin d’obtenir un carré.
La symétrie de la table de Pythagore suivant sa diagonale induit directement un axe de symétrie à chaque zellige au minimum. Les zelliges 5, 7 et 8 s’obtiennent par rotation de \(90°\) dans le sens des aiguilles d’une montre (sens rétrograde en trigonométrie) à partir respectivement des zelliges 4, 2 et 1. Les zelliges 3 et 6 pourraient suivre ce même schéma mais il a été choisi une autre construction de sorte que le zellige 6 s’imbrique dans le zellige 3 afin de réaliser plus aisément des mosaïques. Un atelier en fin de cycle 3 ou début de cycle 4, peut s’inscrire facilement dans une progression annuelle au collège, alternant phase de calcul, construction géométrique, assemblage et réalisation de frises, de pavages.
Dans un premier temps, la création d’automatismes en calcul mental permet d’anticiper ce type d’activités. La construction de zelliges ci-dessus permettra alors une réactivation des tables de multiplication dans un autre contexte. Les objectifs pédagogiques peuvent varier suivant le niveau, la place dans la progression. Par exemple, en Sixième, ce travail, qui peut être effectué en îlot (un ou deux zelliges par îlot), peut introduire la notion de symétrie axiale en reliant la symétrie de la table pythagoricienne à celle des zelliges ainsi formés.
Autre piste pédagogique, celle de la pédagogie de projet : cette activité peut avoir comme but de favoriser le travail collaboratif, la créativité au sein d’une classe en réalisant une mosaïque décorative dans le collège. Des prolongements sont réalisables avec des calculs de périmètres, d’aires ou d’autres procédés de construction.
Un prolongement possible ?
Ce procédé, cet algorithme de construction de zelliges, se prolonge naturellement avec la notion de matrice carrée (notion enseignée en option mathématiques expertes en Terminale générale au lycée : ). La table de Pythagore est alors associée à une matrice carrée \(9\times9\), c’est-à-dire un tableau de nombres avec \(9\) lignes et \(9\) colonnes.
On peut ainsi créer une fonction \(Z_0\) (\(Z\) pour zellige) qui à une matrice issue de la table de Pythagore associe une unique matrice permettant la construction de zelliges.
\[Z_0 :\begin{pmatrix}1&2&3&4&5&6&7&8&9\\ 2&4&6&8&10&12&14&16&18\\ 3&6&9&12&15&18&21&24&27\\ 4&8&12&16&20&24&28&32&36\\ 5&10&15&20&25&30&35&40&45\\ 6&12&18&24&30&36&42&48&54\\ 7&14&21&28&35&42&49&56&63\\ 8&16&24&32&40&48&56&64&72\\ 9&18&27&36&45&54&63&72&81 \end{pmatrix}
\longrightarrow \begin{pmatrix} 1&2&3&4&5&6&7&8&9\\ 2&4&6&8&1&3&5&7&9\\ 3&6&9&3&6&9&3&6&9\\ 4&8&3&7&2&6&1&5&9\\ 5&1&6&2&7&3&8&4&9\\ 6&3&9&6&3&9&6&3&9\\ 7&5&3&1&8&6&4&2&9\\ 8&7&6&5&4&3&2&1&9\\ 9&9&9&9&9&9&9&9&9
\end{pmatrix}\]
D’autres fonctions de ce type peuvent être définies, par exemple :
- on considère la fonction \(Z_1\) qui à la matrice pythagoricienne associe sa matrice en écriture binaire :
\[Z_1 :\begin{pmatrix}1&2&3&4&5&6&7&8&9\\ 2&4&6&8&10&12&14&16&18\\ 3&6&9&12&15&18&21&24&27\\ 4&8&12&16&20&24&28&32&36\\ 5&10&15&20&25&30&35&40&45\\ 6&12&18&24&30&36&42&48&54\\ 7&14&21&28&35&42&49&56&63\\ 8&16&24&32&40&48&56&64&72\\ 9&18&27&36&45&54&63&72&81 \end{pmatrix}
\longrightarrow \begin{pmatrix} 1&0&1&0&1&0&1&0&1\\ 0&0&0&0&0&0&0&0&0\\ 1&0&1&0&1&0&1&0&1\\ 0&0&0&0&0&0&0&0&0\\ 1&0&1&0&1&0&1&0&1\\ 0&0&0&0&0&0&0&0&0\\ 1&0&1&0&1&0&1&0&1\\ 0&0&0&0&0&0&0&0&0\\ 1&0&1&0&1&0&1&0&1 \end{pmatrix}\]On pourrait obtenir deux zelliges mais peu convaincants dans ce cas.
- prenons la fonction \(Z_2\) qui associe la matrice pythagoricienne à celle obtenue en effectuant le produit des chiffres qui composent la table :
\[Z_2 :\begin{pmatrix}1&2&3&4&5&6&7&8&9\\ 2&4&6&8&10&12&14&16&18\\ 3&6&9&12&15&18&21&24&27\\ 4&8&12&16&20&24&28&32&36\\ 5&10&15&20&25&30&35&40&45\\ 6&12&18&24&30&36&42&48&54\\ 7&14&21&28&35&42&49&56&63\\ 8&16&24&32&40&48&56&64&72\\ 9&18&27&36&45&54&63&72&81 \end{pmatrix}
\longrightarrow \begin{pmatrix} 1&2&3&4&5&6&7&8&9\\ 2&4&6&8&0&2&4&6&8\\ 3&6&9&2&5&8&2&8&4\\ 4&8&2&6&0&8&6&6&8\\ 5&0&5&0&0&0&5&0&0\\ 6&2&8&8&0&8&8&6&0\\ 7&4&2&6&5&8&8&6&0\\ 8&6&8&6&0&6&0&8&4\\ 9&8&4&8&0&0&8&4&8 \end{pmatrix}\]De nouveaux zelliges comme le \(4\) apparaissent dans cette fonction.
À partir d’une transformation de la matrice pythagoricienne sont créées de nouvelles formes géométriques qu’il reste à étudier lors de recherches plus poussées dans ce domaine et qui ouvrent donc de nouveaux horizons propices aux découvertes fascinantes, frontière entre les nombres et la géométrie.
Cette construction originale de zelliges dévoile ainsi une face cachée de nos tables de multiplication comme celle proposée par Mickaël Launay sur sa chaîne Micmaths
dans un cercle. Ces représentations artistiques témoignent de la richesse de concepts basiques comme les tables de multiplication et peuvent nous réconcilier voire nous émerveiller avec ces dernières : des mathématiques contemplatives, attractives, inspirantes et concrètes au service des apprentissages fondamentaux. Des mathématiques à découvrir et partager sans limite…
Crédits images :
Toutes les images sauf la figure 2 : Aline Morel professeure de mathématiques à Cosne-sur-Loire (autorisation de reproduction et de partage sans modification).
Figure 2 : Wikipédia
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Sébastien Reb est professeur de mathématiques au collège Pierre Larousse de Toucy, coordinateur du laboratoire de mathématiques inter-degré de Puisaye-Forterre et rédacteur en chef de la revue pédagogique inter-degré Médiane .
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