Labos de maths : un projet d’équipe

Difficile de parler de travail en équipe sans penser aux tout nouveaux laboratoires de mathématiques qui se mettent en place dans les établissements scolaires du second degré. Mathieu Vaidie, chargé de leur développement dans l’académie d’Orléans-Tours, y voit l’opportunité d’un travail collaboratif entre enseignants… pour que vivent les mathématiques !

Mathieu Vaidie

© APMEP Décembre 2019

⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅

Des laboratoires de mathématiques dans des établissements scolaires ? L’idée est relativement ancienne et a été imaginée il y a plus d’un siècle par Émile Borel qui y voyait un bon moyen « d’amener non seulement les élèves, mais aussi les professeurs, mais surtout l’esprit public à une notion plus exacte de ce que sont les mathématiques et du rôle qu’elles jouent réellement dans la vie moderne » 1. Cette noble et ambitieuse intention a été défendue par d’autres illustres mathématiciens dont la didacticienne Emma Castelnuovo dans les années 1960-1970 et l’académicien Jean-Pierre Kahane dans les années 2000 avant d’apparaître dans le récent rapport Villani-Torossian 2 comme l’une des 21 mesures préconisées pour rendre plus efficace l’enseignement des mathématiques en France et améliorer l’image des mathématiques dans la société. Les auteurs de ce rapport recommandent de penser les laboratoires de mathématiques tout particulièrement comme des lieux aménagés dans des établissements scolaires volontaires où les enseignants pourraient travailler et se former en équipe. À quoi peut ressembler une telle structure et quelles conditions favorables apporte-t-elle aux enseignants ?

Figure 1. Émile Borel.
Figure 2 : Emma Castelnuovo.

Des initiatives pour populariser les mathématiques et des travaux de recherche sur l’enseignement des mathématiques sont développés en France 3 mais il faut reconnaître que toutes les conditions n’ont pas été offertes aux enseignants pour se les approprier et les faire vivre collectivement dans le cadre scolaire :

  1. Les professeurs volontaires qui mettent en œuvre des expérimentations dans leurs classes ou participent à des projets périscolaires sont généralement isolés parce que leur implication s’effectue bien trop souvent sur des heures non rémunérées en dehors de leurs heures de travail et que l’expérience acquise, l’énergie déployée et le temps passé ne sont pas assez reconnus. Si les enseignants ne font pas eux-mêmes une demande de rémunération de leurs actions auprès de leur chef d’établissement (pour le second degré), il y a une tendance tenace dans l’Éducation Nationale à confondre volontariat et bénévolat . À terme, cela peut entamer parfois l’enthousiasme de ces collègues dont le travail mérite d’être davantage soutenu et institué. Par ailleurs, les productions originales réalisées en mathématiques avec les élèves sont trop rarement communiquées et partagées, à commencer par un affichage souvent absent d’illustrations de ces productions ou de l’actualité mathématique à l’intérieur des établissements scolaires.

  2. Il est rare d’observer un aménagement des emplois du temps d’une équipe pédagogique qui réserve un créneau hebdomadaire commun sur l’année scolaire pour permettre aux enseignants d’organiser un véritable travail d’équipe. Ce travail est alors généralement réduit à des concertations ponctuelles et informelles, improvisées sur des pauses méridiennes ou en fin de journée, dont les sujets abordés entrent rarement en profondeur dans les contenus disciplinaires et didactiques. Il semble difficile dans ces conditions de répondre pleinement aux attentes institutionnelles pourtant fortes sur le travail collectif des enseignants. Coopérer au sein d’une équipe et s’engager dans une démarche collective de développement professionnel sont en effet deux des compétences communes à tous les professeurs et les personnels de l’éducation nationale. La concertation (organisation de l’année scolaire avec progressions communes par exemple), la collaboration des enseignants (répartition des tâches dans la préparation d’une séance ou d’une évaluation par exemple), la coopération (co-animation4 de séances, visites de collègues dans les classes par exemple), la co-formation (organisation d’une formation entre pairs par exemple) demandent du temps et méritent d’être reconnues et accompagnées.

  3. La formation continue des enseignants pose problème. Celle-ci est d’abord très restreinte par manque de moyens et ne permet pas à tous les enseignants, quand bien même ils seraient tous volontaires, de se former convenablement. Il y a de plus de quoi s’interroger quant à son organisation : l’essentiel de la formation continue proposée passe par une inscription individuelle des enseignants au plan académique de formation : il s’agit donc d’une démarche personnelle de la part des enseignants et les apports, quand bien même ils seraient toujours estimés satisfaisants par les participants, ne sont pas souvent partagés et discutés en profondeur avec les autres collègues de l’établissement ou du bassin d’établissements, plus par manque de temps que par refus de partager. Ensuite, les formations se déroulent sur des temps de cours, ce qui peut mettre des enseignants en difficulté devant le dilemme consistant à choisir entre participer à la formation organisée et assurer leurs cours : de nombreuses heures sont déjà banalisées pour d’autres raisons et chaque enseignant est sujet à la pression de boucler les programmes. Pris dans la pratique du quotidien, les professeurs n’ont pas d’occasion dans l’année scolaire de prendre du recul sur leur exercice d’enseignant.

La création d’un laboratoire de mathématiques 5 dans l’établissement scolaire ou dans le bassin d’établissements scolaires peut mettre en place toutes les conditions évoquées ci-dessus. Il s’agit d’un lieu clairement identifié dans l’établissement scolaire où chaque membre de la communauté scolaire sait qu’il y trouvera des mathématiques en action, par un affichage des productions qui y sont réalisées, et par la possibilité d’assister à quelques activités périscolaires (club, concours, conférences, projection de films, défis, etc.) à l’initiative des enseignants et avec le recours à des partenaires extérieurs (associations, centres culturels, instituts). Le laboratoire de mathématiques peut être ouvert à tout public à l’occasion d’événements nationaux (Fête de la Science et Semaine des Mathématiques, par exemple) ou dans le cadre d’un événement local organisé en synergie avec la ville de établissement scolaire dans lequel il est implanté. L’ouverture du laboratoire de mathématiques est un élément central : ce lieu ne doit pas être perçu comme une salle des professeurs bis à l’usage des seuls enseignants de mathématiques ! Ouvert sur les autres disciplines, des formations locales entre pairs peuvent y être organisées qui ne se limitent pas uniquement aux professeurs de mathématiques, sur des thèmes mathématiques ou en interaction avec les mathématiques, choisis par les enseignants eux-mêmes. Des experts (formateurs académiques, chercheurs) y sont invités pour animer des formations sur des sujets spécifiques émanant des attentes exprimées collectivement par les enseignants. La mise en œuvre du plan Villani-Torossian a permis de financer l’intervention d’universitaires dans les laboratoires de mathématiques émergents, et ceci dans le cadre de la formation continue des enseignants. L’année scolaire 2019-2020, déclarée Année des Mathématiques, est une excellente occasion de poursuivre cet effort sur la formation continue en renforçant les interactions entre enseignants du supérieur, enseignants du secondaire et enseignants du primaire. Les intervenants extérieurs animant des formations dans ces laboratoires, peuvent proposer des contenus à des niveaux variés ne se limitant pas exclusivement aux niveaux d’enseignement des professeurs participants. Les enseignants intéressés du bassin d’établissements dans lequel est implanté le laboratoire ont ainsi l’opportunité de compléter ou d’actualiser leurs connaissances et d’assurer ainsi plus aisément une veille scientifique. La présence d’enseignants provenant des différents établissements scolaires d’un bassin est par ailleurs l’occasion de réactiver ou de renforcer les liaisons de cycles. Ces moments privilégiés de formation auxquels participent les enseignants, donnent lieu à l’édition d’ordres de mission et sont donc institutionnalisés.

La mise en place et le fonctionnement du laboratoire de mathématiques reposent sur un certain nombre de caractéristiques 6 qui doivent être pensées en amont de la création du laboratoire et dont plusieurs dépendent du soutien et de la détermination du chef d’établissement. Ce dernier inscrit les objectifs du laboratoire dans le projet d’établissement sur proposition des enseignants, officialise le laboratoire de mathématiques lors d’un Conseil d’Administration, le dote d’une salle identifiée (mais par forcément dédiée uniquement aux activités du laboratoire) et en permet l’équipement (outils numériques, revues et livres, tableaux/écrans d’affichage, matériel de bureau, matériel de constructions, dispositifs expérimentaux) dont l’usage a été réfléchi collectivement par les enseignants. Le chef d’établissement veille de plus à proposer au moins un créneau hebdomadaire réservé au travail collectif des enseignants.

La planification du travail collectif, le recensement des attentes de formation des collègues, l’écriture d’ordres du jour et de comptes rendus des réunions d’équipe, les contacts avec les intervenants extérieurs invités au laboratoire, le suivi des projets fédérés par le laboratoire en lien étroit avec les différents acteurs de la communauté scolaire (CDI, Vie scolaire, Intendance, Administration), l’animation des temps d’échanges et de formations sont assurés par un (ou plusieurs) référent(s) du laboratoire choisi(s) collectivement parmi les professeurs impliqués. Il est nécessaire qu’une IMP (indemnité pour mission particulière) soit accordée pour la mission de référent de laboratoire de mathématiques 7. Il est judicieux que les laboratoires de mathématiques mutualisent leurs productions et leurs expériences en organisant (au moins au niveau académique) un espace numérique de partage et des temps d’échanges entre référents des laboratoires.

Enfin, le fonctionnement du laboratoire de mathématiques est d’autant plus assuré qu’il existe déjà des habitudes de travail collectif parmi les enseignants. En effet, le travail d’équipe ne se décrète pas et l’instituer de force ne le rendrait certainement pas efficace. En revanche, instituer un travail collectif déjà existant des enseignants par la création d’un laboratoire de mathématiques offrira des conditions favorables pour le renforcer.

⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅

Mathieu Vaidie, professeur de mathématiques au lycée polyvalent Balzac-d’Alembert à Issoudun, est référent du laboratoire de mathématiques d’Issoudun (implanté depuis la rentrée 2014) et chargé de mission pour la mise en place et l’accompagnement des laboratoires de mathématiques dans l’académie d’Orléans-Tours.


  1. L’intégralité du discours d’Émile Borel (prononcé lors d’un cycle de conférences au Musée Pédagogique à Paris en mars 1904) dont est extrait ce passage est retranscrit dans le numéro 93 de la Gazette des mathématiciens téléchargeable ici :  .

  2. L’intégralité du rapport Villani-Torossian remis et communiqué en février 2018 peut être téléchargé ici : .

  3. En ligne, on pourra consulter sans modération le site Images du CNRS , le florilège des mathématiques , Animath , Culturemath et le site des IREM (la liste n’est bien sûr pas exhaustive).

  4. Le travail collectif des enseignants a fait l’objet d’un dossier de veille de l’IFÉ, rédigé par Anne-Françoise Gibert : Dossier de veille de l’IFÉ, n ° 124, avril 2019. Le dossier en question peut être téléchargé ici :

  5. Une vidéo de quelques minutes et une petite plaquette présentent ce qu’est un laboratoire de mathématiques dans un établissement scolaire ici : . Les documents qui sont proposés sur cette page sont le fruit d’un travail d’une équipe de l’académie Orléans-Tours en partenariat avec la DANE et la CARDIE : Mohamed Bouchareb (IEN-ET Mathématiques-Sciences Physiques), Bruno Cailhol (IA-IPR Mathématiques), Gaëlle Papineau (chargée de mission) et l’auteur de cet article que vous êtes très gentiment en train de lire.

  6. Un cahier des charges créé dans l’académie Orléans-Tours et regroupant ces caractéristiques est disponible ici : . Ce document figure également dans le vade-mecum national des laboratoires de mathématiques qui peut être téléchargé ici ou là .

  7. Dans l’académie Orléans-Tours, l’équivalent d’une IMP académique taux 3 annualisée a été attribuée pour la mission de référent dans chacun des dix laboratoires de mathématiques créés. La rémunération des référents de laboratoires semble varier d’une académie à une autre.

Pour citer cet article : Vaidie M., « Labos de maths : un projet d’équipe », in APMEP Au fil des maths. N° 534. 7 mars 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/labos-de-maths-un-projet-dequipe/.