Le rapport Torossian-Villani : un rendez-vous
à ne pas manquer
Alice Ernoult, présidente de l’APMEP, a été membre de la commission Torossian-Villani. Elle souhaite dans ce texte défendre le travail de la commission et prolonger la réflexion sur les 21 mesures du rapport final.
Alice Ernoult
© APMEP Septembre 2018
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Juste avant les Journées Nationales de Nantes, il y a presque un an, Jean-Michel Blanquer annonçait dans les médias qu’il confiait à Charles Torossian, inspecteur général, et Cédric Villani, député, une mission sur l’enseignement des mathématiques. Cette mission fut au cœur des discussions menées par le bureau de l’APMEP tout au long des Journées : il nous paraissait essentiel que l’APMEP, mais aussi toutes les associations avec lesquelles nous travaillons habituellement (au sein de la CFEM et au-delà), soient associées à la réflexion qui était sur le point d’être engagée. Lorsque j’ai reçu un message de C. Torossian et C. Villani le lendemain de la clôture des Journées m’invitant à faire partie de la mission, il m’a paru difficile de refuser. La décision n’a pourtant pas été si facile : à quel titre étais-je invitée ? Ou plutôt, à quel titre pourrais-je m’exprimer au sein de la mission ? Il m’était demandé la plus grande discrétion, au moins dans un premier temps : était-ce compatible avec mon engagement vis-à-vis des adhérents de l’APMEP ? Je me suis aussi posé des questions pour l’organisation pratique : comment m’assurer que la formation de mes étudiants ne pâtirait pas de mes absences ? Que mes collègues ne subiraient pas les conséquences de mon engagement personnel ? Après quelques longues conversations avec des proches, j’ai décidé d’accepter. Ce qui motive l’écriture de ce texte aujourd’hui est la réception du rapport « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques » , résultat du travail de la mission : les réactions ont été plutôt positives, mais certaines critiques ont aussi été formulées (y compris dans les publications de l’APMEP). Je ne souhaite pas répondre point par point à ces critiques, mais plutôt montrer que le rapport ne les balaie pas d’un revers de main, qu’il laisse la place à de nombreuses possibilités. Il serait très dommage que nous, enseignants, formateurs, chercheurs, ne saisissions pas cette occasion de donner plus de visibilité à ce que nous faisons déjà, de poursuivre des projets déjà initiés et d’en imaginer d’autres. Cela ne signifie pas que les limites du rapport doivent être ignorées, mais plutôt que nous devons tenter de les dépasser.
La méthode de travail souhaitée par C. Villani et C. Torossian avait pour but d’assurer des auditions larges, et la variété des domaines d’expertise des membres de la mission nous a permis d’avoir un regard global et plutôt structurel sur l’enseignement des mathématiques. Il est certain qu’une vingtaine de personnes ne pouvaient à elles seules représenter l’ensemble des professions du système éducatif, et encore moins l’ensemble des points de vue sur ce système. Nous ne pouvons pas non plus ignorer que chacun des membres de la mission était, d’une certaine manière, de parti pris : était-ce évitable ? Je ne le crois pas. Dès l’installation de la mission, il nous a été demandé de nous exprimer uniquement à titre personnel, librement, de respecter la parole de chacun et de ne pas diffuser en dehors du groupe de travail ce qui s’y dirait. Ces conditions ont permis une collaboration forte entre nous, un espace de travail a été alimenté en permanence par nos prises de notes et nos réflexions ainsi que par les contributions des organisations et personnes auditionnées et les messages reçus à l’adresse 1. Le rapport est donc réellement le fruit de trois mois de travail collectif ; certaines préconisations, certaines formulations, ont été l’objet de longues discussions : le but était de parvenir à des propositions qui puissent rassembler le plus largement possible afin qu’elles aient une chance de se concrétiser. Le principal dilemme dans la recherche de propositions qui « rassemblent » est de ne pas aboutir à des énoncés vides de contenu dans le seul but de satisfaire le plus grand nombre. Même si j’ai quelques inévitables regrets, il me semble que nous sommes parvenus à dépasser ce dilemme et, à la fois à titre personnel et comme présidente de l’APMEP, je retiens quelques points clés des « 21 mesures ».
La partie qui me tient la plus à cœur est celle qui concerne la formation continue et le développement professionnel des enseignants. Ce n’est pas la partie la plus citée, ni la plus commentée, et je le regrette. Lors des auditions, nous avons entendu de nombreux témoignages relatant la difficulté du travail en équipe des enseignants : celui-ci est trop souvent perçu comme une injonction de notre institution, sans aucune considération de la réalité de notre quotidien professionnel. D’un autre côté, nous, enseignants, vivons souvent mal la solitude dans l’exercice de notre métier : elle nous expose à des critiques très personnelles, cela est particulièrement vrai pour les professeurs des écoles dont les compétences sont très régulièrement remises en cause, mais pas seulement. Ne devrait-on pas faire porter la responsabilité davantage sur des équipes plutôt que sur des individus ? Ne pourrions-nous pas offrir des conditions plus favorables pour des échanges de connaissances et de compétences entre pairs ? Comment faire pour que le temps passé en formation soit suffisamment satisfaisant pour ne pas paraître seulement comme une contrainte, mais aussi comme une aide pour nos pratiques quotidiennes ? Les activités de l’APMEP et des IREM sont, de ce point de vue, très inspirantes : comment expliquer qu’alors que nous sommes nombreux à ne pas nous inscrire aux formations qui sont proposées par l’institution, nous consacrions autant de notre temps à travailler dans des groupes IREM ou à assister à des ateliers et des conférences lors des journées nationales ou régionales de l’APMEP ? Le fait de pouvoir choisir des sujets qui nous intéressent réellement, d’avoir la liberté de réfléchir sur des questions qui ne concernent pas exclusivement notre quotidien (et encore moins les changements de programmes successifs), mais aussi de ne pas sentir de jugement de la part de collègues, sont autant de facteurs qui rendent ces moments précieux. Transposer ces modes de fonctionnement pour la formation de tous les enseignants est une gageure, travailler au sein d’une équipe que l’on n’a pas choisie (au sein d’une école, d’une circonscription, d’un établissement) n’est pas la même chose que travailler dans un groupe ou une association de manière volontaire. Mais doit-on renoncer pour autant ? J’espère que non.
Parmi les nombreuses autres questions posées par le rapport, celle des méthodes d’enseignement à l’école primaire a fait grand bruit. La « méthode de Singapour » a souvent été au cœur des commentaires, il faut dire que le Ministre s’était largement exprimé sur la question avant même l’annonce de la mission. Je ne reviendrai pas ici sur le fond du débat : non que je ne le trouve pas légitime, mais plutôt qu’il mérite plus que quelques lignes. En revanche, une question corollaire se pose : pourquoi ne sommes-nous pas parvenus à nous appuyer sur des travaux de recherche en didactique pour aborder la question des méthodes d’enseignement ? Un premier élément de réponse est peut-être que la recherche en didactique n’a pas pour but de préconiser une méthode, mais, pour aller plus loin dans la réflexion, je reprendrai à mon compte l’analyse très intéressante qu’a publiée Nicolas Balacheff sur son blog2 : la recherche française en didactique est très active et reconnue, c’est donc sa diffusion auprès des enseignants qu’il faudrait peut-être repenser.
Ces quelques lignes ne sauraient rendre compte de trois mois de travail et encore moins de l’ensemble du rapport. La mise en œuvre des mesures soulèvera inévitablement de nouvelles questions (pilotage, financement, évaluation,…). J’ai la faiblesse de penser que les « 21 mesures » rendent compte de certains consensus, et je pense que les points les plus polémiques ne sont pas tranchés dans le rapport. À l’APMEP nous poursuivons la réflexion et le débat sur ces points, ils seront d’ailleurs pour certains au programme des « questions d’actualité » lors des Journées Nationales de Bordeaux.
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Alice Ernoult enseigne en classes préparatoires au lycée François Ier, au Havre. Investie dans l’APMEP depuis plusieurs années, elle est présidente de notre association depuis 2017.
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Cette adresse est toujours active, vous pouvez continuer d’y envoyer des contributions. ↩
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« Quelques réflexions à propos du rapport Villani-Torossian » (publié le 19 février 2018). ↩