Les positions de l’APMEP

Depuis des mois, pas une semaine sans que les médias ne parlent de l’enseignement des mathématiques : annonces diverses et nouvelles recommandations du ministère, niveau des élèves, place des mathématiques au lycée, etc.
Claire Piolti-Lamorthe, présidente de notre association depuis juin 2022, fait le point sur les positions de l’APMEP 1.

Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’APMEP

© APMEP Mars 2023

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Alice Ernoult, présidente de l’APMEP de 2017 à 2019, avait pris ses fonctions en même temps que le précédent ministre de l’Éducation nationale. Cinq ans après, quand j’ai pris les miennes, elle m’a donné le conseil suivant : « Écoute les interventions du nouveau ministre durant l’été et tu sauras tout ce qui fera son mandat et le tien ».

Les annonces ont en effet été nombreuses et, tant lors des Journées Nationales de l’APMEP à Jonzac que lors des réunions de bureau ou de comité, elles ont fait l’objet de nombreux débats. Une demi-année après la rentrée, face à tous les chantiers annoncés, il nous a donc semblé nécessaire de faire un point sur les positions de l’APMEP, de la maternelle à l’université.

Maths à l’école

À l’école maternelle…

La note de service du 10 janvier 2023 « Une nouvelle dynamique pour les mathématiques » [1] rappelle l’importance des premiers apprentissages mathématiques (qui se déclinent en quatre modalités : le jeu, la résolution de problèmes, l’entraînement et la mémorisation) et propose de renforcer la formation continue pour engager des modifications de pratiques. Nous souscrivons à cela, cependant l’annonce d’un \(n\)-ième guide à venir ainsi que les références aux évaluations nationales de CP adossées aux compétences acquises en maternelle nous rappellent les velléités du ministère de normer notre enseignement sans tenir compte de notre regard sur les élèves et des chemins que nous empruntons pour les faire progresser à leur rythme.

À l’école élémentaire

Plusieurs annonces se sont aussi succédées dernièrement pour l’école élémentaire.

Des évaluations nationales auront lieu en CM1 désormais. Ces évaluations « donneront aux professeurs des repères pédagogiques afin d’éviter que les difficultés ne s’installent » [2]. Nous n’avons pas besoin de ces épreuves stressantes pour les élèves pour déterminer leurs besoins. Notre expertise, notre observation fine au sein de la classe, nos échanges avec nos collègues au sein de l’école nous permettent de les repérer. Ce qui nous manque plutôt, c’est le temps à consacrer à chaque élève en fonction de ses besoins tant les classes sont chargées.

Le ministre annonce aussi l’envoi de recommandations pédagogiques, en particulier pour promouvoir le calcul mental. Bien entendu, le calcul est une composante très importante de l’apprentissage mathématique des élèves, et les automatismes leur permettent de mieux s’engager dans la résolution de problèmes et de prendre confiance et de progresser. Cependant, les mathématiques ne se limitent pas au calcul mental. Et si la note de service du 10 janvier 2023 « Savoirs fondamentaux » [3] évoque la résolution de problèmes, la phrase « L’objectif premier n’est pas de faire découvrir une multitude de procédures originales aux élèves, mais au contraire de leur permettre de développer une maîtrise solide de procédures robustes et d’outils efficaces pour résoudre des problèmes et de savoir reconnaître les situations où ces procédures s’appliquent. » semble indiquer qu’il faudrait enseigner des méthodes-types… L’APMEP rappelle son attachement à la résolution de problèmes (par ailleurs préconisée l’an dernier dans le guide éponyme au cycle 3 [4]) telle qu’elle s’exprime dans une note de service de 2018 [5] : « La résolution de problèmes, au centre de l’activité mathématique, engage les élèves à chercher, émettre des hypothèses, élaborer des stratégies, confronter des idées pour trouver un résultat. Qu’elle soit proposée individuellement ou collectivement en invitant les élèves à collaborer avec leurs pairs, la tâche de résolution de problèmes permet aux élèves d’accéder au plaisir de faire des mathématiques ».

Ces « nouvelles » recommandations posent aussi la question de la pérennité des programmes et des orientations ministérielles. L’APMEP demande de la stabilité dans les programmes et que les enjeux des modifications de programmes soient explicités et soumis à consultation.

Maths au collège

Au collège, les dernières solutions proposées (janvier 2023) sont les suivantes :

  • des professeurs des écoles interviendront en classe de Sixième pour favoriser la transition entre l’école et le collège et soutenir l’apprentissage des savoirs fondamentaux ;

  • chaque élève bénéficiera d’une heure hebdomadaire de soutien ou d’approfondissement en mathématiques ou en français, autour des compétences clés, afin de remédier aux difficultés des plus fragiles et de cultiver l’excellence des plus à l’aise.

Au-delà du manque de clarté de ces annonces et des questions qui peuvent se poser quant à leur pertinence (un élève ne peut-il pas être en difficulté en mathématiques et en français ?) et leur faisabilité (les professeurs des écoles ont déjà un travail dans et hors la classe très conséquent. Pourront-ils assurer ces heures ? Comment se dérouleront les concertations ?), l’APMEP appelle à concevoir l’aide aux élèves en difficulté de façon plus globale :

  • d’une part, encourager (notamment par des formations adaptées) la prise en charge des difficultés des élèves au sein du groupe classe en diminuant les effectifs ;

  • d’autre part, développer des dispositifs spécifiques pour la prise en charge de la grande difficulté, en évitant le saupoudrage de dispositifs ponctuels qui s’avèrent souvent peu efficaces. Par leur complexité de mise en œuvre et par leur chicheté, les propositions de la note de service [3]  ressemblent justement à un saupoudrage.

Pour veiller à la réussite des élèves et assurer la continuité de l’enseignement, les liaisons inter-degrés nous semblent indispensables et doivent être réellement mises en place. Cela nécessite en particulier de prévoir une concertation effective entre les différents enseignants concernés.

Maths au lycée

Au lycée général, nous nous joignons aux revendications de la conférence des associations de professeurs spécialistes pour réclamer une année pleine et entière d’apprentissages pour les élèves de Terminale et donc la révision du calendrier des examens pour un report des épreuves de spécialités le plus tard possible dans l’année scolaire. La préparation aux poursuites d’études et à l’enseignement supérieur est un impératif qui ne peut souffrir une scolarité tronquée. Les programmes sont exigeants. Ils demandent du temps de préparation et d’appropriation. Les propositions du ministère sur le troisième trimestre de Terminale [6] montrent bien sa vision : la responsabilité du désengagement des élèves est celle des enseignants et les défauts de la réforme ne donnent lieu à aucune remise en question.

Au-delà du calendrier, avec la mise en place du contrôle continu et de Parcoursup, les élèves ressentent les deux années du cycle terminal comme une immense course à la sélection, perdant le sens et le plaisir des apprentissages.

Par ailleurs, les nouvelles modalités de déroulement du Grand Oral qui proscrivent le recours à l’écrit nous semblent aberrantes. Les mathématiques nécessitent des explicitations écrites pour être clairement exposées. L’épreuve du Grand Oral doit être repensée : la maîtrise des savoirs, preuve d’un travail de qualité, doit être déterminante dans l’évaluation. Un horaire hebdomadaire doit être prévu pour y préparer sérieusement les élèves. La conférence des associations de professeurs spécialistes avait été reçue en audience le 30 août 2022 pour soulever toutes ces questions, sans être entendue.

Enfin, plus généralement, l’organisation en spécialités a montré ses limites. Les choix précoces et la position ambiguë du ministère les concernant renforcent les stéréotypes sociaux et de genre. La baisse du nombre d’élèves choisissant la spécialité Mathématiques, en particulier les filles et les enfants de classes populaires, en est l’expression. La reconnaissance tardive de la nécessité de poursuivre les mathématiques après la classe de Seconde a donné lieu à des annonces brouillonnes et précipitées. Nous souhaitons des mathématiques dans le tronc commun. Mais le programme de l’enseignement de mathématiques spécifique 2 de Première semble se diriger vers un décalque de celui de l’actuelle option ; et, malgré nos propositions , il n’a fait l’objet d’aucune concertation. De plus, l’horaire prévu ne nous semble pas adapté à la poursuite d’études qui nécessitent des mathématiques. Et ce, même si le ministère affirme que la poursuite en option mathématiques complémentaires sera possible [1], cela nous semble illusoire. Avec le collectif maths&sciences nous réfléchissons à des propositions d’aménagement pour le lycée général et agissons auprès des parlementaires.

Au lycée professionnel, le projet discuté à huis clos dans les groupes de travail du ministère prévoit le doublement des périodes de stage en entreprise, la révision des filières proposées dans les lycées en fonction des besoins locaux et la possibilité donnée aux établissements de décider des volumes horaires de certaines disciplines. Ces modifications risquent de se faire au détriment des enseignements dispensés au lycée professionnel, en particulier ceux du tronc commun. Or ils sont nécessaires à la construction de la citoyenneté et à la réussite des lycéens de la voie professionnelle dans l’enseignement supérieur. Nous demandons donc le maintien de la durée actuelle des stages en entreprise et le renforcement des enseignements généraux, tant dans leurs contenus que dans leur volume horaire. Nous avons obtenu une audience dans l’un des groupes de travail et nous espérons que nous serons entendus.

Maths dans le supérieur

Dans le supérieur, une réforme est annoncée pour les classes préparatoires ECG (économique et commerciale voie générale). Elle vise à mettre en place un système modulaire qui a pourtant montré ses limites au lycée général. Ces modules correspondraient à de nouvelles disciplines aux contours encore flous et ressemblant davantage à des thèmes d’études. De plus, leur introduction se ferait au détriment des disciplines académiques actuellement enseignées qui font la force de l’enseignement dans ces classes préparatoires. Le volume horaire de mathématiques pourrait être réduit de moitié. Nous nous inquiétons de ces projets, encore une fois proposés sans concertation avec les associations de professeurs spécialistes.

Formation des enseignants

Pour l’instant, la formation initiale des enseignants et la place des concours n’ont pas donné lieu à des annonces concrètes. Cependant, les difficultés de recrutement laissent présager de futurs changements qui ont été évoqués lors des conférences de presse du ministre. L’APMEP souhaite que les concours soient placés en fin de licence pour assurer ensuite aux étudiants une formation rémunérée permettant l’obtention d’un master.

Pour conclure…

Que de notes de services, de guides et de préconisations… L’actualité de l’Éducation nationale semble toujours se précipiter et les mathématiques sont souvent au cœur de ce tourbillon. Cela nous oblige à être réactifs, c’est indispensable, mais nous veillons en priorité à ce que la réflexion menée au sein de l’association soit plus profonde et plus apaisée, et ne se résume pas à des réactions épidermiques après chaque annonce ministérielle.

Références

  1. MEN. Note de service. Une nouvelle dynamique pour les mathématiques . 10 janvier 2023.
  2. MEN. Le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse Pap Ndiaye annonce des premières mesures pour relever le niveau des élèves et entamer la transformation du collège. . Janvier 2023.
  3. MEN. Note de service. Savoirs fondamentaux. . 10 janvier 2023.
  4. MEN. Les guides fondamentaux pour enseigner. Résolution de problèmes mathématiques au cours moyen. . Janvier 2022.
  5. MEN. Note de service n° 2018-052. La résolution de problèmes à l’école élémentaire. . 25 avril 2018.
  6. MEN. Le troisième trimestre de Terminale générale et technologique. . Janvier 2023.


Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’APMEP, est professeure de mathématiques au collège Raoul-Dufy à Lyon et formatrice à l’Inspé de Lyon.


  1. NDLR : l’article a été écrit à la mi-janvier 2023. Lorsque vous le lirez, de nouvelles annonces ministérielles auront vraisemblablement été lancées et de nouvelles positions prises. . . N’hésitez pas à suivre les « Actualités de l’APMEP » sur le site de l’association .
  2. À ne pas confondre avec « enseignement de spécialité » !
Pour citer cet article : Piolti-Lamorthe C., « Les positions de l’APMEP », in APMEP Au fil des maths. N° 547. 22 mars 2023, https://afdm.apmep.fr/rubriques/opinions/les-positions-de-lapmep/.

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