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Barycentres (suite 8)
© APMEP Juin 2020
2.4 Géométrie dans l’espace
On a entrevu que le barycentre permettait de paramétrer les sous-espaces affines (droite, plan) et certaines de leurs parties (segment, demi-plan, demi-espace, polygone convexe); il permet aussi de traduire toutes les relations affines (alignement, concours, parallélisme, convexité, égalité d’aires ou de volumes); il apparaît ainsi comme un outil de résolution de problèmes. Il convient de ne pas perdre de vue qu’il n’y a aucune nécessité à utiliser un tel outil de façon « pure » mais qu’au contraire, on peut faire « feu de tout bois ». Il peut aussi être utile de comparer l’efficacité des outils sur un même problème.
Puisque le cas de la géométrie plane a été largement traité depuis un demi-siècle dans les ouvrages d’enseignement, nous allons présenter quelques problèmes dans l’espace, les méthodes restant les mêmes. Une propriété d’usage constant est l’unicité des coefficients dans l’écriture \[\mathsf{M}=a\,\mathsf{A}+b\,\mathsf{B}+c\,\mathsf{C}+d\,\mathsf{D}\] dès que les points \(\mathsf{A}\), \(\mathsf{B}\), \(\mathsf{C}\), \(\mathsf{D}\) ne sont pas coplanaires.
L’analogie entre les propriétés du triangle et celles du tétraèdre (ou du quadrilatère gauche) est d’ailleurs parfaitement pertinente.
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Le théorème de Commandino39 : on considère un tétraèdre \(\mathsf{ABCD}\); les trois segments joignant les milieux des paires de côtés non adjacents et les quatre segments joignant les sommets à l’isobarycentre de la face opposée (les médianes donc) sont concourants. Il suffit d’introduire l’isobarycentre des sommets et d’utiliser l’associativité de la barycentration (avec quatre points il y a sept façons de le faire : \(2+2\) ou \(1+3\)). De plus, on obtient en prime la position de \(\mathsf{G}\) sur chacun de ses segments.
Une version moins balisée est de demander la concourance des quatre plans contenant un côté et passant par le milieu du côté opposé.
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Le parallélépipède40 de Monge41 : étant donné un parallélépipède \(\mathcal{P}\), on peut y inscrire deux tétraèdres et deux seulement \(\mathcal{T}\) et \(\mathcal{T}’\) dont les sommets sont des sommets de \(\mathcal{P}\) et les côtés opposés de chaque tétraèdre sont des diagonales de faces opposées de \(\mathcal{P}\).
L’assertion est facile à visualiser sur une maquette, moins simple à écrire…
Réciproquement : étant donné un tétraèdre \(\mathcal{T}=\mathsf{ABCD}\), il existe un unique parallélépipède \(\mathcal{P}\) circonscrit à \(\mathcal{T}\); cette assertion repose sur le fait qu’étant données deux droites non coplanaires, il existe une seule direction de plan contenant celles des deux droites, direction par ailleurs orthogonale à leur perpendiculaire commune. Tout aussi bien, on peut exprimer \(\mathsf{A}’\), \(\mathsf{B}’\), \(\mathsf{C}’\), \(\mathsf{D}’\) en fonction de \(\mathsf{A}\), \(\mathsf{B}\), \(\mathsf{C}\), \(\mathsf{D}\); on trouve \[\mathsf{A}’=\frac{1}{2}(\mathsf{B}+\mathsf{C}+\mathsf{D}-\mathsf{A}),\ \dots\]
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Certains théorèmes de géométrie plane se généralisent à l’espace; voyons celui de Ménélaüs42.
On considère à nouveau un tétraèdre \(\mathsf{ABCD}\); soit \(\mathsf{P}\), \(\mathsf{Q}\), \(\mathsf{R}\) et \(\mathsf{S}\) appartenant respectivement à \((\mathsf{AB})\), \((\mathsf{BC})\), \((\mathsf{CD})\) et \((\mathsf{DA})\) et distincts des sommets du tétraèdre. Alors les points \(\mathsf{P}\), \(\mathsf{Q}\), \(\mathsf{R}\), \(\mathsf{S}\) sont coplanaires si et seulement si \[\frac{\overline{\mathsf{PA}}}{\overline{\mathsf{PB}}}\cdot
\frac{\overline{\mathsf{QB}}}{\overline{\mathsf{QC}}} \cdot
\frac{\overline{\mathsf{RC}}}{\overline{\mathsf{RD}}}\cdot
\frac{\overline{\mathsf{SD}}}{\overline{\mathsf{SA}}}=1.\]On cherche une combinaison linéaire des points \(\mathsf{P}\), \(\mathsf{Q}\), \(\mathsf{R}\), \(\mathsf{S}\) donnant le vecteur nul avec des coefficients tous non nul.
Posons \( \pi=\dfrac{\overline{\mathsf{PA}}}{\overline{\mathsf{PB}}}\), \( \xi=\dfrac{\overline{\mathsf{QB}}}{\overline{\mathsf{QC}}}\), \( \rho=\dfrac{\overline{\mathsf{RC}}}{\overline{\mathsf{RD}}}\), \( \sigma=\dfrac{\overline{\mathsf{SD}}}{\overline{\mathsf{SA}}}\cdotp\)
On a alors \((1- \pi)\,\mathsf{P}=\mathsf{A}- \pi\,\mathsf{B}\), \((1- \xi)\,\mathsf{Q}=\mathsf{B}- \xi\,\mathsf{C}\), \((1- \rho)\,\mathsf{R}=\mathsf{C}- \rho\,\mathsf{D}\), \((1- \sigma)\,\mathsf{S}=\mathsf{D}- \sigma\,\mathsf{A}\). Donc :
\(p\,(1- \pi)\,\mathsf{P}+q\,(1- \xi)\,\mathsf{Q}+r\,(1- \rho)\,\mathsf{R}+s\,(1- \sigma)\,\mathsf{S}=0\) équivaut à \(p- \sigma\,s=0\), \(q- \pi\,p=0\), \(r- \xi\,q=0\), \(s- \rho\,r=0\).
On en déduit que \(p= \pi\, \xi\, \rho\, \sigma\,p\) et comme \(p\neq0\), on a bien \[ \pi\, \xi\, \rho\, \sigma=1.\] Réciproquement, si \( \pi\, \xi\, \rho\, \sigma=1\) alors \(p= \sigma\), \(q= \pi\, \sigma\), \(r= \xi\, \pi\, \sigma\) et \(s=1\) et en posant \(p’=p\,(1- \pi)\), \(q’=q\,(1- \xi)\), \(r’=r\,(1- \rho)\), \(s’=s\,(1- \sigma)\), on a bien : \[p’\,\mathsf{P}+q’\,\mathsf{Q}+r’\,\mathsf{R}+s’\,\mathsf{S}=0.\] Notons qu’appliquer deux fois Ménélaüs-plan dans les plans \(\mathsf{ABC}\) et \(\mathsf{ACD}\) conduit aisément au résultat.
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Rencontres de droites : soit \(\mathcal{D}=(\mathsf{AB})\) et \(\mathcal{D}’=(\mathsf{CD})\) deux droites non coplanaires; il existe en évidence une infinité de droites sécantes à la fois à \(\mathcal{D}\) et \(\mathcal{D}’\); mieux, si \(\mathsf{M}\) est un point de l’espace n’appartenant pas aux deux plans contenant l’une des droites et parallèles à l’autre, il existe une unique droite passant par \(\mathsf{M}\) et sécante à \(\mathcal{D}\) et \(\mathcal{D}’\).
Soit \(\mathsf{M}\) comme indiqué; il existe, avec unicité, un quadruplet de réels \((a,\,b,\,c,\,d)\) tel que \(\mathsf{M}=a\,\mathsf{A}+b\,\mathsf{B}+c\,\mathsf{C}+d\,\mathsf{D}\) (avec donc) \(a+b+c+d=1\); de plus \(a+b\neq 0\) et \(c+d\neq 0\). On cherche \( \lambda\), \( \mu\) et \(m\) tels que \(\mathsf{P}= \lambda\,\mathsf{A}+(1- \lambda)\,\mathsf{B}\), \(\mathsf{Q}= \mu\,\mathsf{C}+(1- \mu)\,\mathsf{D}\) et \(\mathsf{M}=m\,\mathsf{P}+(1-m)\,\mathsf{Q}\).
Les quatre égalités précédentes équivalent à \(m=a+b\), \( \lambda=\dfrac{a}{a+b}\), \( \mu=\dfrac{c}{c+d}\), ce qui résout le problème et donc aussi le problème de trouver des droites rencontrant trois droites en position générale.
Il est intéressant de résoudre le problème en utilisant directement les propriétés d’incidence dans l’espace ainsi que le suggère la figure ci-dessous et de comparer les deux méthodes.
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Un joli sujet : le paraboloïde hyperbolique; il s’agit d’une surface de la famille des quadriques, dont la forme est bien suggérée par l’appellation en « selle de cheval ». Voir le site de notre collègue Juhel alias le
mathouriste
pour une promenade architecturale. Nous empruntons à la présentation suivante.On considère un quadrilatère gauche \(\mathsf{ABA}’\mathsf{B}’\)43 et pour \(( \mu,\, \lambda) \in
\mathbb{R}^2\), on introduit les points\[\begin{aligned}
\mathsf{I}_{ \lambda}&= \lambda\,\mathsf{A}+(1- \lambda)\,\mathsf{B}\\
\mathsf{J}_{ \mu}&= \mu\,\mathsf{A}+(1- \mu)\,\mathsf{A}’\\
\mathsf{I}’_{ \lambda}&= \lambda\,\mathsf{A}’+(1- \lambda)\,\mathsf{B}’\\
\mathsf{J}’_{ \mu}&= \mu\,\mathsf{B}+(1- \mu)\,\mathsf{B}’\end{aligned}\]Les droites \((\mathsf{I}_{ \lambda}\mathsf{I}’_{ \lambda})\) et \((\mathsf{J}_{ \mu}\mathsf{J}’_{ \mu})\) sont sécantes. Il suffit de montrer qu’un barycentre de \(\mathsf{I}_{ \lambda}\) et \(\mathsf{I}’_{ \lambda}\) est barycentre de \(\mathsf{J}_{ \mu}\) et \(\mathsf{J}’_{ \mu}\); un travail d’analyse fournit \[ \mu\,\mathsf{I}_{ \lambda}+(1- \mu)\,\mathsf{I}’_{ \lambda}=
\lambda\,\mathsf{J}_{ \mu}+(1- \lambda)\,\mathsf{J}’_{ \mu}.\] Soit \(\mathsf{M}_{ \lambda,\, \mu}\) ce point; l’ensemble de ces points est le paraboloïde hyperbolique \((PH)\) associé au quadrilatère \(\mathsf{ABA}’\mathsf{B}’\).De la définition de \(\mathsf{M}_{ \lambda,\, \mu}\) il résulte immédiatement que si \( \lambda\) est fixé et \( \mu\) décrit \( \mathbb{R}\), \(\mathsf{M}_{ \lambda,\, \mu}\) décrit la droite \((\mathsf{I}_{ \lambda}\mathsf{I}’_{ \lambda})\) en entier qui est donc incluse dans \((PH)\). Il en est de même pour chaque droite \((\mathsf{J}_{ \mu}\mathsf{J}’_{ \mu})\). Les supports des côtés du quadrilatère générateur en font partie. \((PH)\) est donc une réunion de droites; c’est ce qu’on appelle une surface réglée.
Il est plus délicat de démontrer qu’il n’y a pas d’autre droite incluse dans \((PH)\).
Un modèle réduit de cette surface est simple à construire comme toutes les surfaces réglées. Voici ci-dessous la structure de la chapelle Lomas de Cuernavaca construite en 1959.
En revanche, on peut obtenir une équation cartésienne; il existe un repère tel que les sommets ont pour coordonnées \(\mathsf{A}(+1,\,+1,\,+1)\), \(\mathsf{B}(+1,\,-1,\,-1)\), \(\mathsf{A}'(-1,\,+1,\,-1)\) et \(\mathsf{B}'(-1,\,-1,\,+1)\) (peut importe la nature du repère); on obtient pour le point \(\mathsf{M}_{ \lambda, \mu}\) les coordonnées \[x=-1+2\, \mu,\,y=-1+2\, \lambda,\,z=(2\, \lambda-1)(2\, \mu-1).\] L’élimination des coordonnées donne l’équation cartésienne \(z=x\,y\).
La réciproque est facile.
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Un autre bel objet : le tétraèdre orthocentrique. Le problème de départ est celui du concours des quatre hauteurs d’un tétraèdre, une hauteur étant la droite issue d’un sommet et orthogonale à la face opposée. La réponse est négative, il suffit d’exhiber un contre-exemple…
On peut caractériser les tétraèdres dont les hauteurs sont concourantes. Supposons que les hauteurs issues de \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) soient sécantes (donc coplanaires) en \(\mathsf{H}\); la droite \((\mathsf{CD})\) est donc orthogonale au plan \((\mathsf{ABH})\). La surface de niveau \(\mathsf{AC}^2-\mathsf{AD}^2\) de \(\mathsf{M} \longmapsto\mathsf{MC}^2-\mathsf{MD}^2\) qu’on sait être un plan orthogonal à \((\mathsf{CD})\) est donc le plan \((\mathsf{ABH})\) et \(\mathsf{AC}^2-\mathsf{AD}^2=\mathsf{BC}^2-\mathsf{BD}^2\) ou encore \(\mathsf{AC}^2+\mathsf{BD}^2=\mathsf{AD}^2+\mathsf{BC}^2\); on en déduit les conditions nécessaires de concours des quatre hauteurs : \[\mathsf{AC}^2+\mathsf{BD}^2=\mathsf{AD}^2+\mathsf{BC}^2=\mathsf{AB}^2+\mathsf{CD}^2\] On observera que le concours de trois hauteurs suffit à fournir ces conditions. On observe aussi que l’orthogonalité des paires de côtés opposés est une condition nécessaire.
La réciproque se démontre de la même façon en utilisant les mêmes courbes de niveau. On peut donner comme exemples de tétraèdres orthocentriques les tétraèdres réguliers et les tétraèdres trirectangles.
Les tétraèdres ne manquent pas de propriétés qui généralisent celles du triangle. La référence majeure est [21] malheureusement difficile à trouver dans les bibliothèques. Le livre d’Yvonne et René Sortais [22] contient une étude du tétraèdre orthocentrique. En anglais, la bible est [23], plus facile à trouver dans nos bibliothèques.
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Federico Commandino (1509-1575) est un mathématicien italien. ↩
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On a besoin d’une définition du parallélépipède qui permette de développer des démonstrations; disons \(\mathsf{PQRSTUVW}\) est un parallélépipède si \(\mathsf{PQRS}\) est un parallélogramme et si \(\mathsf{TUVW}\) est l’image de \(\mathsf{PQRS}\) par la translation de vecteur \(\overrightarrow{\mkern0.5mu\mathstrut\mathsf{PT}\mkern2mu}\). ↩
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Gaspard Monge (1746-1818) est un mathématicien français, père de la géométrie descriptive. ↩
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Ménélaüs d’Alexandrie (c.70-c.140) est un mathématicien grec. ↩
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On obtient un quadrilatère gauche en supprimant deux côtés opposés d’un tétraèdre ; un tétraèdre définit donc trois
quadrilatères gauches. ↩
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