Pratique de l’oral en mathématiques lors de la résolution de problèmes aux cycles 2 et 3
Depuis plusieurs années, la résolution de problèmes est au cœur des apprentissages en mathématiques à l’école et participe au développement de six compétences mathématiques. Cet article montre qu’au sein de l’activité résolution de problèmes, la pratique de l’oral peut être un moyen de développer des compétences mathématiques sous réserve de réfléchir à des conditions de mise en œuvre appropriée dans la classe.
Christine Choquet
© APMEP Juin 2021
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Introduction
Depuis plusieurs années, la résolution de problèmes est au cœur des apprentissages en mathématiques à l’école et participe au développement de six compétences mathématiques [1]. Cet article s’intéresse aux cycles 2 et 3. A partir de l’analyse de séances observées en classe de CP et de CM2, nous repérons et étudions les temps réservés à la pratique de l’oral puis questionnons les bénéfices que peuvent en retirer les élèves dans l’apprentissage des mathématiques. Nous avons mené ces analyses dans le cadre d’une recherche associée à la formation continue de professeurs des écoles. Cette recherche-formation nous a permis de montrer qu’au sein de l’activité résolution de problèmes, la pratique de l’oral peut être un moyen de développer des compétences mathématiques sous réserve de réfléchir à des conditions de mise en œuvre appropriée dans la classe.
Programmes des cycles 2 et 3
Les instructions officielles pour le cycle 2 de l’école primaire insistent, dans la partie réservée aux mathématiques, sur le fait que « la résolution de problèmes est au centre de l’activité mathématique des élèves, développant leurs capacités à chercher, raisonner et communiquer » et précisent que « le cycle 3 assure la poursuite du développement des six compétences majeures des mathématiques : chercher, modéliser, représenter, calculer, raisonner et communiquer » . Afin de définir plus précisément les attentes en termes de communication, il est également précisé que « communiquer efficacement dans le cadre d’une activité mathématique est un objectif de formation essentiel » et qu’il s’agit pour chaque élève d’apprendre à s’exprimer oralement [2].
La question qui se pose alors à l’enseignant est de déterminer comment permettre cet apprentissage de l’oral dans le cadre de l’activité mathématique et selon quelle progressivité notamment au cycle 2 et au cycle 31.
Les documents officiels [1] donnent pour cela quelques indications en annonçant que « la communication mise en œuvre en mathématiques se caractérise par la coexistence d’un langage précis […] et d’une langue plus proche de la langue naturelle qui permet d’échanger des idées ou de donner des explications » . Ils soulignent que la maîtrise de l’oral ne s’acquiert pas spontanément (p. 5). Autrement dit, les enseignants se doivent de réserver un temps bien identifié dans la classe à un travail sur l’oral en mathématiques.
Afin de répondre à cette injonction concernant le développement des compétences d’expression orale, il est conseillé de « diversifier les situations de communication » . Une liste succincte de propositions est rédigée. Les professeurs peuvent favoriser l’oral dans le cadre d’échanges lors de l’analyse collective d’un énoncé, lors d’un « débat pour confronter des pistes de résolution d’un problème » , lors de la « présentation d’une solution » ou encore dans le cadre de l’apport d’une « aide à d’autres élèves » par un pair . Cependant, malgré cette liste orientée vers des occasions dans la classe de travailler à l’oral, peu de précisions sont explicitement données sur des moyens de développer cet oral en mathématiques dans des classes de l’école primaire.
Des professeurs des écoles, des chercheurs et des formateurs se sont alors penchés sur cette question. Cet article, après avoir présenté quelques résultats de recherche, vise à partager les premières conclusions des analyses de deux expérimentations, l’une menée en cycle 2 (en cours préparatoire) et l’autre en cycle 3 (en fin de CM2).
Des recherches réalisées sur la question de l’oral
Des recherches sont menées sur la question de l’oral dans la classe et en particulier en mathématiques. Sans en faire un état des lieux exhaustif, nous avons repéré celles qui permettaient d’éclairer nos réflexions et d’engager une analyse approfondie des expérimentations que nous présentons ensuite.
Les pratiques langagières dans la classe
Lors d’une étude portant sur les difficultés d’apprentissages des élèves, Bautier et Rayou [3] ont établi que « la relation étroite dans les apprentissages scolaires entre langages et activités cognitives conduit à considérer les productions et échanges langagiers de la classe comme partie prenante des interprétations et des mobilisations et traitements cognitifs qu’opèrent les élèves » (p. 94). Leurs analyses ont notamment permis de vérifier que « le langage produit en classe, le discours pédagogique de l’enseignant, les échanges maître-élèves, élèves-élèves, participent de la construction de la situation de travail et donc de son interprétation » (p. 95). Ils ont déduit d’analyses d’extraits de séances observées dans plusieurs disciplines, que tous les élèves n’étaient pas égaux face aux usages attendus du langage et des temps réservés à l’oral dans la classe. Un enseignant va proposer des temps d’échanges avec et entre les élèves avec un objectif d’apprentissage alors que « tous les élèves en classe dans leurs prises de parole, n’investissent pas les situations orales qui leur sont proposées de la même manière » . Il apparaît clairement dans les recherches menées par Bautier et Rayou que, pour certains élèves, le passage par l’oral correspond à des « usages plus communicatifs et expressifs que cognitifs et élaboratifs […] » . Ils précisent que « si certains élèves savent utiliser l’oral, la parole avec les autres pour apprendre, élaborer, réfléchir, d’autres sont peu familiarisés avec ces usages de la langue orale » (p. 110). Les apprentissages lors d’une phase orale ne seront donc pas envisageables de la même manière chez tous les élèves. Et, étant donné que certains élèves « manifestent une grande difficulté à penser la langue comme un objet d’analyse » et de réflexion, nous pouvons même penser que ces apprentissages ne seront pas réalisables pour une partie d’entre eux.
Quand les enseignants pensent des situations d’oral, ils les conçoivent sur le double registre de la socialisation et des apprentissages. Cependant tous les élèves ne vivent pas ces situations sur le même plan et des différences non négligeables concernant la compréhension de ce qui se joue dans la classe dans les temps d’oral et les apprentissages qui doivent en découler ne sont pas les mêmes pour tous les élèves. En effet, « certains élèves les investissent sur le seul registre de la communication avec l’enseignant quand d’autres s’en saisissent aussi pour réfléchir grâce aux échanges et construire un objet de travail » (p. 112).
Afin de préciser ces résultats, nous avons étudié des travaux concernant la place de l’oral et les pratiques langagières en mathématiques, réalisés dans le champ de la didactique des mathématiques ces dernières années [4]. Les deux exemples qui suivent permettent d’illustrer et de mieux comprendre les différences identifiées entre les élèves, face aux usages de l’oral en classe de mathématiques.
L’oral lors d’un débat en mathématiques
Lorsqu’un enseignant organise un débat entre les élèves suite à la recherche de solutions à un problème mathématique, il devrait donc avoir en tête que « toutes les productions langagières sollicitées et/ou produites en conséquence par les élèves ne sont pas équivalentes dans le travail cognitif qu’elles permettent » [3, p. 95]. C’est ce qu’en déduit déjà Favrat [5] lorsqu’il analyse des phases de débats dans trois classes de CE1 avec lesquelles le même problème2 a été étudié. Il repère que des débats peuvent être menés avec des élèves de cycle 2 mais ces débats ne mènent pas toujours la classe vers les réflexions mathématiques et les apprentissages attendus par l’enseignant.
Dans une des trois classes observées, le débat ne s’engage pas sur les procédures et solutions proposées par les élèves. L’analyse des échanges montre des difficultés avec « l’usage mal contrôlé des mots courants comme ajouter, enlever, calculer, résultat, réponse » (p. 182). Le discours des élèves reste centré sur l’activité accompli par les différents groupes mais ne s’engage pas sur la validité ou non des résultats annoncés (alors même que des groupes ont obtenu des résultats différents). Les groupes ayant trouvé la réponse attendue ne réussissent ni à convaincre, ni à invalider les réponses fausses des autres, voire ne cherchent pas à le faire. L’analyse des échanges encouragés par l’enseignant fait apparaître, dans cette classe, un manque de vocabulaire pour argumenter, pour expliquer pourquoi telle ou telle démarche a été choisie dans les groupes.
En revanche, dans les deux autres classes où un débat s’installe « […] les élèves s’emparent de questions essentielles pour la pratique réelle des mathématiques dans une classe » . Un lien entre la pratique de l’oral lors des débats installés dans ces classes et l’apprentissage de la validation en mathématiques semble s’instaurer. Le débat a, par exemple, amené des élèves à adapter leurs stratégies argumentatives ou du moins à les diversifier, il a permis à d’autres de faire des hypothèses de plus en plus fines sur l’origine des erreurs des autres élèves. Certains élèves se sont réellement emparés des échanges pour améliorer leurs propres compétences de raisonnement. Ils ont également permis à d’autres élèves de s’engager dans un processus d’argumentation en les incitant à expliciter oralement leurs démarches personnelles pour mieux les comprendre.
L’oral dans un processus d’institutionnalisation en géométrie
Coulange [6] analyse des séances de géométrie observées en classe de cycle 3. Afin d’engager un processus d’institutionnalisation autour des savoirs géométriques en jeu dans la séance, l’enseignante propose aux élèves de travailler sur « le vocabulaire géométrique » : elle part des formulations (le plus souvent incorrectes) des élèves pour introduire le vocabulaire adéquat ainsi que des définitions. À travers l’analyse des interactions collectives et orales entre l’enseignante et les élèves, Coulange identifie elle aussi « des différences visibles dans les positionnements énonciatifs des élèves » . Elle insiste même sur le fait que ces différences « pourraient favoriser la différenciation des apprentissages réalisés à l’issue de cette situation d’enseignement » (p. 20) tout en faisant l’hypothèse que « la plupart des élèves ne perçoivent pas derrière les usages des différents mots tels que milieu, sommet, extrémité, centre etc. la désignation d’un objet commun le point et de ses relations avec d’autres objets mathématiques » (p. 17). Il y aurait lors de cette séance, malgré le travail prévu et attendu par l’enseignante portant sur le vocabulaire, une sorte de brouillage liée à l’usage des mots courants qui engendrerait des incompréhensions chez certains élèves et donc des différences dans les apprentissages réalisés.
Finalement, nous retenons de ces travaux de recherche que lorsqu’un travail à l’oral s’engage dans une classe en mathématiques, l’enseignant doit avoir à l’esprit que bon nombre de difficultés d’apprentissage peuvent apparaître chez certains élèves du fait même que ce travail s’engage à l’oral. D’une part, des difficultés peuvent être liées au fait que le temps d’oral est vécu par des élèves de manière courante seulement pour s’exprimer, parler et non pour faire des mathématiques, pour justifier, valider, convaincre avec un raisonnement et donc faisant partie dans la classe des temps d’apprentissage. D’autre part, lorsque ce temps est vécu comme un temps pour apprendre, le vocabulaire utilisé peut manquer, peut poser problème du fait qu’il est mis en lien avec son usage courant et non relié à l’usage que l’enseignant et quelques élèves seulement en font d’un point de vue mathématique.
Ces temps d’oral, d’usages du langage nécessitent d’être pensés, construits et analysés par l’enseignant afin de gagner en efficacité et permettre des apprentissages chez tous les élèves. En accord avec Hache [7], nous pensons donc que « pour un sujet donné, le langage n’est pas un média d’une pensée déjà constituée, c’est un outil de construction, de négociation et de transformation des représentations (celles du sujet considéré, et en rejoignant la dimension sociale : celles des personnes avec qui il interagit, celles du groupe social) » (p. 2).
Mise en œuvre dans les classes
Au regard des éléments précédents, nous présentons des analyses menées dans le cadre d’une recherche-formation suite à l’observation de deux séances dédiées à la résolution de problème lors desquelles les deux enseignantes ont pour objectif de travailler l’oral en mathématiques. Les analyses nous ont permis de mieux comprendre comment un travail efficace s’installe à l’oral dans la classe de cycle 3. Elles nous ont ensuite conduit à énoncer quelques recommandations qui permettraient d’envisager une amélioration des apprentissages lors des phases d’oral dans la classe de cycle 2.
Au cycle 3
L’énoncé « Les pommes empoisonnées » a été proposé à plusieurs classes de cycle 3 (CM2 et 6) :
Les pommes empoisonnées |
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Une sorcière porte un panier de pommes. Elle rencontre trois garçons et leur donne la moitié de ses pommes. Chacun des garçons se retrouve avec le même nombre de pommes. Il reste à cette sorcière 30 pommes de plus que chacun des garçons. |
Pour cet article, les données sont recueillies dans une classe de vingt-cinq élèves de CM2, issus de milieux sociaux ordinaires (ni favorisés, ni socialement en difficultés). L’enseignante à travers la recherche/résolution de ce problème a pour objectif de faire travailler les élèves sur un problème numérique (du calcul mental utilisant des entiers considérés comme simples par l’enseignante pour des élèves de cet âge). Elle vise également le développement des compétences chercher, représenter et communiquer (à l’oral avec un support écrit).
Description de la séance
Après une lecture collective de l’énoncé, les élèves se lancent dans une recherche de solutions, d’abord individuellement (\(4\) minutes) puis en groupes de quatre élèves (\(20\) minutes), la consigne étant de réfléchir à une présentation orale (au tableau) des démarches choisies. Une mise en commun des productions de quatre groupes, désignés par l’enseignante, est organisée et a fait l’objet de nos analyses. Ce temps de présentations orales a été filmé par l’enseignante et lui a servi, lors de la séance suivante, de support à un échange a posteriori avec les élèves sur les atouts et les limites de chaque présentation.
Un élève de chacun des groupes A, B, C et D expose une représentation différente (cf. fig. 1) : en haut à gauche (groupe A) des représentations iconiques des trois garçons et de la sorcière (chapeau triangulaire) ; en bas à gauche (groupe B) et en bas à droite (groupe C) des décompositions du nombre de pommes imaginé et en haut à droite (groupe D) des essais et ajustements résumés dans un tableau. Toutes ces représentations permettent de visualiser le tâtonnement des élèves pendant la recherche d’une solution et de percevoir les raisonnements sous-jacents de chacun des groupes.
Analyse a posteriori de la phase de mise en commun
Les présentations orales des quatre élèves en appui sur les représentations au tableau permettent d’avoir accès aux tâtonnements réalisés dans les quatre groupes. Le vocabulaire utilisé par chacun des élèves et le registre dans lequel les explications sont données relèvent du domaine numérique : les quatre élèves parlent de décomposition du nombre, de somme et partage. Pendant ce temps réservé aux présentations orales des procédures, les élèves dans la classe sont très attentifs, s’interrogent et quelques élèves interpellent l’élève qui présente, ils posent des questions et font des remarques sur les schémas proposés. Le professeur est en retrait, il n’intervient pas lors des présentations orales, il est présent pour organiser et garantir le bon déroulement de la mise en commun.
Ce temps en fin de séance permet à chaque élève de réaliser que plusieurs représentations et plusieurs procédures sont envisageables pour résoudre un problème. L’engagement des élèves dans ce travail à l’oral montre qu’une sorte de communauté discursive s’installe dans cette classe autour des différentes représentations proposées par quelques élèves. Tous les élèves semblent en effet s’emparer des procédures des autres groupes et essayer de les comprendre en interrogeant la présentation orale et le schéma proposé au tableau.
Au cycle 2
L’énoncé suivant a été proposé au cycle 2 dans une classe de CP de vingt élèves, issus de milieux sociaux ordinaires, ni favorisés, ni défavorisés :
Mathias a 25 images. Il les partage équitablement avec Abdellah, Lucas, Sandra et Julie. |
Il s’agit pour l’enseignante de travailler la notion de partage équitable (d’autres problèmes de ce type ont déjà été étudiés dans la classe) et d’engager les élèves dans une représentation des problèmes sous forme de schémas (inspirés de la méthode en barres3). Elle vise également le développement des compétences chercher, représenter et communiquer à l’oral.
Le déroulement de la séance
L’énoncé est projeté au tableau et, après la lecture par un élève, le texte est interrogé collectivement afin, pour l’enseignante, de s’assurer que tous les élèves comprennent ce qui est attendu.
L’enseignante annonce : « Que va-t-on devoir chercher ? Il s’agit donc de partager équitablement 25 images entre les enfants » (en sachant qu’aucune question n’est écrite au tableau ). Elle organise ensuite une phase de recherche/résolution.
- les élèves les plus autonomes travaillent individuellement, et tout au long de la phase de recherche individuelle, l’enseignante surveille leur travail sans intervenir ; ils rédigent une solution sur une ardoise ;
- un groupe de neuf élèves se rassemble autour d’une table, l’enseignante reste auprès d’eux et les accompagne pendant la phase de recherche en leur proposant dans un premier temps de manipuler de 25 images et 5 assiettes en carton (cf. fig. 2). Ils n’ont aucun support écrit disponible (feuille ou ardoise). Elle leur demande, dans un deuxième temps, de choisir une représentation symbolique du problème parmi les quatre différents schémas qu’elle propose (cf. 3) :
Après une vingtaine de minutes, la séance se conclut par une mise en commun : les élèves sont rassemblés devant le tableau et l’enseignante prend quelques minutes pour montrer une ardoise et le schéma choisi par le groupe de neuf élèves.
Analyse a posteriori des échanges dans le groupe de neuf élèves et trois recommandations
Après avoir laissé quelques élèves réfléchir à une solution à partir de la manipulation de petites cartes dans des assiettes (cf. fig. 2), l’enseignante demande aux élèves de choisir un schéma parmi les quatre qu’elle propose (cf. fig. 3) et souhaite engager un échange oral sur ces schémas :
Enseignante : « je vais vous montrer, vous allez me dire à quoi cela vous fait penser… Comment s’appellent des dessins comme ça ? » Élève 1 : « des schémas. » Enseignante : « des schémas. Est-ce que tous les schémas vont avec notre histoire ? » Le groupe : « NON ! » Enseignante : « est-ce que vous voyez un schéma qui ressemble à notre histoire ? » Pas de réponse. Enseignante : « est-ce que cela peut être celui-là du coup ? » (cf fig.4 ) |
Des élèves du groupe : « non » Enseignante : « donc, on va l’enlever. » Élève 1 : « ça peut être lui. » (cf. fig. 4 ) Enseignante : « pourquoi tu penses que c’est peut-être lui ? » Élève 1 : « parce qu’il y a les personnages… » |
Enseignante :« ah oui…on a fait \({5}\), et encore \({5}\), et encore \({5}\), et encore \({5}\) et encore \({5}\) » Et en montrant sur l’image, Enseignante : « Quand on fait et encore, on utilise quoi comme signe ? … \({5}+{5}+{5}+{5}+{5}\) » . |
Le travail du groupe de neuf élèves s’arrête sur cette dernière affirmation de l’enseignante. L’analyse des échanges oraux lors de ce temps de manipulation du groupe de neuf élèves montre que ces élèves se laissent essentiellement guider par les interventions orales de l’enseignante. La majorité des élèves du groupe ne s’est pas réellement investie dans la manipulation (seuls trois élèves sur les neuf manipulent) et encore moins dans le choix du schéma (seulement un élève répond à l’enseignante, l’élève 1).
Il nous semble donc qu’une première recommandation est de permettre la manipulation par chacun des élèves afin qu’ils s’investissent personnellement dans la situation de recherche. Cet investissement personnel permettra ensuite à chacun des élèves d’adhérer aux échanges oraux en mobilisant les résultats et/ou les difficultés issus de leur propre manipulation.
Puis, lorsque l’enseignante introduit les schémas plastifiés, ils les regardent sans pouvoir se les approprier. Et, de ce fait, aucun échange oral ne s’installe. Notre deuxième recommandation est, avant de proposer les schémas plastifiés, de demander aux neufs élèves de proposer eux-mêmes une représentation, un schéma personnel Le travail à l’oral pourra ainsi s’engager sur l’explicitation des représentations de chacun des neuf élèves, quelles qu’elles soient, et leur comparaison avec les quatre schémas introduits par l’enseignante.
Une troisième recommandation est d’encourager l’enseignante à mémoriser les éléments d’explicitation des neuf élèves et de comparaison avec les quatre schémas qu’elle introduit puis d’en reprendre quelques-uns lors de la mise en commun qu’elle souhaite organiser à l’oral avec le reste de la classe. Ainsi, la mise en commun pourra démarrer sur la reprise des arguments des neuf élèves ou sur la proposition de les confronter aux arguments des autres élèves de la classe qui n’ont pas eu accès à la manipulation et aux schémas de l’enseignante.
Analyse a posteriori de la mise en commun et deux recommandations
La phase de mise en commun de la séance observée ne dure que quelques minutes, ce qui ne laisse pas assez de temps à tous les élèves pour s’investir dans une synthèse de la séance. Un élève désigné par l’enseignante montre
« J’ai fait \(5\) images pour chacun des élèves. » L’enseignante : « là, il avait déjà dans la tête ce qu’il voulait trouver, le \(25\), il arrivait déjà à voir dans la tête cinq paquets de \(5\). Il avait déjà dans la tête \(5 + 5 + 5 +5 + 5\ldots\) Ceux qui étaient avec moi, vous pouvez expliquer aux autres ce qu’elle a dans les mains ? » (cf. fig 5. ) |
Deux élèves (du groupe de neuf) tentent d’expliquer aux autres élèves de la classe ce qu’ils ont fait, en faisant référence aux assiettes en carton rondes et aux 25 images qu’ils avaient à partager. Cependant les autres élèves n’ont pas eu accès à la manipulation et ne réussissent pas à se représenter la situation, ils ne comprennent pas ce que les deux élèves racontent. L’enseignante reprend la main, elle identifie le « grand rectangle » du schéma à la barquette contenant au départ les 25 images qui ont été partagées (avec une étiquette « 25 » ). Elle termine alors la séance en annonçant :
« Alors les enfants qui n’étaient pas avec moi, la prochaine fois que vous verrez un problème de partage, vous pourrez utiliser et dessiner un schéma. Quand on va préparer l’affiche, on l’utilisera, on fera le dessin » . |
Lors de la mise en commun, nous avons observé qu’il n’y a pas de réelles présentations des procédures utilisées par les élèves. L’enseignante constate devant la classe qu’un élève avait déjà en tête le résultat sans l’encourager à expliciter aux autres comment il l’a trouvé. Puis, sans montrer les trois autres schémas écartés, elle montre le schéma attendu dans ce genre de problèmes.
Comme annoncé précédemment, l’enseignante est encouragée à mémoriser des arguments et les difficultés repérées pendant la phase de recherche des élèves. Les analyses nous conduisent à énoncer alors une quatrième recommandation: l’enseignante doit laisser du temps aux neuf élèves pour expliciter devant la classe entière, avec leurs propres mots, la situation de manipulation puis leurs représentations personnelles et enfin le choix d’un schéma parmi les quatre qu’elle a proposés.
Une cinquième et dernière recommandation du groupe de recherche-formation est d’engager l’enseignante à encourager les élèves à échanger, en redonnant par exemple des arguments des élèves qu’elle aurait
entendus pendant la phase de recherche. Il s’agit surtout de faire attention à ne pas parler et donner des réponses à la place des élèves mais bien de les accompagner dans leur raisonnement. Ces explicitations pourront permettre, pas à pas, un échange oral avec les autres élèves et la précision, au besoin, du vocabulaire utile pour argumenter et/ou se faire comprendre des autres.
Nous pensons en effet que c’est à ces conditions que la mise en commun en fin de séance aura un sens pour les élèves et permettra d’engager un travail constructif à l’oral et, de ce fait, l’installation progressive d’une communauté discursive dans sa classe qui nous semble propice à des apprentissages mathématiques.
Conclusion
Dans cet article, nous avons proposé deux séances dédiées à la résolution d’un problème numérique visant à développer des compétences de recherche, de représentation et de communication orale. La volonté des deux enseignantes est identique, il s’agit pour elles de proposer aux élèves deux temps de travail : un temps de recherche/résolution puis une mise en commun orale des procédures. Nous constatons néanmoins des différences dans l’organisation du travail proposée par les deux enseignantes dans ces deux classes :
Dans la classe de cycle 3, on constate que le temps d’échange est vécu par les élèves comme faisant partie du travail de mathématiques. L’enseignante, en s’effaçant pendant la mise en commun, laisse du temps aux élèves pour expliciter au tableau leur démarche en appui sur leur propre représentation. Cette organisation et ce temps réservé aux échanges à l’oral permet aux élèves d’engager une réelle réflexion autour de ces représentations et c’est sans doute en raison de ces gestes professionnels qu’une communauté discursive a pu s’installer dans cette séance
Dans la classe de cycle 2, l’enseignante envisageait de laisser la parole à des élèves lors de la mise en commun mais elle ne laisse pas assez de temps à la présentation de leurs propres démarches devant les autres. Au contraire, elle impose quasiment un schéma permettant de représenter l’énoncé. Nous retrouvons ici les difficultés évoquées par Favrat et Coulange lors des débats et des phases de synthèse en classe : si un travail spécifique n’est pas mené sur le travail attendu à l’oral, les échanges entre les élèves ne s’engagent pas pour présenter et justifier les procédures, les représentations choisies. Les échanges oraux dans cette classe restent dans le domaine de la communication courante. Non seulement ils ne permettent pas aux élèves d’apprendre des mathématiques (comme l’enseignante le souhaitait) mais surtout les élèves ne considèrent pas ce temps d’échange comme faisant partie du travail mathématique de la classe. Les cinq recommandations énoncées par notre groupe de recherche-formation peuvent alors être considérés comme des pistes de solutions, des conditions permettant de construire une communauté discursive pendant les cours de mathématiques dès le cycle 2.
Le travail dans ce groupe de recherche-formation se poursuit en ce sens et d’autres expérimentations en cours permettront d’approfondir les premiers résultats sur la pratique de l’oral dans la classe de mathématiques en primaire.
Références
- [1] Ministère de l’Éducation nationale. Mathématiques. Communiquer à l’écrit et à l’oral ↩ Mars 2016.
- [2] Ministère de l’Éducation nationale. Programmes d’enseignement de l’école élémentaire et du collège ↩ Novembre 2015.
- [3] É.Bautier et P.Rayou.Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malentendus scolaires. PUF, collection Éducation et société, 2009. ISBN : 978-2-13057-527-6↩
- [4] T.Barrier et A.-C. Mathé. « Langage, apprentissage et enseignement des mathématiques. » In :Spirale. Revue de recherche en éducation. n°54.↩2014.
- [5] J.-F. Favrat. « L’oral dans les séances de résolution de problèmes de mathématiques à l’école primaire: des exemples de débats au CE1 » In : Repères, recherche en didactique du français langue maternelle n°24-25 (2001).↩
- [6] L. Coulange. « Les pratiques langagières au cœur de l’institutionnalisation de savoirs mathématiques ». In : Spirale. Revue de recherches en éducation n° 54 (2014).↩
- [7] C.Hache. « Le langage dans l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques » . In : Actes de la 18e école d’été de didactique des mathématiques (août 2015). ↩
- [8] Ministère de l’Éducation nationale.« Pour enseigner les nombres, les calculs et la résolution de problèmes ». ↩ Novembre 2020 .
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Christine Choquet est maître de conférences à l’université de Nantes en didactique des mathématiques. Elle enseigne à l’INSPÉ (académie de Nantes) et participe aux travaux du Centre de Recherche en Éducation de Nantes.
- Dans la perspective d’envisager une continuité avec le cycle 4 et le lycée puisque la question de l’oral en mathématiques s’y pose également.↩
- L’énoncé est le suivant : toto « Sébastien et François comparent leurs collections de voitures. Sébastien en a \({17}\), François en a \({22}\). Combien de voitures François a-t-il de plus que Sébastien ? » .↩
- Voir le guide publié en 2020 par le ministère de l’Éducation nationale [8, p.94].↩