Qu’est-ce que je vois ?
Observer et voir, observer pour voir ; oui, ça se travaille et pas qu’en maths, ni que par les maths !
Valerio Vassallo nous conte son expérience avec l’IREM de Lille sur le sujet. Suivez son regard.
« Qu’il ferme les yeux et qu’il rêve dans la nuit
qu’il les ouvre et qu’il observe attentivement les choses réelles dans la clarté
qu’épanche le soleil,
que son regard se déroute et s’égare,
qu’il porte les yeux sur le livre qu’il tient entre ses mains,
qu’assis dans le noir il épie le déroulement d’un film,
qu’il se laisse absorber dans la contemplation d’une peinture,
l’homme est un regard désirant
qui cherche une autre image derrière tout ce qu’il voit. »
Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi, Gallimard, 1994
Valerio Vassallo
© APMEP Mars 2022
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Un protocole pluridisciplinaire
« Est-ce possible d’éduquer au “savoir voir” en mathématiques ? » ainsi s’interrogeait la didacticienne Emma Castelnuovo1 en 1967. Elle réfléchissait aux questions posées dans un livre de Bruno de Finetti devenu vite célèbre en Italie, Le « savoir voir » en mathématiques. Tout professeur de mathématiques se pose la question : « Pourquoi les élèves ne voient pas ce que je vois ? ». Et il peut parfois même être tenté d’être : « C’est ainsi, ça se voit ! ».
Sur la figure ci-dessous, nous, les professeurs de mathématiques, nous y voyons des points, des segments, des angles, des triangles, des quadrilatères… Les élèves y verront beaucoup d’autres choses ou pas grand chose ; mais lesquels vont voir?
C’est avec cette question en tête que dans le cadre d’un projet SEPIA (Soutien à l’Expérimentation Pédagogique et à l’Innovation dans l’Académie) et grâce au soutien du Rectorat et de l’IREM de Lille, je suis sorti des murs de l’université pour expérimenter2, pendant trois ans, avec des professeurs d’école et des professeurs de mathématiques de collège (cycle 3), une initiation au regard mathématique.
Regarder un objet mathématique nécessite un regard particulier et pour le faire comprendre aux élèves, mon goût pour les arts m’a poussé à vouloir leur faire comparer les regards mathématiques et les regards artistiques en les aiguisant mutuellement. C’est ainsi qu’est né le groupe IREM « Regard », qui s’est lancé dans la théorie des regards croisés entre art et mathématiques3.
Voici le protocole de ce projet expérimental : il consiste à amener des classes au Palais des Beaux-Arts de Lille qui s’est fortement impliqué dans le projet. Dans un premier temps, au musée, les élèves sont conduits devant une œuvre d’art, un tableau ou une sculpture ; les œuvres observées sont choisies par leur professeur dans le cadre de son projet pédagogique de l’année.
Ils observent l’œuvre en présence d’une historienne de l’art4 pendant quelques minutes et en silence, ce qui permet de créer une ambiance propice à la réflexion, la concentration et l’observation. Ils expriment ensuite ce que le tableau leur suggère. Ils utilisent leurs connaissances dans différents domaines : l’histoire de l’art en premier lieu (lorsque cela est à leur portée), l’histoire, l’histoire des religions, la géographie, la mythologie et leur esprit d’observation, leur bon sens, leurs références culturelles d’aujourd’hui et les liens avec le présent. Dans tous les cas, nous faisons très attention à bien distribuer la parole aux uns et aux autres.
L’historienne de l’art accueille ou rectifie les réponses en fonction de leur justesse, toujours en respectant la liberté de parole des élèves devant le tableau, avec esprit critique mais sans jugement. La séance se termine par la lecture du cartel et un résumé sur l’œuvre d’art5 en réunissant les différentes remarques des élèves qui repartent valorisés, contents d’avoir participé activement à l’interprétation du tableau. Les élèves quittent les lieux seulement après avoir exécuté un croquis du tableau ou de la sculpture, en choisissant de rendre la composition entière de l’œuvre ou de croquer un détail qui aura attiré leur attention.
Les élèves rejoignent ensuite la bibliothèque du Palais des Beaux-Arts où leur professeur leur propose de réfléchir sur une situation mathématique convenue avec moi. Il s’agit souvent d’une configuration géométrique.
Devant la configuration géométrique, les élèves ont une parole libre comme devant le tableau. Ils peuvent tout dire, ce qui leur passe par la tête, en s’appuyant bien évidemment sur ce qu’ils ont étudié dans les cours de mathématiques et sur ce qui leur est donné à voir.
Nous leur demandons à chaque fois de :
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proposer un titre pour la configuration géométrique (comme si c’était un tableau !);
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décrire par écrit la configuration géométrique ;
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comment s’y prendre pour construire la figure, en essayant d’être le plus précis possible et, si besoin, de rajouter des lettres à côté des objets géométriques ;
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construire la figure à la règle et au compas et éventuellement colorier la figure.
Les deux activités, celle liée à l’œuvre d’art et celle liée à la configuration géométrique, s’enchaînent. J’ai proposé d’appeler cette démarche « les cours liés ».
La philosophie du protocole
Je suis convaincu qu’on ne forme pas suffisamment « les œils mathématiques » de nos élèves, ni les nôtres.
Dans Histoire d’œils (au chapitre « Les nombreuses vies de l’œil »), Philippe Costamagna écrit : « Un historien d’art peut être ému, mais, aussi brillant et aussi sentimental soit-il, il ne sera pas capable de dire d’où provient son émotion et, s’il fait une différence entre le XVe et le XIXe siècle, ce ne sera qu’une question de culture. Il suffit d’avoir fréquenté les musées pour être capable de reconnaître un Raphaël, un Poussin, un Vermeer, un Delacroix, un Manet, un Mondrian ou un Matisse, mais l’œil est seul à entrer dans l’œuvre. Or, cette acuité du regard s’illustre dans tout un panel de métiers. Je crois qu’on a l’œil de naissance, et qu’on le forme dans diverses directions. »
Dans Histoires de peintures (cf. le chapitre « Le tableau préféré »), Daniel Arasse6 écrit au sujet du tableau La Chambre des époux de Mantegna (au Palais ducal de Mantoue, fin du XVe siècle) : « Comme je n’étais pas satisfait par ce que j’avais pu en lire comme explications, j’ai passé des heures dans cette pièce à regarder encore et encore et à essayer de comprendre ce que cette peinture nous disait ou avait dit, silencieusement. La peinture m’a d’ailleurs souvent récompensé de ces heures de contemplation ». On passe, et je le dis en premier à moi-même, peu de temps à observer et faire parler nos figures, nos formules, nos théorèmes. Ainsi, si l’étude de la perspective (points de fuite, lignes d’horizon) ou la recherche de la présence de régularités mathématiques (le fameux nombre d’or) ont permis un remarquable développement des mathématiques depuis la Renaissance grâce aux travaux de Piero della Francesca, Albrecht Dürer, Leonardo da Vinci, Leon Battista Alberti et bien d’autres savants, l’idée de ces architectes-mathématiciens-philosophes que nous retenons pour notre protocole se résume par une citation de Leonardo da Vinci qui a passé une grande partie de sa vie à observer et à aiguiser son regard : « Regarde attentivement car ce que tu vas voir n’est plus ce que tu viens de voir ».
Ce mélange d’activités, menées par le même artiste-scientifique pendant sa vie, m’a donné à penser qu’il pouvait être intéressant d’abattre les cloisons existantes entre les disciplines et permettre aux élèves de naviguer dans des « mondes parallèles » bien que différents. Je pense que cela permet de savourer plusieurs activités intellectuelles avec des démarches proches les unes des autres. Cela a été un des objectifs principaux poursuivis dans ce projet SEPIA.
Le temps s’impose aussi pour apprécier une formule, un théorème ou une configuration géométrique particulière. Si on saute cette étape, on passe à mon avis à côté du plaisir offert par les mathématiques et sans doute à côté de bien d’autres choses. Dans ce sens, je suis convaincu que nous avons beaucoup à apprendre des textes écrits par des « œils » éduqués à une observation fine des tableaux. D’ailleurs, est-il inutile de rappeler que le mot « théorème » signifie étymologiquement « regarder, contempler » ? À travers le regard, nous souhaitons faire sentir l’idée de « beauté mathématique » tant controversée.
Par ailleurs, j’insiste sur un point fondamental : nous ne cherchons pas les mathématiques dans les tableaux : il ne s’agit pas du tout de ça. Ceci dit, nous n’interdisons pas aux élèves de remarquer par exemple que dans La Descente de Croix de Paul Peter Rubens (voir page suivante) se trouvent trois têtes, sommets d’un triangle « équilatéral » ou de nous dire que la scène principale se trouve dans la partie inférieure du tableau sous une diagonale, etc. mais, encore une fois, ce n’est pas là le point essentiel.
Ainsi ce qui importe dans ce contexte, pour chacun des élèves, est de décrire minutieusement ce qu’il voit. La première question posée est donc : « Qu’est-ce que je vois ? ». S’il s’agit d’une scène, comme le tableau de Rubens, il est primordial de la décrire, de donner un sens à la torsion d’un visage ou du corps tout entier, à l’expression du visage, de comprendre la présence d’un personnage plus important peut-être que d’autres, d’observer les objets, les vêtements, les décors, les nuances des couleurs, le format, la composition, l’espace, la lumière… C’est un des aspects de l’éducation au regard. Un tableau peut raconter une histoire compliquée et les élèves, comme des enquêteurs, sont invités à déchiffrer cette histoire.
L’étude des sculptures en « ronde bosse » donne, quant à elle, l’occasion de travailler l’aspect dimensionnel des formes. Les élèves tournent plusieurs fois autour de l’œuvre pour mieux apprivoiser mentalement le travail de l’artiste.
L’historienne de l’art aide les élèves à accoucher d’une interprétation possible du tableau : elle apporte tous les éléments qui manquent dans la culture des élèves et leur montre qu’un tableau, petit ou immense, porte en lui-même une quantité importante d’informations pour le comprendre.
Il est clair qu’en une petite heure il n’est pas facile de faire repérer et décrire les éléments plastiques intrinsèques de l’œuvre et leurs qualités : espace, forme, couleur, lumière, matière et textures, outils et techniques, style. Et pourtant, dans la plupart des séances, tous ces points sont finalement abordés, même brièvement.
Tout cela est fondamental pour donner une vision plus globale d’une œuvre d’art mais aussi pour montrer aux élèves que les mathématiques ne sont pas la seule discipline à demander une grande capacité à faire des liens, à utiliser la vision, la mémoire et des connaissances. Il va de soi que l’on pourrait dire la même chose de la langue française, des langues en général, de l’histoire, de la géographie, du sport…
En d’autres termes, ce protocole, et c’est l’un de ses points forts, permet de décentrer l’attention par rapport aux mathématiques, réputées difficiles, et de réaliser que certaines difficultés sont comparables à celles des autres disciplines enseignées à l’école : bien observer, bien réfléchir avant de répondre, conjecturer et éventuellement se tromper sont des activités normales dans une démarche qui se veut intellectuelle.
Les effets du protocole
Côté enseignant
Les professeurs, tout au moins certains, ont progressé de façon spectaculaire : ils mènent la lecture de l’œuvre d’art sans trop besoin d’aide, ils gèrent d’une façon remarquable les prises de parole des élèves et sont maintenant familiers avec l’application du protocole.
Les collègues, même les plus timides, ont commencé progressivement à prendre davantage la parole, que ce soit dans le groupe de recherche (en présence d’autres collègues) ou au musée (en présence des élèves et des collègues). Ils ont cultivé leur curiosité — sel ô combien précieux dans l’enseignement ! — en approfondissant d’une façon généreuse tous les sujets concernant l’œuvre d’art à observer : par des lectures, par des échanges avec l’historienne de l’art participant au protocole, par des recherches portant sur l’auteur du tableau et son époque, éventuellement sur la mythologie ou l’histoire des religions… Leur regard s’est ainsi affiné dans le temps et ils ont fait bénéficier les élèves de progrès accomplis en les aidant à aiguiser leur propre regard. En mathématiques, ils ont également cherché à aller plus loin dans le décryptage des configurations, dans le soin apporté à leur langage et dans l’exigence envers leurs élèves à être plus précis dans la formulation de leurs idées (concernant une définition, un théorème, une propriété…), dans cette capacité à faire accoucher d’un résultat sans le dévoiler immédiatement, dans la connaissance de situations mathématiques qui leur étaient jusqu’alors inconnues.
Côté élèves
Les élèves ont montré une aisance de plus en plus visible, une maturité accrue, un intérêt à poursuivre les deux activités sans vraiment accuser de signe de fatigue. Ils ont fini par réaliser que les deux activités, parler d’une œuvre d’art ou s’exprimer autour d’une configuration géométrique, étaient des expériences complexes qui procédaient d’un même exercice de l’intellect. Il y a évidemment des analogies et des différences. En art, il est bien connu qu’il faut avoir un bagage qui fait appel à différents domaines de la connaissance autres que celui de l’art (l’histoire, la géographie, la mythologie…). La maîtrise de ces savoirs n’est pas forcement utile en mathématiques. Il y a toutefois au moins un remarquable point commun entre art et mathématiques : c’est la capacité à faire des liens ! Après plusieurs visites au musée, les élèves ont été à la hauteur de ces expectatives. Lors des rencontres au musée, les enseignants ont fait à plusieurs reprises des retours entre les deux séances de la journée pour lisser certaines différences, montrer par exemple l’analogie entre la recherche des liens dans des connaissances acquises en mathématiques au précédent semestre ou dans les années précédentes (nous savons tous combien ce souci de garder l’ensemble à l’esprit est essentiel dans la résolution des problèmes mathématiques).
Parfois, les élèves ont vu des figures géométriques dans les tableaux : des triangles, des diagonales, des cercles…
Dans ce contexte, nous n’avons jamais remarqué d’ennui chez les élèves. Il nous a même paru que ceux-ci tenaient à repartir avec une configuration bien dessinée. En ce sens, parmi les objectifs multiples de ce dispositif expérimental, celui de rendre les mathématiques plus agréables au plus grand nombre et d’installer le plaisir — non la corvée ! — de penser est atteint. De plus, les bons élèves sont moins « visibles » et les mathématiques semblent plus accessibles. Cela semble peu croyable mais c’est ce que nous avons pu constater lors des séances au Palais des Beaux-Arts de façon récurrente. La prise de parole étant rendue plus aisée, un plus grand nombre d’élèves souhaite s’exprimer.
Remarques sur le protocole
La place de la langue française a évolué tout au long de la mise en place du protocole mais il reste encore beaucoup à faire, tant à l’oral (« Comment raconter les deux séances vécues à d’autres camarades qui ne connaissent pas cette expérience ? ») qu’à l’écrit (« Quelle trace écrite ? », « Des notes qui permettent de fixer l’activité menée, d’y revenir, de se questionner, d’approfondir, de permettre à chacun d’aller chercher d’autres pistes ? »). Pour nous faire avancer, un professeur de français7, est venu rejoindre le groupe et a participé aux séances au Palais des Beaux-Arts. Son rôle consistait à demander par la suite aux élèves de mettre par écrit leurs impressions sur les tableaux.
La place de l’évaluation, du jugement, a évolué au cours de ces trois années et s’est installée progressivement, non seulement au niveau des élèves mais aussi au niveau des professeurs, dans ce contexte complètement nouveau pour tout le monde. Aujourd’hui, pendant les deux séances, devant le tableau ou la sculpture, comme devant les configurations géométriques, les élèves ne sont pas évalués. L’absence des notes ne nuit pas à la vivacité et à la richesse des échanges.
Le protocole propose un double objectif pour le professeur : d’une part, être autonome sur la présentation de l’œuvre d’art mais aussi être capable de mener le cours de mathématiques comme il l’aura appris par l’expérience des cours liés. Il ne sera plus nécessaire alors de s’appuyer systématiquement sur l’activité artistique.
Enfin, l’idée du titre à donner à la configuration géométrique s’est révélée amusante car les élèves pouvaient laisser libre cours aux images qui leur venaient à l’esprit et déployer leur fantaisie. Elle a aussi été exploitée durant les séances devant les tableaux et les sculptures. Avant de lire le cartel, les élèves pouvaient proposer leur propre titre.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là : nous prévoyons de procéder à l’étude d’autres tableaux et sculptures, y compris d’époques plus récentes, et travailler sur des artistes comme Poussin, Picasso, Rodin, Léger, Giacometti, Kandinsky…
Un exemple
Voici un exemple au cours duquel les élèves ont montré une belle réactivité : deux tableaux de D. Bouts. Je tiens à attirer l’attention surtout sur le fait qu’il s’agit de chefs-d’œuvre d’interprétation complexe. Cela n’a pas découragé les élèves qui ont su régulièrement rebondir.
Il était question, entre autres, d’aborder le thème de l’éternité, d’un temps d’une durée infinie, par la présence du feu éternel. Ce sujet a donné lieu à un échange sur l’infini mathématique. Et c’est là que les élèves ont découvert à quel point les liens entre les disciplines et à l’intérieur d’elles-mêmes étaient importants tout en confortant le bienfait de ce protocole : la droite, le nombre, l’infini en tant que symbole (une sorte de huit couché, comme l’a dit de façon spontanée un des élèves présents), une demi-droite, l’infinité des points d’un cercle, le nombre 3,33333…
L’éducation au regard (au sens large, vous l’aurez compris) passe donc par établir des liens, créer des passerelles, solliciter la mémoire et l’attention au moindre détail dans une œuvre d’art ou dans une situation mathématique. Il s’agit de revenir sur les erreurs, les analyser, les comprendre pour en éviter la répétition. Il s’agit également de s’attarder sur les définitions pour en apprécier les exemples, des plus faciles aux plus complexes. Mettre davantage en langage les mathématiques participe sans doute à une meilleure de notre discipline.
Les configurations géométriques choisies par le professeur permettent de parler de points alignés, de segments, de milieux de segments, de droites parallèles ou concourantes, d’angles aigus, obtus, droits, de cercles (rayons, cordes, diamètres) ou de points cocycliques, de triangles (isocèles, équilatéraux, rectangles), de polygones de toute sorte, réguliers ou non, de symétrie axiale.
Voici un joli exercice sur le regard, davantage à destination des collègues de lycée. Quel est le périmètre du triangle \(\mathsf{MNB}\) en sachant que \((\mathsf{MN})\) est tangente en \(\mathsf{T}\) au cercle inscrit au triangle \(\mathsf{ABC}\) dont on connaît les mesures \(a\), \(b\), \(c\) des trois côtés ?
Lors d’une séance, étant interrogée sur le devenir d’un polygone dont le nombre de sommets tendrait à augmenter indéfiniment, une fille, élève de Sixième, avait vite levé la main pour répondre : « Un cercle ! ». On dirait que le passage à la limite, au programme de l’analyse mathématique du lycée, était présent — préexistant avant cette expérience ? — dans l’esprit des plus jeunes…
Ouvertures
Les expériences menées au Palais des Beaux-Arts de Lille ont été riches, fortes et hors des sentiers battus. Elles ont permis d’inventer une nouvelle façon de concevoir l’enseignement et nous encouragent à les ouvrir à un plus grand nombre de classes et d’établissements, à les introduire dans la formation des futurs enseignants, à les faire connaître en formation continue. Il serait souhaitable de poursuivre ce travail pour en tester les effets sur le long terme et pour le diffuser largement. Depuis deux ans, l’université de Lille propose aux futurs professeurs des écoles une option intitulée « Éducation au regard ».
À Rome8, par exemple, des collègues chercheurs, proches de l’IREM de Lille, ont proposé à plusieurs établissements de mener cette recherche. Après quelques années d’expérimentations analogues à celles conduites dans le cadre de SEPIA, y compris dans des lycées romains, les retombées au niveau de l’enseignement des mathématiques sont indéniables.
Il y a quelque temps à Paris, dans un autre domaine, celui de la médecine et à l’initiative du projet porté par l’Université Pierre et Marie Curie, le vice-doyen de la faculté, le Professeur Alexandre Duguet, et le Docteur Rosenbaum, cardiologue à la Pitié-Salpêtrière expliquaient l’intérêt d’intégrer l’art au cursus des futurs soignants : « En médecine, on doit regarder les signes et leur donner du sens. On parle même de “tableau clinique”. Entraîner les étudiants à aiguiser leur regard sur un tableau les aidera à être plus attentifs face à leurs patients. Cela a même été démontré par une étude conduite par la prestigieuse université de Yale, aux États-Unis ».
Alors, regardons ! Et prenons-le temps de nous demander : « Qu’est-ce que je vois ? »
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Valerio Vassallo est maître de conférences à l’université de Lille et membre de l’IREM de Lille ; ardent défenseur de la géométrie, il participe à de nombreuses actions de diffusion des mathématiques et de formation des enseignants.
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Bollettino U.M.I., Série 3, Vol. XXII, p.539–549, 1967, .↩
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Cet article présente une petite partie de mes recherches, l’intégralité étant destinée à un essai à paraître prochainement.↩
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Je vous propose mon article plus étoffé et complet que celui-ci mais en italien È così, si vede !, 83 – 127, ici ↩
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Nous avons eu la chance de bénéficier de l’expertise de Marie-José Parisseaux, conseillère pédagogique de la circonscription de Lille Centre et historienne de l’art missionnée au musée.↩
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Parmi les tableaux et sculptures étudiés lors des séances au Palais des Beaux-Arts : Fortuna (A. Agache), Les Vieilles (F. de Goya), Médée furieuse (E. Delacroix), Le Dénombrement de Bethléem (P. Brueghel l’Ancien), Narcisse (E.-E. Hiolle), Cupidon (J.-A.-M. Idrac), Le Concert dans l’œuf (J. Bosch), Le repas chez Simon (Anonyme), L’Enlèvement d’Europe (J. Jordaens ), Femmes au bord du Nil (É. Bernard), La Descente de Croix (P. P. Rubens), L’Ascension des élus ou le Paradis terrestre et La Chute des damnés ou l’Enfer (D. Bouts), Prométhée enchaîné (d’après P. P. Rubens).↩
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Du même auteur, je vous conseille également On n’y voit rien, les deux ouvrages étant aux éditions Folio. Je vous renvoie aussi à l’article sur le site
Images des Mathématiques
écrit à cinq mains : Amélie Berthe, Elsa Lemaitre, Patrice Gaches, Marie-José Parisseaux-Grabowski, Valerio Vassallo.↩ -
Patrice Gaches.↩
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Le protocole suivi par le département de mathématiques Guido Castelnuovo de Rome La Sapienza est le même que celui de Lille et les musées engagés dans l’expérimentation sont les Palais Barberini et la Galleria Corsini.↩