Soyez malin, devenez paveur !

Les pavages sont probablement l’un des carrefours les plus évidents de l’art et des mathématiques. D’un coup d’œil, le professeur de mathématiques perçoit la symétrie et la richesse d’un pavage. Loïc Terrier nous donne les clefs pour créer son propre pavage apériodique… papier-crayon ou console Python, l’équipe d’Au fil des maths publiera vos créations ou celles de vos élèves.

Loïc Terrier

© APMEP Septembre 2020

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Introduction

Si un pavage est trop symétrique, trop répétitif, trop simple en somme, il est peut-être agréable a regarder mais il ne contient aucun mystère.

Si au contraire notre cerveau ne perçoit pas de symétrie, nous classons le pavage comme «aléatoire » et nous n’allons pas chercher plus loin. L’équilibre parfait est — à mon avis — atteint avec les pavages «apériodiques » découverts (ou redécouverts) par Sir Roger Penrose1.

Les symétries sont là, donnant une impression d’ordre agréable, mais nous ne saisissons pas l’agencement général car les pavés se combinent pour former des motifs plus grands qui eux-mêmes se combinent… à l’infini.

Un pavage périodique est par définition un pavage où le même motif se retrouve par translation. Plus précisément, il existe deux translations de vecteurs non colinéaires qui laissent le pavage invariant. Il s’ensuit que le tout se déduit d’une toute petite portion, le motif.

Un pavage apériodique échappe à cette tyrannie des translations !

On pourrait penser que créer ce genre de pavage est une affaire sérieuse, réservée à des mathématiciens professionnels… Il n’en est rien, car nous pouvons nous inspirer du travail de Penrose. Pour cela, nous allons commencer par étudier un pavage voisin du sien.

Des triangles dans un pentagone

L’idée de base est la suivante : on considère les triangles obtenus lorsque l’on relie un sommet d’un pentagone régulier à tous les autres (on «triangule » le pentagone).

Si on considère un pentagone régulier de côté \(1\), alors la diagonale vaut \(\varphi=\dfrac{1+\sqrt{5}}{2}\cdotp\) C’est le fameux nombre d’or, qui vérifie l’équation \(\varphi^2=\varphi+1\) dont on se servira plus loin. Les deux triangles obtenus sont nommés dans [1] respectivement triangle d’argent et triangle d’or. Posons \(\alpha=\dfrac{\pi}{5}\cdotp\)

  • triangle d’argent :

    angles \((\alpha, \alpha, 3\alpha)\) ;

    côtés : \((1,1,\varphi)\) ;

    aire \(a_1=\dfrac{1}{2}\sin(\alpha)\times 1 \times \varphi\)
    \(~=\dfrac{1}{2}\sin(\alpha)\varphi\).

  • triangle d’or :

    angles \((2\alpha,2\alpha,\alpha)\) ;

    côtés : \((1,\varphi,\varphi)\) ;

    aire \(a_2=\dfrac{1}{2}\sin(\alpha) \times \varphi \times \varphi\)
    \(~=\dfrac{1}{2}\sin(\alpha)\varphi^2\)
    \(~=\dfrac{1}{2}\sin(\alpha)(1+\varphi)\).

Remarquons au passage que l’aire du triangle d’or est \(\varphi\) fois plus grande que celle du triangle d’argent : \(a_2=\varphi a_1\).

Agrandissons à présent ces deux triangles : plus précisément, appliquons-leur une homothétie de rapport \(\varphi\) : leurs côtés sont multipliés par \(\varphi\), leur aire par \(\varphi^2\).

Le triangle d’argent agrandi a ses côtés égaux à \(\varphi\), \(\varphi\) et \(1+\varphi\) et une aire \(A_1=a_1\varphi^2=a_1(1+\varphi)=a_1+a_2\).

Le triangle d’or agrandi a ses côtés égaux à \(\varphi\), \(1+\varphi\) et \(1+\varphi\) et une aire \(A_2=a_2\varphi^2=a_2 + a_2\varphi=a_2+a_1\varphi^2=
a_2+a_2+a_1\)
.

Un grand triangle d’argent vaut donc un or et un argent, tandis qu’un grand triangle d’or vaut deux ors et un argent, et on peut effectivement les découper ainsi :

Ce découpage est la clef du pavage : on part d’un simple triangle. On l’agrandit puis on le découpe, et on recommence… à l’infini !

La figure ci-dessous montre les sept premières étapes. On n’a pas procédé aux agrandissements pour des raisons de place !

De l’apparent désordre initial surgit une mystérieuse structure…

Pourquoi peut-on affirmer que ce pavage (infini) n’est pas périodique ?

S’il l’était, le même motif composé de \(k\) triangles d’or et de \(m\) triangles d’argent se répéterait à l’infini, et le quotient \(\dfrac{\mathstrut\text{nombre de triangles d’or}}{\mathstrut\text{nombre de triangles
d’argent}}\)
tendrait vers \(\dfrac{k}{m}\cdotp\)

Comptons le nombre de triangles d’or et de triangles d’argent à chaque étape :

\(2\) ors et \(1\) argent à l’étape une, puis \(5\) ors et \(3\) argents à l’étape deux, puis \(13\) ors et \(8\) argents… On retrouve la célèbre suite \(\left(\mathcal{F}_n\right)\) de Fibonacci !

Si on note respectivement \(o_n\) et \(a_n\) le nombre de triangles d’or et d’argent à l’étape \(n\), on a \( \begin{cases}
o_{n+1}=2o_n+a_n\\
a_{n+1}=o_n + a_n
\end{cases}\)
. On en tire la relation de récurrence d’ordre \(2\) : \(o_{n+2}=3o_{n+1}-o_n\) qui montre (après calculs) que \(o_n=\mathcal{F}_{2n+1}\) puis \(a_n=\mathcal{F}_{2n}\). En particulier, on en déduit que \(\displaystyle\lim_{n\to+\infty}\dfrac{o_n}{a_n}=\varphi\)… qui est irrationnel !

Ceci prouve que ce pavage est effectivement apériodique.

Et le pavage de Penrose

Ce qu’on a obtenu semble assez différent, mais il s’agit en fait du même procédé, avec des règles de substitution légèrement différentes.

Les deux tuiles du pavage de Penrose sont appelées «fléchette » et «cerf-volant » : une fléchette est constituée de deux triangles d’argent, tandis qu’un cerf-volant est obtenu à l’aide de deux triangles d’or. En appliquant l’agrandissement de rapport \(\varphi\), une fléchette va se décomposer en deux triangles d’or et deux triangles d’argent, soit une fléchette et un cerf-volant. Un cerf-volant donnera naissance à deux triangles d’argent et quatre triangles d’or, donc une fléchette et deux cerf-volants.

Pour que cela puisse effectivement marcher, il faut respecter quelques règles dans la configuration de départ. Les lecteurs intéressés tireront certainement grand plaisir au visionnage du petit film (16 min) d’animation [2].

Pour terminer ce paragraphe, remarquons qu’il existe plusieurs façons de découper les triangles d’or et d’argent, et que cela produit des pavages différents ! Par exemple, avec les découpages suivants :

On obtient, au bout de sept étapes :

À vous de jouer !

Le principe de ces pavages par substitution repose sur le petit miracle permettant de découper les triangles en triangles du même type. On pourrait penser que le pentagone est un cas particulier et que cette propriété est l’un des tours dont le nombre d’or est friand. Il n’en est rien ! De tels découpages sont possibles avec l’hexagone, l’heptagone, l’octogone… et peut-être avec tout polygone régulier ?

On peut démontrer que, si le côté du polygone vaut \(1\), alors le produit des longueurs de deux diagonales quelconques peut s’écrire comme somme de longueurs de diagonales2. Le cas du nombre d’or n’est pas isolé.

Pour l’hexagone, on a trois triangles possibles. On peut faire deux homothéties et chacune d’elles donne lieu à plusieurs découpages possibles : si on rajoute les possibilités offertes par les différentes symétries, cela fait déjà des centaines de pavages à découvrir !

Le pavage ci-dessous est l’un d’eux. Trouverez-vous les règles de substitution utilisées ?

Pour créer son pavage, la première étape consiste donc à choisir le nombre de côtés du polygone régulier et à déterminer tous les types de triangles qu’on peut obtenir en reliant trois sommets. Ensuite, par exemple en s’aidant de Geogebra, on trouve un découpage de chaque triangle. Mais une fois que cela est fait, comment créer son pavage ?

Avec Python

On peut bien sûr prendre sa règle, son compas, s’armer de courage et de patience et tout faire à la main (Escher le faisait !) On peut aussi utiliser un langage de programmation… Tiens, pourquoi pas Python ?

Un script et sa notice sont disponibles ici paveur.py pour ceux qui voudraient essayer. Moment de magie garanti quand on voit le pavage se former !

Conclusion

Il n’existe que dix-sept sortes de pavages périodiques, mais il y en a une infinité d’apériodiques ! On trouve d’ailleurs sur la toile une encyclopédie de pavages apériodiques [3]. Elle contient des dizaines de pavages de toutes sortes ! Reste a espérer qu’un jour les designers s’emparent de ce trésor et le sortent au grand jour…

Références

  • [1] Jean-Louis Brahem. Histoires de géomètres. . . et de géométrie. Éditions Le Pommier, 2011.

  • [2] Alessandro Musesti et Maurizio Paolini. Darts and kites in the sky of mathematics. et

  • [3] F. Gähler, D. Frettlöh et E. Harriss. Tilings encyclopedia..

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Loïc Terrier est adhérent de la dynamique régionale de Lorraine. Après avoir sévi de nombreuses années dans l’enseignement secondaire, il s’en est récemment évadé et tente a présent de convaincre ses élèves de classe préparatoire ECE (économique et commerciale, option économique) du lycée Henri Poincaré de Nancy que les mathématiques peuvent être amusantes… Il a animé des ateliers aux Journées Nationales de l’APMEP sur LaTeX, R et les flexagones.


  1. Ce mathématicien et physicien britannique a découvert ce pavage en 1974, environ dix ans avant que Daniel Shechtman n’observe pour la première fois les quasi-cristaux qui ont une structure similaire.
  2. Cela découle des propriétés des polynômes de Tchebychev de seconde espèce.
Pour citer cet article : Terrier L., « Soyez malin, devenez paveur ! », in APMEP Au fil des maths. N° 537. 29 octobre 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/soyez-malin-devenez-paveur/.

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