L’alcool au volant

Si nos élèves ne connaissent pas tous Coluche, réfléchir sur ses saillies est l’occasion d’exercer l’esprit critique de nos élèves. En Terminale où les probabilités conditionnelles sont au programme, voici un bel exercice à proposer.

Michel Soufflet

© APMEP Décembre 2018

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Dans « le problème de Papy Michel » précédent, j’évoquais mon travail avec Rudolph Bkouche : « Abstraire c’est simplifier ». En travaillant à ses côtés, j’ai acquis une autre certitude : pour donner envie de faire des maths, il ne faut pas craindre de s’attaquer à des problèmes difficiles. Il faut avoir vu le regard d’un enfant qui vient soudainement de comprendre quelque chose qu’il pensait inaccessible pour saisir les instants de bonheur que la pratique des mathématiques peut procurer !

Les occasions arrivent quelquefois de façon fortuite, l’anecdote suivante en est un bon exemple.
Au début des années 80, la radio ayant annoncé : « 30 % des accidents sont liés à une consommation d’alcool », Coluche répliqua : « cela signifie que 70 % des accidents sont causés par des buveurs d’eau ».

Un élève d’une terminale scientifique m’a demandé ce que j’en pensais. Par chance, l’élève avait eu la bonne idée de poser cette question à la fin du cours. Sauvé par le gong, j’ai eu ainsi le temps d’analyser la situation :
« 30 % des accidents sont liés à une consommation d’alcool » correspond visiblement à une probabilité conditionnelle mais laquelle ?

Appelons \(A\) l’événement « le conducteur a consommé de l’alcool » et \(B\) : « le conducteur est impliqué dans un accident » ; \(\bar{A}\) et \(\bar{B}\) leurs événements contraires. Par \(\bar{A}\) nous entendons « le conducteur n’a pas consommé d’alcool ».
« 30 % des accidents sont liés à une consommation d’alcool » se traduit par : \(p_B(A) = {0,3}\) (probabilité de \(A\) sachant que \(B\) est réalisé), si un conducteur est impliqué dans un accident, la probabilité qu’il soit en état d’alcoolémie est \({0,3}\).
Celle de Coluche se traduit par : \(p_B(\bar{A}) = {0,7}\). Si l’une est vraie l’autre aussi !

L’ambiguïté vient du fait que, dans le premier cas, on soupçonne l’alcool d’être la cause de l’accident, dans le deuxième la consommation de boissons non alcoolisées ne suscite pas d’inquiétude !
Lorsqu’on ne voit pas par quel bout prendre le problème une bonne idée consiste à remplacer un terme par un autre moins polémique : supposons que la radio ait annoncé : « 30 % des accidents sont liés à une consommation de café », l’effet aurait été différent. Il y a un présupposé sur l’alcool qui est vrai mais qui fausse l’analyse et qui met le professeur mal à l’aise car il n’a pas envie de laisser à entendre que l’alcool au volant ne serait pas dangereux.

Avec le café nous avons en plus un bon exemple pour observer l’indépendance de deux évènements : si 30 % des conducteurs boivent du café alors \(A\) et \(B\) sont indépendants et la consommation de café n’a pas d’incidence sur le nombre d’accident. Si \(p(A) > {0,3}\) alors la consommation de café diminuerait le risque d’accident. Si \(p(A) < {0,3}\) alors c’est le contraire.

Revenons au cas de l’alcool, il nous manque visiblement une information pour nous faire une bonne idée de la question. Il nous faut connaître \(p(A)\) c’est-à-dire la probabilité qu’un conducteur pris au hasard ait consommé de l’alcool.

Renseignement pris auprès de la Sécurité Routière, ce nombre était à l’époque d’environ 2 % lors des contrôles routiers. L’événement \(A\) devient donc : « le conducteur est en état d’alcoolémie au sens légal » (cela correspondait à l’époque à une dose de \({0,8}\) g par litre de sang et correspond à \({0,5}\) g désormais). Cela se traduit par : \(p(A) = {0,02}\). En ajoutant cette donnée, on se retrouve devant le problème suivant :

Ce qu’il faut comparer ce sont les valeurs de \(p_A(B)\) et de \(p_{\bar{A}}(B)\) c’est à dire la probabilité d’avoir un accident sachant que l’on a, ou pas, consommé de l’alcool.
On pourra pour le faire calculer le nombre \(k\) tel que : \(p_A(B) = k p_{\bar{A}}(B)\).

Le problème se présente donc sous la forme :

Sachant que \(p_B(A) = {0,3}\) et que \(p(A) = {0,02}\) calculer \(k\) tel que : \(p_A(B) = k p_{\bar{A}}(B)\).

Les définitions nous donnent :

\(p_A(B).p(A)= p(A\cap B) = p_B(A).p(B)\) donc

\(p_A(B)=\dfrac{p(B).p_B (A)}{p(A)}\) d’où \(p_A(B)=p(B)\cdot\dfrac{{0,3}}{{0,02}}\)

soit \(p_A(B) =15p(B)\).

De même : \(p_{\bar{A}} (B)=\dfrac{p(B).p_B (\bar{A})}{p(\bar{A})}=p(B)\cdot\dfrac{{0,7}}{{0,98}}\)

or \(p(B) =\dfrac{p_A (B)}{15}\) d’où \(p_A(B) =21p_{\bar{A}}(B)\).

Consommer de l’alcool multiplie par \(21\) le risque d’avoir un accident !

Sur le fond, Coluche n’avait pas tort : la phrase entendue à la radio, « 30 % des accidents sont liés à une consommation d’alcool », n’avait pas de sens sans précision sur le nombre d’accidents et sur le pourcentage de conducteurs alcoolisés ! Pourtant, elle ne m’avait pas choqué a priori, pas plus que les collègues à qui j’avais posé la question.
Dans ce cas, « abstraire » a juste consisté à analyser la situation et à la traduire en termes mathématiques mais la satisfaction du résultat n’en est pas moindre.

Remarque : le calcul était relativement simple pour les élèves de l’époque car c’était un exercice classique dans les annales de bac des sections où les probabilités conditionnelles étaient au programme. Au bac D, l’exercice était souvent posé sous un autre habillage, du type « probabilité d’être malade selon que l’on est vacciné ou pas ».

Ainsi posé, cet exercice devenait presque de la routine ! Il paraîtrait peut-être plus difficile actuellement mais il ne faut pas oublier qu’un problème qui demande de l’analyse lorsque qu’il est nouveau devient un simple exercice d’application lorsque les élèves l’ont rencontré plusieurs fois. Vouloir, par exemple, comparer les niveaux d’enseignement à partir des annales du bac n’a pas de sens sans une connaissance profonde des pratiques de l’époque.

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Michel Soufflet, IREM de Normandie.

Pour citer cet article : Soufflet M., « L’alcool au volant », in APMEP Au fil des maths. N° 530. 6 janvier 2019, https://afdm.apmep.fr/rubriques/recreations/lalcool-au-volant/.

Une réflexion sur « L’alcool au volant »

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