Mouvement mathématique en Bretagne

La semaine des mathématiques est une opération nationale qui, durant une semaine, met l’accent sur notre discipline dans les établissements scolaires du pays. L’initiative ministérielle a pris de l’ampleur ces dernières années, par un agréable effet boule de neige. Et cet encouragement donne maintenant lieu à de nombreux projets. En voici un exemple !

Claudie Asselain-Missenard

© APMEP Septembre 2019

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Le projet que je vais raconter prend naissance en terre bretonne.

Le thème 2018 « mathématiques et mouvement » a inspiré Gwenaëlle, enseignante de CM1-CM2 dans une petite école des Côtes d’Armor. La commune étant bordée par la mer, il était tout naturel de s’intéresser au mouvement des marées, dans une région où elles comptent parmi les plus fortes de France (12 mètres de marnage1 en grandes marées !). Le thème était de nature à intéresser les enfants. Ils vivent en milieu maritime. En même temps, leurs connaissances étaient très inégales, car la commune est aussi beaucoup tournée vers l’agriculture.

C’est en tant qu’ambassadrice des mathématiques (autoproclamée…), rôle que je joue depuis deux ans dans la classe, que j’ai été sollicitée par Gwenaëlle pour bâtir un projet à dérouler sur cette semaine.

Mon outil de travail dans la préparation ? L’annuaire des marées, et en particulier la page du mois de mars 2018. C’est étonnant de voir la foule de données numériques contenue dans ce petit opuscule que possèdent tous les pêcheurs à pied et navigateurs du secteur. Et tout ce qu’on y découvre, comme régularités et comme irrégularités, lorsqu’on veut bien s’y intéresser de près. Nous avons décidé de partager la classe en cinq groupes. Nous avons embauché dans nos amis du voisinage, qui ont souvent eu une vie liée à la mer, suffisamment de bénévoles pour que chaque groupe d’enfants soit encadré par un adulte. Et, à partir des données numériques de l’annuaire des marées, j’ai choisi cinq points d’entrée mobilisant des contenus mathématiques en lien avec les programmes. Chaque groupe aurait une mission : réaliser une affiche autour des données en sa possession. Cette mission permettrait d’observer, de calculer, avec des entiers, des décimaux ou avec des heures et minutes, et de fabriquer des représentations graphiques des données.

Pour commencer…

Une introduction au thème, pour faire émerger les connaissances et représentations des enfants, a eu lieu le lundi matin. Les mouvements de la Terre, de la Lune et du Soleil ont été regardés de près. Gros succès de l’orange et du potimarron censés représenter la Terre et le Soleil, placés à une distance proportionnellement convenable.

Figure 1 : L’orange et le potimarron (propos d’élève).

Nous avons utilisé le tableau blanc interactif de l’école pour projeter des vidéos scientifiques explicatives. Il en existe beaucoup, souvent anglo-saxonnes. Canopé en propose aussi, dans un style plus enfantin. Pour ces phénomènes complexes, ce que permet l’image animée est vraiment une aide. Internet fourmille de propositions, le plus difficile étant de trouver la plus adaptée2. Pour éviter le trop compliqué, mais aussi le trop enfantin ou trop simpliste, le mieux est de se demander d’abord ce que l’on souhaite qui soit retenu au final, et de choisir les supports à montrer une fois cet objectif bien précisé dans sa tête.

Les enfants avaient beaucoup de questions, certains aussi beaucoup de connaissances. Nombreux avaient déjà été à la pêche à pied, en compagnie de leurs papys, nous ont-ils dit… Certains voient la mer de chez eux, mais parfois sans la regarder vraiment.

Les activités mathématiques autour des marées

Ensuite, dès l’après-midi, il n’y avait plus qu’à retrousser nos manches et à se mettre au travail : la réalisation de ces fameuses affiches, projet concret et devant nécessairement aboutir puisque les parents étaient d’ores et déjà conviés le vendredi soir pour voir l’exposition du travail de la semaine. Nous avons utilisé les deux temps d’activité périscolaire du lundi et du jeudi (deux fois une heure et demie). Nous avions préparé le travail autour de cinq thèmes (les données et objectifs pour chaque groupe sont disponibles sur la revue numérique ) :

  • un groupe travaillait à exploiter les indicateurs numériques donnés par l’annuaire notamment les heures des marées (système sexagésimal) :

    Figure 2 : Durée entre pleine mer et basse mer suivante.

    Figure 3 : Calcul de durée.

    Figure 4 : Bilan élève sur le calcul des durées.
  • un autre travaillait sur les hauteurs des marées (décimaux avec deux chiffres après la virgule) données par le tableau ci-dessous :

    Figure 5 : Hauteur des marées en basse mer.
  • un troisième groupe travaillait sur le coefficient des marées (entier, celui-là) et sur le lien avec les phases de la Lune.

    Figure 6 : Coefficients de marée et phases de la Lune.
  • en sus, les heures de lever et coucher du Soleil sur l’année (le 1 et le 15 de chaque mois) ont permis à un autre groupe de dessiner de très jolies sinusoïdes.

    Figure 7 : Heures de lever/coucher du soleil sur l’année.
    Figure 8 : Bilan élève sur les représentations graphiques.
  • enfin la « règle des douzièmes » a permis au cinquième groupe une petite incursion chez les fractions et dans le monde de la proportionnalité (ou non).

    Figure 9 : Règle des douzièmes.

Encore plus de maths…

Au-delà de ce projet thématique, les mathématiques ont vraiment été à l’honneur tout au long de la semaine. L’enseignante a pu retravailler sur les heures, minutes, secondes. Le calcul en système sexagésimal n’est plus très enseigné de nos jours, mais se révèle bien utile pour renforcer la compréhension profonde du mécanisme des retenues quand on calcule en écriture décimale. La classe était par ailleurs inscrite au Kangourou des Mathématiques  et l’épreuve s’est déroulée le jeudi matin avec beaucoup de concentration et d’application. Et, comme si cela ne suffisait pas, j’ai organisé le vendredi matin le « défi tables de multiplication » promis depuis longtemps. En effet, je suis convaincue que la mauvaise connaissance des tables de multiplication est un handicap important pour les mathématiques au collège et au lycée. Et il s’avère que la motivation par une présence extérieure (moi) est un point d’appui pour le professeur de la classe, qui doit encourager ses élèves dans l’effort de mémorisation.

Bien entendu, à chaud juste après tout cela, et c’est le privilège du premier degré où l’enseignant est pluridisciplinaire, les élèves se sont exprimés par écrit sur leur perception de cette riche semaine, ce qu’ils y avaient appris, ce qu’ils avaient retenu, ce qu’ils avaient aimé… Travail qui, accompagné de la production de dessins décoratifs sur le thème de la mer, a permis de réaliser des affiches complétant ou illustrant celles déjà fabriquées. Outre les marques globales d’intérêt, et ce qui a été appris en faisant des mathématiques (dont les enfants n’ont pas forcément eux-mêmes conscience), ce travail écrit a montré que nos principaux objectifs en termes de connaissances scientifiques avaient été atteints : qui tourne autour de qui ? Et en combien de temps ? Quels sont les ordres de grandeur respectifs des trois corps célestes en jeu, et qui est près, qui est loin ? Quel mouvement est à l’origine de quoi (jour/nuit, saisons, marées) ?

Restait à réaliser l’accrochage et à accueillir dignement les parents venus en nombre le vendredi soir : un moment très gratifiant d’échange et de partage. Les enfants ont eu à cœur de montrer leur travail, d’expliquer aux adultes leurs affiches et de leur raconter tout ce qu’ils avaient compris. Les parents se sont montrés réellement intéressés, car concernés aussi par le fond de la question (c’est vraiment compliqué, les marées !) et pas seulement venus là par devoir parental. Et cela s’est fini, bien sûr, autour d’un verre de jus de fruit ou de cidre, d’un boulier (en souvenir d’une précédente sortie à l’exposition Mathissime , exposition itinérante produite à Bordeaux par l’association Cap Sciences) et de quelques casse-têtes négligemment posés sur les tables par une ambassadrice facétieuse, contente de voir que les parents aussi se prennent au jeu mathématique, pourvu qu’on les y incite.

Épilogue

Si j’ai eu envie de raconter cette expérience, ce n’est pas juste pour faire étalage d’autosatisfaction. Comme toute action pédagogique, celle-ci n’est pas reproductible à l’identique. Les conditions favorables et l’adhésion des enfants et des parents que nous avons eu la chance de voir réunies ici ne sont jamais garanties. Mais il y a malgré cela des enseignements à en tirer.

La satisfaction est au rendez-vous. Une satisfaction qui repose sur des bases solides, j’aurais envie de dire « démontrables ». À l’heure où l’inquiétude est palpable sur l’enseignement des mathématiques dans notre pays, le rapport , rédigé par Cédric Villani et Charles Torossian, contient une analyse des causes du malaise, ainsi que 21 mesures préconisées pour redresser la situation. Toutes sont estimables, mais le problème résiduel est celui de leur mise en œuvre.

À la lumière des 21 mesures de ce rapport, nous pouvons dire qu’il y a une certaine exemplarité dans notre travail de la semaine des maths décrit dans cet article. Gwenaëlle et moi sommes conscientes de la nécessaire priorité à donner au premier degré. Nous avons proposé dès le plus jeune âge un apprentissage des mathématiques fondé sur la manipulation et l’expérimentation, la verbalisation, l’abstraction (mesure 5). Nous avons pratiqué des partenariats institutionnels avec le périscolaire et favorisé localement le développement de ce secteur (mesure 7). Nous avons développé les échanges entre les autres disciplines (astronomie et physique)3 et les mathématiques (mesure 8). Nous avons bâti un projet où les mathématiques occupaient une place importante (mesure 10). Nous avons cultivé le sens des (grands) nombres et des opérations (mesure 11). Nous avons travaillé à développer les automatismes de calcul par une pratique rituelle (mesure 12). Et surtout, nous avons mis en pratique (avant l’heure) l’idée d’un référent mathématique pour développer la formation continue entre pairs, et en équipe, à l’échelle locale, dans une logique de confiance (mesures 14 et 15).

D’accord, nous avons joué les bonnes élèves. Pas pour mériter un bon point (ceux-ci se font rares dans l’Éducation Nationale), mais parce que nous y croyons. Et parce que nous avions envie de prouver qu’il n’est pas si difficile que cela de passer du vœu pieux à la réalité. Avec des conditions nécessaires d’une certaine légèreté au final : une institutrice dynamique, une prof retraitée qui aime encore les maths et les enfants, quelques bénévoles qui ne demandent que cela, un peu de préparation. Plus un investissement sérieux en temps et en énergie la semaine de l’action, surtout pour l’enseignante de la classe. Une recette qui demande peu d’ingrédients, et qui, comme toute recette culinaire, peut avoir autant de variantes qu’il y a de cuisiniers. Si vous vous en emparez, je peux garantir que le produit fini aura ce goût personnalisé et toujours un peu inattendu qui en fait le charme.

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Claudie Asselain-Missenard a pris une retraite méritée après de nombreuses années en poste dans l’académie de Versailles, puis celle de Paris.


      1. Le marnage est la différence de hauteur d’eau entre une marée haute et une marée basse successives.

      2. Vous trouverez, dans la revue numérique, une liste de liens vers des vidéos intéressantes.

      3. Une poursuite du travail a eu lieu en mai, avec deux jours d’ateliers astronomie, et une nuit d’observation, sous l’égide de l’association Les Petits débrouillards .

Pour citer cet article : Asselain-Missenard C., « Mouvement mathématique en Bretagne », in APMEP Au fil des maths. N° 533. 24 janvier 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/mouvement-mathematique-en-bretagne/.