Comment les IREM ont donné un sens à ma vie 

Mai 2019, Besançon : colloque du cinquantenaire des IREM. En ouverture, une curiosité : une conférence à trois voix « Chercher et apprendre dans (d’) un groupe IREM. Trajectoires d’acteurs et d’actrices… ». C’est là que nous trouvons Sylvie Alory. Suivons-la…

Sylvie Alory

© APMEP Juin 2020

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Me voici au tableau avec mes camarades Charlotte Derouet1 et Luc Trouche2 à raconter à un large public notre parcours au sein des IREM (Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques). J’en suis toute étourdie… Pourquoi suis-je là, moi simple professeure de mathématiques ? En préparant cette conférence, j’ai réalisé à quel point les IREM comptent dans ma vie professionnelle. Et pourtant, quand j’en parle autour de moi, il me semble qu’il y a finalement peu de collègues qui connaissent et encore moins qui osent en pousser la porte. De mon côté, je me dis qu’une si belle structure mérite d’être connue, partagée, à portée de main de chacun et ne doit en aucun cas dépérir faute de combattants.

Alors, c’est parti ! Je vous propose de partir avec moi à la découverte des IREM3.

Les premiers IREM apparaissent à Paris et à Besançon en 1969 à l’initiative de l’APMEP. À cette période, deux facteurs conduisent à s’interroger sur la pédagogie pour enseigner les mathématiques au plus grand nombre : la massification de l’enseignement et la réforme dite des «maths modernes». André Revuz fonde alors l’IREM de Paris à la Faculté des sciences de Paris puis à l’université Paris Diderot. À ce jour, il existe trente-six IREM (dont huit à l’étranger) fonctionnant en réseau au sein duquel travaillent des enseignants du primaire, du secondaire et du supérieur.

Les missions des IREM sont multiples :

  • mener des recherches sur l’enseignement des mathématiques permettant une transposition des recherches fondamentales en didactique et en épistémologie ;

  • former les enseignants ;

  • diffuser le produit des recherches et du travail des différents groupes existants au sein des IREM. En particulier, on doit aux IREM les revues Grand \(\Bbb{N}\) , Petit \(x\) et Repères-IREM consultables en ligne, revues que je pille régulièrement pour construire mes séquences de cours… Au passage, j’en profite pour remercier les contributeurs de ces revues.

Premier contact avec l’IREM

À travers mon expérience personnelle, je souhaite vous montrer toute la richesse du travail des IREM et j’espère vous convaincre de franchir à votre tour la porte de l’IREM le plus proche de chez vous.

Ma première rencontre avec l’IREM de Paris 7 a eu lieu en début de carrière lors d’un stage de formation organisé par le groupe M. :A.T.H.4 La formation continue est souvent une porte d’entrée à l’IREM. Essentiellement hors de toute commande institutionnelle, ces formations sont le fruit du travail effectué au sein des groupes IREM composés d’enseignants du secondaire, de didacticiens, d’enseignants et de chercheurs du supérieur, qui ont décidé ensemble de se pencher sur une problématique et proposent une réflexion théorique, un apport disciplinaire et des travaux pour la classe, généralement testés avec des élèves avant d’être analysés. L’alliance de professeurs d’universités, de didacticiens et de professeurs du secondaire fait la qualité des formations dispensées, entre apports théoriques et activités pour les élèves. Alors durant trois ans tous les lundis après-midi, j’ai assisté aux séances du groupe M. :A.T.H., apprenant à lire des textes de mathématiciens en vue de les utiliser en classe. J’y découvre surtout l’histoire de ma discipline, que ma formation avait totalement éludée. En ce début de carrière, je n’étais pas en mesure d’apporter ma contribution au groupe et on m’a laissée (ap)prendre.

En pensant IREM, c’est donc le premier aspect qui me vient à l’esprit : être formée. Être formée en assistant aux formations et se former en participant aux groupes IREM.

S’inscrire à un groupe IREM : pour qui ? Pourquoi ?

Participer à un groupe IREM fut donc l’étape suivante. Un groupe IREM, c’est notamment un lieu où l’on échange avec des collègues autour de difficultés à enseigner telle ou telle notion. Ces moments d’échange en toute confiance sont rares au sein des établissements scolaires où, si l’on peut évoquer nos difficultés de gestion de classe, il est rare (pour ne pas dire rarissime) que l’on puisse parler de nos difficultés à enseigner une notion sans se sentir soumis au jugement des collègues. «Comment ça, elle ne sait pas enseigner les limites de suites ? ! ! ! ! !» Peut-être la récente création des laboratoires de mathématiques aidera-t-elle à pallier ce manque d’échanges au sein des équipes ?

Avec nos collègues du supérieur, nous identifions une difficulté d’enseignement, un thème qui nous intéresse et nous choisissons de mener certains travaux, chacun apportant un éclairage théorique ou des lectures des textes didactiques ou encore son expérience de terrain (réussite ou échec).

L’IREM de Paris 7 a la chance d’être adossé au LDAR5 et nous bénéficions de l’apport de nos collègues didacticiens qui nous guident pour la lecture de textes didactiques. Participer à un groupe IREM est, pour moi, un moyen privilégié de formation continue dont je suis actrice.

Un lieu unique de développement professionnel

Dans ces groupes, on découvre qu’on n’est pas seule à éprouver des difficultés à enseigner les limites de suites ! Parce que, oui, on participe aux groupes IREM d’abord de façon égoïste en espérant obtenir des solutions.

On découvre vite que les solutions, il faut les chercher ensemble. À l’époque où j’étais formatrice à l’IUFM de Paris, j’ai accueilli des stagiaires dans mes classes et j’ai encadré des mémoires de master MEEF. Avec Renaud Chorlay, formateur à l’IUFM-ESPE de Paris lui aussi, nous discutions alors autour de l’introduction du nombre dérivé en classe de Première. Conscients l’un et l’autre que nous manquions de solutions à apporter aux étudiants du master MEEF quant à cette séquence, nous avons décidé de travailler sur une séquence d’introduction. Nous avons cherché à introduire la tangente en un point à une courbe à partir du phénomène de rectitude locale au voisinage d’un point avec un jeu de zoom sur GeoGebra. Ce premier aperçu local et empirique de la tangente à une courbe avait pour but de faire naître la nécessité de construire une définition de la tangente : un point étant connu, cela revient à définir le coefficient directeur de la droite. L’utilisation du calcul formel permet de mettre en place et de rendre opérationnels des savoir-faire avant de donner la définition comme limite du taux d’accroissement. La classe sait qu’elle cherche une définition et un moyen de calcul. Ce travail assume de ne pas donner en premier la définition du nombre dérivé et de travailler par phases intermédiaires : définitions provisoires, méthodes à portée limitée dépendant de la nature de la fonction étudiée. L’objectif pour nous était d’enseigner différemment : rendre nécessaire pour les élèves de construire une définition, c’est un travail que nous proposons rarement ; pourtant c’est une activité intrinsèque aux mathématiques. Nous pensons en procédant ainsi que les élèves mémoriseront mieux la définition qu’ils ont élaborée car ils en sont les auteurs et qu’ils savent pourquoi ils ont éprouvé la nécessité d’un tel travail6. Je citerai Descartes «… ne saurait si bien concevoir une chose, et la rendre sienne, lorsqu’on apprend de quelque autre, que lorsqu’on l’invente soi-même».

Nous avons alors présenté notre travail au sein du groupe Analyse, fait tester la séquence par deux enseignants (je n’avais pas cette année-là de classe de Première) et collaboré à la rédaction d’une brochure «Un travail sur une approche du nombre dérivé en Première». [1]

Ce type de réflexion au sein d’un groupe accompagne la modification de ma pratique plus sûrement que lorsque je poursuis seule ma réflexion. Recevoir l’adhésion du groupe, entendre ses oppositions et ses modifications permet d’oser se lancer dans des séances de cours différentes.

Et comme les élèves, avoir élaboré la séquence me convainc de l’intérêt de proposer ce type de travail à mes classes. Nous savons tous la qualité des documents produits par les IREM mais il est parfois difficile de faire siens ces travaux. Participer à leur élaboration et les tester, cela rend plus aisé l’appréhension d’autres travaux. Ce travail au sein des IREM est bénévole, demande du temps et ne donne lieu à aucune reconnaissance de l’institution (mais que reconnait l’institution ?). Alors sommes-nous des héros de l’Éducation nationale ? Non, nous y trouvons notre compte : des rencontres, des opportunités (assister et/ou participer à des colloques ; devenir formatrice), une prise de recul sur notre enseignement. Après avoir cherché en groupe, s’être remis en cause, obtenir (ou pas !) des solutions, c’est rassurant parfois de se dire qu’on ne fera pas mieux en l’état.

Et puis avouons–le, on espère aussi faire changer les lignes. Diffuser le travail effectué au sein des groupes IREM est une part importante du travail. Diffuser des démarches d’enseignement différentes est aussi un objectif des IREM : diffuser la recherche universitaire sur des pratiques différentes (narration de recherche, démarche d’investigation, pratique du problème ouvert…) est un des axes du travail effectué au sein des IREM. Transposer la recherche didactique pour la rendre opérationnelle sur le terrain, pour qu’elle rentre dans les pratiques professionnelles, est un aspect essentiel du travail des IREM. Mais c’est parce qu’on a testé et parfois élaboré ces dispositifs qu’on y croit.

Travailler avec des collègues chercheurs

Je parlais d’opportunités : au sein du groupe Analyse, j’ai rencontré Charlotte Derouet. On m’a alors proposé de travailler avec elle dans le cadre de sa thèse. Sa réflexion rejoignait l’une de mes difficultés d’enseignement : comment enseigner les probabilités continues en Terminale S ? Ce travail de recherche collaborative, comme l’a appelé Charlotte, m’a permis de m’impliquer dans la «recherche-action», l’une des raisons d’être des IREM. Participer à l’élaboration d’une séquence de cours, la tester en classe m’a permis de participer à ma modeste place à un travail de recherche. Par la suite, nous avons participé ensemble à des colloques, été invitées à présenter notre travail lors d’un stage de formation continue, rédigé un article pour la revue Repères-IREM [2]. Ce travail avec Charlotte fut à la croisée des chemins : «Chercher, former, diffuser».

Conclusion

Participer aux groupes IREM permet donc de se former, de réfléchir avec d’autres à des problématiques d’enseignement, de former à son tour, de participer à la rédaction de brochures, de participer à des colloques. Ma dernière expérience : participer à la rédaction de manuels scolaires avec mes collègues de l’IREM de Paris 7. Alors c’est vrai, il n’y a aucune reconnaissance de la hiérarchie mais l’essentiel n’est pas là. Il y a quelqu’un dont je n’ai pas encore parlé : l’élève ! Alors l’élève gagne-t-il quelque chose ? Des séances de mathématiques différentes, certes, mais apprend-il mieux ? Fait-il mieux des maths ? Les aime-t-il davantage ? Le mieux est de lui laisser la parole7 : «Cette séance de recherche était l’une des plus intéressantes de ce début d’année : l’interaction est maximale ; nous cherchons nous-mêmes une définition puis nous comparons nos points de vue… Ce genre de recherche est à mon goût plus captivant que d’apprendre des formules admises ou éventuellement démontrées par la suite : on a l’impression d’écrire les mathématiques». Un témoignage ne suffit pas, j’en suis bien consciente, à prouver que tout ce temps passé à l’IREM crée une différence positive pour les élèves mais à tout le moins il m’apporte une envie toujours présente de mieux réussir dans mon métier, de m’interroger et d’être toujours aussi passionnée par mon travail.

L’avenir ? La création d’un nouveau groupe IREM sur le nouvel enseignement scientifique, l’occasion de travailler avec des collègues de sciences. Peut-être avec vous ?

Références

    1. S. Alory et al. «Autour de la notion de dérivée en classe de Première scientifique ». In : Brochure de l’IREM. n°97. . Université Paris-Diderot, 2015.

    2. C. Derouet et S. Alory. «Une séquence d’enseignement articulant les lois de probabilité à densité et le calcul intégral en Terminale S». In : Repères-IREM n°113 (2018), pp. 45-80.

    3. S. Alory et al. «Introduction de la fonction exponentielle». In : Brochure de l’IREM. n°99. . Université Paris-Diderot 7, 2017.

    4. S. Alory et C. Derouet. «Une séquence en Terminale S articulant les lois à densité et le calcul intégral : à la lumière d’une expérimentation». In : Communication présentée aux Journées nationales de l’APMEP 2016 à Lyon. Octobre 2016.

    5. S. Alory et C. Derouet. «Et si on articulait les lois à densité et le calcul intégral en Terminale S ?» In : Communication présentée aux Conférences de l’IREM de Strasbourg. Résumé repéré à . Janvier 2018.

    6. Renaud Chorlay. «A Pathway to a student-worked définition of limits at the secondary-Tertiary transition». In : IJRUME (International Journal for Research in Undergraduate Mathematics Education) 5(3) (2019), pp. 267-314.

    7. C. Derouet. «La fonction de densité au carrefour entre probabilités et analyse en Terminale S. Étude de la conception et de la mise en œuvre de tâches d’introduction articulant lois à densité et calcul intégral». . Thèse. Université Paris 7, 2016.

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    Sylvie Alory est professeure de mathématiques. Elle a successivement enseigné au lycée Jean-Jacques Rousseau à Sarcelles, au collège-lycée François Villon à Paris et elle travaille actuellement au lycée La Fontaine à Paris. Durant cinq ans, elle a également été formatrice en temps partagé à l’IUFM de Paris.


    1. Charlotte Derouet est maîtresse de conférence en didactique des mathématiques à l’université de Strasbourg.

    2. Luc Trouche est professeur émérite à l’ENS Lyon. Il fut président de la CFEM (Commission française pour l’enseignement des mathématiques) et directeur scientifique de l’IFÉ (Institut français de l’Éducation).

    3. Voir le site .

    4. Mathématiques : approche par les textes historiques.

    5. Laboratoire de didactique André Revuz.

    6. Nous avons également proposé ce type de travail pour faire construire aux élèves de Terminale S la définition de la suite \(u(n)\) tend vers \(+\infty\) .

    7. Conclusion d’un élève de Terminale S suite au travail proposé pour élaborer une définition de la suite \((u_n)\) tend vers \(+\infty\).

Pour citer cet article : Alory S., « Comment les IREM ont donné un sens à ma vie », in APMEP Au fil des maths. N° 536. 27 juin 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/comment-les-irem-ont-donne-un-sens-a-ma-vie/.