Formulations et reformulations,
un travail collectif en mathématiques
Le groupe Léo (Langage, écrit, oral) de l’IREM de Paris se questionne à propos du langage dans l’enseignement des mathématiques. Il cherche à enrichir la réflexion et les pratiques des collègues à ce sujet. Il partage ici plusieurs expérimentations à propos de la formulation et de la reformulation en mathématiques avec les élèves.
Groupe Léo de l’IREM de Paris
© APMEP Juin 2018
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Une part importante des expérimentations du groupe Léo (Langage, écrit, oral) de l’IREM de Paris concerne les activités de formulation et de reformulation par les élèves de propositions mathématiques, de définitions, de preuves. Nous parlons de formulations et de reformulations pour souligner qu’il ne s’agit pas d’un simple travail d’expression (apprendre à trouver « la bonne formulation » par exemple), mais d’un travail de réflexion sur la façon dont les choses sont formulées : en passant par des relectures et des réécritures individuelles ou collectives, en retravaillant des expressions, des phrases ou des textes issus d’un travail en classe (exercice, cours), d’un manuel, en faisant évoluer des formulations jusqu’à les faire valider par les pairs…
Le lien entre parler (expression orale, écrite) et penser, entre formulation et conceptualisation, est très fort. Dire ou écrire, c’est une façon de penser le monde, de modifier, de transformer nos représentations du monde et les représentations de nos interlocuteurs. Verbaliser différemment, c’est aussi comprendre différemment. Ainsi, parler et penser sont deux composantes indissociables. Ce lien est un levier important dans les phases d’enseignement et d’apprentissage. Nous avons réfléchi à la façon de l’exploiter de façon plus forte à certains moments du cours de mathématiques. Nous présentons ici certaines expérimentations issues de cette réflexion1.
Pour un enseignant, avoir une attention particulière à ses propres pratiques langagières en classe est important : pour choisir ses formulations, mais aussi et surtout pour anticiper et comprendre certaines incompréhensions des élèves. Une des façons d’aborder cette complexité des pratiques langagières en cours de mathématiques est la sollicitation et le travail d’écrits intermédiaires : brouillons améliorés progressivement (relecture entre élèves, annotations de l’enseignant, réécriture, etc.), narrations de recherche, écrits de communication entre élèves, utilisation de l’oral, etc. Ce type de productions a pour but de ménager une entrée dans les contraintes du formalisme sous-jacent, et une appropriation progressive des pratiques langagières propres aux mathématiciens.
Une approche directe et explicite de la question des usages langagiers (Pourquoi utiliser telle formulation ? Que signifie telle expression ? …) ne fait pas nécessairement entrer en jeu des écrits intermédiaires. On peut plutôt considérer un travail explicite et collectif sur des formulations d’élèves ou de l’enseignant.
Nous présenterons ci-dessous plusieurs expérimentations à propos de la formulation et de la reformulation en mathématiques avec les élèves. Les séances présentées partent de principes communs, mais ont été adaptées par chaque enseignant à ses classes, à ses habitudes, à ses contraintes. C’est un peu dans cette perspective que nous nous plaçons ici : présenter l’esprit dans lequel le travail est fait, l’organisation, les objectifs et les principes des expériences, pour donner à chacun la possibilité (et l’envie ?) de s’approprier les propositions présentées.
Formuler et reformuler, pourquoi ?
L’enseignant connaît la propriété à énoncer et est capable de juger si une formulation est acceptable2, correspond aux façons usuelles de dire les mathématiques ou non, mais il ne sait pas à l’avance la formulation exacte qui figurera (ou les formulations qui figureront) dans le cours. Certains objectifs plus larges et plus ambitieux, nous semblent fondamentaux notamment si on les met en perspective avec l’impossibilité de séparer penser et parler, représentation et formulation :
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faire s’approprier aux élèves l’intention de formuler une proposition mathématique (ou une définition, une preuve) et plus généralement de dire ou d’écrire des mathématiques,
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faire s’approprier aux élèves le droit de formuler ou de reformuler, ou de discuter la formulation d’une proposition mathématique, d’une définition, d’une preuve,
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faire s’approprier aux élèves les contraintes de telles formulations et les exigences de clarté (induisant parfois ce que l’on pourrait qualifier de lourdeurs),
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faire s’approprier aux élèves le contenu mathématique travaillé : chaque formulation ou reformulation (dite, écoutée ou lue) apporte un nouvel éclairage, de nouvelles représentations,
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faire s’approprier aux élèves la structure d’une proposition (quantifications, contexte, prémisse, conclusion), d’une définition (caractérisation), d’une preuve,
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apprendre aux élèves à s’écouter (soi-même et à écouter les autres élèves et l’enseignant), à s’exprimer avec précision, à critiquer avec tolérance et objectivité.
Le travail proposé est ainsi largement collectif (petits groupes, synthèses, interaction élèves – professeur…) de façon à dépasser la dimension individuelle du langage (ou la simple relation entre chaque élève et l’enseignant).
Exemples d’utilisation en classe
Formuler, reformuler une propriété mathématique
Certaines expérimentations ont duré plusieurs séances, d’autres ont été plus courtes. Le temps passé à l’activité va souvent décroissant dans la succession des séances. Ce type de réflexions et d’activités est un peu nouveau au départ, chacun doit y trouver ses repères, mais après plusieurs itérations les choses peuvent être plus rapides, elles peuvent aller jusqu’à s’intégrer naturellement au déroulement du cours. Ainsi l’activité de re-formulation pourra être mobilisée sans être la tâche principale, par exemple pour énoncer une proposition nouvelle ou lors du rappel d’une ancienne proposition mathématique amenant une discussion sur sa formulation. Certains paramètres sont à déterminer et peuvent évoluer au cours du temps, notamment la place de l’écrit et le type d’écrit.
Exemple : Séance, formulation d’une conjecture, formulation d’un théorème, exemples avec Pythagore en 4e
Lors d’une première séance, les élèves sont amenés à découvrir le théorème de Pythagore. L’enseignante anime une figure de géométrie dynamique composée d’un triangle \(\mathsf{ABC}\) rectangle en \(\mathsf{A}\) sur laquelle sont affichées les longueurs des côtés du triangle ainsi que les deux calculs : \(\mathsf{BC}^2\) et \(\mathsf{AC}^2 + \mathsf{BA}^2\). Les élèves remarquent ce qui change (les longueurs des côtés, les résultats des calculs affichés dans le tableur) et ce qui ne change pas (le triangle reste rectangle, les résultats des calculs affichés dans le tableur sont deux à deux égaux). À l’issue de cette activité, on écrit la conjecture « il semble que \(\mathsf{BC}^2\) et \(\mathsf{AC}^2 + \mathsf{BA}^2\) restent égaux quelle que soit la position des points \(\mathsf{A}\), \(\mathsf{B}\) et \(\mathsf{C}\) ».
Une deuxième séance est consacrée à une démonstration de cette conjecture.
Le travail de formulation arrive explicitement en troisième séance pour répondre à la question « que va-t-on écrire dans le cours ? ». Ce travail est essentiellement mené à l’oral, l’enseignante écrit au tableau la suggestion d’un élève, puis modifie cette phrase en fonction des remarques qui sont faites (par elle et / ou par les élèves). L’échange dure environ une demi-heure. La première formulation énoncée est la formulation « en français » : « Dans un triangle rectangle, les côtés perpendiculaires au carré sont égaux à l’hypoténuse au carré ». Suite à une question d’un élève la phrase devient : « Dans un triangle rectangle, la somme des côtés perpendiculaires au carré est égale à l’hypoténuse au carré ». L’enseignante suggère « côtés de l’angle droit » au lieu de « côtés perpendiculaires ». On obtient alors : « Dans un triangle rectangle, la somme des côtés de l’angle droit au carré est égale à l’hypoténuse au carré ». L’enseignante souligne alors l’ambiguïté suivante : « Est-ce la somme qui est au carré ou chacun des côtés de l’angle droit ? ». Elle questionne les élèves à propos des deux énoncés suivants : « Calculer 4 au carré » et « Calculer le carré de 4 ». La phrase devient : « Dans un triangle rectangle, la somme des carrés des côtés de l’angle droit est égale au carré de l’hypoténuse ». Un élève dit enfin « C’est les longueurs des côtés ». On obtient alors « Dans un triangle rectangle, la somme des carrés des longueurs des côtés de l’angle droit est égale au carré de la longueur de l’hypoténuse » (1).
Commentaire immédiat d’une élève : « C’est long ! ». Un autre élève questionne : « Une propriété, ça ne s’écrit pas avec ’si’ et ’alors’ ? ». Remarque d’une autre élève : « On ne pourrait pas faire un schéma ? ». À propos de la longueur de la phrase, un autre élève suggère d’« écrire en mathématique ».
On arrive finalement à une autre formulation accompagnée d’une figure (un triangle \(\mathsf{ABC}\) rectangle en \(\mathsf{A}\), posé sur le côté \([\mathsf{AB}]\), l’angle droit est codé) : « Si un triangle \(\mathsf{ABC}\) est rectangle en \(\mathsf{A}\), alors on a : \(\mathsf{BC}^2\) = \(\mathsf{AB}^2 + \mathsf{AC}^2\) » (2). Et on obtient également une troisième formulation (utilisation de « si …alors … ») : « Si un triangle est rectangle, alors la somme des carrés des longueurs des côtés de l’angle droit est égale au carré de la longueur de l’hypoténuse » (3). Les formulations (1), (2) et (3) sont finalement notées dans le cours.
Commentaires :
Lors d’un travail de formulation – reformulation d’une propriété mathématique se pose la question de l’introduction et de la quantification des variables. C’est l’occasion d’aborder explicitement et collectivement le sens et les usages des mots « quelconque », « un », « tous », « quel que soit » …De plus, les propriétés mathématiques sont structurées à l’aide de connecteurs logiques (« et », « ou », « si …alors … ») et parfois de marqueurs d’inférences (« donc », « car ») dont les usages en mathématiques sont complexes et se superposent aux usages courants de la langue. Ces échanges autour des formulations sont autant de prétextes pour préciser les usages de ces mots importants. Le débat amène souvent à évoquer ce que sont les hypothèses et les conclusions, la façon d’énumérer les hypothèses, de les distinguer de la conclusion (utilisation de « On a », de « soit », de « on considère », de « si », etc., etc.).
Formuler, reformuler une définition
Exemple 1 : Définition de la médiatrice en 6e
Le principe de la séance est le suivant : les élèves tracent un segment \([\mathsf{AB}]\) avec un logiciel de géométrie dynamique et tracent la médiatrice du segment \([\mathsf{AB}]\) à l’aide de la commande ad hoc sans connaître la définition d’une médiatrice ni l’objet médiatrice (principe de la boîte noire). Ils déplacent les points \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{B}\) afin d’essayer de « voir » ce qui se conserve et ce qui est variable dans la situation. Ils doivent alors donner une formulation de ce qui leur semble être la définition mathématique d’une médiatrice.
Les élèves n’ont pas eu de problèmes pour comprendre le sujet (ce n’était pas leur première séance sur GeoGebra). Ils ont par contre eu beaucoup de difficulté à écrire une phrase qui ait du sens. Beaucoup ont perçu la perpendicularité, mais l’idée de « milieu » a par contre eu du mal à émerger, peut-être en lien avec le fait qu’il n’y avait pas de codage. Seul un élève a vérifié que la médiatrice passait effectivement par le milieu du segment \([\mathsf{AB}]\) en le traçant avec le logiciel.
Pour énoncer la définition, les élèves oublient souvent de dire si l’on définit un point, une droite, un segment (peut être parce que cela leur semble évident sur le moment, qu’ils ne jugent pas bon de le préciser). Ils ont utilisé sans confusion le mot « perpendiculaire ». Le mot « milieu » ne vient pas naturellement, ils parlent davantage de « couper en deux parties égales », « séparer en deux parties ».
Phrases proposées par les élèves :
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« C’est une droite qui passe par le milieu du segment. »
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« La médiatrice est une droite passant par une autre droite perpendiculaire et qui fait un milieu identique. »
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« C’est une droite qui passe par le milieu et qui est perpendiculaire. »
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« C’est une perpendiculaire passant par le milieu de \([\mathsf{AB}]\) »
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« C’est une perpendiculaire au segment. »
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« La médiatrice est une droite passant perpendiculairement à un segment en formant un milieu. »
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« Une droite qui passe perpendiculairement par le milieu d’un segment. »
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« C’est la perpendiculaire passant par le milieu de \([\mathsf{AB}]\). »
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« C’est une droite qui passe par un segment au milieu perpendiculairement. »
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« C’est une droite qui passe perpendiculairement à une autre droite sur le milieu. »
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« Médiatrice : droite passant par le milieu d’un segment et perpendiculairement. »
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« Ça coupe le segment en deux parties égales. »
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« Une médiatrice est une droite qui coupe le segment \([\mathsf{AB}]\) en deux parties égales. »
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« C’est une droite qui sépare le segment en 2 parties égales c’est une perpendiculaire. »
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« Une médiatrice c’est une droite perpendiculaire au segment. »
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« La médiatrice est deux segments perpendiculaires. »
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« C’est une droite perpendiculaire qui passe par le milieu d’un segment. »
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« Droite perpendiculaire au segment passant au milieu du segment. »
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« C’est une droite perpendiculaire qui passe toujours au milieu du segment. »
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« Une médiatrice d’un segment est comme une perpendiculaire du segment. »
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« Une médiatrice est une droite qui passe au milieu d’un segment en formant un angle droit. »
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« Droite perpendiculaire en passant au milieu du segment. »
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« La médiatrice est une droite qui se croise avec le segment \([\mathsf{AB}]\). »
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« Une médiatrice coupe un segment qui sépare un segment. »
Exemple 2 : hauteur d’un triangle
Contexte de la séance : les élèves connaissent la notion de médiatrice. Ils ont travaillé sur des figures de triangles « Oui / Non », c’est à dire des figures représentant des triangles et, pour chacun, une droite qui est une hauteur ou non ; pour chaque triangle, il est indiqué en dessous si la droite est une hauteur ou non. Ils doivent alors trouver les caractéristiques d’une hauteur. À la fin de cette séance, il est convenu (oralement) pour l’ensemble de la classe qu’une hauteur d’un triangle est caractérisée par deux propriétés : elle est perpendiculaire à un des côtés et elle passe par un sommet du triangle. Ces deux propriétés sont énoncées oralement plusieurs fois et les élèves doivent en prendre des notes. Au début de la séance suivante, chaque élève a pour consigne d’écrire une définition d’une hauteur d’un triangle. Quelques productions d’élèves3 :
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« Les hauteurs d’un triangle forme un angle droit. »
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« La hauteur : est une droite qui coupe deux segments dans un triangle c’est une droite perpendiculaire. »
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« Une hauteur d’un triangle c’est une droite perpendiculaire qui doit passer par un des sommet du triangle et par un des côtés. »
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« La hauteur d’un triangle se croisent avec un triangle et forme un angle droit. »
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« La hauteur d’un triangle est une droite perpendiculaire. »
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« La hauteur d’un triangle se trace vers les côtés du triangle et ne passe pas forcément par le milieu. »
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« La hauteur est une droite qui passe par un sommet et qui dois comporter un angle droit. »
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« La hauteur d’un triangle doit automatiquement avoir une droite qui passe par un sommet et doit avoir un angle droit. »
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« La hauteur d’un triangle c’est quand on a une droite qui passe par un des sommets du triangle et forme un angle droit. Il traverse le triangle. »
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« La hauteur d’un segment est quand on trace une droite dans une droite que sa forme un angle droit. »
Chaque phrase proposée est ensuite discutée, décortiquée, critiquée, éventuellement arrangée, acceptée. Le débat est de savoir ce que l’on peut garder (ou non) de chacune des propositions pour arriver à une formulation qui convient à tous. Trois définitions ont finalement été retenues et chaque élève en a choisi deux à écrire dans la leçon :
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Une hauteur d’un triangle est une droite qui :
– est perpendiculaire à un côté du triangle,
– passe par le sommet opposé à ce côté.
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Une hauteur d’un triangle est une droite perpendiculaire à un des côtés du triangle passant par le sommet opposé.
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Une hauteur d’un triangle est une droite qui passe par un sommet du triangle et qui est perpendiculaire au côté opposé.
Commentaires :
Dans ces deux exemples de séance, on peut tout d’abord remarquer la diversité des propositions des élèves. Certaines définitions correspondent davantage à des définitions telles qu’elles sont données dans le dictionnaire. La définition d’un objet mathématique a un statut particulier, elle n’est pas seulement descriptive des usages d’un mot, elle caractérise l’objet considéré4. Bien souvent, elle fait appel à tout un ensemble de mots mathématiques (c’est-à-dire déjà « définis » dans le cours de mathématiques, même s’ils ont souvent du sens par ailleurs), par exemple « milieu », « segment », « perpendiculaire » pour la médiatrice, et « sommet » ou « perpendiculaire » pour la hauteur (« côté opposé » n’a par contre pas de définition mathématique, il faut entendre « opposé » naïvement). D’autres situations non géométriques se prêtent à ce travail de reformulation, dans lesquelles la définition d’une notion peut être abrupte pour les élèves. C’est le cas de la définition du quotient de deux nombres, ou celle de la racine carrée d’un nombre.
Formuler, reformuler une démonstration
Les expérimentations qui précèdent se placent dans une approche plus large de l’apprentissage de l’écriture, de changement de rapport à l’écriture. On attend, aux cycles 3 et 4, que l’élève acquière une « posture d’auteur5 » (intention, conscience des effets produits, stratégie d’écriture, réflexivité, sur son activité d’écriture et son écrit). Ce travail se mène dans toutes les disciplines. En mathématiques la rédaction de démonstration peut être le lieu d’un travail sur ce thème. Les activités de formulation et de reformulation s’inscrivent dans la continuité du cours de français (réécriture, brouillon) et ne peuvent être dissociées d’un travail d’apprentissage de la compréhension de texte6. Nous avons mené des expérimentations qui associent écriture individuelle, lecture de textes de pairs, relecture et réécriture, phase d’écriture plus collective.
Exemple en classe
Après avoir corrigé une série de copies le professeur décide de mener un travail spécifique sur la rédaction de la réponse à l’exercice ci-dessous :
Huit copies sont sélectionnées puis photocopiées sans annotation ni correction. Lors de la première séance de travail (30 minutes), les élèves travaillent en groupes et chaque groupe reçoit une copie avec pour consigne tout d’abord de lister ce qu’ils pensent devoir modifier, corriger, ou ajouter pour que la réponse à la question soit acceptable (tant au niveau du fond que de la forme), et ensuite de rédiger une nouvelle version. Les deux documents sont ramassés (fiche de commentaires, nouvelle rédaction), les nouvelles copies sont annotées (l’enseignante souligne ce qui pourrait être modifié ou amélioré, et met une flèche pour indiquer qu’il faudrait ajouter quelque chose).
Les copies sont alors données aux élèves avec pour objectif, en devoir à la maison, de proposer des améliorations. Enfin, lors d’une séance suivante, les élèves sont replacés en groupes et doivent rédiger une dernière version, celle du groupe (15 minutes). Les versions finales des sept groupes sont projetées au tableau.
S’ensuit une discussion collective d’un quart d’heure environ. Les points communs entre les versions sont pointés : justification de l’angle droit avec la tangente, somme des mesures des angles dans un triangle, calculs, conclusion. Les élèves remarquent qu’on peut changer l’ordre de certaines choses et que l’on peut formuler et / ou présenter différemment.
Exemples de copies
Version initiale distribuée à un groupe :
Dernière version rédigée pour le même groupe :
Commentaires :
Bien sûr les formulations pourraient encore évoluer. Le travail et la réflexion peuvent être poursuivis sur d’autres démonstrations (notamment celles qui s’avèrent compliquées pour la classe). Dans cette démarche les points suivants nous semblent particulièrement importants.
Chaque élève se retrouve en position de lecteur. C’est en effet un prérequis important à l’apprentissage de l’écriture. On peut d’ailleurs construire de telles séances à partir de démonstrations déjà écrites (textes historiques, textes écrits « sur mesure »).
Mis à part pour la première version (issue d’un devoir classique) les élèves écrivent en sachant qu’ils vont être lus par des pairs.
Les élèves prennent le rôle de lecteur critique et voient les autres élèves jouer ce rôle de façon constructive, car toute demande de critique est couplée d’une demande de reformulation.
Conclusion
En guise de conclusion nous proposons quelques questions sur le principe de ces …et quelques réponses.
Ne vaut-il pas mieux donner une phrase correcte que trois ?
En effet, avec trois formulations on pourrait penser que les élèves vont avoir l’impression de pouvoir ainsi dire ou écrire les choses comme ils veulent, que cela n’a pas une si grande importance.
Le principe est justement de pouvoir dire « tu peux écrire les choses comme tu veux, si c’est correct », mais en ayant donné aux élèves les moyens de comprendre ce « c’est correct ». D’où l’importance de l’élaboration collective : la discussion permet aux élèves de vivre les incompréhensions, les ambiguïtés des premières formulations, et de s’approprier les motivations des tournures parfois complexes utilisées, et finalement, idéalement, de s’approprier ces formulations.
La question rejoint cependant le point de vue d’Elisabeth Bautier7 qui dit que l’école (les programmes, les manuels) suppose plutôt qu’elle ne construit l’autonomie cognitive nécessaire à l’élève pour tirer parti de ce type de dispositifs. Mais là aussi on peut penser que l’idée de l’élaboration collective va dans le sens d’un apprentissage des règles de formulation, d’une entrée progressive dans l’habileté à prendre du recul sur la compréhension.
L’activité est chronophage.
L’investissement ne semble pourtant pas vain. Ce travail a des répercussions sur le bon déroulement du reste de l’activité des élèves : le pari est que la demi-heure passée à travailler sur la formulation d’une propriété, d’une définition ou d’une démonstration permet une meilleure acquisition de celles-ci, une meilleure compréhension du « jeu » auquel on joue en mathématique.
Références
-
JP Astolfi. L’erreur, un outil pour enseigner. ESF, 1997.
-
Dominique Bucheton. Refonder l’enseignement de l’écriture. Retz, 2014.
-
S. Cebe et R. Goignoux. Lector & Lectrix, Apprendre à comprendre les textes narratifs, cycle 3. . Retz, 2008.
-
C. Doguet et O. Lumbroso. « Écrits intermédiaires, écrits préparatoires : des pratiques plus équitables ? » In : Colloque international sur l’efficacité et l’équité en éducation. . Rennes, 2008.
-
C. Hache. « Lecture et écriture en didactique du français, questions pour la didactique des mathématiques ». In : Actes de la 19e école d’été de didactique des mathématiques (août 2017). (à paraître).
-
IREM. Ressources autour des questions liées au langage dans l’enseignement des mathématiques. . Paris :
-
Groupe Léo. Formuler, reformuler. Sous la dir. de C. Hache. Document en ligne . 2016.
-
Ministère de l’Éducation Nationale, Direction de l’Enseignement Scolaire. Communiquer en mathématiques. . Eduscol, 2016.
-
Ministère de l’Éducation Nationale, Direction de l’Enseignement Scolaire. Enseigner l’écriture. . Eduscol, 2016.
-
Ministère de l’Éducation Nationale, Direction de l’Enseignement Scolaire. Lecture et compréhension de l’écrit. . Eduscol, 2016.
-
Ministère de l’Éducation Nationale, Direction de l’Enseignement Scolaire. Mathématiques et maîtrise de la langue. . Eduscol, 2016.
-
Ministère de l’Éducation Nationale, Direction de l’Enseignement Scolaire. Représenter en mathématiques. . Eduscol, 2016.
-
C. Tauveron. « De la lecture littéraire à l’écriture à l’intention littéraire ou comment construire une posture d’auteur à l’école. » In : Actes du 9e colloque de l’AIRDF (2004).
Le groupe Léo de l’IREM de Paris est constitué d’enseignants de mathématiques et de français du secondaire, de formateurs à l’ESPE et d’enseignants chercheurs (logique, didactique, …). Il anime des stages aux Plans Académiques de Formation de Créteil, Paris et Versailles. De nombreuses ressources sont accessibles sur leur page web .
Ont collaboré à l’écriture de cet article :
- Christophe Hache (LDAR, Université Paris Diderot),
- Émilie Baron (Collège Jacques Prévert, Noisy-le-Sec),
- Pierre Campet (Collège Coysevox, Paris),
- René Cori (IMJ-PRG, Université Paris Diderot),
- Marie Deffense (Collège Jean Jaurès, Villepinte),
- Stéphanie Doret (Lycée Hector Berlioz, Vincennes),
- Pierre Laganier (Collège Jean Moulin, La Queue-en-Brie),
- Julie Lascar (Collège Alain Fournier, Paris),
- Alexandra Lemonnier (Collège De Stael, Paris),
- Olivia Lewi (ESPE de Paris),
- Marianne Moulin (LML, Université d’Artois, ESPE Lille Nord de France),
- Cécile Nautet (Lycée Jacques Prévert, Taverny),
- Virginie Poirier (Collège La Paix, Issy les Moulineaux),
- Marie Thirion (Lycée Paul Bert, Paris),
- Nathalie Villain (ESPE de Paris),
- Fanny Wilson (Collège Jean Macé, Villeneuve le Roi).
Contact :
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Ce texte est inspiré d’un document en ligne : ↩
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même s’il n’est pas toujours simple, lors d’une première proposition de formulation, de savoir s’il est possible que la discussion aboutisse sur cette base à quelque chose d’acceptable.↩
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Nous reprenons l’orthographe des élèves.↩
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Il peut être intéressant de se reporter au document « Mathématiques et maîtrise de la langue » : ↩
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Selon l’expression de Dominique Bucheton.↩
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Sur ces points il est conseillé de se reporter aux programmes de français des cycles 3 et 4, et aux documents d’accompagnement Lecture et compréhension de l’écrit et Enseigner l’écriture au cycle 3. ↩
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Voir par exemple la vidéo sur le site de l’IREM de Paris : ↩
Une réflexion sur « Formulations et reformulations »
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