Des maths au gymnase
Des maths au gymnase… ou comment j’ai convaincu un professeur d’EPS d’emmener des élèves de Sixième faire des mathématiques au gymnase. Voici donc un projet interdisciplinaire mathématiques / EPS qui mêle chorégraphies, déplacements, figures élémentaires de géométrie et programmation : tout un enchaînement de situations enivrantes, pour des mathématiques en mouvement !
Isabelle Audra
© APMEP Juin 2023
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Le thème de la semaine des mathématiques 2022, « Mathématiques en forme(s) », m’a tout de suite inspirée. Très vite, je suis allée proposer à mon collègue d’EPS, Grégory1, de réaliser une action avec nos Sixièmes, avec captations d’images ou de vidéos lors de la réalisation finale. Du mouvement, des déplacements, de la coordination, de la coopération… Tout un programme !
D’abord intrigué, Grégory a finalement rapidement accepté de s’inscrire dans ce projet. Nous avons alors réfléchi chacun de notre côté avant de partager nos idées. En définitive, les pièces du puzzle se sont mises en place au fil du temps et notre action s’est décomposée en trois phases, décrites dans cet article, avec une même classe.
Dans les textes institutionnels
Ce projet répond à plusieurs objectifs généraux de la semaine des mathématiques cités sur la page Éduscol
dédiée [1] :
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proposer une image actuelle, vivante et attractive des mathématiques ;
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développer chez les élèves le goût de l’effort, la persévérance, la volonté de progresser, le respect des autres, de soi et des règles : autant de valeurs communes au sport et aux mathématiques ;
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montrer que la pratique des mathématiques peut être source d’émotions de nature esthétique […] afin de dévoiler le lien entre mathématiques, plaisir et créativité.
Du côté des programmes [2], la partie « Espace et géométrie » est mise en avant en mathématiques avec le repérage et les déplacements, les relations géométriques et les figures usuelles. En EPS, les thématiques « Produire une performance optimale » et « Adapter ses déplacements à des environnements variés » sont à l’honneur, mais d’autres compétences sont également travaillées comme coordonner des actions motrices simples, accepter de tenir des rôles d’observateur, s’informer pour agir, respecter les règles des activités, aider l’autre…
Évolution géométrique
Une vidéo du travail du chorégraphe Sadeck Waff [3], devenue quasi virale en 2021 dans les cercles de professeurs de mathématiques, m’a confortée dans l’idée d’utiliser les mouvements humains pour visualiser et pour exprimer des notions mathématiques. Néanmoins, je n’avais ni le temps, ni la volonté de « juste » rejouer quelques mouvements.
J’ai alors proposé à mes élèves d’illustrer, à l’aide de déplacements, les premiers éléments de géométrie, puis quelques figures classiques : du point au cercle en passant par le segment, la demi-droite, la droite ou encore le milieu d’un segment, le triangle isocèle, le losange, le carré sans oublier la médiatrice d’un segment… J’ai pensé que le port de chasubles de couleurs différentes pourrait faciliter la mise en place et mettre en lumière l’objet illustré. La préparation « mathématique » s’est étalée en pointillés sur plusieurs semaines. Les élèves ont réfléchi aux représentations géométriques attendues. Beaucoup de questions sont survenues concernant le point isolé : est-ce qu’un seul élève suffit ou en faut-il plusieurs pour le symboliser ? Finalement, un consensus a émergé pour qu’il soit représenté par une croix formée par un élève au centre et deux paires d’élèves autour, alignés avec l’élève central, et portant une chasuble de couleur différente. L’élève au centre est censé symboliser au mieux le point afin d’espérer davantage de précision par la suite dans les tracés.
Les élèves se sont ensuite longuement entraînés à retenir ces représentations, avec et sans images d’appui. Dans la figure 2, les points représentent des élèves et notamment les situations « stratégiques ». La disposition doit ressembler au maximum aux représentations du cahier, d’où l’utilisation de chasubles jaunes pour les extrémités de segments.
Parallèlement, Grégory et moi avons réfléchi sur la disposition initiale des élèves dans le gymnase et aux mouvements à organiser pour passer d’un élément à un autre. Nous avons fait simple :
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au départ, aligner tous les élèves le long d’un mur du gymnase ;
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commencer les représentations par la création de deux points, suivie de celles d’un segment (à partir de là, tous les élèves forment les objets géométriques), d’une demi-droite, d’une droite, de l’illustration du milieu puis de la médiatrice d’un segment et enfin vient le tour des figures usuelles : un triangle isocèle, un losange, un carré pour finir par un cercle ;
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essayer de fluidifier au maximum les mouvements.
Le segment | La médiatrice d’un segment | Le triangle isocèle | Le cercle |
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Figure 2. Des petits points, des petits points, toujours des petits points !
D’une maison à une autre
Mon collègue a imaginé le scénario de notre deuxième activité : grâce à des mouvements programmés les élèves se déplaceraient d’une maison à une autre (chacune étant symbolisée au gymnase par quatre plots). Comme en EPS les élèves sont habitués, au fil des cycles, à tenir différents rôles : joueur, coach, arbitre, juge, observateur, tuteur, médiateur, organisateur, etc., nous avons pensé que ce serait très utile pour gérer les mises en place.
Au hasard d’une recherche sur l’algorithmique, j’ai découvert un document d’Audrey Favre [4] qui m’a permis de finaliser la partie mathématique de ce projet : les élèves se déplaceraient en représentant des chiffres.
J’ai donc décidé d’utiliser ce scénario pour faire travailler mes élèves sur Scratch. Ils ont déjà été initiés à ce logiciel plus tôt dans l’année mais au préalable, nous avons étudié en classe l’écriture des dix chiffres en mode débranché.
Le déplacement est simple sauf pour les chiffres 3, 4 et 8. Les élèves l’ont perçu et se sont immédiatement projetés au gymnase. Ils ont alors réfléchi à plusieurs contraintes, notamment le nombre d’élèves nécessaires par segment pour un chiffre donné.
Figure 3. Se déplacer de maison en maison en représentant le chiffre 2.
Pour la séance informatique, j’ai préparé un fichier Scratch2 avec en fond d’écran les six maisons et le début du script proposé.
Afin que cette séance soit la plus efficace possible, lors du cours précédent, j’ai détaillé le fichier mis à disposition des élèves en montrant notamment comment obtenir le tracé du « 2 ».
Le jour J, chaque élève a pu travailler seul et a commencé par tracer le « 2 ». Ensuite, nous avons différencié le travail à effectuer selon l’aisance de chacun, tous les chiffres n’étant pas aussi faciles à obtenir les uns que les autres.
Lors de cette unique séance sur ordinateur, quelques-uns ne sont parvenus à finaliser que la programmation du « 2 », mais la plupart des élèves ont réussi en plus à programmer le « 6 » et certains à obtenir encore un ou deux autres chiffres supplémentaires.
Figure 4. Déplacements pour obtenir un 3.
Ta ta Tangram
Pour notre troisième idée, liée à la manipulation d’un Tangram, nous avons pensé à utiliser du ruban pour représenter les côtés des figures géométriques qui composent ce fameux puzzle et dont les élèves seraient les sommets.
Figure 5. Tangram.
La construction en amont sur feuille d’un Tangram a permis l’étude des différentes figures géométriques qui le composent.
Puis, chaque élève a découpé les pièces de sa construction et les a utilisées pour obtenir les formes ci-contre qui n’ont pas été choisies au hasard. Parmi les figures travaillées en classe3, les élèves ont choisi une personne qui se déplace pour les représenter, un rectangle pour réaliser une figure géométrique classique et une maison en lien avec celles du volet 2.
Finalement, nous avons opté pour de la rubalise afin de matérialiser les côtés des figures géométriques en respectant les longueurs souhaitées, avec un élève pour chaque sommet. Les élèves ont déterminé le nombre de sommets nécessaires et envisagé les mouvements à faire pour passer par exemple du carré initial (figure 5) au bonhomme. Il était évident que dans un premier temps, il fallait conserver les formes obtenues, c’est-à-dire garder la rubalise tendue. Il fallait donc parvenir à faire glisser et tourner les éléments sans les déformer. L’utilisation de l’espace du gymnase permettrait de mettre de la distance entre les différents polygones, puis de décider de la première pièce à mettre en place avant de positionner les autres une à une pour obtenir la forme voulue.
Pris par le temps, seul le carré de base a finalement pu être mis en place.
Réalisation finale… et perspectives
La réalisation finale composée de l’enchaînement des trois situations a été programmée sur la semaine des mathématiques pendant le cours d’EPS. Nous avions 1 h 30 (hors trajet et changement de tenue) pour la mener à bien. Grégory s’est chargé de la mise à disposition et de l’installation du matériel. Nous avons orchestré ensemble cette présentation et un collègue de mathématiques s’est occupé des captations. La semaine précédente, nous avions réalisé un rapide entraînement au gymnase car je ne disposais que d’une heure.
Le jour J, les élèves se sont montrés très investis et patients. Nous avions envisagé une possible variation d’effectif lors de la répétition et ils s’en sont très bien souvenus. Passer de la théorie à la pratique n’est pas toujours aisé mais les méthodes de travail utilisées en EPS ont facilité les mises en œuvre des différents mouvements. Ce type de performance met en évidence certains traits de caractère : des élèves discrets qui s’engagent, des élèves performants en cours classique qui se retrouvent en difficulté…
Malgré les imperfections et le peu de répétitions, nous sommes très satisfaits de cette aventure. Ce projet s’inscrit dans nos programmes respectifs et les compétences travaillées, disciplinaires ou non, sont nombreuses. L’entraide, l’écoute, l’autonomie, la coordination et la coopération sont indispensables pour réussir.
À la suite de cette journée, nous nous sommes régulièrement appuyés en mathématiques sur les scènes vécues en géométrie pour lutter contre les confusions classiques droite/segment, milieu/moitié, … Cela n’a rien de nouveau, mais nous rappelle que changer de temps à autre de cadre est toujours bénéfique et source de (re)motivation.
Avec le recul, ce projet que nous souhaitions simple et non chronophage nous a emmenés bien plus loin que nous ne l’avions envisagé… et donné l’envie d’y donner une suite.
Références
- Ministère de l’Éducation nationale. Semaine des mathématiques ↩
- Ministère de l’Éducation nationale. « Programme du cycle 3 ». In : BOEN N o 31 (30 juillet 2020). ↩
- Sadeck Waff. Murmuration. Tutting. Project 64 (1). ↩
- Audrey Favre. 16 projets de traçage sous Scratch du cycle 3 au cycle 4. Disponible sur la revue numérique ↩
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Isabelle Audra est professeure de mathématiques en REP au collège Paul Langevin de Romilly-sur-Seine dans l’Aube. Elle est membre du comité de l’APMEP de Champagne-Ardenne et également responsable académique du rallye mathématique Champagne-Ardenne Niger au sein de l’IREM de Reims .
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Grégory De Luca est professeur d’Éducation Physique et Sportive au collège Paul Langevin de Romilly-sur-Seine dans l’Aube.↩
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Le fichier Scratch, ainsi que l’énoncé distribué aux élèves, sont disponibles sur la revue numérique . Quelques remarques au niveau du script : j’ai utilisé « glisser » pour amener le personnage à la maison « départ ». J’aurais peut-être dû utiliser « Aller à x : y : » mais il n’est pas certain que cela aurait évité les difficultés rencontrées lors de la programmation. En revanche, le choix de « S’orienter à » (et non de « Tourner de ») est lié à la volonté d’utiliser le vocabulaire du déplacement « Aller à droite ». Cela reste une décision arbitraire, malgré tout inspirée de la rose des vents utilisée en orientation en EPS.↩
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L’activité Tangram Builder du site
Mathigon
peut permettre de montrer les solutions des élèves au tableau.↩
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