Cogni’classe au collège

Les sciences cognitives ont le vent en poupe depuis quelques années… La recherche sur les mécanismes cognitifs et cérébraux des apprentissages a récemment produit des résultats majeurs, représentant un atout considérable pour la formation des enseignants. Dans cet article, Julie Benoit nous explique en quoi l’apport des sciences cognitives a modifié sa pratique de classe en cours de mathématiques.

Julie Benoit

© APMEP Décembre 2019

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En avril 2017, j’ai participé avec plusieurs collègues de mon collège, au MOOC Apprendre et enseigner avec les sciences cognitives sur la plateforme FUNMOOC . L’idée de créer une Cogni’classe dans notre établissement nous est ensuite apparue assez naturellement. S’en est suivi, à la rentrée 2017, un projet CARDIE (Cellule Académique Recherche et Développement en Innovation et en Expérimentation), d’une durée de trois ans, pour deux classes de 5 pour lesquelles les professeurs de français, anglais, allemand, EPS et mathématiques s’inspireraient des éléments présentés dans le MOOC pour enrichir leur pédagogie.

Les sciences cognitives, c’est quoi ?

«Les neurosciences cognitives désignent une discipline scientifique et un domaine de recherche qui ont pour objectif d’identifier et de comprendre le rôle des mécanismes cérébraux impliqués dans les différents domaines de la cognition (perception, langage, mémoire, raisonnement, apprentissage, émotions, fonctions exécutives, motricité, etc.)» [1].

En classe de mathématiques

J’ai souhaité mettre en place plusieurs modalités pédagogiques dans mes classes, en tenant compte des apports des sciences cognitives, notamment en ce qui concerne la compréhension, la mémorisation, l’évaluation et l’attention.

Se tester

Si l’expression «Savoir pour comprendre» semble une évidence, c’est un élément stratégique qui permet aux élèves de faire des liens et pour cela d’activer et de relier des neurones entre eux, modifiant tout au long de la vie les connexions neuronales du cerveau (c’est la plasticité cérébrale). Pour cela, il est indispensable d’identifier les savoirs préalables en travaillant sur les prérequis mais aussi en proposant régulièrement des tests aux élèves avec une correction immédiate pour qu’ils puissent faire le point sur leurs connaissances. Une expérience menée en 2006 par Roediger et Karpicke [9] montre en effet que l’étude d’un texte suivie d’un rappel libre sur feuille blanche permet à des étudiants d’obtenir une meilleure rétention des informations sur le long terme par rapport au groupe d’étudiants qui n’a procédé qu’à deux lectures consécutives du texte. Pour favoriser la réactivation neuronale, le test devient donc un moyen de consolider et de réactiver plutôt qu’un outil d’évaluation. Il permet de contrer «l’illusion de savoir» et développe l’effort de récupération.

Dans mon cours, les questions flash étaient déjà un rituel bien installé au début de chaque séance. Les différentes lectures sur le testing-effect1 m’ont confortée dans cette habitude. Je m’en sers à la fois pour préparer les prérequis des prochains chapitres mais aussi en guise de réactivation des savoirs et compétences déjà établis. Cela me permet également de traiter un chapitre en «cours distribué», à savoir de ne pas traiter un chapitre sur quelques séances consécutives mais à travers des questions sur ce thème tout au long de l’année. Pour cela, je consacre entre quinze et vingt minutes en début de séance et utilise l’outil numérique Plickers , l’arrière du cahier ou encore des ardoises. Chaque outil a ses avantages et ses inconvénients et les élèves sont très pertinents à ce sujet. Ils disent par exemple que les ardoises sont un moyen rapide et efficace d’apprendre mais qu’ils ont tendance pour certains à copier les uns sur les autres. L’usage du cahier leur est banal mais ils ciblent quand même l’importance de pouvoir avoir une trace des questions vues en classe. Enfin tous plébiscitent Plickers pour l’aspect ludique mais aussi pour la correction immédiate et le côté anonyme (je n’indique pas les réponses de chaque élève mais uniquement la bonne réponse). Je propose aussi en début et fin de chapitre ce que j’appelle un diagnostic composé de questions sur le chapitre en cours (type QCM). Les élèves ne savent pas forcément répondre à toutes les questions, mais cela leur permet de prendre conscience des nouveautés que nous allons découvrir au fil des séances suivantes. Ce diagnostic me permet aussi de réinvestir les notions quelques jours avant le contrôle en tant que réactivation.

Par ailleurs, il est aussi prouvé que le fait de corriger immédiatement (feedback proche) permet également aux élèves de faire le point sur leurs connaissances. De cette manière, l’erreur ne s’ancre pas définitivement en mémoire et cette correction leur permettra ensuite d’inhiber plus efficacement «le mauvais chemin» qu’ils voudraient suivre au départ. Pour amener les élèves à plus d’autonomie, je leur fournis des fiches d’exercices avec la correction afin d’établir des automatismes en début de chapitre et d’éviter l’ancrage des erreurs. Il m’arrive aussi d’accrocher les corrections dans le couloir afin de permettre aux élèves de développer leur mémoire de travail2. En classe, chaque élève travaille donc à son rythme sur sa fiche et je passe dans les rangs pour répondre aux questions des élèves. Je les ai sensibilisés en début d’année sur le travail à la maison qui consisterait notamment à terminer les exercices non traités en classe ou à les refaire en leur indiquant que c’était l’effort qui permettait d’ancrer plus profondément les savoirs dans la mémoire. Si certains préféraient au début recopier simplement la correction sans fournir l’effort de répondre par eux-mêmes, ils ont compris au fil du temps l’importance d’être acteur de son apprentissage. Comme les élèves sont en autonomie, cela me permet d’aider les élèves en difficulté individuellement ou en petit groupe.

Mémoriser

Un des points-clés concernant la mémorisation consiste à reprendre régulièrement les notions en les espaçant de plus en plus dans le temps (reprises expansées). Ebbinghaus (psychologue allemand, 1850–1909) a montré que ne pas traiter une notion sur une période déterminée mais la reprendre tout au long du temps avec une reprise optimale espacée de 2, 4, 8 16 et 32 semaines permet d’optimiser la quantité d’informations mémorisées (voir figure 1).

J’ai ainsi adapté ma progression en y intégrant les reprises expansées soit directement dans le cours par des exercices sur le thème, soit en partageant les chapitres difficiles ou encore par le biais des questions flash. Le thème sera également repris dans l’évaluation du chapitre en cours et les élèves prévenus… Si le rythme préconisé est de reprendre les notions toutes les 2, 4, 8, 16 et 32 semaines, il est difficilement adaptable notamment au vu des sorties ou des vacances scolaires. J’essaie tout du moins de revoir la notion dans le chapitre qui y correspond. Par exemple, en 4, je traite la proportionnalité dès le début de l’année, revois la notion à travers les pourcentages avant les vacances de la Toussaint et les grandeurs en décembre. Des questions flash seront ensuite proposées en février et un exercice sur le thème sera dans un contrôle du mois d’avril.

Figure 1. Courbe d’Ebbinghaus

Par ailleurs, pour travailler la mémorisation, je construis mon cours à partir d’essentiels de quelques lignes élaborés en classe avec les élèves. Chaque chapitre n’en comporte que quatre ou cinq maximum. Cela permet de cibler précisément les points importants à connaître. Nous complétons aussi en classe une fiche de mémorisation avec des questions sur la leçon qui leur permettra de s’interroger à la maison de manière active. Les réponses sont construites en classe avec les élèves. Les questions sont, par exemple, comment savoir si c’est une situation de proportionnalité, comment trouver le coefficient de proportionnalité ou encore qu’est-ce qu’une grandeur…

Évaluer

Afin de développer avec eux la fonction de planification, je leur propose dix jours avant le contrôle un planning de révision leur indiquant quel essentiel et quelle fiche d’exercices revoir avec la date correspondante. En début de chaque heure concernée, je réponds à leurs éventuelles questions. Ils ont également à leur disposition le site Labomep sur lequel je sélectionne des contenus à réviser en vue du contrôle ainsi que l’application LearningApps où je peux à la fois sélectionner des applications déjà créées ou les créer en fonction de mes besoins pour se rapprocher de méthodes vues en classe. Je travaille aussi parfois sur la gestion des émotions. Je demande alors aux élèves de se projeter le jour du contrôle, leur feuille devant eux et d’imaginer ce qu’ils ressentent. Cela permet à beaucoup d’entre eux d’arriver moins anxieux le jour J. En outre, lors de l’évaluation, ils ont tous le droit d’apporter une fiche d’aide. Cet outil qu’ils élaborent à la maison, leur permet à la fois de réactiver les connaissances en étant actif mais aussi à mieux gérer leur stress. Depuis que je leur ai proposé cette méthode, je n’ai presque plus d’élèves le cahier ouvert dans le couloir avant d’entrer dans la salle essayant désespérément de revoir une dernière fois la leçon et je constate une vraie baisse de la tension au début de l’heure. Pour finir, dans la mesure du possible, je propose la correction du contrôle à ceux qui ont terminé. Un contrat de confiance est établi sur le fait que chaque élève peut commencer à corriger sa copie sans y apporter de modification.

Être attentif

Concernant le développement de l’attention, je pratique les «5 minutes de mise au calme» dès que je l’estime nécessaire. Pour cela, je demande aux élèves de fermer les yeux et les guide oralement pour se détendre. Si certains élèves en profitent lors des premières expérimentations pour ricaner ou troubler le silence, ils jouent rapidement tous le jeu car ce moment leur apporte un réel bien-être. Cette «mise au calme» permet à certains élèves de «faire une pause émotionnelle» avant d’enchaîner sur le cours de mathématiques.

Je mets aussi en place des activités dédiées au développement de l’attention, comme la «géométrie les yeux fermés» pour la construction de figures. Un exemple concernant la symétrie centrale consiste à marquer deux points \(\mathsf{A}\) et \(\mathsf{O}\) au tableau et de demander aux élèves de fermer ensuite les yeux. Je leur indique alors qu’ils doivent imaginer où se situe l’image du point \(\mathsf{A}\) par rapport au point \(\mathsf{O}\). Je diversifie l’exercice en leur indiquant au début de leurs apprentissages les étapes à suivre et je procède en même temps à la construction au tableau. Ils valident leur réponse en ouvrant les yeux et comparent avec ce qu’ils avaient imaginé. Ce processus permet donc aux élèves, premièrement d’éliminer les potentiels distracteurs visuels autour d’eux, mais aussi de travailler leur représentation mentale ce qui fait souvent défaut chez les élèves les plus en difficulté.

Plus généralement au collège

À la rentrée 2017, nous avons informé les parents de la mise en place d’une Cogni’classe qui concernait leurs enfants. Un des points qui nous semblait important au niveau de l’équipe était d’associer les parents au dispositif afin d’obtenir un meilleur suivi des élèves. Nous leur avons présenté les différents outils et méthodes utilisés dans nos cours (fiche mémorisation, gestion des émotions, diagnostic, outils numériques, …).

Cette expérience a également permis de développer le travail en équipe pour les professeurs. Le fait de mutualiser certains outils entre différentes matières a fait prendre conscience aux élèves de l’importance du dispositif. Nous utilisons aussi un cahier de réactivation dans lequel chaque enseignant peut noter une question relative à sa discipline ainsi que sa réponse. Dès que possible, nous essayons alors de poser aux élèves des questions qui portent sur les disciplines de nos collègues. Ce moment permet de réactiver les savoirs au cours du temps mais établit également une complicité entre le professeur et les élèves lorsque ce sont les élèves qui expliquent au professeur !

Par ailleurs, les heures de vie de classe sont l’occasion de sensibiliser les élèves au fonctionnement du cerveau, à la nécessité d’une hygiène de vie saine et aux intelligences multiples. «La semaine du cerveau» (événement organisé au mois de mars chaque année, depuis 1998, simultanément dans tous les pays d’Europe) a été aussi l’occasion de proposer aux élèves une conférence sur la mémoire par une neuropsychologue.

À la fin de l’année scolaire 2017/2018, nous étions convaincus de l’impact de ce dispositif auprès de nos élèves mais l’évaluation de ce protocole restait assez subjective et nous souhaitions un retour plus scientifique. Aussi, nous avons fait appel à Sonia Lorant, maître de conférences en psychologie cognitive à l’INSPÉ de Strasbourg, pour mener une recherche-action sur ce thème. Les élèves ont donc passé en début d’année une série de tests sur des compétences en français et en mathématiques. Ces tests, passés à la fois en groupe-classe mais aussi en individuel lors d’entretiens, permettant de tester leurs fonctions exécutives (élaboration de stratégies, planification, maintien de l’attention et surveillance de l’avancement des tâches, adaptation aux imprévus, correction des erreurs, passage d’une tâche à l’autre, contrôle de l’inhibition).

Parallèlement, nous nous sommes réunis régulièrement pour faire évoluer nos pratiques. Ces réunions ainsi que l’observation de certaines séances par Sonia Lorant ont été l’occasion d’échanger. La recherche se poursuivra en 2019/2020, avec le passage des mêmes tests auprès des élèves pour mesurer l’impact de ces nouvelles pratiques.

Nous aurons l’année prochaine le résultat de l’étude à travers les retours des questionnaires élèves ainsi que des entretiens individuels afin de savoir si les bénéfices ressentis (meilleure autonomie des élèves, moins de décrochage scolaire, plaisir d’être en classe et ambiance sereine en classe, …) sont attribuables à cette action.

Références

  1. J.-L. Berthier et al. Les neurosciences cognitives dans la classe : guide pour expérimenter et adapter ses pratiques pédagogiques. ESF sciences humaines, 2018.
  2. C. Boujon et C. Quaireau. Attention et réussite scolaire. Dunod, 1997.
  3. P.-C. Brown, H.-L. Roediger et M.-A. Mc Daniel. Mets-toi ça dans la tête. Éditions Markus Haller, 2016.
  4. S. Dehaene. Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Odile Jacob, 2018.
  5. S. Dehaene. Fondements cognitifs des apprentissages scolaires. . 2014-2015.
  6. G. Diederichs. Zen en classe au collège. Rue des écoles, 2011.
  7. J.-P. Lachaux. Les petites bulles de l’attention. Odile Jacob, 2016.
  8. A. Lieury et F. Fenouillet. Motivation et réussite scolaire. Dunod, 1996.
  9. H.-L. Roediger et J.-D. Karpicke. « Test-enhanced learning : taking memory tests improves long-term retention». In : Psychological Science 17(3) (2006), p. 249-255.
  10. P. Toscani. Les neurosciences au coeur de la classe. Chronique sociale, 2013.

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Julie Benoit est professeur de mathématiques au collège Louise Weiss à Strasbourg. Depuis 2017, elle fait partie du groupe de Formation-Action de l’académie de Strasbourg sur le thème «Apport des sciences cognitives».


  1. Le testing-effect correspond au questionnement de l’élève sur un sujet via des questions, une production écrite sur feuille blanche, une interrogation orale par un autre élève ou les parents… Pour mieux apprendre, l’élève doit en effet se poser des questions et ne pas simplement lire sa leçon.↩︎

  2. La mémoire de travail est «l’atelier d’exécution du cerveau» . Elle permet de maintenir l’information à disposition pour qu’elle soit traitée par le cerveau.↩︎

Pour citer cet article : Benoit J., « Cogni’classe au collège », in APMEP Au fil des maths. N° 534. 9 février 2020, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/cogniclasse-au-college/.