Des « vidéos-erreurs »
pour aiguiser l’esprit critique

Difficile dans notre quotidien d’échapper à une multitude de données chiffrées. Dans la rue, le métro, le bus, lors d’émissions télévisées, nous en sommes sans cesse abreuvés. Si, en tant que professeurs de mathématiques, nous sommes en mesure d’analyser les données chiffrées et les graphiques fournis, est-ce le cas pour nos élèves et leurs familles? Comment leur apprendre à être critiques sans pour autant tomber dans la défiance envers les médias ? Arnaud Durand nous expose son approche à partir de captations vidéos d’émissions télévisées.

Arnaud Durand

© APMEP Mars 2022

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Travailler l’Éducation aux Médias et à l’Information (ÉMI)1 est une problématique au cœur de ma réflexion d’enseignant. Comment amener mes élèves à être critiques face aux données mathématiques fournies dans les journaux télévisés (JT) ou diverses autres émissions télévisées ? Depuis plusieurs années, j’ai fait le choix de projeter à mes élèves des extraits de vidéos comportant des erreurs mathématiques pour les aider à devenir des citoyens avertis et critiques.

La vidéo, un véritable atout

Proposer aux élèves d’écouter un extrait audiovisuel permet une temporalité intéressante : tout le monde découvre en même temps une situation. Avec ce type de média, on évite les difficultés liées à la lecture. Cette écoute active demande de la concentration pour comprendre le contexte et repérer les différentes données chiffrées. L’enseignant pourra par la suite repasser la vidéo pour faire un arrêt sur image (graphique à étudier par exemple) ou revenir sur des propos impliquant des données chiffrées.

J’ai entamé depuis maintenant sept ans un recensement d’erreurs dans les médias télévisuels (la première vidéo date de 2014). J’ai choisi principalement des extraits télévisés car mes élèves accordaient à la télévision (et ses JT notamment) toute confiance ; ils ne mettaient pas en doute la véracité des informations diffusées. Pour eux, le journaliste était un professionnel et sa parole ne pouvait pas être remise en question.

Tout citoyen se doit d’être éclairé, il est donc primordial d’amener les élèves à un scepticisme raisonné vis-à-vis des médias, ainsi qu’à une confiance en eux suffisante pour pouvoir débusquer des erreurs, se donner le droit d’analyser et de discuter les propos de journalistes. Avoir un esprit critique, ça se travaille !

La naissance d’une communauté

À mes débuts, en 2014, je n’avais pas beaucoup de matière. Via mon blog mathix.org , des enseignants ont adhéré à mon projet et nous avons ainsi pu partager des extraits d’émissions comportant des erreurs. J’ai ainsi pu récupérer et monter une sorte de «pot commun» et, à ce jour, j’ai publié 97 «vidéos-erreurs». Ce projet est une formidable réussite collective2.

Premiers essais avec les élèves

En 2014, je diffuse donc une première «vidéo-erreur» à la place de l’activité flash habituelle.

Exemple n° 1
Exemple n° 1 .

Le modus operandi est simple : montrer une vidéo et en discuter en classe. J’ai annoncé aux élèves que j’allais leur faire visionner une petite vidéo sans consigne particulière. Je souhaitais qu’ils la regardent comme s’ils étaient chez eux, sans a priori. La fameuse question «Avez-vous vu l’erreur ?» est intégrée à la vidéo.

Après le premier visionnage, aucun élève n’a su repérer l’erreur ! Rien de plus normal, mais cela leur a permis de constater la passivité dans laquelle ils sont face à la télévision.

On a donc procédé à plusieurs visionnages.

Il aura fallu trois lectures pour qu’un élève se doute que le problème venait des pourcentages (notion retravaillée avant cette séance) et que l’erreur vient de l’incohérence entre les propos de la journaliste et ce qui apparaît à l’image. C’est à ce moment précis que les élèves ont compris qu’ils devaient se concentrer en même temps, mais différemment, sur le visuel et l’audio.

L’activité aura finalement duré une vingtaine de minutes, un peu long pour une première fois. Mais il fallait échanger sur l’attitude à adopter face à des informations télévisées. Étant donné que c’était une première fois, aucune trace écrite n’a été produite. Je souhaitais juste qu’ils prennent conscience de leur passivité. D’ailleurs elle fut réelle (et l’est toujours à chaque fois qu’un groupe d’élèves se trouve confronté à ce genre de vidéos pour la première fois).

La seconde vidéo projetée ne correspondait pas à ce que je souhaitais initialement. Je voulais un problème «simple» avec une solution unique. Mon objectif était que les élèves commencent à prendre confiance dans leurs capacités à analyser. Je l’ai finalement diffusée à mes élèves de 4 : un vrai succès avec une réelle richesse dans les débats ! Des élèves d’accord, pas d’accord entre eux, et au fond, la volonté de dire comment un graphique doit être fait, ce qu’il doit communiquer, etc., bref une «vidéo-erreur» qui a permis une séance sur la conception de graphiques, non programmée, j’ai pu m’autoriser à faire autre chose que ce qui était initialement prévu !

Exemple n° 2.
Exemple n° 2 .

Dans la foulée, j’ai reçu une vidéo d’un collègue, Stéphane Hélaine, premier correspondant régulier du blog. Cet extrait, même s’il n’est pas récent, est riche et très utile comme élément déclencheur pour une activité autour de la conception de diagrammes circulaires.

Exemple n° 3.
Exemple n° 3 .

L’erreur y est flagrante, les élèves (classe de Cinquième) la repèrent rapidement mais ils sont moins à l’aise lorsqu’il s’agit de produire à leur tour le diagramme. Cet extrait a également permis de désacraliser les émissions dites sérieuses : c’est tout de même un reportage d’investigation qui a mis plusieurs jours à être ficelé !

Rien qu’avec ces trois «vidéos-erreurs», on relève la diversité des types d’activités possibles : certaines sont fermées, d’autres très ouvertes, sur un temps plus ou moins court, etc. Il s’agit donc de bien identifier le type d’erreurs que l’on veut travailler : calculs erronés de pourcentages, graphiques sans légende, sans axes gradués, diagrammes fantaisistes, etc. pour ensuite choisir la «vidéo-erreur».

À chaque vidéo son objectif

Au fil des contributions des uns et des autres, le nombre de «vidéos-erreurs» est désormais conséquent. Elles sont toutes disponibles sur mathix.org (dans Galerie vidéos, rechercher la catégorie Erreur) avec, pour chacune d’entre elles, les notions travaillées. Activité flash, travail de groupe, devoir maison, activité d’apprentissage sont susceptibles d’être abordés à partir de la projection d’une vidéo.

Activité flash

Pour ce genre d’activité, j’utilise les «vidéos-erreurs» simples et fermées. Le problème doit être facile à résoudre et les erreurs rapides à identifier. L’idée est de rappeler le cours, ce qui est idéal pour commencer à débusquer les erreurs.

Par exemple, la vidéo évoquant la taille d’une pièce en .

Exemple n° 4.
Exemple n° 4 .
Devoir maison

Utiliser les vidéos pour un travail de ce type n’est pas évident en soi, car source d’inégalités pour les élèves. De plus, l’évaluation de la production est délicate. Mais alors pourquoi y recourir ? Je pense que l’implication des parents est primordiale pour éduquer aussi les familles à ce scepticisme raisonné face aux médias, à cette fameuse lecture active et proposer un travail avec une «vidéo-erreur» permet de créer un temps de débat dans certaines cellules familiales.

Ça n’a rien de patent et j’ai eu le droit à quelques remarques de parents qui n’appréciaient pas le fait d’indiquer qu’un journaliste puisse avoir tort, car après tout c’est un expert et nous non.

Le statut d’expertise des journalistes/présentateurs/intervenants est rarement remis en cause, alors se donner confiance pour aller chercher des informations ailleurs et les réanalyser n’est pas toujours un réflexe.

Ici, je m’autorise à proposer des problèmes plus complexes et qui nécessitent un temps long pour susciter l’adhésion des familles. Je fais régulièrement des points étapes en classe pour que chacun ait la possibilité de réussir.

Le travail de groupe

C’est de loin le dispositif que j’apprécie le plus, car simple à mettre en œuvre. Je ne gère plus 28 élèves, mais sept entités de quatre personnes. Ma disponibilité en est accrue. Le fait que les élèves soient en groupe leur permet de prendre des initiatives beaucoup plus facilement, ce qui est le premier pas pour trouver les erreurs.

La vidéo est diffusée en boucle sur le vidéoprojecteur. L’inconvénient est parfois le bruit : lors des trois premières diffusions, le son est assez fort. Puis, quand je constate que tous les groupes ont pu retirer les informations importantes, je réduis le volume sonore.

Il n’y a pas de consigne, l’erreur n’est pas pointée et la notion mathématique n’est pas divulguée. Il faut parfois reprendre son cours ou la vidéo, consigner les propos dits et les informations affichées. Les débats à l’intérieur du groupe sont riches. Les «vidéos-erreurs» utilisées doivent être assez complexes, pour résister raisonnablement.

Activité d’apprentissage

La «vidéo-erreur» est alors un outil pour introduire une notion. Par exemple, celle citée plus haut (exemple n°4) permet de mettre rapidement les élèves en activité, de se poser des questions (comment calculer les angles par exemple). La connaissance n’est pas parachutée par l’enseignant, un besoin est créé et le cours de mathématiques permet d’y répondre.

Qu’en conclure ?

L’usage de ces «vidéos-erreurs» a un réel impact sur le comportement des élèves vis-à-vis des médias, ils sont plus attentifs aux données chiffrées.

Travailler sur des extraits comportant des erreurs a aussi une conséquence fondamentale : la dédramatisation de l’erreur. On montre que des journalistes reconnus peuvent se tromper. Cela crée un malaise chez certains élèves : ce n’est plus l’adulte qui détecte l’erreur de l’élève mais l’élève qui détecte l’erreur de l’adulte pourtant garant du savoir. On a renversé la situation scolaire. L’impact est très positif sur les élèves. Idéal pour la confiance en soi, non ?

Certaines des vidéos vieillissent vite car elles sont ancrées dans l’actualité (JT, séries télé…). Cependant, d’autres sont plus intemporelles et deviennent des références pour les enseignants qui les exploitent. C’est là que le collectif est important : l’apport des uns et des autres permet de se renouveler.

En ces temps troublés, je n’ai pas (encore) eu à faire face à des théories du complot. Certaines vidéos peuvent y inciter Exemple n° 5, soyons vigilants.

Exemple n° 5.
Exemple n° 5 .

Tentés par l’expérience ? Utiliser de telles vidéos, c’est parfois aussi changer ses pratiques, ce qui peut effrayer. Pourtant elles permettent, avec très peu de préparation, de mettre les élèves en activité mathématique, de développer la verbalisation, de créer un collectif…

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Arnaud Durand enseigne les mathématiques au collège Bellevue à Loué (72) ; il anime un blog Exemple n° 5.

Adresse Durand Arnaud


  1. Le CLEMI (Centre pour L’Éducation aux Médias et à l’Information) a mené un travail de synthèse pour permettre aux enseignants de s’engager dans une démarche ÉMI en lien avec les programmes Exemple n° 5 .↩︎

  2. Ils ont contribué à étoffer la galerie, je les remercie : Stéphane Arnaud, Gaël Barbarat, Marjorie Bertrand, Xavier Bornedave-Montesquieu, Sophie Boulery, Hervé Brunet, Julien Cabioch, Adeline Catoire, Arnaud Cuvelier, Yannick Danard, Laurent Deterville, Liem Do, Julien Durand, Eric Elter, Emmanuelle Garde, Yves Gesnel, Stéphane Gonnord, Jean-Christophe Grimont, Stéphane Helaine, Chantal Hublet, Magalie Keradennec, Jason Lapeyronnie, Christophe Leguelvouit, Claire Lommé, Cédric Macquat, Christelle Mercier, Thierry Millon, Alexandre Morgan, Benjamin Montreuil, Yann Noel, Valentin et Stéphanie Olieve, Gaëlle Papineau, William Rambeau, Marie Shug.↩︎

Pour citer cet article : Durand A., « Des « vidéos-erreurs » pour aiguiser l’esprit critique », in APMEP Au fil des maths. N° 543. 19 avril 2022, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/des-videos-erreurs-pour-aiguiser-lesprit-critique/.

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Une réflexion sur « Des « vidéos-erreurs » pour aiguiser l’esprit critique »

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