Qui va l’emporter ?

L’élection des délégués ; un grand moment à chaque début d’année scolaire… et bien sûr l’occasion de faire des maths ! L’auteur nous décrit une réflexion originale, menée avec ses élèves lycéens, autour de différents modes de scrutin.

Fabien Aoustin

© APMEP Décembre 2021

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Qui se présente ?

L’élection des délégués de classe en début d’année scolaire, avant la fin de la septième semaine pour être précis, constitue souvent un moment particulier dans la vie d’une classe. Même si on n’est jamais à l’abri de bulletins fantaisistes offrant des suffrages à d’improbables vedettes ou se faisant l’écho de déclarations enflammées pour tel ou tel professeur, cela constitue le premier pas vers une citoyenneté active pour la plupart des élèves. Souvent, le professeur principal invite pour l’occasion un CPE ou un collègue d’histoire-géographie et EMC (Enseignement Moral et Civique). Et si pour une fois, on en profitait pour… faire des maths ? Pas uniquement pour compter des voix, calculer des fréquences ou dessiner un diagramme en barres, non, mais pour réfléchir à de véritables problèmes mathématiques ? Car oui, il y a bien une problématique citoyenne et mathématique qui se cache derrière cette élection ; il s’agit de discuter la pertinence d’un mode de scrutin.

Avant d’en arriver là, rappelons tout de même quelles sont les règles qui régissent l’élection des délégués de classe. Il s’agit d’un scrutin uninominal à deux tours où chaque électeur vote pour un candidat et son suppléant. Il y a quelques différences majeures avec l’élection présidentielle à laquelle pensent souvent les élèves. Ainsi, un élève n’ayant pas présenté sa candidature peut être élu s’il a reçu un nombre suffisant de voix et s’il accepte son mandat de délégué. Au premier tour, si un candidat obtient la majorité absolue des suffrages, il est élu et devient délégué. Un second tour est alors organisé afin d’élire le second délégué. Si aucun des candidats n’obtient la majorité absolue, un second tour est organisé. Les deux candidats qui obtiennent le plus de voix sont alors élus et deviennent délégués. En cas d’égalité du nombre de voix, le plus jeune des candidats est élu.

La nécessité du second tour lorsqu’aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue au premier tour pose d’ailleurs souvent question aux élèves.

Comment vote-t-on ?

Le jour J, en tout début d’heure et avant de procéder à l’élection proprement dite, on peut demander aux élèves comment ils vont voter. Les plus grands connaissent en général bien les règles mais ils sont souvent déroutés quand on leur demande ensuite pourquoi ce sont ces règles-là et pas d’autres.

La plupart n’ont jamais imaginé que d’autres modes de scrutins pouvaient être proposés… C’est le moment de sortir de son sac une petite activité ! L’idéal est de s’appuyer sur des données concrètes et de proposer plusieurs modes de scrutin, comme ci-dessous.

5 modes de scrutin différents

Lors d’une élection, trois candidates se présentent ;

Anastasie (A), Javotte (J) et Cendrillon (C).

On sait que ;

  • 40 % des électeurs préfèrent C et si C ne peut pas se présenter, ces électeurs votent tous pour J ;

  • 25 % des électeurs préfèrent J et si J ne peut pas se présenter, ces électeurs votent tous pour A ;

  • 35 % des électeurs préfèrent A et si A ne peut pas se présenter, ces électeurs votent tous pour J ;

Une seule des trois candidates doit être élue !

Différentes méthodes permettent d’exprimer la « volonté du peuple ».

Méthode 1 : lors d’un premier tour, chaque électeur vote pour un candidat, puis un second tour est organisé entre les deux candidats ayant reçu le plus de suffrages au premier tour. Le candidat qui reçoit le plus de suffrages au second tour l’emporte.

Méthode 2 : chaque électeur vote pour un candidat. Le candidat qui reçoit le plus de suffrages l’emporte.

Méthode 3 : chaque électeur vote contre un candidat. Le candidat qui reçoit le moins de suffrages l’emporte.

Méthode 4 : lors d’un premier tour, chaque électeur vote contre un candidat. Puis un second tour est organisé entre les deux candidats ayant reçu le moins de suffrages au premier tour ; chaque électeur vote là encore contre un candidat. Le candidat qui reçoit le moins de suffrages au second tour l’emporte.

Méthode 5 : chaque électeur classe les candidats par ordre de préférence ; son candidat préféré marque 2 points, le suivant 1 point et le dernier aucun. Le candidat qui obtient le plus grand score l’emporte.

Quelle candidate est victorieuse avec chacune de ces méthodes1 ?

Première surprise pour les élèves ; tous les modes de scrutin ne donnent pas le même résultat !

Certaines méthodes sont-elles équivalentes ? Certaines donnent-elles toujours des résultats différents ? Les questions ne manquent pas ! Et le lien avec notre élection présidentielle est vite établi par les élèves ; y a-t-il déjà eu des présidents français qui n’auraient pas été élus avec un autre mode de scrutin ?

C’est le moment de proposer deux autres situations étonnantes.

5 modes de scrutin différents

Imaginons que trois candidats A, B et C soient les seuls à se présenter à une présidentielle française (scrutin uninominal à deux tours).

On a établi que les différents classements des candidats remportent les suffrages suivants ;

A > B > C 10
 A > C > B 25
 B > A > C 10
 B > C> A 23
 C > A > B 13
 C > B > A 19

Quel candidat gagnerait en cas de second tour A vs C ?

Quel candidat gagnerait en cas de second tour B vs C ?

Quels sont les candidats qui passent au second tour ? Qui gagne l’élection ?

Imaginons maintenant que la répartition des votes soit la suivante ;

A > B> C 25
A > C > B 13
B > A > C 8
B > C > A 27
C > A > B 17
C > B > A 10

Quel candidat gagnerait en cas de second tour A vs B ?

Quel candidat gagnerait en cas de second tour B vs C ?

Quel candidat gagnerait en cas de second tour C vs A ?

Là aussi, les réactions sont parfois vives ! Certains élèves crient à l’injustice en constatant qu’un candidat assuré de gagner au second tour ne passera pas le premier. D’autres s’étonnent que des décisions collectives ne semblent pas cohérentes avec les décisions individuelles.

Mais c’est également une belle occasion de glisser quelques éléments culturels et historiques autour de la personnalité de Nicolas de Condorcet (1743-1794) à qui l’on doit le dernier paradoxe2.

En général, l’heure tourne et il est grand temps de passer à l’élection des délégués proprement dite !

Beaucoup d’élèves expriment cependant une certaine frustration. Habituellement, en mathématiques, quand ils sont confrontés à un problème, le professeur peut toujours leur donner une solution satisfaisante… Mais là, il ne semble pas y en avoir ! Existe-t-il un mode de scrutin incontestable ? Ou qui ne présente pas trop de défauts ? On peut dans ce cas évoquer le vote par approbation où chaque électeur classe les candidats en deux groupes, ceux qui reçoivent son approbation et ceux qui ne la reçoivent pas, le candidat recevant le plus grand nombre de voix étant élu. Mais le débat reste ouvert…

Et après ?

Cette activité a été testée en Première et en Terminale avec succès mais elle est sûrement transposable à d’autres niveaux sans difficulté. Avec la réforme du lycée et la disparition du groupe classe après la Seconde, il devient peut-être plus difficile de l’exploiter. Les notions mêmes de délégué « de classe » et de conseil « de classe » sont d’ailleurs maintenant à questionner.

La présentation de ces situations forme en tout cas une belle réponse, parmi d’autres, à l’éternelle question de l’utilité des mathématiques. Surtout, elle suscite un débat et habitue les élèves à faire un pas de côté, à se questionner, à prendre du recul, à se rendre compte que les mathématiques contribuent à se forger un esprit libre.

Suivant les disponibilités et la réaction des élèves, ces questions électorales peuvent déboucher sur des approfondissements intéressants en classe (pour chercher des contre-exemples) ou dans le cadre de clubs, de labos de maths ou d’ateliers de recherche comme Math.en.Jeans. Les élèves de Terminale peuvent puiser ici des idées originales pour leur Grand Oral. Élèves et professeurs trouveront en particulier de quoi creuser ces questions dans les références données en fin d’article.

Enfin, le sujet peut aussi être abordé en salle des professeurs ! L’activité ne manque pas de susciter le débat auprès des collègues car, comme chez les élèves, nombreux sont ceux qui n’ont jamais pensé à cette question du mode de scrutin. Les attitudes des uns et des autres sont parfois déroutantes ; curiosité d’une part ou… rejet complet d’autre part ! Certains vont jusqu’à affirmer qu’il y a là une « mathématisation abusive » et que « de toute façon, peu importe le mode de scrutin tant qu’il y a une campagne électorale pour permettre un choix éclairé des citoyens ».

On voit à travers ces propos que, nous aussi, professeurs de mathématiques, avons encore du travail à faire dans l’éducation à la citoyenneté !

Références

[1] Rémi Peyre. La démocratie, objet d’étude mathématique. .

[2] Rémi Peyre. Et le vainqueur du second tour est. . . .

[3] Rémi Peyre. La quête du Graal électoral. .

[4] Collectif. Maths et politique. N° 45. Éditions POLE, août 2012.

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Fabien Aoustin est professeur de mathématiques au lycée Paul Guérin de Niort et collabore régulièrement au magazine Tangente.


  1. Pour ceux qui n’ont pas le temps de faire les calculs, vous trouverez des éléments de réponses dans la revue numérique .↩︎

  2. Le paradoxe de Condorcet, mis en évidence dans la deuxième situation, affirme qu’il est possible, lorsqu’on demande aux électeurs de classer trois candidats A, B et C par ordre de préférence, qu’une majorité préfère A à B, qu’une autre majorité préfère B à C et que, curieusement, une majorité préfère tout de même C à A. On peut donc perdre le caractère transitif des préférences quand on les considère à la majorité ! Ce phénomène a été décrit par Nicolas de Condorcet en 1785 dans son Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix.↩︎

Pour citer cet article : Aoustin F., « Qui va l’emporter ? », in APMEP Au fil des maths. N° 542. 6 février 2022, https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/qui-va-lemporter/.