Émotions et apprentissages
chez des élèves de 3 à 6 ans

Quel est le lien entre la connaissance des émotions et les compétences numériques chez les élèves âgés de 3 à 6 ans ? Les auteurs partagent ici quelques résultats de recherche récents à ce sujet et proposent plusieurs mécanismes pour expliquer ce lien.

Édouard Gentaz, Thalia Cavadini, Nathalie Dalla-Libera & Sylvie Richard

© APMEP Décembre 2021

⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅

La cognition et les émotions agissent-elles de manière indépendante ?

Les recherches en sciences cognitives1 s’intéressent au développement cognitif et aux apprentissages ainsi qu’aux émotions, même si cela est plus récent ([1], [2]).

Une vision très répandue mais erronée est que les émotions et la cognition ont des localisations cérébrales et des rôles différents au sein même du cerveau qui se reporteraient aussi dans nos comportements ([3]).

Les recherches examinent les différents aspects de l’émotion comme ses dimensions corporelle, personnelle, sociale et cognitive. Actuellement, une définition dite multi-componentielle de l’émotion est souvent utilisée ([4]). L’émotion est définie comme une modification d’état rapide et transitoire en deux temps : (1) un déclenchement initial dû à la pertinence d’un événement (réel ou imaginé) menant à  (2) une réponse dans plusieurs composantes de l’organisme (système nerveux périphérique, tendance à l’action, expression motrice et ressenti conscient).

Dans cette perspective, les émotions soutiennent l’attention, la mémoire de travail, l’encodage, la consolidation en mémoire ou encore des processus cognitifs de haut niveau (catégorisation, inhibition). Ces processus cognitifs sont également nécessaires aux apprentissages scolaires ([5]). Les émotions accompagnent donc les élèves au sein de la classe et peuvent interagir avec les apprentissages ([6], [7], [8]).

Le rôle des émotions et des processus affectifs sur l’apprentissage n’est pas nouveau, avec, par exemple, les concepts de « punition » et de « récompense ». Cependant, Pekrun et Linnerbrink- Garcia ([9])  critiquent le fait que la recherche dans le domaine de l’éducation se concentre principalement sur l’anxiété, en négligeant d’autres émotions qui sont censées exercer des influences négatives ou facilitatrices sur la réussite et avoir un impact sur les stratégies cognitives utilisées dans le processus d’apprentissage et la motivation.

Les émotions négatives peuvent être un vecteur d’échec et de perte de confiance lorsqu’elles sont inappropriées, ou ignorées mais les émotions positives peuvent représenter un puissant catalyseur pour le bien-être et la réussite scolaire.

Comment les compétences émotionnelles se développent-elles ?

Les compétences émotionnelles se réfèrent aux différences dans la manière dont les personnes perçoivent les émotions, utilisent les émotions pour « faciliter la pensée », comprennent et régulent les émotions ([10]). Ces compétences représentent un ensemble de ressources efficaces et fonctionnelles permettant de nous adapter à l’environnement. Elles sont donc essentielles au développement psychologique. Généralement, les émotions sont véhiculées par le corps entier. Cependant, le visage joue un rôle très important pour la plupart des gens. Examinons comment elles se développent durant l’enfance.

Identifier les expressions émotionnelles

Les capacités d’identification perceptive des expressions faciales émotionnelles vont émerger durant la première année, avec la capacité vers sept mois de discriminer visuellement ou auditivement certaines émotions entre elles (les émotions primaires : joie, surprise, peur, colère, dégoût, tristesse). Dès l’âge de deux ans, l’enfant est capable d’une première catégorisation verbale de certaines émotions de base. Par la suite, ces catégorisations continuent de se développer et l’enfant devient capable de catégoriser un nombre croissant d’émotions de plus en plus finement. Les enfants commenceraient par catégoriser les émotions selon deux catégories basées sur les valences positives (agréable/plaisant) et négatives (désagréable/déplaisant) et ne parviendraient que plus tardivement à une catégorisation en émotions spécifiques comme chez l’adulte.

L’ordre « d’apparition » de la capacité à identifier les différentes émotions semble dépendre des méthodes de présentation utilisées (histoires, films, visages) et des modalités de réponses. Toutefois, un pattern général de développement se dégage à partir des différentes études : l’identification de l’émotion de joie est déjà bien acquise à trois ans et celles des émotions de tristesse, colère et peur évoluent plus lentement pour être bien reconnues vers cinq–six ans. L’identification de la surprise et du dégoût se fera plus tard, entre six et dix ans.

Comprendre les émotions

La compréhension des termes émotionnels, des indices situationnels, physiologiques et mentaux qui permettent à quelqu’un d’identifier une émotion et des situations capables d’induire des émotions s’améliore progressivement avec l’âge. Entre deux et quatre ans, l’enfant commence à comprendre l’incidence des causes externes et de certains souvenirs d’événements externes sur les émotions. À partir de cinq ans, l’enfant commence à comprendre l’influence des désirs sur les émotions. Vers six–sept ans, il comprend en plus le rôle des croyances et des perceptions sur les émotions. C’est également à cet âge qu’il commence à faire la distinction entre l’apparence et la réalité d’une émotion, par exemple qu’il est possible de masquer une émotion. À partir de huit ou neuf ans, l’enfant va comprendre l’incidence des règles morales sur certaines émotions (par exemple, se sentir coupable pour un acte moralement répréhensible). Vers neuf ou dix ans, il comprend également les émotions mixtes, c’est-à-dire le fait de ressentir plusieurs émotions de valence différente en même temps (par exemple, être heureux de recevoir un vélo en cadeau mais avoir peur de l’utiliser).

Réguler les émotions

La capacité de régulation des émotions permet à l’individu de modifier la nature de son émotion, son intensité, sa durée ou sa composante expressive. Durant la première année de vie, les bébés ne disposent que de certains mécanismes tels que la stimulation tactile ou le détournement de regard pour diminuer les états émotionnels négatifs mais ils sont largement dépendants des adultes pour réguler leurs émotions. De trois à six ans, les jeunes enfants développent la capacité à générer des émotions et à masquer ou minimiser leurs expressions dans certaines circonstances. Ils développent également durant cette période préscolaire leur répertoire langagier et deviennent capables de penser et de parler de leurs émotions. Durant la période scolaire, le développement des habiletés cognitives et du contrôle attentionnel va jouer un rôle important dans le développement des capacités de régulation. Avec l’âge, les enfants vont percevoir les liens entre leurs efforts de régulation et la modulation de leurs émotions. Ils deviendront ensuite capables à la pré-adolescence d’utiliser des stratégies de régulation très spécifiques telles que la résolution de problèmes, la recherche de soutien, la distraction ou la réévaluation.

Que révèlent les recherches internationales sur le lien entre les compétences émotionnelles et la réussite scolaire des élèves ?

Un nombre croissant d’études ont examiné les compétences fondamentales qui préparent les enfants à l’école et qui sont particulièrement essentielles pour leur future réussite scolaire. Parmi ces compétences, la « connaissance des émotions » contribue de manière significative ([11]). Chez les jeunes enfants, la « connaissance des émotions » est généralement définie comme la capacité à reconnaître les émotions, à « étiqueter » les expressions faciales émotionnelles et à identifier les situations qui génèrent des émotions. Une récente méta-analyse d’études menées auprès d’enfants (âgés de trois à douze ans) a révélé qu’un niveau plus élevé de connaissance des émotions tend à favoriser les résultats scolaires, l’acceptation par les pairs et l’adaptation à l’école. Plus particulièrement, la connaissance des émotions à l’âge préscolaire était un prédicteur significatif des résultats scolaires en première année, évalués par des tests en lecture et en mathématiques. La reconnaissance des principales expressions des émotions faciales (par exemple, la joie, la tristesse, la colère, la peur) est très importante pour le développement de la compréhension des émotions et de l’interaction sociale adaptée. La capacité de reconnaître et d’étiqueter les expressions d’émotions évaluée chez soixante-douze élèves âgés de cinq ans est un prédicteur à long terme de leur comportement social et de leurs résultats scolaires âgés de neuf ans. Par conséquent, les interactions sociales positives ont été facilitées par le niveau de capacité à détecter et à étiqueter les émotions. Il est à noter que la plupart des recherches examinent les résultats scolaires à travers des tests de lecture (même si on sait que ces dernières sont très fortement corrélées avec le niveau socio-économique des parents).

Quel est le lien entre la connaissance des émotions et les compétences numériques ?

On sait peu de choses sur la manière dont la connaissance des émotions peut être liée aux compétences numériques des jeunes enfants. Pour combler cette lacune, nous avons examiné les liens entre cette connaissance des émotions et les compétences numériques chez sept-cent-six élèves âgés de trois à six ans scolarisés dans des écoles maternelles en France ([12]).
Pour évaluer ce lien entre ces deux variables, nous avons élaboré des épreuves adaptées aux âges des élèves en étroite collaboration avec trente-trois enseignants volontaires. Ces derniers ont participé à un atelier interactif dans lequel ils ont été formés à mettre en place, exécuter et évaluer, de manière standardisée les évaluations des connaissances émotionnelles et des compétences numériques auprès des élèves durant novembre-décembre 2019.

Évaluation de la connaissance des émotions

La connaissance des émotions est évaluée par des épreuves de compréhension des émotions (adaptées de travaux antérieurs) comprenant deux sous-épreuves :

(1) la reconnaissance des émotions primaires que sont la colère, la peur, la joie et la tristesse ainsi qu’une expression faciale neutre, et

(2) la compréhension des causes externes qui sous-tendent ces émotions chez les autres, elle-même subdivisée en deux sous-tâches différentes : (a) indiquer laquelle de ces cinq émotions un personnage ressent dans plusieurs situations données, et (b) nommer correctement chacune d’entre elles.

Épreuve 1 : son objectif est d’évaluer si l’élève est capable de reconnaître une émotion sur la base de l’expression du visage. Chaque élève est invité ainsi à faire correspondre une étiquette d’émotion préalablement entendue (mot dit par l’enseignant) à l’expression faciale émotionnelle correspondante parmi un choix de cinq réponses. Cinq images (fig. 1) illustrant quatre expressions faciales d’émotions primaires (colère, peur, joie, tristesse) et une expression neutre sont disposées devant l’enfant et la consigne est la suivante : « Regarde ces images. Donne-moi l’image de l’enfant content2. »

Figure 1. Connaissance des émotions, épreuve 1.

Par la suite, les participants sont invités à donner à l’enseignant l’image de « l’enfant content » par exemple. L’élève est invité à choisir la bonne réponse. Le score maximum pour cette tâche est de 5 points (un point par bonne réponse).

Épreuve 2 : son objectif est d’évaluer si l’élève est capable de comprendre les causes de ces mêmes émotions en pointant puis en nommant celle qui correspond à l’émotion ressentie par un personnage dans cinq situations données sur la base d’éléments contextuels externes. L’enseignant présente cinq scénarios de dessins animés illustrés par une image d’un protagoniste faisant face à une situation particulière (par exemple, « Ce garçon vient de recevoir un cadeau pour son anniversaire », fig. 2A). Tout en montrant un scénario donné, l’enseignant lit l’histoire du personnage représenté. Le visage du personnage de l’image est laissé en blanc. Chacune de ces situations peut induire quatre réactions émotionnelles (colère, tristesse, joie, peur) plus une réaction neutre. Pour chaque tableau, l’enfant est invité à répondre à la question de savoir comment le protagoniste se sent dans cette situation (« Comment se sent ce garçon qui vient de recevoir un cadeau pour son anniversaire ? »), d’abord en pointant sur l’une des cinq illustrations représentant les expressions faciales des réponses émotionnelles du personnage et la réponse neutre mentionnée ci-dessus (fig. 2B. « Montre-moi l’image qui correspond à son visage ». Réponses non verbales), et ensuite en nommant l’émotion ressentie par le personnage (« Qu’est-ce qu’il ressent à ce moment-là ? »).

Figure 2. Connaissance des émotions, épreuve 2.

Le score maximum pour chacune de ces deux tâches est de 5 points (un point par élément correctement identifié et un point par émotion correctement nommée).

Scores : en additionnant les points obtenus dans les trois sous-tâches (reconnaître, pointer et étiqueter les émotions), nous avons ensuite calculé le score total de connaissance des émotions de chaque enfant (de 0 à 15 points).

Évaluation des compétences numériques

Les évaluations des compétences mathématiques comprennent trois épreuves numériques (qui sous-tendent des capacités numériques précoces distinctes. Les épreuves sont choisies à partir de situations utilisées en classe et en fonction des programmes et attendus de l’école maternelle ([13], Domaine 4, construire les premiers outils pour structurer sa pensée).

Épreuve 1, collections : son objectif est d’évaluer si les élèves comprennent que le cardinal d’une collection ne change pas lorsque la disposition spatiale ou la nature de ses éléments est modifiée. Elle concerne ainsi la construction de nombres pour exprimer des quantités. Dans cette épreuve, l’enseignant place devant chaque élève une photographie montrant quatre collections d’objets, dont deux comportent le même nombre d’éléments (par exemple, une paire de ciseaux, deux jetons, deux stylos et trois tubes de colle). Chaque élève est invité ensuite à indiquer :

  1. la collection qui contient le plus grand nombre d’objets,

  2. celle qui en contient le moins et

  3. les deux collections qui contiennent le même nombre d’objets.

Si un enfant parvient à répondre facilement, l’enseignant place devant lui une autre photographie avec des collections comportant plus d’éléments (par exemple, trois tubes de colle, quatre pinceaux, quatre paires de ciseaux et cinq jetons). Comme pour la photo précédente, l’enfant est invité à nouveau à indiquer la collection comportant le plus d’objets, celle comportant le moins d’objets et les deux autres comportant le même nombre.

Cette épreuve fait appel ainsi à trois principes, amenés à se développer entre trois et cinq ans (donc durant la maternelle) :

  • la cardinalité (la dernière étiquette verbale, lors du comptage, représente le cardinal de la série) ;

  • le principe d’abstraction (la modification de la nature des éléments permet de rendre compte de la maîtrise par l’élève de ce principe) ;

  • et le principe de non pertinence de l’ordre. La modification de la disposition spatiale permet de rendre compte de la capacité à dénombrer indépendamment de l’ordre (puisqu’en changeant la disposition, les éléments peuvent être comptés dans un autre ordre).

Épreuve 2, notion de rang : son objectif est d’évaluer si l’élève a la capacité d’utiliser des chiffres pour désigner le rang d’un objet dans une séquence ordonnée. Pour ce faire, l’enseignant place dix jetons (par exemple cinq rouges et cinq jaunes) en ligne devant chaque élève (en les alignant dans le sens de la lecture), puis lui demande de désigner :

  1. le premier jeton,

  2. le dernier jeton,

  3. le troisième jeton de la ligne,

  4. le cinquième jeton de la ligne,

  5. le deuxième jeton jaune et

  6. le dernier jeton rouge.

Néanmoins, l’enseignant n’a pas nécessairement effectué tout l’exercice avec chaque élève : lorsqu’un enfant n’est plus capable de répondre correctement à l’une de ces questions, la tâche est accomplie (c’est-à-dire que les questions de plus grande difficulté que les niveaux de l’enfant ne sont pas évaluées).

Cette épreuve permet d’évaluer des compétences de nature ordinale. Ici, il faut que l’élève associe chaque élément à une étiquette : le premier élément à l’étiquette « un », le deuxième élément à l’étiquette « deux ». C’est une autre façon d’évaluer les compétences numériques et les capacités de dénombrement. L’épreuve telle qu’elle est décrite ici implique aussi de la catégorisation (lorsqu’il est demandé, par exemple, de désigner le cinquième jeton jaune). En même temps, ça fait appel à l’inhibition (dans l’exemple précédent, ordonner mais en ne tenant compte que des jetons jaunes, en inhibant les rouges). L’évaluation des compétences numériques se fait donc ici en lien avec d’autres compétences logiques ou exécutives (catégorisation, inhibition).

Épreuve 3, suites algorithmiques : son objectif est d’évaluer si les élèves sont capables de catégoriser et d’organiser des suites d’objets en fonction de critères de formes et de couleurs, de reconnaître un « rythme ou algorithme » dans une suite organisée et à continuer cette suite, à inventer des « rythmes ou algorithmes » de plus en plus compliqués, à compléter des manques dans une suite organisée.

L’élève dispose de trente objets de formes et de couleurs différentes (désignés A, B, C. \(n_A=14\), \(n_B=10\), \(n_C=6\)), alignés devant lui élève dans le sens de la lecture. Et cette dernière épreuve est réalisée en deux étapes principales :

  • tout d’abord, l’enseignant commence par produire successivement plusieurs séquences algorithmiques (de difficulté croissante) composées de plusieurs copies de deux (A-B) puis trois (A-B-C) objets. Chaque élève est ensuite invité à tenter de suivre les séquences suivantes : ABAB…, ABCABC…, AABAAB…, AABCAABC…, AAABBCAAABBC…

  • la deuxième étape consiste à présenter à l’élève jusqu’à six nouvelles séquences algorithmiques (à condition qu’il n’échoue pas) qui, cette fois, sont incomplètes (ABABAB, ABABABA, ABCABCABCAB, ABCABCABCABC, AABAABAABAAB, AABAABAABAAB). L’enseignant a délibérément laissé ces lacunes afin de demander à l’enfant de les combler avec des objets de forme et de couleur correctes. Dans le premier et le deuxième de ces exercices, la tâche est achevée lorsque l’élève n’est plus capable de poursuivre l’une des séquences algorithmiques évaluées (testées par ordre de difficulté croissante dans la première étape), et lorsqu’il ne réussit pas à combler les lacunes dans l’une des nouvelles séquences qui lui ont également été présentées successivement dans la deuxième étape.

Cette épreuve permet d’évaluer la capacité à identifier le principe d’organisation d’un algorithme en poursuivant son application et en comblant les lacunes des séquences organisées.

Scores : étant donné que l’exécution de chacune de ces trois tâches mesurant les capacités numériques précoces des enfants dépend du niveau atteint à chacune d’entre elles (les éléments de plus grande difficulté que le niveau échoué n’étant pas exécutés), le score maximum pouvant être obtenu pour chacune d’entre elles varie. Nous avons donc décidé d’exprimer les performances mathématiques globales de chaque enfant sous forme de pourcentage de réussite calculé à partir des résultats plutôt que de calculer un score total.

Résultats :

Globalement, les résultats montrent que :

  • le taux moyen de réussite aux épreuves mathématiques est de 60 % (tableau 1),

      PS (\(n=206\)) MS (\(n=211\)) GS (\(n=289\)) Total
      35–47 mois 48–58 mois 59–71 mois (\(n=706\))
    Épreuve 1 : collections 25.81 59.01 89.80 61.93
    (25.29) (29.35) (20.71) (36.33)
    Épreuve 2 : notion de rang 32.25 55.73 84.86 60.80
    (20.94) (25.45) (23.31) (32.02)
    Épreuve 3 : suites algorithmiques 27.69 52.70 82.47 57.59
    (21.04) (26.08) (26.15) (33.66)
    Score total 28.58 55.81 85.71 60.11
    (16.59) (19.33) (17.58) (29.70)

    Tableau 1. Scores et écart-types (exprimés en pourcentage de réussite) aux trois épreuves numériques selon le niveau de maternelle (Petite Section, Moyenne Section et Grande Section).

  • le score moyen aux tâches émotionnelles est de 9,5 sur 15 (tableau 2).

      PS (\(n=206\)) MS (\(n=211\)) GS (\(n=289\)) Total
      35–47 mois 48–58 mois 59–71 mois (\(n=706\))
    Épreuve 1 : identification des émotions (/5 points) 3.31 4.18 4.63 4.11
    (1.25) (1.12) (0.75) (1.17)
    Épreuve 2 : compréhension des causes des émotions (/10 points) 3.31 5.21 7.03 5.40
    (2.11) (2.45) (2.13) (2.70)
    a) Pointage (/5 points) 1.81 2.68 3.49 2.76
    (1.07) (1.27) (1.10) (1.34)
    b) Dénomination (/5 points) 1.50 2.53 3.54 2.64
    (1.29) (1.40) (1.15) (1.52)
    Score total (/15 points) 6.62 9.38 11.66 9.51
    (2.75) (3.00) (2.48) (3.42)

    Tableau 2. Scores (et écart-types) aux différentes épreuves aux trois épreuves émotionnelles selon le niveau de maternelle (Petite Section, Moyenne Section et Grande Section).

  • Plus intéressant, les résultats révèlent que les performances en mathématiques corrèlent significativement et positivement avec les compétences émotionnelles (voir fig. 3) chez les enfants âgés de trois à six ans.

    Figure 3. Graphique en nuage de points illustrant le degré de corrélation entre les Compétences mathématiques et la Connaissance des émotions (r = .615, p < .01) chez 706 enfants âgés de 3 à 6 ans. La droite de régression (line of best fit ; en rouge), son intervalle de confiance à 95 % (lignes pointillées rouges) et les intervalles de prédiction (lignes pointillées grises) ont été obtenus à partir d’une analyse de régression linéaire simple.

Plusieurs mécanismes pour expliquer ce lien

Ces résultats sont discutés en relation avec plusieurs mécanismes possibles proposés dans la littérature scientifique ([14]).

Le premier mécanisme est fondé sur le fait que pour apprendre et se développer, les enfants (en particulier les jeunes enfants) ont besoin d’adultes et de pairs. On peut le conceptualiser comme la zone de développement proximal (ZPD). Dans une perspective historico-culturelle, la ZPD se réfère à ce que les enfants peuvent réaliser en collaboration avec d’autres et ce relativement à la période de développement actuelle et future des enfants. Le lien avec la compréhension des émotions est alors le suivant : les enfants ayant une meilleure connaissance de leurs émotions seraient plus à même de les réguler. Une meilleure gestion de ces émotions faciliterait les interactions sociales, permettant aux enfants d’établir de meilleures relations avec leurs enseignants, leurs pairs et leur famille. Cela peut également influencer indirectement les résultats scolaires en offrant aux élèves un réseau de soutien social qui les protège en période de stress et les soutient lorsqu’ils sont confrontés à une nouvelle situation ou à un défi d’apprentissage nécessitant l’aide d’un expert (pair, enseignant).

Le deuxième mécanisme expliquant le lien entre la compréhension des émotions et la réussite scolaire pourrait être lié au chevauchement entre la compréhension des émotions et les compétences cognitives. Comme le notent les auteurs, la connaissance des émotions pourrait faire partie d’une sous-dimension de la connaissance/aptitude verbale. L’apprentissage de nouveaux mots relatifs aux émotions peut en fait déboucher sur l’acquisition de compétences intellectuelles (telles que l’orthographe, le vocabulaire). Ainsi, les enfants qui sont bons dans la compréhension des émotions peuvent également être bons dans d’autres domaines à l’école (comme l’acquisition du langage ou des nombres).

Limite et perspective

La principale limite de ce type d’étude est sa conception transversale. Sans données longitudinales ni données pré et post entrainement, nous sommes limités à inférer, à partir de traitements statistiques spécifiques, des relations causales sur les liens entre le développement de la connaissance des émotions et des capacités numériques. Pour étudier les liens causaux, les études interventionnelles sont nécessaires ([15]) : montrer qu’entraîner explicitement les compétences émotionnelles des jeunes élèves améliore non seulement leur connaissance émotionnelle mais aussi leurs résultats en mathématiques (par rapport à des élèves non entrainés) est un bon moyen de tester des liens causaux entre ces variables.

Conclusion et implications pédagogiques

En conclusion, ces résultats rejoignent le consensus politique et scientifique sur l’importance des capacités socio-émotionnelles dans le milieu scolaire, et ce, tout particulièrement au début de la scolarité. Les compétences émotionnelles constitueraient un prédicteur important de la capacité de l’élève à évoluer dans le monde social et académique au début de sa scolarité.

Afin de favoriser le développement des compétences émotionnelles et mathématiques, dans les premiers degrés de la scolarité, il s’agit de penser son enseignement en fonction des modalités de travail spécifiques à ces petites classes. Le jeu fait alors partie des outils pédagogiques indispensables à implémenter en classe.

Concrètement, il s’agit d’une part de laisser un temps et un espace pour le jeu à l’école, à savoir les jeux de construction, les jeux locomoteurs et le jeu de faire semblant (de rôles). Différentes recherches montrent les effets bénéfiques de ces différentes formes de jeu sur le développement des compétences à comprendre et à réguler les émotions, mais également des habiletés essentielles requises en mathématiques (comme classer, mesurer, ordonner, utiliser les fractions, prendre conscience de la profondeur, de la longueur, des formes, de l’espace etc.).
D’autre part, il importe de pouvoir soi-même en tant qu’enseignant intervenir dans ces temps de jeu afin de favoriser le développement de ces compétences fondamentales à la réussite scolaire de l’élève, mais également dans le but de développer le niveau de jeu des élèves ([16], [17]).

Références

  1. Gentaz, E. & Dessus, P. (Eds) (2004). Comprendre les apprentissages. Sciences cognitives et éducation. Paris : Dunod.

  2. Gentaz, E. (Ed) (2013). « Apprendre… oui mais comment ? ». Des laboratoires aux salles de classe. ANAE, N°123, volume 25, 92 pages.

  3. Pessoa, L. (2008). On the relationship between emotion and cognition. Nature Reviews Neuroscience, 9(2),148-58.

  4. Sander, D. (2016). Psychologie des émotions. Encyclopædia Universalis.

  5. Mazzietti, A, & Sander, D. (2015). Les émotions au service de l’apprentissage : Appraisal, pertinence et attention émotionnelle. A.N.A.E, 139, 537-544.

  6. Cuisinier, F, Tornare, E, & Pons, F. (2015). Les émotions dans les apprentissages scolaires : Un domaine de recherche en émergence. A.N.A.E, 139, 527-536.

  7. Denervaud, S., Franchini, M., Gentaz, E., & Sander, D. (2017). Les émotions au cœur des processus d’apprentissage. Revue suisse de pédagogie spécialisée, 4, 20-25.

  8. Gentaz, E, (Ed) (2015). Apprentissages, cognition et émotion : de la théorie à la pratique. A.N.A.E, numéro spécial, 139, 527-606.

  9. Pekrun, R., & Linnenbrink-Garcia, L. (2014). International Handbook of Emotion in Education. New York: Routledge.

  10. Housieux, M., & Lahaye, M. (2013). Les compétences émotionnelles chez l’enfant. Dans O. Luminet (Éd.), Psychologie des émotions (pp. 177-208). Bruxelles : de Boeck.

  11. Richard, S., Gay, P. & Gentaz, E. (2021). Pourquoi et comment soutenir le développement des compétences émotionnelles chez les élèves âgés de 4 à 7 ans et chez leur enseignant.e ? Apports des sciences cognitives. Raisons Educatives, 25, 261-287. doi:10.3917/raised.025.0261<

  12. Cavadini, T., Richard, S., Dalla-Libera, N., & Gentaz, E. (2021). Emotion knowledge, social behaviour and locomotor activity predict the academic-mathematic performance in 706 preschool children aged 3 to 6. Scientific Reports (Nature Publishing Group), 11(14399).

  13. BO special du 26 mars 2015 : programme d’enseignement de l’école maternelle

  14. MacCann, C., Jiang, Y., Brown, L. E. R., Double, K. S., Bucich, M., & Minbashian, A. (2020). Emotional intelligence predicts academic performance : A meta-analysis. Psychological Bulletin, 146(2), 150-186.

  15. Theurel, A., & Gentaz, E. (2015). Entraîner les compétences émotionnelles à l’école. A.N.A.E, 139, 545-555.

  16. Richard, S., Clerc-Georgy, A., & Gentaz, E. (2019). Les bénéfices du jeu sur le développement psychologique de l’enfant et les interventions de l’adulte dans le jeu de l’enfant. Médecine et Enfance, 39(5-6), 137-143.

  17. Richard, S., & Gentaz, E. (2020). Le jeu de faire semblant favorise-t-il le développement des compétences socio-émotionnelles ? A.N.A.E, 32(165), 172-182.

⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅♦⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅⋅

Édouard Gentaz est professeur ordinaire à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) de l’université de Genève en Suisse. Il est également le rédacteur en chef de la revue A.N.A.E (Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant).
Thalia Cavadini est doctorante en psychologie à la FPSE de l’université de Genève.
Sylvie Richard est chercheuse en psychologie du développement de l’université de Genève et professeure à la Haute École Pédagogique (HEP) du canton du Valais en Suisse.
Nathalie Dalla-Libera est conseillère pédagogique en Savoie.

Résumé

De très nombreuses recherches en sciences cognitives révèlent des liens étroits entre les compétences cognitives et scolaires d’une part et les compétences émotionnelles d’autre part chez les élèves de l’école primaire à l’université. Quelques recherches récentes conduites auprès de jeunes élèves d’école maternelle montrent que la connaissance des émotions est liée ou même prédit leur future réussite scolaire en général et en mathématiques en particulier. Plusieurs mécanismes pour expliquer ce lien sont proposés ici par des chercheurs.


  1. Les sciences cognitives regroupent la psychologie, la philosophie, la linguistique, l’anthropologie, l’informatique et les neurosciences.

  2. Ou de l’enfant qui a peur, etc.

Pour citer cet article : Cavadini T., Dalla-Libera N., Gentaz É. et Richard S., « Émotions et apprentissages chez des élèves de 3 à 6 ans », in APMEP Au fil des maths. N° 542. 7 février 2022, https://afdm.apmep.fr/rubriques/ouvertures/emotions-et-apprentissages-chez-des-eleves-de-3-a-6-ans/.