Femmes et mathématiques, où en est-on ?
Si nos élèves ont bien du mal à citer des noms de mathématiciens hormis Pythagore et Thalès, ils restent souvent muets si on leur demande de citer des noms de mathématiciennes. Il faudra attendre le XXIe siècle pour qu’une femme soit lauréate de la médaille Fields (Maryam Mirzakhani en 2014) et qu’une mathématicienne entre au Collège de France (Claire Voisin en 2016). Comment agir au sein de nos classes pour que les mots femme et mathématiques riment ensemble ?
Claudie Asselain-Missenard, Anne Estrade, Valérie Larose
© APMEP Juin 2019
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Force est de constater que dans un premier temps, peu d’élèves de Terminale S (filles ou garçons) envisagent des études scientifiques et encore moins de mathématiques… ils n’ont pas vraiment d’idées de métiers liés aux mathématiques et quand ils en ont, elles se résument souvent à prof de maths ou chercheur. Et, à niveau scolaire égal, les filles ne s’engagent pas autant que les garçons dans des études scientifiques.
Si les femmes représentent la moitié de l’humanité, elles représentent en France 61 % des bacheliers généraux, 25 % des maîtres de conférences et 11 % des professeurs des universités en mathématiques fondamentales et appliquées.
Manque de confiance, stéréotypes, systèmes scolaires inadaptés ? Le constat est là, le défi, immense, est à relever. L’association femmes & mathématiques1, créée en 1987, milite activement pour que la situation bouge. À travers ses colloques, son forum annuel de jeunes mathématicien\(\cdot\)ne\(\cdot\)s, ses interventions « filles et maths : une équation lumineuse », l’association nous permet de déconstruire des stéréotypes, de découvrir les métiers des mathématiques, de donner des pistes aux enseignants pour que les jeunes filles osent faire des sciences et des mathématiques en particulier.
Claudie Asselain-Missenard et Anne Estrade ont participé respectivement au colloque des trente ans de femmes & mathématiques et au 18e forum des jeunes mathématicien\(\cdot\)ne\(\cdot\)s. Nous publions ci-après des extraits de leurs comptes rendus2 3.
Un forum pas comme les autres
Pour la 18e fois, l’association femmes & mathématiques, en partenariat avec la Mission pour la place des femmes du CNRS, a organisé son forum des Jeunes mathématicien\(\cdot\)ne\(\cdot\)s du 28 au 30 novembre 2018 à Orléans. Sous le thème « Mathématiques et sciences du vivant », des conférences plénières et des exposés courts donnés par des jeunes en cours de doctorat ou de post-doctorat ont permis à l’auditoire de découvrir comment les mathématiques se mettent au service de la biologie pour modéliser, prévenir, prédire, calculer, optimiser, coder des phénomènes complexes, et comment les mathématiques s’enrichissent de cette complexité. Les titres des conférences plénières sont éloquents quant à la diversité des domaines mathématiques et la diversité des domaines d’application : « Localisation de sources en imagerie cérébrale » par Maureen Clerc (INRIA, Sophia Antipolis), « Nouveaux problèmes autour de l’agrégation et de la fragmentation des protéines » par Marie Doumic (INRIA, Sorbonne Université), « Modélisation aléatoire de l’évolution des micro-organismes » par Sylvie Méléard (CMAP, Polytechnique), « Modèles de mélange pour la croissance de biofilms » par Magali Ribot (IDP, Orléans). Plusieurs interventions ont aussi été consacrées aux différents métiers des mathématiques, que ce soit dans les carrières académiques, la recherche publique, mais aussi l’entreprise, les métiers du conseil ou les postes en recherche et développement dans l’industrie et les instituts privés.
Clémence Perronnet, sociologue (Centre Max Weber, ENS Lyon), Colette Guillopé (chargée de mission parité à l’Université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne) et Didier Chavrier (chargé de mission parité à l’Université d’Orléans), ont rappelé combien les sciences en général, et les mathématiques en particulier, accordent peu de place aux femmes et combien on manque de modèles féminins à proposer en exemples aux jeunes générations. Ils ont aussi montré comment les stéréotypes de genre agissent dès le plus jeune âge et conduisent finalement peu de femmes à faire une carrière en mathématiques.
Cette rencontre aurait pu ressembler à beaucoup d’autres, sauf que… les organisateurs étaient des organisatrices, les conférenciers pléniers des conférencières plénières, les orateurs des oratrices (en majorité). Des mathématiques de haut niveau au féminin ? C’est tout à fait possible. Qu’on se le dise !
Un colloque pour faire un état des lieux
À l’occasion de ses 30 ans, l’association femmes & mathématiques a organisé en septembre 2017 le colloque « L’enseignement des mathématiques : où en sont les différences filles/garçons ? » en collaboration avec la CFEM4, le réseau des IREM5 et l’IHP6.
Le constat sur les inégalités de résultats, de goût ou de perception d’eux-mêmes des filles et des garçons a été fait à travers plusieurs exposés. S’appuyant sur les résultats 2015 de TIMSS, TIMSS advanced et PISA, Franck Salles7 a analysé les différences filles/garçons sous quatre angles : selon le pays, dans le temps, selon le niveau scolaire où se joue le test et selon le type de questionnement. Sur le plan des différences filles/garçons, rien de bien net. Il existe des pays où les filles réussissent mieux. Ou pareil. Ou moins bien. PISA et ses questions à texte long est plus favorable aux filles que les questionnements QCM de TIMSS. En France, peu d’écart filles/garçons au test TIMSS (niveau CM1) et beaucoup dans TIMSS advanced (niveau terminale scientifique), alors que les moyennes en maths au bac de ces élèves, la même année, sont peu différentes (filles 11,5 et garçons 11,8). Il semblerait que le contexte de mesure de la performance joue un rôle important. Et que mesurer la performance et mesurer la compétence soient deux choses distinctes.
L’exposé de Cristina Aelenei8, maîtresse de conférence en psychologie sociale, s’est attaché à démonter les mécanismes en jeu. Comment les stéréotypes se créent et s’intériorisent très tôt, lors du processus de socialisation. Comment ils peuvent ensuite s’auto-entretenir en quelque sorte, à travers le mécanisme appelé « menace du stéréotype ». La peur de confirmer un stéréotype négatif attaché à sa catégorie d’appartenance (race, genre…), ou d’être jugé sur cette base induit un mécanisme inhibant qui aboutit à la confirmation du stéréotype. Ainsi, un sujet lors d’un test peut être l’objet d’une baisse de performance imputable à ce seul mécanisme. De nombreuses pistes existent pour réduire la menace du stéréotype. La variation de légers paramètres dans les conditions de passation d’une épreuve peuvent en modifier les résultats de façon étonnante. Par exemple, modifier juste l’ordre de passation d’une épreuve portant sur deux disciplines maths/français fait basculer les résultats. Dans le groupe qui a passé les maths en premier, les scores en maths des garçons ont été meilleurs que ceux des filles. L’inverse (toujours sur les scores de maths) s’est produit dans le groupe qui a passé le français en premier. Ce constat incite à la prudence dans l’interprétation des résultats mais aussi à réfléchir à des conditions de test qui n’avantagent pas l’un des genres.
C’est l’université de Genève qui a présenté l’action la plus en profondeur. Sous l’impulsion d’Isabelle Collet9, tous les futurs enseignants, tant en primaire qu’en secondaire, reçoivent en deux années une formation sur le genre. Elle a montré différentes approches possibles, quand on veut éduquer sur le genre. L’approche différentialiste acte qu’il y a des différences de nature entre filles et garçons. Et qu’il faut tenir compte de ces différences pour attirer les filles vers les sciences. Une approche qui peut se résumer en « Peindre la science en rose pour attirer les filles ». L’approche socio-constructiviste postule que c’est la socialisation qui a construit les stéréotypes, et qu’il faut donc travailler à les déconstruire. Elle a mis en avant les insuffisances de ces deux points de vue et défendu une troisième approche, l’approche systémique. C’est le système qui fabrique les normes hiérarchisant hommes et femmes. C’est ce système qui doit être revu.
Après les constats, les mesures
À n’en pas douter, la sensibilisation du corps enseignant à la question du genre dans le domaine des sciences est en marche. Au-delà du militantisme des pionnières, l’institution a maintenant pris la mesure du problème. Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes a été mis en place. La question des filles est présente dans la stratégie mathématiques mise en place par le ministère en fin 2014 et la recommandation 19. Égalité femmes-hommes du rapport Villani-Torossian10 (qui en compte 21) précise « Former les enseignants et l’encadrement aux problématiques liées à l’égalité femmes-hommes en mathématiques (stéréotypes de genre, orientation professionnelle, réussite, etc.). »
Vu l’ampleur du chemin qui reste à parcourir pour que l’égalité filles/garçons devant les sciences devienne réalité, voir l’action des associations prise en compte et poursuivie dans le cadre institutionnel ne peut être qu’une très bonne nouvelle.
Pour aller plus loin
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« Filles et garçons à l’école ». In : Cahiers pédagogiques no 487 (2011). Sous la dir. d’Isabelle Collet et Geneviève Pezeu.
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Cécile Kerboul. « Filles et maths, une équation lumineuse ». In : Plot no 55 (2016).
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Programme du colloque « L’enseignement des mathématiques : où en sont les différences filles-garçons ? ».
- Site de l’association femmes & maths.
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Claudie Asselain-Missenard a pris une retraite méritée après de nombreuses années en poste dans l’académie de Versailles, puis celle de Paris.
Anne Estrade est professeure de mathématiques au département informatique de l’IUT Paris Descartes et membre du laboratoire MAP5 de l’Université Paris Descartes.
Valérie Larose est professeure de mathématiques au lycée S. Hessel à Vaison-la-Romaine, membre de l’équipe d’Au fil des maths.
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Lien vers l’association : .↩
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Article de C. Asselain-Missenard paru dans Les Chantiers de Pédagogie mathématique (décembre 2017) .↩
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Les trente ans de l’association femmes et mathématiques : article d’Anne Estrade à paraître dans la Gazette des mathématiciens (revue de la SMF).↩
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Commission Française pour l’Enseignement des Mathématiques.↩
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Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques.↩
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Institut Henri Poincaré.↩
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Franck Salles, chargé d’études à la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), Ministère de l’Éducation nationale.↩
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Cristina Aelenei, Laboratoire de psychologie sociale : menaces et société, Université Paris Descartes.↩
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Isabelle Collet, maîtresse d’enseignement et de recherche, Université de Genève.↩
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Voir sur le site du ministère de l’Éducation nationale : 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques .↩
Une copie d’écran du site filles et maths
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