Faire du calcul mental en jouant avec Chamboul’math
Dans notre monde actuel où tout s’accélère sans que nous mettions en jeu nos capacités réflexives, il est pertinent de s’intéresser à la place du calcul mental dans nos vies et avant tout dans nos écoles. Gérard Martin nous présente son Chamboul’math qui rime avec calcul mental, chance et astuce.
Gérard Martin
© APMEP Juin 2020
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Le calcul mental dans les programmes
L’importance accordée au calcul mental dans les programmes scolaires ne date pas de notre siècle. Déjà les programmes de 1909 spécifiaient que « les exercices de calcul mental figureront à l’emploi du temps et ne devront pas être sacrifiés. ». C’est ainsi que plus de cent ans après, les nouveaux programmes de 2015 insistent sur l’importance du calcul mental en école primaire et mentionnent qu’il est « très important de s’entraîner suffisamment pour automatiser des réflexes ». En 2018, dans le rapport « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques », Cédric Villani et Charles Torossian préconisent clairement le recours au jeu pour inciter les élèves à compter (et à faire des mathématiques en général). On peut alors se demander si le moyen le plus simple de parvenir à cet entraînement quotidien passe nécessairement par l’ardoise, le feutre et une série d’opérations dictées… ou pas.
Est-ce qu’apprendre les tables de multiplication et les restituer sur une ardoise levée fièrement en classe permet une pratique pertinente du calcul mental ?
La genèse du Chamboul’math
C’est à partir de ces interrogations et des constations sur le terrain, que j’ai imaginé le jeu Chamboul’math. J’étais encore en activité en collège et c’est avec les élèves du club Maths que je l’ai développé. La scolarité est une période où les individus sont particulièrement sensibles au ludique, au travail en groupe, à la manipulation… au jeu ! Le Chamboul’math est donc un jeu à visée mathématique dont l’objectif est la pratique du calcul mental.
Le jeu Chamboul’math
Le matériel
Quatre dés à six faces, trois bûchettes vierges, 33 bûchettes numérotées de \(1\) à \(33\).
Le jeu
On commence par la construction d’une tour avec les bûchettes. Celle-ci se fait de manière aléatoire, sans choisir les bûchettes. Elles sont empilées par groupes de trois en croisant l’orientation entre les étages successifs, les trois bûchettes vierges sont posées en dernier et sont imprenables.
Un joueur lance les dés et annonce le calcul lui permettant d’obtenir le nombre inscrit sur une bûchette. Il tente ensuite de retirer la bûchette puis passe les dés à son voisin… sauf s’il fait tomber la tour ! Si, sur un étage, il manque une bûchette extérieure, la bûchette du milieu n’est pas prenable et s’il manque la bûchette du milieu, les deux bûchettes extérieures ne sont pas prenables. Si aucun calcul ne permet d’obtenir un des nombres inscrits sur une bûchette de la tour, le joueur passe son tour.
À la chute de la tour, les joueurs font le total des nombres inscrits sur les bûchettes gagnées au fil de la partie et le gagnant est celui obtenant le plus grand total.
C’est un mini « Le compte est bon », le nombre cible est déterminé par le choix de la bûchette que le joueur veut retirer de la tour, les quatre nombres qu’il peut utiliser sont ceux affichés par les dés, plus ceux créés à partir de deux dés (voir les exemples ci-après). La hauteur de la tour, les opérations permises et la possibilité de ne pas utiliser les quatre dés sont fonction du niveau des joueurs.
Remarques
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À chaque lancer de dés, il faut gagner le plus de points et donc obtenir le plus grand nombre possible. Le joueur a donc tout intérêt à enlever les bûchettes avec des grands nombres.
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Un joueur pourrait être tenté d’affirmer qu’il ne peut pas, avec son tirage, trouver un des nombres encore présent dans la tour… soit que ce nombre est trop petit pour qu’il gagne la partie, soit parce que retirer la bûchette est trop risqué… Ses adversaires, s’ils ont repéré un calcul, peuvent le lui imposer sinon il passe son tour.
Différents niveaux de jeu
- Niveau 1
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Tour de neuf étages (bûchettes de \(1\) à \(24\)) en terminant par les trois bûchettes vierges. Une seule opération mobilisée : l’addition. Les quatre dés lancés, le joueur n’est pas obligé de tous les utiliser. Il annonce son calcul et retire la bûchette correspondante. L ’adulte accompagne l’enfant dans la découverte des nombres, il va l’aider à compter les points sur les dés, associer l’écriture en chiffres et repérer la bûchette correspondante. Retirer la bûchette sans faire tomber la tour est alors un jeu d’adresse très apprécié.
- Niveau 2
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Mêmes règles que le niveau 1 avec possibilité d’utiliser aussi la soustraction.
- Niveau 3
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Mêmes règles que le niveau 2 en ajoutant la multiplication. Il faut utiliser cette fois les quatre nombres indiqués par les dés.
- Niveau 4
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Tour de treize étages (toutes les bûchettes), toutes les opérations sont autorisées (pourquoi pas aussi les puissances). Il faut utiliser les quatre dés.
Deux exemples
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Situation avec 24 bûchettes au départ, quatre ont déjà été enlevées (\(5\) ; \(9\) ; \(15\) et \(20\)).
Les dés donnent les nombres : \(5\) ; \(6\) ; \(3\) ; \(6\).
Les bûchettes imprenables portent les numéros : \(1\) ; \(23\) ; \(12\) ; \(13\) ; \(18\) ; \(17\) ; \(3\).
Les bûchettes prenables portent les numéros : \(2\) ; \(4\) ; \(6\) ; \(7\) ; \(8\) ; \(10\) ; \(11\) ; \(14\) ; \(16\) ; \(19\) ; \(21\) ; \(22\) ; \(24\).
Avec la règle du niveau 1 : \(21\), \(22\) et \(24\) ne peuvent pas être obtenus mais \(14\) peut l’être : \(6+5+3 =14\).
Avec la règle du niveau 3, il est possible de prendre \(24\) car \(5-3=2\) ; \(6-2=4\) et \(6\times4=24\).
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Situation avec 33 bûchettes au départ, trois ont déjà été enlevées (\(25\) ; \(30\) et \(31\)).
Les dés donnent les nombres \(5\), \(6\), \(3\) et \(6\).
La bûchette \(33\) n’est pas prenable, voyons si on peut ôter la \(32\).
Avec la règle du niveau 4, c’est possible : \(6\times5=30\) ; \(6\div3=2\) et \(30+2=32\).
Et en classe
J’ai expérimenté ce jeu dans une classe mixte CE1/CM2, les CE1 jouaient avec les règles du niveau 1, les CM2 avec celles du niveau 4. Les élèves ne font pas de calculs sans avoir auparavant repéré le nombre cible : ils recherchent dans la tour le plus grand nombre « prenable » puis cherchent à l’obtenir avec les nombres donnés par les dés et les opérations à leur disposition.
Il faut laisser du temps à chaque joueur pour détecter les bûchettes qui peuvent être ôtées sans risque puis savoir si, avec les nombres fournis par les dés, il est possible d’obtenir un des nombres sur les bûchettes repérées… et enfin retirer sa bûchette sans stress !
Les règles du jeu ont évolué au fur et à mesure des parties :
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Les bûchettes \(31\), \(32\) et \(33\) étant très convoitées, les collégiens ont choisi, pour plus d’équité, de les placer comme base de la tour.
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Encore une idée venue avec la pratique : les élèves arrivaient à prendre toutes les bûchettes et les parties étaient trop longues d’où l’idée de contrer le démontage de la tour en la terminant avec trois bûchettes vierges.
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Sinon ? Sans les bûchettes vierges, les élèves pouvaient enlever les bûchettes numérotées étage après étage sans prendre trop de risques de faire tomber la tour.
Pour jouer, il faut être au moins deux. Jouer en équipe (deux contre deux) donne l’occasion aux élèves d’échanger sur la stratégie : repérer le plus grand nombre prenable, choisir au contraire de prendre une bûchette pour gêner l’adversaire au tour suivant. Ensuite les valeurs affichées par les quatre dés peuvent se combiner de différentes manières pour un même total et amènent les élèves à argumenter leur choix auprès de leur camarades.
Il faut une tour (pour deux joueurs ou deux équipes) érigée aléatoirement, de base \(31\), \(33\), \(32\). Le tirage est fait par le professeur qui le note au tableau. Pour le premier tirage, l’équipe (ou le joueur) A retire une bûchette, l’équipe (ou le joueur) B contrôle le compte proposé. Au tirage suivant, les rôles sont inversés et ainsi de suite jusqu’à la chute d’une tour. C’est alors la fin de la partie, on compte les points.
Quelques variables didactiques
Pour travailler la numération avec les élèves les plus jeunes, on peut leur demander de construire la tour avec les bûchettes rangées dans l’ordre croissant ou décroissant. Par la suite et pour repérer plus facilement la valeur des bûchettes, il semble possible de mettre une petite gommette de couleur selon le chiffre des dizaines. Les élèves doivent ainsi comprendre qu’il s’agit de prendre le nombre avec la plus grande dizaine puis la plus grande unité possible. On peut leur proposer l’aide de jetons ou d’un boulier pour effectuer les calculs souhaités.
On peut autoriser, ou non, la possibilité de poser certaines opérations et, pour valider le calcul proposé, l’usage de la calculatrice.
On peut exiger une trace écrite : pour chaque tirage, écrire le nombre cible visé et le calcul effectué pour l’obtenir. Toutes les équipes ayant eu le même tirage, on peut revenir sur les différents calculs ayant permis d’obtenir les différents nombres cibles, voire de trouver tous les résultats (entre \(1\) et \(33\) si on se limite aux nombres de bûchettes) pour un tirage donné.
En conclusion
Lors de la pratique classique du calcul mental en classe entière, l’élève n’a pas le choix : il sait faire ou pas le calcul dicté par l’enseignant. Avec le Chamboul’math l’élève choisit son nombre cible, les meilleurs peuvent imaginer un calcul complexe alors que l’élève en difficulté pourra toujours proposer un calcul simple lui permettant de prendre une bûchette dans la tour.
Ce jeu, 100 % français (de la création à la fabrication) est vendu par le Kangourou des mathématiques pour 39 €. Il peut être utilisé du primaire au lycée, en classe entière, en groupe, en activités pédagogiques complémentaires ou bien sûr en famille. Le Chamboul’math transforme le « calcul pour le calcul » en une démarche opératoire libre : seuls les nombres à utiliser dans le calcul sont imposés, le nombre cible est libre et le temps de recherche n’est pas limité. On utilise le résultat pour accomplir une action ludique. Ce jeu affiche donc clairement la volonté de rendre l’entraînement au calcul mental plus attrayant.
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Gérard Martin est désormais à la retraite. Il est responsable du groupe « Jeux mathématiques » de l’Institut de Recherche pour l’Enseignement des Sciences (IRES) de l’Université Toulouse 3.
Une réflexion sur « Faire du calcul mental en jouant avec Chamboul’math »
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