Archimède et la mesure du cercle
Le nombre \(\pi\) fascine généralement nos élèves et la détermination des premières décimales les questionne rapidement. Un document ressource sur Éduscol
propose une activité pour approcher la mesure du cercle d’après Archimède. Géométrie classique, algorithmique, suites… de quoi réinvestir les connaissances acquises au lycée. Martine Bühler nous propose dans cet article de construire une belle séance qui pourra être reprise pour le grand oral.
Martine Bühler
© APMEP Mars 2022
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Archimède est cité plusieurs fois dans les programmes de lycée en lien avec « le nombre \(\pi\) » ou la « longueur du cercle » ; d’abord dans la partie « Algèbre » du programme de spécialité de Première générale : « Bien avant de faire l’objet d’une étude formalisée, les suites apparaissent dans deux types de situations : approximation de nombres réels (encadrement de \(\pi\) par Archimède, […]) » ; puis dans les parties « Analyse » des programmes de l’option « mathématiques complémentaires » et de la spécialité de Terminale générale, de manière très semblable : « On trouve des anticipations du calcul intégral chez Archimède (longueur du cercle, quadrature de la parabole, cubature des solides) ». Les questionnements sur la mesure du cercle et le nombre \(\pi\) pourraient aussi être utilisés pour le grand oral.
Une recherche dans les ressources du site Éduscol
donne accès à un document intitulé Méthode d’Archimède (Première générale)1.
Voici le début de l’activité :
Description de la méthode d’Archimède |
La méthode d’Archimède permet d’obtenir une approximation du nombre \(\pi\). Pour cela on calcule les périmètres de polygones réguliers inscrits et circonscrits à un cercle de rayon \(\dfrac{1}{2}\cdotp\) Plus le nombre de côtés du polygone sera important, plus on se rapprochera du périmètre du cercle, à savoir \(\pi\). |
Cette introduction fait allusion, sans le dire, à la proposition 3 du petit traité2 d’Archimède (ca 287 avant J.–C., 212 avant J.–C.) intitulé La mesure du cercle. Que dit cette proposition ?
Proposition 3 |
Le périmètre de tout cercle est égal au triple du diamètre, augmenté d’un segment compris entre les dix soixante-et-onzième du diamètre et le septième du diamètre3. |
Il est à la portée de nos élèves de traduire cette proposition en langage moderne. Appelons \(P\) le périmètre d’un cercle de diamètre \(D\) et \(S\) le « segment compris entre les dix soixante-et-onzième du diamètre et le septième du diamètre ». La proposition affirme :
\[P=3D+S\text{ avec }\frac{10}{71}\,D< S< \frac{1}{7}\,D.\]
Autrement dit : \(3D+\dfrac{\mathstrut 10}{\mathstrut
71}\,D< P< 3D+\dfrac{\mathstrut 1}{\mathstrut 7}\,D\),
ce qui donne \(3+\dfrac{\mathstrut 10}{\mathstrut 71}< \dfrac{\mathstrut P}{\mathstrut D}< 3+
\dfrac{\mathstrut 1}{\mathstrut 7}\cdotp\)
Ce qui, effectivement, nous « permet d’obtenir une approximation du nombre \(\pi\) » 4, et même plus précisément un encadrement de ce nombre. Mais remarquons qu’il n’est pas question de nombre pour Archimède. Pour un Grec de l’Antiquité, le périmètre et le rayon d’un cercle sont des grandeurs. Ce qui fait le lien entre grandeurs et nombres, c’est la mesure des grandeurs5. Il n’est nul besoin d’entrer dans ces considérations pour faire travailler les élèves sur la procédure d’Archimède, mais mieux vaut sans doute que l’enseignant(e) sache de quoi il retourne. Et pourquoi ne pas faire lire la proposition d’Archimède à nos élèves ? Ils verront bien qu’on n’y parle pas de nombre \(\pi\). Et qu’Archimède ne calcule certainement pas les périmètres d’un cercle de rayon \(\dfrac{1}{2}\) puisqu’il donne un résultat général sur le périmètre de tout cercle. Cela n’empêche d’ailleurs pas d’expliquer aux élèves que nous allons, non pas calculer des rapports de périmètres de polygones réguliers inscrits et circonscrits à un cercle au diamètre du cercle, mais, pour simplifier les calculs, nous intéresser à un cercle de rayon \(\dfrac{1}{2}\) ou 1.
Voyons la suite de l’activité :
Calcul du périmètre des polygones |
On pose \(a_n\) le périmètre d’un polygone régulier ayant \(n\) côtés et inscrit dans le cercle de rayon \(\dfrac{1}{2}\) et \(b_n\) le périmètre d’un polygone régulier ayant \(n\) côtés et circonscrit au cercle de rayon \(\dfrac{1}{2}\cdotp\) On vérifie que : \[a_n=n\sin\left(\frac{\pi}{n}\right)\text{ et }b_n=n\tan\left(\frac{\pi}{n}\right)\cdotp\]
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Le texte précise un peu plus bas que les fonctions sinus et tangente ne sont pas connues d’Archimède. Nous verrons plus loin quel peut être l’intérêt d’exprimer ainsi les périmètres des polygones inscrits et circonscrits au cercle. Pour l’instant, contentons-nous de regarder l’utilisation qui en est faite en programmation :
Implémentation de la méthode | ||
On peut implémenter cette méthode utilisant les fonctions sinus et tangente (qui étaient inconnues d’Archimède).
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Cette implémentation soulève des interrogations : on annonce que la méthode d’Archimède permet d’obtenir des approximations du nombre \(\pi\), mais, pour l’implémenter, on commence par importer la valeur de ce nombre. Si j’avais montré cela à mes élèves du lycée Flora Tristan de Noisy-Le-Grand, je suis sûre qu’il se serait trouvé des élèves pour faire cette remarque ! Si on veut réellement expliquer aux élèves que cette méthode est efficace, il faut revenir à un travail géométrique pour obtenir une relation de récurrence donnant, à partir du côté d’un polygone régulier de \(n\) côtés inscrit dans le (respectivement circonscrit au) cercle, le côté du polygone analogue ayant le double de côtés. Sans obligatoirement utiliser la méthode exacte d’Archimède, qui utilise des résultats de géométrie que peuvent comprendre nos élèves, mais hors programme, et qui manipule des rapports, on peut obtenir cette relation de récurrence simplement avec le théorème de Pythagore. On peut aussi aller voir des textes ultérieurs, dans lesquels les auteurs manipulent, comme nous, des nombres plutôt que des rapports de grandeurs, facilitant ainsi la tâche. C’est ce qu’ont fait des collègues de Dijon6, utilisant pour cela un texte de Legendre extrait de ses Éléments de géométrie (1794) en classe de Seconde.
On peut aussi lire un extrait du traité de Lacroix7. Cela nécessite évidemment de donner la définition d’un polygone régulier inscrit dans un cercle, ce qui est facile, et celle d’un polygone régulier circonscrit au cercle, ce qui est rendu un peu plus ardu du fait que la notion de tangente à un cercle a disparu des programmes de collège, et, après une brève apparition dans les programmes de Seconde en 2018, également des programmes de lycée. Or, il faut connaître la propriété de perpendicularité de la tangente au rayon pour pouvoir mener les calculs8.
Dans la brochure n°79 de l’IREM de Paris (pp. 36–58)9, vous trouverez le texte de la proposition 3 et de sa démonstration par Archimède, ainsi que, à partir de ce texte, des activités10 pour des classes de Troisième et de Terminale scientifique.
Revenons à l’expression donnée plus haut :
\(a_n=n\sin\left(\dfrac{\pi\mathstrut}{n\mathstrut}\right)\) et \(b_n=n\tan\left(\dfrac{\pi\mathstrut}{n\mathstrut}\right)\). Si elle ne peut pas nous aider à implémenter un algorithme de calcul du nombre \(\pi\), elle peut en revanche nous permettre de montrer la convergence des deux suites vers \(\pi\)… à condition de savoir que \(\lim\limits_{x\to0}\dfrac{\mathstrut\sin(x)}{x\mathstrut}=1\). Cette limite, autrefois explicitement au programme des classes de Première, ou de Terminale scientifique, au gré des réformes de programmes, n’est plus clairement dans les contenus. Elle est liée à la dérivabilité en \(0\) de la fonction sinus et peut donc être utilisée, mais en Terminale et pas en Première générale, puisque la dérivabilité de sinus n’est au programme que de la spécialité mathématique de Terminale. Autrefois, on démontrait cette limite grâce à des encadrements obtenus géométriquement et au théorème « des gendarmes », et on en déduisait la dérivabilité de sinus en \(0\), puis, à l’aide des formules d’addition, la dérivabilité de sinus sur \(\mathbb{R}\). Mais on peut aussi admettre la dérivabilité de sinus et en déduire \(\lim\limits_{x\to0}\dfrac{\mathstrut\sin(x)}{x\mathstrut}=1\) grâce à la définition de la dérivabilité en \(0\).
Que comporte d’autre ce petit traité ?
Voyons la proposition 1 :
Proposition 1 |
Tout cercle est équivalent à un triangle rectangle dans lequel l’un des côtés de l’angle droit est égal au rayon du cercle et la base égale au périmètre du cercle11. |
On peut traduire ceci en langage moderne et se demander comment nous le démontrerions. Si on note \(\mathscr{A}\) l’aire d’un disque de rayon \(R\) et \(P\) son périmètre, la proposition 1 affirme : \(\mathscr{A}=\dfrac{1\mathstrut}{2\mathstrut}\,RP\). Avec nos formules d’aire et périmètre, on a \(\mathscr{A}=\pi R^2\) et \(P=2\pi R\). Donc la proposition est vraie. Que disent exactement nos deux formules ? En fait, il y a d’une part des propriétés de proportionnalité : l’aire d’un disque est proportionnelle au carré de son rayon et son périmètre à son diamètre ; d’autre part un lien entre aire et périmètre : la constante de proportionnalité est la même, autrement dit \(\dfrac{\mathscr{A}\mathstrut}{R^2\mathstrut}=\dfrac{P\mathstrut}{2R\mathstrut}\cdotp\) Ce qui est loin d’être une évidence.
Que savaient les mathématiciens de l’époque d’Archimède ?
Euclide a démontré dans les Éléments : « Les cercles sont entre eux comme les quarrés de leurs diamètres » (proposition 2 du livre XII). Autrement dit, l’aire d’un disque est proportionnelle au carré de son diamètre, donc aussi au carré de son rayon. La démonstration utilise une méthode qui sera appelée plus tard « méthode d’exhaustion »12, comportant un double raisonnement par l’absurde.
Euclide n’étudie pas dans son ouvrage le périmètre d’un cercle. Il est plus difficile de manipuler les longueurs de courbes13 que les aires curvilignes.
La proposition 1 d’Archimède donne une relation entre le périmètre d’un cercle et son aire. Cette relation, couplée avec la proposition d’Euclide, a pour conséquence la proportionnalité du périmètre au diamètre. Bernard Vitrac14 signale qu’Héron utilise la proportionnalité du périmètre au diamètre dans Les Mécaniques et que Pappus démontre ce résultat en utilisant la proposition 1 du texte d’Archimède ; les Grecs sont donc conscients de l’importance du résultat d’Archimède et de cette conséquence sur la proportionnalité du périmètre au diamètre d’un cercle. Nous sommes tellement habitués depuis le collège, voire l’école primaire, à utiliser les formules donnant aire d’un disque et périmètre d’un cercle que nous en oublions de nous étonner que la même constante serve pour les deux calculs15. Voici ce qu’en dit Montucla en 175416 :
La nature du cercle établit une telle liaison entre la mesure de son aire et la longueur de sa circonférence que, l’une étant connue, l’autre l’est aussi nécessairement. On aura donc également la solution du problème17 soit qu’on détermine immédiatement quelque espace rectiligne égal au cercle, soit qu’on trouve une ligne égale à sa circonférence. […] Mais, il faut bien le remarquer, cet avantage est particulier au cercle ; c’est peut-être la seule ligne courbe dont la rectification et la quadrature tiennent de si près l’une à l’autre. |
Il peut être intéressant de donner aussi à nos élèves cette proposition et de partager avec eux notre étonnement devant ce résultat ! Un étonnement que nos élèves pourraient également évoquer lors du grand oral.
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Martine Bühler a enseigné les mathématiques au lycée Flora Tristan (Seine-Saint-Denis) ; elle est membre du groupe d’histoire des mathématiques de l’APMEP et travaille au sein du groupe M.:A.T.H. de l’IREM Paris-Diderot18 .
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Programme et ressources en mathématiques — voie GT / Algorithmique et programmation, document 10 .↩︎
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La traduction en français par François Peyrard (1807) est disponible sur le site de Philippe Remacle .↩︎
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Archimède, Œuvres. Tome I : De la sphère et du cylindre – La Mesure du cercle – Sur les conoïdes et les sphéroïdes, Texte établi et traduit par : Ch. Mugler, Les Belles Lettres, Paris, 1970.↩︎
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Du moins pour nous, actuellement, car la notion de « nombre \(\pi\) » n’existe pas à l’époque d’Archimède.↩︎
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Voir Bühler Martine et Michel-Pajus Anne : Autour du théorème de Pythagore : grandeurs et nombres, in Actes du Colloque de Lille 2018 : Mathématiques en perspective, Hommage à Rudolf Bkouche (dir. Jouve, Marmier, Moyon, Recher, Tazzioli, Tournès), Limoges, Pulim, 2020.↩︎
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Voir Legendre approxime \(\pi\) en classe de Seconde ? de Frédéric Métin, in Contribution à une approche historique de l’enseignement des mathématiques, Presses universitaires de Franche-Comté (PuFC) Besançon, 1996, pp. 429–439. Disponible en ligne : .↩︎
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Lacroix Sylvestre-François, Élémens de géométrie à l’usage de l’École Centrale des quatre-nations, Paris, 1819. Disponible sur
Gallica
: .↩︎ -
Mais ceci est utile aux élèves désirant continuer la spécialité « mathématiques » en Terminale puisque le programme comporte la notion de plan tangent à une sphère. Avoir déjà rencontré la notion de droite tangente à un cercle ne peut qu’aider ces élèves.↩︎
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Disponible en ligne : .↩︎
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Activités qu’il faudrait actualiser en fonction des nouveaux programmes.↩︎
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Archimède, op. cité.↩︎
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Sur cette méthode, voir De la méthode par exhaustion de Marie-Françoise Jozeau, in \(\mathcal{MNEMOSYNE}\) n°1, IREM de Paris, Paris, 1992, pp. 17–48. Disponible en ligne : .↩︎
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Voir Le courbe et le droit d’Évelyne Barbin et Gilles Itard, in Histoires de problèmes. Histoire des mathématiques, Ellipses Paris, 1993 Collection : IREM – Épistémologie et Histoire des Maths, pp. 113–137.↩︎
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Vitrac Bernard, Théon d’Alexandrie et la Mesure du cercle d’Archimède, in Oriens-Occidens : : sciences, mathématiques et philosophie de l’Antiquité à l’Âge classique, Université Paris 7 – Denis Diderot, 1997, 1, pp. 48–81. Disponible en ligne : .↩︎
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Et nous oublions également de nous demander comment on démontre les deux proportionnalités en question, lorsque l’on ne dispose pas de l’outil des suites convergentes, ni de celui du calcul intégral.↩︎
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Montucla Jean-Étienne, Histoire des recherches sur la quadrature du cercle, IREM de Paris, Paris, 1986 Collection : Reproduction de textes anciens – Nouvelle série n°1. Disponible en ligne : .↩︎
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Montucla fait référence aux deux problèmes suivants : rectification du cercle — c’est-à-dire construire à la règle et au compas un segment de même longueur qu’un cercle donné — et quadrature du cercle — construire à la règle et au compas un carré de même aire qu’un disque donné.↩︎
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Ce groupe a été fondé au début des années 1980 par Jean-Luc Verley, alors enseignant à Paris VII, avec comme objectif l’introduction d’une perspective historique dans l’enseignement des mathématiques en s’appuyant sur les textes historiques. Le groupe a publié des brochures et une revue (\(\mathcal{MNEMOSYNE}\)) à l’IREM, et anime régulièrement des stages de formation continue dans les académies d’Île-de-France. Le groupe anime également des séances mensuelles de lectures de textes historiques, dont le thème était, en 2018–2019, La Géométrie de Descartes.↩︎
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