© APMEP Mars 2021

C.Q.F.D.
21 façons de prouver en mathématiques

Yan Pradeau


Édition Flammarion
Hors collection – Sciences

isbn : 978-2-08149-963-8, 384 pages, 23,90 € (15,99 € en pdf)

Le titre C.Q.F.D. est plutôt énigmatique mais le sous-titre « 21 façons de prouver en mathématiques » en dit plus. Seulement voilà, le contenu de ce livre n’est pas, comme on pourrait s’y attendre, un recensement des différentes façons de prouver mais bien autre chose, comme le précisent les premières lignes de cet ouvrage : « Nous vous proposons un voyage au centre des mathématiques » suivies un peu plus loin par « La mathématique est surtout recherche, questionnement, doute, écriture, reformulation et langage ». Tout cela nous donne un parcours dans l’histoire des mathématiques de l’antiquité à nos jours, d’Euclide à Gödel en passant par Pythagore, Gauss, Lobatchevski, Riemann, Descartes, Cantor, Goldbach, Hilbert, Klein, Poincaré… parmi les plus célèbres. En route nous croiserons aussi des mathématiciens moins ou peu connus comme Ohm (le frère de celui de la loi !), Lakatos, Chrystal ou encore Thoki Yenn. En fin d’introduction, l’auteur nous dit que « Pour un tel voyage nous avons besoin d’un guide » et de nous présenter dans un premier chapitre notre guide « Maîtresse Mô » qui sera présente, comme dans un conte, au début et en fin de chaque chapitre. Cette histoire de Maîtresse Mô constitue une belle histoire à elle toute seule.

À qui s’adresse ce livre ? Difficile de penser que des élèves de collège et de lycée puissent y trouver du plaisir (encore que l’histoire de Maîtresse Mô pourrait les faire rêver et réfléchir ?). En effet, si certaines parties sont accessibles, voire très accessibles, d’autres nécessitent des connaissances et des compétences dignes d’un étudiant de licence de mathématiques ! En revanche, des étudiants en sciences y trouveront matière à enrichir leurs connaissances. La place de l’histoire devenant plus importante dans l’enseignement de notre matière, il me semble que chaque enseignant en mathématiques pourra y trouver de quoi alimenter sa curiosité et y trouver matière à faire partager à ses élèves.

Le style est parfois déroutant : l’auteur manie un humour quasi potache avec par exemple « La pause est terminée, finissez votre café, on y retourne ! Jusqu’à présent nous avons frétillé de la plume comme des canards autour de la mare ». Cet humour s’exprime également dans les pages qu’il appelle « En cas de problème » ou dans les noms de chapitres : par exemple le titre du chapitre 7 est « Comment cuire des nouilles avec un théorème ? ». On retrouve encore cet humour (noir ici ?) dans la dernière phrase du livre où il cite Franck Calegari : « La situation est un désastre complet. Nous sommes maintenant dans la situation où ABC est un théorème à Kyoto, mais une conjecture partout ailleurs » ! Cet humour alterne avec des phrases de Schopenhauer, d’Heidegger ou Popper… La lecture est parfois rendue difficile avec beaucoup de notes de bas de pages et aussi beaucoup de « nous y reviendrons plus loin ».

Le contenu mathématique est lui aussi parfois déroutant : l’auteur détaille sur plus de quatre pages, accessibles à un élève de Troisième, les définitions des droites remarquables d’un triangle et leurs propriétés disant que les médiatrices, médianes et les hauteurs sont concourantes. Un peu plus loin l’auteur traite le théorème de Desargues autrement plus ardu ou le théorème de Gauss-Wanzel encore plus ardu. Il revient souvent au livre V d’Euclide pour le confronter à des mathématiciens de différentes époques…

Parmi tous les théorèmes rencontrés au cours des pérégrinations de l’auteur, en voici quelques-uns qui devraient vous donner l’eau à la bouche :

  • bien sûr Pythagore, Thalès, Fermat ;

  • la somme des \(n\) premiers entiers, égale à \(\dfrac{n(n+1)}{2}\) ;

  • l’irrationalité de \(\sqrt{2}\), la transcendance de \(2^{\sqrt{2}}\) (théorème de Gelfond-Schneider) ;

  • le cardinal des ensembles des entiers naturels, des entiers relatifs et des rationnels, tous égaux ;

  • le théorème des valeurs intermédiaires…

On y découvre aussi quelques pépites qui permettront aux enseignants de titiller la curiosité, l’esprit de recherche de leurs élèves :

  • comment « montrer » :

    • que \(1+2+3+4+\cdots=-\dfrac{1}{12}\) ?

    • ou que \(1-1+1-1+1-\cdots=\dfrac{1}{2}\) ?

  • le cercle des problèmes incongrus (Alex Bellos) ;

  • l’entier \(n^2-n+41\) est-il premier ? (essayer avec les dix premiers entiers…) ;

  • et si on démontrait par récurrence que \(6^n+1\) est divisible par \(5\) ?

  • l’illustration du théorème de Pythagore par le chinois Zhou… ;

  • la suite de Goodstein ;

  • quel est le résultat avec votre machine de \(10^{20}-1-10^{20}\) ? ou encore \(\dfrac{10^6+10^{-6}-10^6}{10^{-6}}\) ?

Il ne serait pas honnête de terminer sans dire que l’auteur, tout au long de son parcours non chronologique dans l’histoire des mathématiques, nous permet de croiser de nombreux mathématiciens et aussi de nombreuses façons de prouver : démonstration par récurrence, par induction, par fausse position, par tiers exclus, par contre-exemple, par l’absurde… comme quoi le sous-titre n’est pas tout à fait usurpé. La bibliographie recense une vingtaine de revues et une soixantaine de livres… de quoi creuser encore un peu plus ce vaste sujet de la preuve sachant comme le dit l’auteur en citant Gödel : « Il existe des propositions vraies indémontrables », la preuve « Je suis vivant mais je ne peux le prouver ».

Bref, voilà un livre qui remplit son contrat : donner du plaisir avec les mathématiques. Laissons le mot de la fin à l’auteur qui écrit à la fin de la partie 2 : « Prouver est comme chercher son chemin, ouvrir une voie, découvrir une contrée sauvage. On peut se perdre, trouver autre chose, comprendre… enfin. Aimer cela aussi. Car qu’on se le dise, démontrer est un plaisir ».

Daniel Vagost

Pour citer cet article : Vagost D., « C.Q.F.D. », in APMEP Au fil des maths. N° 539. 29 mars 2021, https://afdm.apmep.fr/rubriques/temps/c-q-f-d/.